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lundi 27 juin 2022

Frontières extérieures, expulsion des migrants clandestins et coopération policière : les "bilans de santé" Schengen reviennent et ils appuient là où ça fait mal !

 


Voilà le grand retour des « bilan de santé » de Schengen qui avaient disparu de la circulation depuis la grande crise de 2015.
7 années plus tard, les voici donc dans un nouveau contexte : « les cycles Schengen ».
L’idée de ces « bilans de santé » nouvelle formule est de faire un point régulier sur l'état de Schengen, en vue d'identifier les problèmes à un stade précoce.
L’objectif ? Inscrire ces bilans dans un processus de gouvernance politique et administrative plus large afin d’assurer un suivi des défaillances identifiées…. Et il y en a ! 

Certes, des progrès tangibles ont été effectués depuis 2015. Il reste que des défaillances inquiétantes subsistent, par exemple, comme le révèle le "Rapport sur l'état de Schengen 2022" : analyse nationale de risques insuffisante aux frontières extérieures,  manque de gardes-frontières correctement formés à certains points de passage, mauvaise connectivité aux bases de données à ces points de franchissement des frontières, absence de communication transfrontalière cryptée entre forces de police, etc.


De quoi parle-t-on ?

Ce rapport sur l’état de Schengen identifie les éléments clés du nouveau modèle de gouvernance pour l’espace Schengen , fait le point sur la mise en œuvre de la stratégie Schengen dans son ensemble ainsi que sur ses composantes individuelles et définit les priorités pour l’espace Schengen en 2022/2023. Il aborde également les obligations légales de la Commission de faire rapport sur la situation en ce qui concerne l'absence de contrôles aux frontières intérieures, les résultats des évaluations Schengen et l'état de mise en œuvre des recommandations.

Ce rapport sert de modèle pour l'avenir : il constitue la première étape du cycle annuel de Schengen, chaque futur rapport sur l'état de Schengen devrait lancer un exercice de rapport annuel sur la présentation de l'état de Schengen, identifiant les priorités pour l'année à venir et visant à assurer des discussions sur les progrès réalisés à la fin d'une année donnée. Le rapport sur l'état de Schengen devrait constituer la base d'un dialogue politique, d'un suivi et d'une mise en œuvre de l'acquis de Schengen. 


D’où vient-on ?

La Commission a créé en novembre 2020 le forum Schengen annuel comme première étape vers la promotion d'un débat politique inclusif consacré à la construction d'un espace Schengen plus fort fondé sur la confiance mutuelle. Des échanges politiques de haut niveau ont confirmé la nécessité d'une gouvernance renforcée pour Schengen qui a été réitérée lors du deuxième Forum Schengen de mai 2021.

Dans ce contexte, la Commission a développé un nouveau modèle de gouvernance pour l'espace Schengen sous la forme d'un «cycle Schengen» assurant un «bilan de santé» régulier sur l’état de Schengen. Suite aux discussions du Conseil JAI de Lille, ces idées ont commencé à se concrétiser avec le premier Conseil Schengen s'est tenu le 3 mars 2022. 


Où va-t-on ?

Le point de départ du cycle annuel de Schengen est le rapport annuel sur l'état de Schengen, par lequel la Commission lance le processus de gouvernance en identifiant les principaux défis pour l'espace Schengen et les actions prioritaires qui doivent être traitées tant au niveau national qu'européen. Dans le cadre du cycle Schengen, afin de faire le point sur l'état de Schengen, la Commission présentera régulièrement un baromètre Schengen. 

Après les premières étapes de la mise en œuvre du cycle, il est nécessaire de continuer à garantir des efforts conjoints et une appropriation commune par les États membres, les institutions et les agences de l'UE du processus sur la voie du prochain cycle annuel de 2023. 

À cet égard, le Conseil de Schengen de juin a approuvé les éléments clés du nouveau modèle de gouvernance de Schengen et les priorités pour 2022-2023 tels qu'ils sont définis dans ce rapport. Les discussions interinstitutionnelles lors du Forum Schengen et les délibérations politiques lors de ce Conseil Schengen de juin fournissent l’impulsion politique nécessaire sur les questions stratégiques clés. 

Au cours des dernières phases à la fin de l'année, les discussions porteront sur le suivi de la manière dont les principaux défis pour Schengen ont été relevés, y compris les orientations pour les opérations menées par Frontex. 

