Une nouvelle stratégie antiterroriste de l’UE pour les cinq prochaines années est en gestation et le Conseil de l’UE en trace les grandes lignes. Différents aspects sont évoqués par ces conclusions, par exemple utiliser à des fins répressives les données des voyageurs utilisant les transports maritimes et terrestres, s'attaquer aux liens entre criminalité organisée et terrorisme, se pencher sur les fournisseurs de services en ligne non coopératifs, y compris les grandes plateformes, ou encore dépister l'infiltration de terroristes aux premiers stades de leur entrée dans l'Union. Des solutions concrètes sont déjà esquissées comme aligner les activités du pôle de connaissances de l'UE sur les besoins politiques en matière de radicalisation, optimiser le cadre juridique afin de permettre une procédure accélérée d'expulsion ou encore harmoniser davantage l'utilisation des "indicateurs de sécurité" du Système d'information Schengen (SIS). A ce sujet, ce système se trouve au centre des conclusions et particulièrement des mesures opérationnelles qu'elles contiennent.
Quelle est la situation actuelle ?
Des événements déstabilisateurs survenus sur le plan tant interne qu'externe, tels que la guerre d'agression menée par la Russie contre l'Ukraine et le conflit en cours au Moyen-Orient, ont accru le niveau de la menace terroriste dans certains États membres et contribué à l'intensification de la radicalisation et des clivages sociaux, ce qui pourrait conduire au terrorisme et à l'extrémisme violent dans l'ensemble de l'Union.
La menace terroriste est plus complexe que jamais et s'explique par divers facteurs. Parmi ceux-ci figurent notamment le risque posé par des acteurs isolés, la projection accrue sur le plan extérieur de la menace que représente l'État islamique, y compris sa branche de la province de Khorasan (ISKP), le détournement des nouvelles technologies par des groupes et acteurs terroristes, l'essor de mouvements extrémistes violents antisystème qui ne sont pas imputés à des idéologies précises et le brouillage des idéologies, qui aboutit à un assemblage de croyances tendant à privilégier la violence.
Le terrorisme djihadiste reste la menace la plus importante pour l'Union européenne, tandis que la menace que représente l'extrémisme violent de droite reste élevée dans certains États membres.
Des inquiétudes sur le retour des combattants étrangers et sur la radicalisation en ligne
Des inquiétudes subsistent quant au fait que des combattants terroristes étrangers présumés, issus de pays tiers, ainsi que des personnes liées à des groupes terroristes, puissent mettre à profit les flux migratoires pour infiltrer l'Union européenne.
Dans le même temps, le retour de ressortissants de pays tiers qui représentent une menace pour la sécurité et se trouvent en séjour irrégulier dans l'UE reste un défi de taille.
La radicalisation reste un sujet de préoccupation majeur, dans le cadre duquel l'espace en ligne joue un rôle important, en particulier chez les mineurs. Cet espace permet la diffusion rapide de contenus à caractère terroriste et il accentue les clivages sociaux, qui peuvent être attisés par la manipulation de l'information et l'ingérence étrangères, notamment les activités de désinformation menées par des acteurs étatiques et non étatiques.
Quant aux technologies numériques, telles que les crypto-actifs et les plateformes en ligne, elles sont de plus en plus exploitées à cette fin, tandis que les méthodes de financement classiques, telles que les paiements en espèces et le hawala, restent largement utilisées et difficiles à suivre. En outre, les organisations terroristes exploitent de plus en plus les conflits extérieurs pour lever des fonds également dans l'UE, masquant leurs intentions violentes derrière des activités caritatives.
Où va-t-on ?
