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mercredi 9 mars 2022

Guerre en Ukraine : le déploiement d’un mécanisme de sécurité civile de l’UE, un outil au sein duquel l’influence de la France va déclinant

 


Le nombre de réfugiés de la guerre en Ukraine se compte en centaines de milliers et très bientôt en plusieurs millions. A la demande du gouvernement ukrainien, la protection civile européenne est sur le pont: une assistance est déployée qui consiste en la distribution de réserves de médicaments stockés dans les Etats membres.  Actuellement, les 27 Etats fournissent de l'aide.
La France est notamment active à travers l'envoi de tentes, couvertures, sacs de couchage et surtout de matériel radiologique, biologique, chimique et nucléaire (NRBC).

Un rapport de l'Assemblée nationale fait le point sur la vitalité de ce mécanisme européen, en formulant une série de propositions à l'heure à la demande à son égard de cet outil s'accroît. S'il se félicite du rôle joué par la France, il note néanmoins son influence déclinante à Bruxelles sur les questions de sécurité civile.



1er élément : le Centre de coordination de la réaction d’urgence (ERCC)


Le système commun de communication et d’information d’urgence (CECIS) avait été instauré en 2007. Il s’agit d’une application d’alerte et de notification en ligne permettant l’échange d’informations en temps réel.
Le Centre de coordination de la réaction d’urgence (ERCC), également créé en 2013, est quant à lui l’outil de pilotage essentiel du MPCU et son bras opérationnel.

Il réalise une veille permanente des risques : trois agents de permanence y travaillent en journée et deux la nuit.
L’équipe comporte une quarantaine de personnes au total.
Ainsi, en cas de problème, la Direction générale pour la protection civile et les opérations d'aide humanitaire européennes de la Commission européenne (DG ECHO) contacte les États membres avant même qu’ils se manifestent afin de proposer son aide.


L’ERCC dispose pour ce faire d’outils de suivi, comme :

  • le global disaster alert and coordination system (GDACS),
  • le European flood awareness system (EFAS) ;
  • le meteoalarm pour faire le suivi météorologique.

Le centre gère également les demandes, l’acquisition et la fourniture de cartes satellitaires par l’intermédiaire du service Copernicus de gestion des urgences, en continu.

2e élément : la réserve européenne de protection civile


La grande évolution résultant de la décision de décembre 2013 relative au mécanisme de protection civile de l’Union est la création de la réserve européenne de protection civile.
Elle regroupe des ressources pré-engagées par les États pour faire face à des sinistres à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE. Elle vise à offrir une réponse européenne coordonnée, prévisible, efficace et rapide.
25 pays participent à la réserve.
Les ressources peuvent être, par exemple, des équipes de secours médicales, des experts, des services de transport et d’évacuation, du matériel spécialisé ou encore des avions.


Pour faire partie de la réserve, ces modules doivent être rapidement mobilisables en cas de catastrophe, quelle qu’en soit l’origine naturelle ou humaine.

La mobilisation se fait par l’intermédiaire du MPCU et exclusivement pour des opérations de réaction. Une procédure de certification et d’enregistrement par la Commission européenne permet de garantir des normes communes élevées et l’interopérabilité des équipes. La réserve comprend 113 modules, dont 18 sont armés par la France.

Le corps médical européen (CME) a été créé au lendemain direct de la crise liée au virus Ébola en Afrique de l’Ouest en 2014.
Intégré à la réserve volontaire du MPCU, le CME permet le déploiement rapide d’équipes et de matériel des États membres. Les équipes intégrées au corps médical européen sont soumises à un processus de certification. La première mission du CME a été effectuée en Angola, dans le cadre d’une épidémie de fièvre jaune, en mai 2016.



3e élément :  La création de rescEU

Enfin, la création de rescEU est la conséquence directe des incendies dramatiques ayant fait une soixantaine de morts en 2017 au Portugal. Plusieurs demandes d’assistance n’avaient alors pas reçu de suite, faute de moyens disponibles chez les autres États membres.
La nécessité d’une capacité européenne supplémentaire est alors apparue.
La décision d’exécution du 8 avril 2019, qui définit la composition initiale de rescEU et les exigences de qualité y afférentes, oriente les capacités essentiellement sur la lutte aérienne contre les feux de forêts.

La réponse aux pandémies entre dans le champ des missions de la protection civile.
Face à la pandémie, la réserve a été étendue de façon urgente :des équipements médicaux tels que des ventilateurs, des équipements de protection individuelle, des vaccins, des produits thérapeutiques ainsi que des fournitures de laboratoire ont été achetés par la Commission européenne et stockés sur les territoires d’États membres qui s’étaient portés candidats.