Quant à la Commission, elle accompagnera étroitement ce processus, tant au niveau politique que technique, et elle rendra compte des progrès accomplis et des actions de suivi à la fin du cycle annuel.

Le coordinateur Schengen de la Commission pilotera et coordonnera le cycle Schengen, en coordination avec les États membres.


Défi n° 1 : mettre en œuvre les priorités du premier cycle de Schengen

Les priorités du cycle correspondant à la période 2022/2023 sont : 

  1. Promouvoir une gestion renforcée des frontières extérieures;
  2. Veiller à ce que les contrôles aux frontières intérieures soient des mesures de dernier recours;
  3. Réaliser un renforcement de la sécurité intérieure grâce à une coopération policière renforcée au sein de l'UE. 

Pour atteindre ces objectifs, il importe de :

  • Adopter et mettre en œuvre la politique stratégique pluriannuelle de gestion européenne intégrée des frontières ;
  • Assurer des contrôles systématiques aux frontières extérieures de tous les voyageurs ;
  • Mettre en œuvre la nouvelle architecture informatique et l'interopérabilité pour la gestion des frontières à temps d'ici 2023 ; 
  • Appliquer le nouveau mécanisme d'évaluation et de suivi de Schengen ;
  • Améliorer les systèmes nationaux de retour ;
  • Assurer une pleine utilisation des outils de coopération policière transfrontalière disponibles ;
  • Opérer une levée durable de tous les contrôles aux frontières intérieures.



(cliquez sur l'image pour agrandir)

Défi n° 2 : décloisonner l’espace Schengen

Depuis septembre 2015, les contrôles aux frontières intérieures ont été réintroduits plus de 280 fois. Il existe trois principales justifications pour lesquelles les États membres ont notifié à la Commission la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières dans l'espace Schengen : 

  • ceux réintroduits dans le cadre de la crise des réfugiés de 2015 en raison de mouvements secondaires, 
  • ceux réintroduits pour lutter contre le terrorisme, 
  • ceux introduits pour limiter la propagation du COVID-19.

Dans le récent arrêt dans les affaires jointes C-368/20 et C-369/20, la Cour de justice a souligné qu'en tant que mesure exceptionnelle, la possibilité de réintroduire le contrôle aux frontières intérieures doit être interprétée strictement.
La Commission et le Conseil ont entamé des discussions avec les États membres sur les implications de l'arrêt. Dans l'intervalle, la Commission réévalue les notifications les plus récentes de contrôles aux frontières intérieures à la lumière de l'arrêt.  


Défi n° 3 : étendre l’espace Schengen

En décembre 2021, le Conseil a reconnu que la Croatie avait rempli les conditions nécessaires à l'application de toutes les parties de l'acquis de Schengen. Il appartient maintenant au Conseil de déposer un projet de décision sur la levée des contrôles aux frontières intérieures et de consulter le Parlement européen. 

La Roumanie et la Bulgarie attendent également la décision du Conseil. La Commission a confirmé depuis 2011 que la Bulgarie et la Roumanie remplissaient les conditions nécessaires pour rejoindre Schengen. Elle invite à nouveau le Conseil à prendre les mesures nécessaires pour consolider l'espace Schengen en adoptant la décision permettant à la Bulgarie, la Croatie et la Roumanie d'en faire officiellement partie.

Le processus d'évaluation Schengen visant à évaluer la préparation à rejoindre l'espace Schengen est également en cours pour Chypre. Le 3 mai 2022, le Parlement européen a adopté, sur la base de la proposition de la Commission, le rapport sur l'application des dispositions de l'acquis de Schengen dans le domaine du système d'information Schengen à Chypre à une large majorité.
Dans une prochaine étape, le Conseil devrait adopter, au cours du second semestre de 2022, une décision sur l'application des dispositions de l'acquis de Schengen dans le domaine du système d'information Schengen à Chypre, qui sera suivie d'une évaluation du fonctionnement du le système.


Défi n° 4 : assurer une gestion homogène et de qualité des frontières extérieures

Les évaluations ont cependant identifié certaines lacunes, dont l'une est qu'il n'y a généralement pas de gouvernance stratégique adéquate et de planification des capacités nationales pour la gestion intégrée des frontières. Il en résulte :

  • une coopération interinstitutionnelle réduite, 
  • un chevauchement des compétences entre les différentes autorités chargées des frontières extérieures,
  • une répartition dispersée des ressources. 

