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jeudi 14 mars 2024

Europol et l’Agence de l'UE sur les drogues s’alarment d’une Europe devenue plaque tournante des trafics

 


 

31, c’est le nombre en milliards d’euro du marché européen au détail des stupéfiants. Toujours plus drogues disponibles, un marché juteux et résilient, ainsi que des criminels particulièrement adaptatifs et ingénieux. Voici résumé le rapport conjoint d’Europol et de l’EMCDDA (future agence européenne des drogues). Ce rapport s’inquiète de la hausse de la violence liée au marché de la drogue, favorisant un accroissement du sentiment d’insécurité de l’opinion publique. La France est, semble-t-il, un cas d’école à cet égard.




Que disent Catherine De Bolle, directrice d’Europol et Alexis Goosdeel, directeur de l’EMCDDA ?

La mondialisation continue d’avoir un impact significatif dans la mesure où les criminels exploitent les opportunités offertes par les réseaux interconnectés de communication, de commerce et de transport pour la coopération criminelle et l’intégration tout au long des chaînes d’approvisionnement. Ces évolutions ont influencé les liens entre le commerce illicite de drogues et d’autres domaines criminels dans l’Union européenne, tels que le trafic d’armes à feu, dans la mesure où les réseaux de trafiquants de drogue ont besoin d’une gamme d’outils et de capacités pour faciliter leurs activités.

 

Le marché européen de la drogue a connu une augmentation sans précédent de la disponibilité de drogues illicites, comme en témoignent une pureté élevée des drogues et des prix stables au niveau de détail, ainsi qu'une diversification des drogues et des produits de consommation. Cette situation est également due à des niveaux élevés de la demande et à l’innovation criminelle, les marchés des drogues illicites étant devenus très résilients et adaptables face à des événements mondiaux inattendus.
Cela alimente également l’expansion du crime organisé, l’augmentation des niveaux de corruption et l’exploitation des individus vulnérables.

Selon Catherine De Bolle et Alexis Goosdeel, il est essentiel de reconnaître l’interconnexion mondiale des marchés et des acteurs criminels pour élaborer des réponses efficaces aux menaces actuelles et futures, car les développements dans d’autres parties du monde continueront d’influencer les marchés de la drogue de l’UE.


Un marché particulièrement juteux

Sur la base des données de 2021, la valeur au détail du marché européen des drogue est estimée à au moins 31 milliards d’euros. C'est une source de revenus majeure pour le crime organisé. Une caractéristique clé de ce marché est l’interdépendance entre les différentes drogues illicites, avec des réseaux criminels et des courtiers et facilitateurs clés se livrant souvent à une polycriminalité liée aux drogues.

Le rapport note que le marché européen de la drogue a fait preuve d’une résilience remarquable face aux crises mondiales, à l’instabilité et aux changements politiques et économiques importants. Parmi les exemples récents de tels chocs figurent la pandémie de COVID-19, la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine et l’arrivée au pouvoir des talibans en Afghanistan. En réponse, les réseaux criminels se sont adaptés, modifiant les itinéraires du trafic et diversifiant leurs méthodes.

Certains États membres de l’UE connaissent des niveaux sans précédent de violence liée au marché de la drogue, souvent liée aux marchés de la cocaïne et du cannabis. Cela a de graves conséquences sur la société dans son ensemble, augmentant le sentiment d’insécurité du public.


Une offre de drogue large, diverse et attractive

D’après le rapport, la disponibilité reste élevée pour les principales drogues utilisées en Europe, comme en témoignent les quantités importantes, voire croissantes, qui continuent d'être saisies dans l'Union européenne. En outre, le marché des drogues illicites se caractérise par la diversification des produits de consommation et la large disponibilité d’une gamme plus large de drogues, y compris de nouvelles substances psychoactives, souvent d’une grande puissance ou d’une grande pureté.