Afin de faire face efficacement à l'évolution du paysage des menaces, et à la lumière du nouveau cycle institutionnel et de la révision du cadre stratégique de l'UE en matière de sécurité intérieure, le Conseil invite la Commission à élaborer une stratégie globale pour prévenir et combattre le terrorisme et l'extrémisme violent. Ce travail doit être réalisé dans le cadre de la nouvelle stratégie de sécurité intérieure et du programme de l'UE concernant la prévention du terrorisme et de l'extrémisme violent et la lutte contre ces phénomènes;
Axe 1 : favoriser la coopération entre services d’immigration et de lutte antiterroriste
Le Conseil estime que les progrès accomplis dans la promotion de la coopération entre les autorités chargées de l'immigration et de l'asile et les autorités chargées de la lutte contre le terrorisme, notamment par la mise en place d'un réseau de points de contact et à sa participation volontaire, faciliteront la coopération et l'échange d'informations. La mise en œuvre du système d'entrée/sortie (EES) et du système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (ETIAS) ainsi que l'interopérabilité des bases de données européennes sont importantes dans ce contexte.
Axe 2 : dépister les possibles retour des combattants étrangers
Le Conseuil estime qu’il est nécessaire de coordonner les efforts visant à détecter et prévenir, aux premiers stades de leur entrée dans l'Union, l'infiltration de personnes issues de pays tiers ayant des liens avec des organisations t erroristes.
Le recours à des interdictions d'entrée à l'égard des ressortissants de pays tiers qui représentent une menace terroriste et la saisie de données les concernant dans le SIS constituent un outil essentiel pour empêcher l'entrée de combattants terroristes étrangers en Europe. Toutefois, les cadres juridiques et institutionnels nationaux en matière d'émission d'interdiction d'entrée varient d'un État membre à l'autre. Cela peut donc poser un problème en ce qui concerne l'émission et l'enregistrement dans le SIS d'interdictions d'entrée imposées à des personnes lorsqu'il n'existe pas de lien direct ou de relation entre ces personnes et l'État membre d'émission.
Lorsqu'il n'est pas possible d'introduire des signalements aux fins de non-admission et d'interdiction de séjour dans le SIS, la possibilité d'introduire des signalements aux fins de contrôles discrets, de contrôles d'investigation ou de contrôles spécifiques.
Le Conseil invite la Commission à la suite de la prochaine évaluation du SIS à réfléchir à une procédure post-concordance pour les combattants terroristes étrangers enregistrés dans le SIS, sur la base de la réception volontaire de notifications de concordance, afin d'améliorer l'échange d'informations.
Axe 3 : favoriser l’expulsion des individus dangereux
Les États membres sont invités
- à harmoniser davantage l'utilisation de ces "indicateurs de sécurité" défini dans un règlement SIS, tout au long de la procédure de retour en partageant les bonnes pratiques;
- à continuer à imposer des interdictions d'entrée nationales aux ressortissants de pays tiers qui représentent une menace terroriste, conformément à leur droit national, et à étendre ces mesures à l'espace Schengen conformément à un autre règlement SIS.
Le Conseil recommande aussi de continuer à étudier des solutions pour faire face à la menace pour la sécurité que représentent les personnes qui ne peuvent être renvoyées dans leur pays d'origine en raison du principe de non-refoulement.
Le Conseil invite les Etats membres et la Commission:
- à poursuivre la réflexion pour faciliter l'émission d'interdictions d'entrée à l'égard de ressortissants de pays tiers qui représentant une menace terroriste, même s’il n’y a pas de lien direct entre ces personnes et l'État membre d'émission.
- à s'employer à mettre en œuvre sur le plan opérationnel le retour effectif des personnes qui représentent une menace pour la sécurité en examinant la possibilité d'optimiser le cadre juridique afin de permettre une procédure de retour accéléréeoeuvrant conjointement au renforcement des relations avec les pays tiers et les pays d'origine définis comme prioritaires afin de faciliter l'expulsion de ces personnes.
Axe 4 : Promouvoir la recherche
Le Conseil estime que les investissements dans la recherche et l'innovation en matière de sécurité qui soutiennent les efforts de lutte contre le terrorisme, y compris la promotion de solutions innovantes dans le domaine de la gestion des frontières, des outils d'IA, de l'analyse des mégadonnées, des technologies de déchiffrement, des analyses de données biométriques et des outils de criminalistique numérique, sont essentiels pour permettre aux services répressifs et aux autorités chargées de la lutte contre le terrorisme de suivre l'évolution rapide des technologies.