Cela concerne en particulier :

  • la planification à long terme des ressources humaines et de la formation, 
  • l'utilisation systématique des systèmes d'information pour le contrôle aux frontières, y compris le faible niveau de connectivité dans certains endroits pour assurer des contrôles systématiques dans les bases de données pertinentes. 

L'exécution et la qualité divergentes des analyses des risques et des évaluations de la vulnérabilité dans les États membres sont préoccupantes.

Malgré les progrès dans l'ensemble, il existe des lacunes récurrentes dans la surveillance des frontières extérieures et des procédures de contrôle aux frontières déficientes à certains points de passage frontaliers.
Des lacunes sont encore détectées dans la manière dont certains États membres mettent en œuvre le modèle européen d'analyse des risques pour le contrôle aux frontières, ce qui entraîne une connaissance insuffisante de la situation, une planification dispersée des ressources et des actions opérationnelles inadéquates.


Défi n° 5 : opérer des contrôles aux frontières conformes aux normes

À certains points de passage frontaliers, les contrôles aux frontières ne sont pas effectués systématiquement et ne sont pas conformes aux normes.
Cela est principalement lié : 

  • à l'insuffisance des ressources humaines, 
  • au manque de gardes-frontières correctement formés,
  • à une mauvaise connectivité aux bases de données.

Cette situation  empêche que les vérifications par rapport aux bases de données comme le système d'information Schengen et la base de données Interpol des documents de voyage volés et perdus (SLTD), soient effectuées de manière uniforme et systématiquement menées, entraînant d'importantes lacunes en matière de sécurité. 

Cette situation est encore aggravée par la mise en œuvre et l'application insuffisantes des directives sur la responsabilité du transporteur et les informations préalables sur les passagers dans certains États membres.
Une révision de la directive relative à l'information préalable des passagers est envisagée d'ici la fin de 2022 afin de combler les lacunes apparues également lors de l'évaluation de 2020 et de garantir les conditions d'une mise en œuvre adéquate. 

Plusieurs États membres ont un tableau de la situation nationale fragmenté , des capacités de détection réduites et des capacités de réaction limitées, en particulier aux frontières maritimes et terrestres, en raison de l'absence de systèmes intégrés de surveillance des frontières, d'une coordination et d'une coopération insuffisantes entre leurs autorités nationales de contrôle des frontières, ainsi que d'une mise en œuvre dispersée du système européen de surveillance des frontières ( EUROSUR ) affectant la qualité du contrôle aux frontières.


Défi n° 6 : combler les lacunes du mécanisme européen des visas

Certains des principaux sujets de préoccupation concernent :

  • les pratiques des États membres divergent encore lorsqu'il s'agit de déterminer la validité des visas ou des pièces justificatives demandées, malgré les règles de validité des visas inscrites dans le code des visas et les listes harmonisées juridiquement contraignantes de pièces justificatives adoptées par la Commission.
  • formation insuffisante et pénurie de personnel entraînant des erreurs de procédure;
  • le recours à des prestataires de services externes est répandu, mais le suivi de leurs activités est insuffisant.
  • l’utilisation du système d'information sur les visas n'est pas optimale en raison de la qualité parfois insuffisante des données qui y sont saisies, du fait que les systèmes nationaux de traitement des dossiers ne sont pas toujours adaptés au flux de travail du code des visas et du système d'information sur les visas, du manque de formation adéquate en informatique et la connaissance limitée de certaines fonctionnalités et avantages du système. 

Dans le cadre du processus de suivi des évaluations précédentes, la Commission a demandé à plusieurs reprises aux États membres de résoudre ces problèmes et un soutien financier adéquat a été mis à disposition au titre de l'instrument de gestion des frontières et des visas du Fonds pour la gestion intégrée des frontières (2021-2027).

Néanmoins, ces difficultés subsistent.


Défi n° 7 : réaliser (enfin) le retour des personnes sans droit légal de séjour

Chaque année, environ 400 000 ressortissants de pays tiers sont sommés de partir, mais seulement 140 000 (moins en 2020 également en raison des mesures restrictives pour contenir la pandémie) des personnes concernées retournent effectivement dans un pays tiers, dont environ 45 % sont retours volontaires. 

Au regard des évaluations de Schengen, des améliorations doivent encore être apportées pour garantir le plein respect des droits fondamentaux. De graves lacunes ont été identifiées dans un État membre en raison de conditions de détention inadéquates et de garanties procédurales insuffisantes.