Un accord a été trouvé en février 2021 entre le Parlement et le Conseil, permettant l’adoption du règlement du 20 mai 2021 modifiant la décision de 2013 relative au mécanisme de protection civile de l’Union.
Grâce à cette évolution, la Commission européenne peut élargir sa capacité de réponse dans les domaines du transport et de la logistique et faire face à des situations d’urgence à travers l’acquisition directe de capacités supplémentaires au titre de rescEU.


L’activation du MPCU

Le MPCU doit être activé pour intervenir, y compris sur le territoire européen, car les pays restent souverains dans leur décision de déclencher ou non la demande d’aide. Elle peut émaner des autorités nationales du pays concerné ou d’un organe des Nations unies.

La plateforme coordonne et affine les demandes d’aide d’urgence selon les besoins exprimés. Les besoins exprimés font l’objet de réponses d’États prêts à intervenir, qui doivent ensuite être acceptées par le pays demandeur.

Au demeurant, des rapports bilatéraux peuvent compléter une saisine de l’ERCC afin de bénéficier de l’aide européenne. À titre d’exemple, dans le cadre des inondations survenues en Belgique à l’été 2021, les équipes intervenues via le MPCU provenaient essentiellement de pays frontaliers, du Benelux et de France. Le fait que les services passent par le MPCU malgré leur proximité, y compris dans un cadre transfrontalier, est aussi un gage de rapidité de traitement des demandes et d’efficacité à mettre au crédit de l’ERCC.



Une montée en puissance financière et opérationnelle du MPCU

L’activité du MPCU est en nette augmentation. Le mécanisme a été activé 32 fois en 2017, 20 fois en 2018 et 2019, avant le pic lié à la pandémie : 102 fois en 2020, dont 85 occurrences en lien avec le covid-19. 72 % des demandes ont obtenu une réponse.

L’augmentation budgétaire a accompagné cette multiplication par 5 de l’activité du mécanisme. La dotation du MPCU est passée de 1,4 milliard d’euros courants dans la proposition initiale de la Commission européenne de mai 2018 à 3,3 milliards d’euros courants en juin 2020.

Une enveloppe de 1,1 milliard d’euros a été prévue dans le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 et un montant de 2 milliards d’euros sera disponible au titre de l’instrument de l’Union européenne pour la relance, baptisé Next Generation EU.


1er défi : une augmentation importante mais insuffisante

L’augmentation du budget de la protection civile est substantielle. Par comparaison, le budget de la protection civile européenne était pour l’année 2014 de 28 millions d’euros : il faut mesurer le chemin parcouru depuis le début de la précédente période de programmation. Les 1,2 milliard d’euros prévus pour 2021-2027 impliquent une augmentation considérable par rapport aux 368,4 millions d’euros alloués dans le cadre du budget 2014-2020.

Cependant, le rapport souligne la nécessaire pérennisation de cette augmentation.
Selon le rapport, il serait regrettable qu’à la faveur d’une accalmie ponctuelle dans les saisons de feux de forêt, les moyens soient retirés, alors que les crises demeurent par nature imprévisibles.


Le volet préventif du MPCU, par exemple, dispose d’un financement encore trop modeste au regard des enjeux : la règle de répartition des fonds l’établit à 20 % (avec une variation possible de plus ou moins 8 points de pourcentage).
Certains risques font l’objet d’une attention insuffisante, comme le risque nucléaire.


2e défi : le défi du développement des capacités logistiques


Avant la révision de la décision sur le MPCU en 2021, les ressources de rescEU ne pouvaient être que financées par les fonds européens et acquises par les États membres.
Désormais, la Commission européenne pourra augmenter d’elle-même les capacités dans des cas très précis : le transport et la logistique (via location ou leasing, à l’exclusion de tout achat) et, dans des cas dûment justifiés d’urgences, des matériels.

Les canadairs et hélicoptères de rescEU ont été utilisés à plein pendant l’été 2021, ce qui signifie que, dans le cas d’un futur été plus chaud, une incapacité à répondre aux crises pourrait survenir.
Une priorité consiste à développer la flotte en faisant l’acquisition de nouveaux avions dans le cadre de rescEU,

Dans ce cadre, il semble pertinent de privilégier les vecteurs aériens mixtes, qui maximisent les possibilités de déploiement. 

Affectés au transport de personnels ou de matériels, ils sont transformables en avions bombardiers d’eau en saison des feux de forêt.

