Une proposition de directive vient d’être publiée (encore en anglais au moment de la publication de cet article) pour renforcer la lutte contre la pédophilie, en particulier la pédophile en ligne.
Cette proposition, qui abroge la directive de 2011 en vigueur actuellement, renforce la répression. Elle intervient à l’heure où le Contrôleur européen à la protection des données enjoint de rester vigilant face aux risques de surveillance de masse et où le Conseil d’Etat saisit la Cour de justice (CJUE) concernant blocage des sites pornographiques ne contrôlant pas l’âge de leurs visiteurs.
Parmi le panel des mesures contenues dans la proposition de directive, et tendant à élargir la répression, il est possible de relever :
- Une approche technologiquement neutre de la pédocriminalité, de manière à adapter cette répression aux innovations numériques,
- Un allongement des délais de prescription
- Une harmonisation à la hausse des sanctions
- Un accent mis sur la sensibilisation et l'éducation.
A noter aussi le souhait d'une montée en puissance du Centre de l'UE contre la pédophilie, prévu par la proposition de règlement CSAM, afin d'en faire une plate-forme commune de connaissances sur ce phénomène.
- A lire sur securiteinterieure.fr : Pédocriminalité en ligne, l’Europe se dote d’un "CSA" adossé à Europol
D’où vient-on ?
En juillet 2020, la Commission a présenté une stratégie de l'UE pour une lutte plus efficace contre les abus sexuels sur les enfants.
Cette stratégie définit huit initiatives visant à assurer la pleine mise en œuvre et, si nécessaire, le développement du cadre juridique visant à lutter contre les abus et l'exploitation sexuels des enfants.
En 2022, la Commission a mené une évaluation pour évaluer la mise en œuvre de la directive de 2011. Or, l’étude a soulevé des inquiétudes liées à la croissance exponentielle du partage en ligne de matériels d’abus sexuels sur des enfants et aux possibilités accrues pour les auteurs de cacher leur identité (et dissimuler leurs activités illégales), notamment en ligne, échappant ainsi aux enquêtes et aux poursuites. Elle révèle que la présence accrue d'enfants en ligne et les derniers développements technologiques posent des défis aux forces de police tout en créant de nouvelles possibilités d'abus qui ne sont pas entièrement couvertes par la directive actuelle.
Par ailleurs, elle a constaté que la très grande marge de différenciation nationale laissée en matière de prévention et d'assistance aux victimes.
Un maillage réglementaire déjà serré
La proposition complète d'autres initiatives de l'UE qui, directement ou indirectement, abordent certains aspects des défis liés aux infractions d'abus et d'exploitation sexuels sur enfants. Ces initiatives comprennent :
- la directive de 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité ;
- la directive d'avril 2011 relative à la prévention et à la lutte contre la traite des êtres humains et à la protection de ses victimes ;
- le règlement de 2022 dit "DSA" (Digital Services Act).
- la proposition de règlement établissant des règles visant à prévenir et à combattre les abus sexuels sur les enfants.
Une imbrication avec la proposition de règlement CSAM
La proposition de règlement CSAM oblige les fournisseurs de services en ligne à assumer la responsabilité de protéger les enfants qui utilisent leurs services contre les abus sexuels sur enfants en ligne.
La directive constitue le pilier du droit pénal sur lequel repose le règlement proposé.
Cette proposition de règlement s'appuie sur la directive pour définir ce qui constitue une infraction pénale car il s'agit d'un matériel et d'une sollicitation d'abus sexuels sur des enfants.
Les deux instruments se renforceraient mutuellement pour apporter conjointement une réponse plus globale au crime d’abus et d’exploitation sexuels d’enfants, tant hors ligne qu’en ligne.
En particulier, le Centre de l'UE pour prévenir et combattre les abus sexuels sur enfants, envisagé dans le règlement proposé, jouerait également un rôle important en soutenant les actions des États membres en matière de prévention et d'assistance aux victimes dans le cadre de cette proposition.
Même si le Centre de l’UE aiderait les forces de l’ordre et le pouvoir judiciaire à fournir des rapports de meilleure qualité, il ne modifierait pas la répartition actuelle des responsabilités entre Europol, Eurojust et les autorités répressives et judiciaires nationales.
