Pages

lundi 20 septembre 2021

Muscler les mécanismes d’évaluation mutuelle et pour manquement grave au menu de la "réforme de Schengen"

 



« Réformer Schengen ». C’était la proposition du Président Macron annoncée en décembre 2020. Cette proposition de la Commission de réformer le système d’évaluation mutuelle est l’élément clé de la réforme qui s’annonce au cours de la présidence. Il entend rendre l’espace Schengen plus résilient face aux crises, notamment la pandémie de COVID-19 qui l’a mis à rude épreuve. En conséquence, le projet de règlement entend combler les lacunes du système d’évaluation. Par la même occasion, il envisage de rationaliser et de renforcer le mécanisme pour manquement grave, c’est-à-dire de défaillance d’Etat dans la surveillance et le contrôle de la portion de ses frontières extérieures à l’espace Schengen. Le but ? Eviter une réintroduction sur une longue durée des contrôles aux frontières intérieures à cet espace, comme cela a été le cas.

D’où vient-on ?

La Présidente de la Commission, a annoncé une stratégie pour l’avenir de Schengen dans son discours sur l’état de l’Union de 2020. Dans le nouveau pacte sur la migration et l’asile, la Commission a indiqué que cette stratégie combinerait des initiatives législatives et opérationnelles visant à créer un espace sans contrôles aux frontières intérieures plus solide et plus résilient, tout en en renforçant les structures de gouvernance et de contrôle. L’une de ces initiatives est la révision du mécanisme d’évaluation et de contrôle de Schengen.

La Commission est tenue de procéder à un réexamen de l’application de du mécanisme dans un délai de six mois à compter de l’adoption de tous les rapports d’évaluation établis dans le cadre du premier programme d’évaluation pluriannuel (2015-2019). Le 25 novembre 2020, la Commission a présenté les résultats de son réexamen dans un rapport qui conclut que le mécanisme a apporté des améliorations tangibles. Dans l’ensemble, les États membres mettent en œuvre l’acquis de Schengen de manière adéquate et il a été dûment remédié aux manquements graves. 

Ce rapport a identifié néanmoins une série de lacunes. Le Parlement européen et le Conseil ont tous deux souligné la nécessité de réformer le mécanisme. Le Parlement européen, dans sa résolution de 2017, ainsi que le Conseil, dès la consultation lancée par la présidence finlandaise en 2019, ont invité la Commission à agir. Plus récemment, le Conseil a adopté des conclusions sur le mécanisme, en invitant la Commission à présenter des initiatives visant à améliorer l’efficacité globale du mécanisme et à garantir qu’il reste flexible et adaptable à l’évolution de la situation et de l’acquis de Schengen, afin de relever les nouveaux défis et de s’adapter aux nouvelles réalités.


De quoi parle-t-on ?

Le mécanisme d’évaluation de Schengen a pour objectif de maintenir un niveau élevé de confiance mutuelle entre les États membres participants et de contribuer ainsi au bon fonctionnement de l’espace Schengen, en garantissant que les États membres appliquent effectivement les règles de Schengen. À cette fin, le mécanisme prévoit la réalisation d’évaluations impartiales et objectives permettant de constater d’éventuels manquements dans l’application pratique de la législation et d’y remédier rapidement.

La Commission est responsable de la coordination et de l’organisation globales des activités d’évaluation et de contrôle, tout en tenant le Parlement européen et les parlements nationaux informés des résultats des évaluations. Conformément à l’article 70 du TFUE, le mécanisme reste une responsabilité partagée: la Commission réalise des évaluations conjointement avec des experts des États membres et avec l’appui d’organes et d’organismes de l’Union. Cette approche de pair à pair est essentielle pour garantir la responsabilisation, l’appropriation des résultats et la confiance mutuelle. Les experts des États membres vérifient ce que font leurs pairs, recommandent des solutions et préconisent des mesures si l’État membre ne les met pas en œuvre. En outre, le Conseil est associé au processus décisionnel lorsqu’il s’agit d’adopter des recommandations sur proposition de la Commission.


D’importantes défaillances

Le rapport du 25 novembre 2020 signale d’importantes lacunes et une certaine lourdeur ont été décelées dans le fonctionnement du mécanisme, le processus d’évaluation, le suivi et la mise en œuvre des plans d’action prenant en effet trop de temps. 

Les recommandations du Conseil ne se sont un moyen suffisamment efficace de garantir que les États membres prennent rapidement des mesures, étant donné que la nature technique du processus ne suscite pas une pression politique suffisante pour agir. 

La rigidité actuelle du mécanisme ne lui permet pas de s’adapter à de nouvelles circonstances et aux évolutions opérationnelles et législatives.