Axe 5 : Miser davantage sur le renseignement
Le Conseil considère que les évaluations et les notes d'information du Centre de situation et du renseignement de l'UE (INTCEN), fondées sur le renseignement stratégique des États membres ainsi que sur les analyses d'Europol, devraient être prises en compte lors de l'élaboration de politiques. Afin de favoriser une appréciation de la situation fondée sur le renseignement, il demeure important de renforcer la capacité d'analyse du renseignement dont dispose l'UE en renforçant ses ressources et ses capacités, conformément aux objectifs de la boussole stratégique.
Axe 6 : Avoir une compréhension commune de la dangerosité
Le Conseil promeut le travail accompli pour avoir une compréhension commune entre les autorités répressives des États membres de l'UE. Ce travaile st fondé sur la base de critères non contraignants, à partir desquels les personnes sont évaluées par chaque État membre comme représentant une menace terroriste ou extrémiste violente, en vue de faire figurer ces informations dans les bases de données européennes.
Axe 7 : étendre le système PNR (Passenger Name Record) au transport terrestre et maritime
En vue d'examiner les possibilités d'utiliser à des fins répressives les données des voyageurs utilisant les transports maritimes et terrestres, le Conseil attend avec intérêt la présentation, par la Commission, de son étude de faisabilité sur l'harmonisation des obligations de déclaration.
compte tenu des conclusions de l'étude de faisabilité à venir et de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, il invite la Commission et les Etats membres à poursuivre la réflexion sur la manière dont la collecte de données auprès des voyageurs utilisant les transports terrestres et maritimes pourrait être utilisée au mieux et intégrée dans les pratiques d'échange d'informations.
Axe 8 : empêcher les liens entre criminalité organisée et terrorisme
Le Conseil estime qu’il importe de tirer parti des résultats de la priorité de l'EMPACT sur les réseaux criminels à haut risque (HCRN), de l'exercice de cartographie des HRCN mené par Europol sur les réseaux criminels les plus menaçants, ainsi que des renseignements stratégiques fournis par l'INTCEN. Le but est de mieux comprendre l'articulation qui peut exister entre des groupes criminels organisés et des organisations terroristes et de briser leurs liens criminels éventuels.
Axe 9 : Aligner les activités pôle de connaissances de l'UE sur les besoins politiques en matière de radicalisation
Le Conseil estime qu’il importe que les États membres participent activement à l'élaboration des activités du pôle de connaissances de l'UE sur la prévention de la radicalisation mis en place récemment. Cela contribuera à faire en sorte:
- que son programme de travail soit aligné sur les besoins des États membres, des décideurs politiques et des praticiens,
- que ses résultats soient largement accessibles et aient une incidence tant parmi les décideurs politiques que parmi les praticiens.
Axe 10 : Se pencher sur les fournisseurs de services en ligne non coopératifs, y compris les grandes plateformes
Le Conseil invite la Commission à continuer à promouvoir l'échange de bonnes pratiques en ce qui concerne l'application du règlement relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne,
- à examiner et combler les lacunes potentielles du cadre réglementaire,
- à réfléchir à la meilleure manière d'aligner la mise en œuvre de ce règlement et du règlement sur les services numériques lors de l'évaluation du règlement relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne.
- à prendre des mesures pour relever les défis posés par les plateformes en ligne non conformes dans le cas des très grandes plateformes en ligne.
synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr
A lire aussi sur securiteinterieure.fr :
- Daesh, Al-Quaïda, propagande d’extrême-droite violente : les 27 ministres de l’Intérieur réaffirment l’imbrication de la sécurité extérieure avec la sécurité intérieure
- Le nouveau centre de connaissances de l'UE pour la prévention de la radicalisation est lancé!
- [TE-SAT 2024] Europol souligne une tendance à l’« hybridation idéologique » entre les terrorismes djihadiste et d’extrême-droite
- Nouveau programme antiradicalisation : le réseau des responsables nationaux des politiques de prévention va monter en puissance