Mieux lutter contre les deep fakes
Le développement des environnements de réalité augmentée, étendue et virtuelle et la possibilité d'utiliser à mauvais escient l'intelligence artificielle pour créer des « deepfakes », c'est-à-dire du matériel d'exploitation sexuelle d'enfants réaliste et créé synthétiquement, a déjà élargi la définition de « image ». Les modifications apportées à la directive existante visent à garantir que la définition du matériel pédopornographique couvre ces développements technologiques d'une manière suffisamment neutre sur le plan technologique et donc à l'épreuve du temps.
Empêcher la diffusion de manuels pédophiles
Des manuels circulent qui fournissent des conseils sur :
- la façon de retrouver et de maltraiter les enfants
- la manière d'éviter d'être identifié par la police ou de faire l'objet d'une enquête et de poursuites
- la meilleure façon de cacher les matériels pédophiles.
En abaissant les barrières et en fournissant le savoir-faire nécessaire, ces manuels, appelés « manuels pédophiles », contribuent à inciter les délinquants et à soutenir la commission d'abus sexuels, et devraient donc également être criminalisés.
La proposition de directive vise donc à englober parmi le matériels pédophiles, ce type de manuels.
Une clarification nécessaire des échanges entre jeunes
Les modifications apportées à la directive existante comprennent également une définition des pairs, comme des personnes, y compris des enfants et des adultes, qui sont proches en termes d'âge et de degré de développement ou de maturité psychologique et physique.
Elle clarifie aussi les ambiguïtés actuelles du texte de la directive, notamment en garantissant que l'exonération de la criminalisation des activités sexuelles consensuelles soit correctement comprise comme s'appliquant uniquement au matériel produit et possédé entre enfants ou entre pairs, plutôt qu'à entre un enfant ayant dépassé l’âge du consentement sexuel et un adulte de tout âge.
Une aggravation des sanctions et un allongement de la prescription
Le niveau des sanctions pour se livrer à des activités sexuelles avec un enfant en cas de recours à la prostitution enfantine est porté à 8 ans lorsqu'il s'agit d'un enfant en dessous de l'âge du consentement sexuel, et à 4 ans lorsque l'enfant a dépassé l'âge du consentement sexuel.
La nouvelle version de la directive vise à garantir que les délais de prescription ne puissent pas commencer à courir avant que la victime n'ait atteint l'âge de la majorité. Les modifications imposent les normes minimales suivantes en ce qui concerne la durée des délais de prescription :
- pour les infractions passibles en vertu de la présente directive d'une peine maximale d'au moins 3 ans, le délai de prescription est d'au moins 20 ans.
- pour les infractions passibles en vertu de la présente directive d'une peine maximale d'au moins 5 ans, le délai de prescription est d'au moins 25 ans.
- pour les infractions passibles en vertu de la présente directive d'une peine maximale d'au moins 8 ans, le délai de prescription doit être d'au moins 30 ans.
Une extension des incriminations
La proposition de directive prévoit :
- que tous les États membres criminalisent et prévoient des enquêtes et des poursuites efficaces en cas d'abus sexuel sur des enfants diffusés en direct. Ce phénomène a connu une augmentation considérable ces dernières années et a soulevé des défis spécifiques en matière d'enquête, liés à l'impermanence des abus diffusés en continu et au manque de preuves qui en résulte pour les organismes d'enquête.
- de criminaliser le fait de gérer une infrastructure en ligne dans le but de permettre ou d'encourager les abus ou l'exploitation sexuels d'enfants. Elle vise à s'attaquer au rôle joué par le dark web dans la création de communautés de délinquants ou de potentiels délinquants.
Une plus grande répression face aux personnes ayant un contact avec les enfants
La nouvelle version de la directive vise à lutter contre les risques que les délinquants puissent retrouver l'accès aux enfants par le biais d'un emploi ou d'activités bénévoles. Elle impose aux employeurs recrutant pour des activités professionnelles et bénévoles impliquant des contacts étroits avec des enfants et recrutant pour des organisations agissant dans l'intérêt public contre les abus sexuels sur enfants de demander le casier judiciaire des personnes à recruter.