Les moyens aériens de lutte contre les feux de forêt vont faire l’objet d’une expérimentation de matériels prépositionnés à partir de 2022.Concrètement, des moyens appartenant aux pays du Nord de l’Europe seront déplacés vers le Sud en prévision de la saison des feux de forêt. Ainsi, en cas de besoin, seuls les personnels devront être déplacés, ce qui signifiera traverser l’Europe plus rapidement et dans de meilleures conditions. La Grèce souhaiterait devenir leader de ce nouveau mécanisme dans l’Europe du Sud-Est.


3e défi : les moyens de transport lourd


Il existe actuellement un manque lié au défaut de moyens de transport lourds dans les États membres comme au niveau de l’Union.
Or, ces moyens aériens très coûteux sont typiques des investissements qu’il est rentable de mutualiser, car ils servent à la préparation de crises très rares.

Faire l’acquisition de ces moyens dans rescEU est la garantie que tous les pays participants pourront en bénéficier. Bénéficier des fonds européens doit également permettre d’éviter les contrats de location ou de leasing, inadaptés à des appareils aussi stratégiques.
Les sociétés privées peuvent faire faillite ou faire défaut en cas de grande catastrophe, contrairement à la puissance publique.


Les discussions sont actuellement en cours pour l’acquisition, par la France, de deux hélicoptères lourds financés par la Commission européenne pour la flotte de rescEU.


1e piste : Une refonte de la gouvernance en matière de protection civile


Une réflexion sur la possible évolution de la gouvernance de la DG ECHO doit être engagée. Une piste est l’évolution de la DG ECHO vers une agence de l’Union européenne serait positive pour le bon fonctionnement de celle-ci.
Cette Agence européenne de protection civile dépendrait toujours d’une direction générale mais pourrait gagner en autonomie. Cette évolution risque de se heurter, à court terme, à des réticences au sein de la Commission européenne, sans que celles-ci demeurent insurmontables.

Le mécanisme de protection civile dispose d’une plateforme de coordination (l’ERCC) et de ressources mobilisables (réserve volontaire et rescEU), mais pas de personnel en propre.
En parallèle à la montée en compétences de l’ensemble des officiers supérieurs sur le volet européen et international, il est possible d’envisager un renforcement de l’échelon central européen par une équipe capable de coordonner, au niveau opérationnel, les déploiements.


2e piste : à terme, la création d’une force européenne de protection civile


L’Europe demeure actuellement tributaire des capacités de réponse nationales aux crises.
La création d’une capacité européenne additionnelle, qui viendrait compléter les ressources des États membres est une piste.
Michel Barnier l’avait formulée dès 2006, dans un rapport aux présidents de la Commission européenne et du Conseil commandé à la suite du tsunami en Asie du Sud-Est. Il appelait alors à la création d’une capacité baptisée Europe aid.



Le rapport estime que la création d’une force européenne de protection civile est le pendant cohérent de l’établissement de rescEU.
À terme, la création d’un corps dédié, à l’image des garde-frontières et garde-côtes européens employés par l’agence Frontex, semble incontournable.
Cette force supplémentaire agirait dans le cadre des sollicitations du MPCU pour opérer les modules gérés par la Commission européenne.


Et la France ? un rôle actif, mais une influence en recul

La contribution française au MPCU est très importante, en équipes comme en matériels. Depuis 2014, la France a répondu à 73 demandes, à destination de pays membres du MPCU mais aussi de pays tiers.
À titre d’exemple, pour la seule période estivale en 2021, la France a répondu à une grande diversité de demandes.

Il est notable que la France et l’Italie se soient mutuellement apportés de l’aide dans le cadre de la lutte contre les grands feux de forêt, qui ont frappé leurs territoires respectifs à quelques semaines d’intervalle.
La France est un pays écouté à Bruxelles sur la protection civile. Elle l’est naturellement moins que lors de la création du MPCU, lorsque le mécanisme ne comprenait que 6 pays.
Ce recul n’est cependant pas lié qu’à l’élargissement du MPCU à d’autres pays.



La protection civile française doit, dans une démarche d’introspection, évaluer ses capacités afin de maintenir le haut niveau de performance qui la caractérise.
L’exercice d’humilité auquel se sont pliés plusieurs pays du sud de l’Europe (à l’instar des exemples grec et roumain précédemment cités), consistant à faire l’inventaire des évolutions nécessaires grâce à un regard extérieur, peut être salutaire.

Par ailleurs, il ressort que la France ne respectait pas toujours les consignes transmises par les pays en demande d’assistance via l’ERCC.
La chaîne d’information allant du COGIC (Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises), interlocuteur de l’ERCC, aux unités opérationnelles, pourrait être plus fluide afin d’éviter les situations d’inadéquation entre demande et réponse.


synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr


 

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