En outre, en ce qui concerne l'efficacité des systèmes de retour, tous les États membres ne prennent pas systématiquement des décisions de retour à l'encontre des ressortissants de pays tiers sans droit légal de séjour. Il existe des pratiques divergentes concernant les interdictions d'entrée qui ne sont pas systématiquement prononcées lorsque les ressortissants de pays tiers ne respectent pas l'obligation de retour, ce qui limite leur effet dissuasif.

L’exécution effective des décisions de retour reste un défi, qui est également influencé par la coopération limitée en matière de réadmission des pays tiers. Les principaux problèmes recensés dans un certain nombre d'États membres concernent:

  • des ressources insuffisantes dédiées au retour, en termes de personnel et d'infrastructure.
  • un contrôle inexistant ou inefficace de la mise en œuvre des décisions de retour, y compris par le biais de systèmes informatiques de gestion des dossiers de retour.
  • une disponibilité et une utilisation limitées des programmes de retour volontaire et de réintégration (y compris en ce qui concerne les conseils de retour).
  • une utilisation limitée d'alternatives à la détention pour prévenir la fuite et manque de capacités de détention spécialisées suffisantes.


Défi n° 8 : remédier aux défaillances de la coopération policière

Selon l'« Évaluation de la menace de la criminalité grave et organisée dans l'UE » (EU SOCTA) de 2021 publiée par Europol, près de 70 % des réseaux criminels organisés sont actifs dans plus de trois États membres. 

La coopération policière transfrontalière souffre de difficultés. Si presque tous les États membres ont désigné un service comme point de contact unique compétent pour toute coopération opérationnelle et échange d'informations transfrontalier, ces guichets uniques, souffrent d'un manque d' intégration et de formation sur mesure du personnel, limitant ainsi le bénéfice de la forte augmentation des échanges d'informations au cours du passé années. 

En outre, en raison du manque d'outils techniques adéquats, dans la majorité des États membres, les policiers ont recours à des outils de communication radio non sécurisés ou à des téléphones portables afin de contacter leur répartition respective pour la vérification des antécédents.
Cela comporte un risque de malentendus (par exemple dans le cas de problèmes de translittération). 


Défi n° 9 : optimiser le fonctionnement du système d'information Schengen (SIS) 

Certaines lacunes récurrentes sont apparues lors des évaluations :

  • Les États membres n'insèrent pas toutes les informations pertinentes dans le système d' information Schengen.
    Par exemple, les empreintes digitales et les photographies ne sont pas toujours jointes, même si ces données sont disponibles au niveau national. Dans certains cas, cela est dû à un manque d'outils techniques ou à des procédures obligatoires au niveau national exigeant que les autorités émettrices de l'alerte ajoutent ces données lorsqu'elles sont disponibles.
  • Toutes les informations disponibles dans l’alerte du SIS (par exemple la photo d’une personne recherchée) ne sont pas présentées aux utilisateurs finaux, c'est-à-dire les policiers, les gardes-frontières et les autres utilisateurs lorsqu'ils consultent le système. 
  • Dans certains États membres , on constate un manque de progrès dans l'utilisation de nouveaux outils, tels que la fonctionnalité de recherche d'empreintes digitales du SIS.
    Cela a des conséquences importantes, entraînant des failles de sécurité. 
  • Les « bureaux SIRENE » , structures administratives chargées de l’échange d' informations complémentaires aux alertes du système d' information Schengen ne disposent pas toujours de ressources humaines et techniques suffisantes.
    Ces restrictions altèrent la qualité et la rapidité de l'échange d'informations et la coopération opérationnelle entre les bureaux. 
  • Certains États membres n'ont pas connecté leurs systèmes de reconnaissance automatique des plaques d'immatriculation au système d'information Schengen, ce qui a limité la sécurité globale à l'intérieur de Schengen et aux frontières extérieures.



Défi n° 10 : assurer un haut niveau de protection des données

Bien qu'aucune lacune grave n'ait été identifiée, plusieurs problèmes récurrents doivent encore être résolus :

  • Certaines autorités nationales de protection des données (APD) manquent de ressources humaines et financières suffisantes. 
  • Certaines des autorités chargées de la protection des données risquent d'être soumises à une influence extérieure sur leur travail, ce qui pourrait affecter leur indépendance.  
  • Dans certains États membres, des contrôles plus fréquents et plus approfondis par les autorités chargées de la protection des données ont été jugés nécessaires pour leur permettre de s'acquitter de leur mission de contrôle de la licéité du traitement des données du SIS et du système d'information sur les visas.


synthèse et traduction du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr



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