D’autres lacunes ont été pointées:

  1. la durée excessive du processus d’évaluation (10 à 12 mois) et le délai dont disposent les États membres pour mettre en œuvre les recommandations (2 ans);
  2. la capacité insuffisante des États membres à mettre à disposition un nombre adéquat d’experts pour les évaluations, étant donné que cinq États membres fournissent un tiers du nombre total d’experts et qu’il existe un déficit chronique d’experts dans certains domaines d’action;
  3. l’utilisation et l’efficacité non optimales des inspections inopinées ainsi que des autres outils d’évaluation et de contrôle, en particulier les évaluations thématiques;
  4. la lenteur du suivi et de la mise en œuvre des plans d’action et l’absence de vision globale et cohérente du contrôle de la mise en œuvre.


Un gros point noir persistant

Alors que l’actuelle procédure en deux étapes visait à encourager le débat politique au niveau du Conseil et à exercer une pression par les pairs en cas de manquements graves ou lorsqu’un État membre ne met pas en œuvre les recommandations, l’expérience acquise à ce jour a clairement montré que le recours à cette approche dans tous les cas et pour tous les rapports n’a pas permis d’atteindre l’objectif fixé, mais a considérablement augmenté la durée et la complexité du processus, dont l’efficacité se trouve de ce fait compromise.

Surtout, le mécanisme ne semble pas non plus susciter une confiance suffisante parmi les États membres, étant donné que plusieurs d’entre eux ont continué, au cours des 6 dernières années, à prolonger les contrôles aux frontières intérieures, malgré des évaluations positives.


Orientation stratégique et outils d’évaluation

La proposition envisage de renforcer l’orientation stratégique et de mieux utiliser les différents outils d’évaluation. Elle supprime la liste actuelle des domaines d’action particuliers à évaluer et en établissant une procédure permettant de décider des domaines prioritaires au début de chaque cycle d’évaluation.

Elle prévoit aussi:

  • un cadre législatif souple pour la programmation. Elle adapte les règles relatives à la programmation pluriannuelle et annuelle afin de permettre de réagir plus rapidement aux problèmes et défis émergents.
  • au fil du temps, de procéder par exemple à une évaluation complète des États membres fondée sur les risques. Il n’y aurait qu’une évaluation par État membre, couvrant tous les domaines d’action concernés dans un rapport d’évaluation unique. 
  • de prolonger le cycle d’évaluation de cinq à sept ans, ce qui permettra aux États membres d’être évalués au moins deux fois au cours du cycle de sept ans.
  • d’augmenter la proportion des inspections inopinées. Les activités d’évaluation et de contrôle à distance (par visioconférence par exemple) deviendront possibles.

Ces évaluations inopinées devraient ainsi mieux utilisées, notamment lorsqu’il existe des indices de problèmes ayant une incidence significative sur le fonctionnement de l’espace Schengen,

Les rapports annuels sur les résultats des évaluations et l’état d’avancement des mesures correctives prises par les États membres devraient faire partie du «rapport annuel sur l’état de Schengen». À cette fin, la Commission va relancer l’adoption du «rapport sur l’état de Schengen», qui servira de base aux discussions au sein du forum Schengen récemment créé.


Raccourcir et simplifier les procédures 

La Commission adoptera les rapports d’évaluation et les recommandations en un seul acte, dans les quatre mois suivant l’activité d’évaluation (et même plus rapidement si l’évaluation révèle un manquement grave). Des délais procéduraux précis seront fixés pour accélérer sensiblement le processus d’évaluation,

Le Conseil adopte des recommandations dans les cas considérés comme ayant la plus grande valeur ajoutée et la plus grande incidence sur l’orientation du débat politique concernant des questions d’intérêt général relatives au fonctionnement de l’espace Schengen. Ces cas sont: 

  • les évaluations thématiques, 
  • les «toutes premières évaluations» (permettant de déterminer si un État membre est prêt à appliquer l’acquis de Schengen dans son intégralité ou dans un domaine particulier) ;
  • les cas de manquements graves, en vue d’accroître la pression des pairs et le débat politique au niveau du Conseil. 

En parallèle, il est proposé de :

  • simplifier les procédures pour les cas de nature plus technique.
  • renforcer de manière significative le rôle du Conseil dans le suivi et le contrôle des progrès réalisés dans de tels cas.

Elle accorde un rôle accru au Conseil, dans tous les cas, lors de la phase de contrôle: la proposition prévoit que la Commission informe le Parlement européen et le Conseil au moins deux fois par an de l’état d’avancement de la mise en œuvre des plans d’action. En outre, la Commission adoptera chaque année un rapport complet sur les évaluations effectuées, qui devrait être examiné par le Conseil en vue de l’adoption de conclusions sur le sujet.