Elle oblige également les États membres à fournir un casier judiciaire aussi complet que possible en réponse à de telles demandes, en utilisant le système européen d'information sur les casiers judiciaires lorsque cela est pertinent et toute autre source d'information appropriée.
Davantage de moyens pour la police
La nouvelle version de la directive vise à surmonter les défis liés aux enquêtes, notamment liés à l'utilisation des technologies en ligne, qui sont apparus dans le contexte de l'évaluation de la directive.
Elle requiert que les États membres veillent à ce que les personnes, unités ou services qui enquêtent et poursuivent les infractions pédophiles disposent d'un personnel suffisant, de l'expertise et d'outils d'enquête efficaces, y compris la possibilité de mener des enquêtes d'infiltration sur le dark web.
Favoriser la formation et la prévention
La proposition de directive exige que les États membres favorisent la formation régulière non seulement des policiers de première ligne susceptibles d'entrer en contact avec des enfants victimes d'abus ou d'exploitation sexuels, mais également des juges et autres professionnels concernés, afin de garantir une justice adaptée aux enfants.
Elle oblige les États membres à œuvrer à la prévention des abus sexuels sur enfants en ligne et hors ligne et les oblige à adopter des programmes de prévention spécifiques dédiés aux enfants en milieu communautaire, compte tenu de leur vulnérabilité particulière.
Une montée en puissance du Centre de l'UE pour prévenir et combattre les abus sexuels sur enfants
La proposition de directive oblige les États membres à collecter périodiquement des statistiques sur les infractions incluses dans la directive selon une méthodologie commune développée en coopération avec le Centre de l'UE, à partager ces statistiques avec le Centre de l'UE et la Commission et à les rendre publiques.
Le Centre de l'UE devrait à son tour compiler toutes les statistiques reçues et rendre cette compilation accessible au public.
L’immunité juridique pour mieux protéger certains acteurs impliqués dans la lutte
La révélation des abus sexuels sur enfants constitue toujours un défi majeur dans les efforts visant à mettre fin aux abus sexuels sur enfants et à prévenir de nouveaux abus sexuels, notamment parce que les éducateurs et les prestataires de soins de santé, ainsi que les autres professionnels travaillant en contact étroit avec les enfants, peut hésiter à alléguer que quiconque – potentiellement un collègue ou un pair – a commis des abus sexuels sur des enfants.
La directive a été donc modifiée pour instaurer une obligation de déclaration, afin d'assurer une sécurité juridique à ces professionnels.
En outre, il existe des organisations agissant dans l'intérêt public contre les abus sexuels sur enfants, telles que les lignes d'assistance téléphonique INHOPE.
Ces organisations reçoivent des rapports du public sur des matériels d'abus sexuels sur des enfants et facilitent la suppression de ces matériels et l'enquête. de l'infraction. Lorsqu’elles examinent et analysent ou traitent de toute autre manière des éléments constituant des images ou des vidéos d’abus sexuels sur des enfants à des fins de suppression ou d’enquête, ce traitement ne devrait pas être incriminé.
Une meilleure protection des victimes…
La proposition de directive étend la disponibilité de l'assistance et du soutien aux victime. Afin de soutenir le développement et l'expansion des meilleures pratiques dans les États membres, le Centre de l'UE, une fois créé, soutiendrait les efforts des États membres en collectant des informations sur les mesures et programmes disponibles et en rendant ces informations largement disponibles.
La proposition de directive garantit que les examens médicaux d'un enfant victime aux fins de la procédure pénale, susceptibles de retraumatiser un enfant, soient limités au strict nécessaire et effectués par des professionnels dûment formés.
… Qui implique la possibilité de demander réparation
La proposition de directive renforce :
- la position des victimes et des survivants d'abus sexuels sur enfants en renforçant leur droit de demander réparation pour tout préjudice subi en relation avec des infractions d'abus et d'exploitation sexuels sur enfants, y compris les dommages causés par la diffusion en ligne de documents concernant l'abus,
- les normes minimales de l’UE en ce qui concerne à la fois le délai de demande d’indemnisation et les éléments à prendre en compte lors de la détermination du montant de l’indemnisation.
synthèse et traduction du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr
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