Renforcer le mécanisme pour manquement grave

La proposition :

  • envisage de prévoir un mécanisme graduel en cas d’absence de progrès. En particulier, en cas de manquement grave, le Conseil fixera des délais pour la mise en œuvre des recommandations et précisera la fréquence des rapports d’avancement que l’État membre concerné devra présenter à la Commission et au Conseil. 
  • renforce et accélère les dispositions relatives aux cas dans lesquels les évaluations mettent en évidence un manquement grave.

Plus exactement, une procédure accélérée pour manquement grave est mise en place afin qu’il soit remédié rapidement aux manquements constatés.
La proposition intègre dans le texte normatif la définition d’un manquement grave qui figure actuellement dans les lignes directrices relatives à l’évaluation de Schengen, afin de renforcer la sécurité juridique et de garantir une compréhension commune du concept.

L’État membre évalué devra immédiatement mettre en place des mesures visant à remédier au manquement avant même l’adoption du rapport, et devra informer sans délai la Commission et les États membres des mesures prises.
En cas de manquement grave, les recommandations devraient être adoptées par le Conseil dans les 2 mois et demi suivant la fin de l’activité d’évaluation; une nouvelle inspection destinée à vérifier la mise en œuvre des mesures correctives aura lieu au plus tard un an après l’évaluation.

Création d’une réserve d’experts. 

À l’heure actuelle, la Commission invite à nommer des experts avant chaque évaluation (trois mois avant l’évaluation spécifique). La procédure prend beaucoup de temps et les États membres ne sont pas toujours en mesure de désigner un nombre suffisant d’experts qualifiés, étant donné que la procédure actuelle leur laisse très peu de temps pour planifier. 

Ce système sera remplacé par un appel annuel à désigner des experts en vue de la constitution d’une réserve. Les États membres devront désigner chaque année au moins un expert par domaine d’action (par exemple, les visas, la gestion des frontières extérieures, le retour, la protection des données). La Commission confirmera la sélection des experts qui feront partie de la réserve et tiendra à jour la liste des membres. 

La réserve facilitera grandement l’organisation d’inspections inopinées. 

Avant chaque évaluation, la Commission pourra directement s’adresser aux membres de la réserve pour constituer une équipe, ce qui rendra la démarche considérablement plus rapide et plus simple. La création d’une réserve d’experts devrait permettre, à long terme, la mise en place d’une équipe interdisciplinaire chargée d’évaluer tous les domaines concernés par l’acquis de Schengen.


Améliorer la coopération avec les agences européennes et les autres mécanismes d’évaluation et de contrôle

La proposition prévoit de renforcer la coopération avec Frontex, l’eu-LISA, Europol, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne et le Contrôleur européen de la protection des données. La proposition prévoit que la coopération soit réciproque afin que ces agences et organismes puissent également utiliser les informations recueillies dans le cadre du processus d’évaluation. 

La proposition prévoit également de renforcer les synergies avec les mécanismes d’évaluation et de contrôle existants :

L’évaluation de la vulnérabilité réalisée par Frontex. L’évaluation de la vulnérabilité offre un aperçu de la capacité opérationnelle d’un État membre à gérer les frontières extérieures, et vise à déceler les faiblesses éventuelles du système.
Il s’agit d’un instrument orienté vers l’avenir, dont l’objectif est de prévenir les crises. La Commission communique déjà les résultats du processus d’évaluation de la vulnérabilité à l’équipe d’experts des États membres avant la réalisation d’une évaluation, , et a mis en place des canaux formels d’échange d’informations avec Frontex. 

La proposition prévoit des dispositions particulières visant à recueillir le plus d’informations possible dans le cadre du processus d’évaluation de la vulnérabilité, afin d’établir un meilleur tableau de la situation du fonctionnement de l’espace Schengen et d’accroître encore les synergies.

Il existe d’autres exemples de domaines d’action dans lesquels des synergies accrues seront possibles en vertu des nouvelles dispositions prévues dans la proposition, tels que :

  • la plateforme pluridisciplinaire européenne contre les menaces criminelles (EMPACT);
  • le contrôle exercé par la Commission avec l’appui de l’agence eu LISA quant à la préparation des États membres à la mise en place des systèmes informatiques concernés.

Les mécanismes nationaux de contrôle de la qualité pourraient devenir tout aussi importants à l’avenir. 

De plus, les évaluations devraient également tenir compte des résultats du mécanisme de contrôle indépendant élaboré au titre de la proposition établissant un filtrage des ressortissants de pays tiers aux frontières extérieures.


synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr


 

A lire également sur securiteinterieure.fr la synthèse en français des rapports précédents sur Schengen :

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

remarques et suggestions à formuler à securiteinterieure [à] securiteinterieure.fr

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.