L’innovation dans la production de drogues illicites se traduit par des rendements plus élevés, une puissance ou une pureté accrue et une gamme plus large de produits de consommation. Les réseaux criminels continuent d’introduire de nouveaux produits chimiques pour produire des drogues synthétiques, posant ainsi des défis complexes aux forces de l’ordre. L’innovation dans la dissimulation chimique des drogues complique également considérablement la détection et l’interdiction. Simultanément, les réseaux criminels exploitent les avancées numériques et les opportunités technologiques pour dissimuler les communications illicites, améliorer les modèles de distribution de drogue et réduire les risques.


L’UE, devenu producteur majeur de drogue

La production à l'échelle industrielle de cannabis et de drogues synthétiques, telles que l'amphétamine, la méthamphétamine, la MDMA et les cathinones, a lieu dans l'UE pour les marchés nationaux et internationaux. L’ampleur et la complexité de la production de drogues synthétiques en Europe dépendent de l’innovation dans les méthodes et les équipements, ainsi que de la disponibilité des principaux produits chimiques nécessaires.
La transformation à grande échelle de la cocaïne a désormais lieu également au sein de l’Union européenne. L’Europe est également probablement une zone de transit importante pour les flux mondiaux de drogue.


Le trafic international de drogues ou le défi des petits colis

Selon le rapport, un facteur majeur contribuant à l’augmentation de l’efficacité est la tendance à acheminer des envois individuels de drogue plus importants par voie maritime, en exploitant les conteneurs circulant à travers les plates-formes logistiques mondiales.
En conséquence, au cours des dix dernières années, la quantité de drogues saisies dans l’Union européenne a considérablement augmenté tandis que le nombre de saisies pour la plupart des types de drogues a diminué. La diminution du nombre de saisies peut s'expliquer en partie par une concentration moindre et une priorité moindre dans la répression des infractions liées à la possession et à l'usage de drogues dans certains États membres.

A ce propos, la numérisation a joué un rôle important en facilitant la vente et la distribution de nouvelles substances psychoactives.
Les nouvelles substances psychoactives sont principalement expédiées vers l’Union européenne depuis des pays tiers.
Alors que la Chine reste un fournisseur majeur, les mesures de contrôle de certaines substances synthétiques (telles que les cathinones, les cannabinoïdes et les opioïdes) semblent avoir incité une partie de la production de nouvelles substances psychoactives (NPS) à se déplacer vers l'Inde – qui est devenue une source majeure, probablement en raison d'un manque de contrôles nationaux en matière de production.


Le marché un européen, un marché avant tout du cannabis

Le rapport indique que le cannabis est la drogue illicite la plus couramment consommée dans l'Union européenne, avec environ 22,6 millions d'adultes en ayant consommé au cours de l'année écoulée, et il reste le plus grand marché de drogue dans l'Union européenne.
En 2021, les saisies de cannabis dans l’Union européenne ont atteint des niveaux records, avec 256 tonnes d’herbe de cannabis et 816 tonnes de résine saisies.
La majeure partie de l'herbe de cannabis consommée dans l'Union européenne semble être produite ici, notamment en Espagne, où les sites de culture de cannabis à grande échelle ont été démantelés. La région des Balkans occidentaux joue également un rôle dans l’approvisionnement en herbe de cannabis, tandis que le Maroc reste le plus grand fournisseur de résine de cannabis.
Cependant, il existe des signes d’augmentation de la production de résine dans l’Union européenne, même si la quantité est probablement faible par rapport à celle du Maroc.


La cocaïne, une grosse entreprise qui ne connaît pas la crise

D’après le rapport, la cocaïne est la deuxième drogue illicite la plus consommée dans l'Union européenne et le deuxième marché de drogues illicites en termes de revenus générés. Il existe également des signes d’un changement potentiel dans le rôle de l’Europe dans le commerce mondial de la cocaïne. Cela se voit dans l’utilisation croissante de l’Union européenne comme point de transit pour les expéditions de cocaïne vers d’autres régions et dans la tendance croissante à ce que certaines étapes de la production de cocaïne aient lieu au sein de l’Union européenne.
Les faits indiquent que les réseaux criminels latino-américains et européens collaborent à la production de cocaïne au sein de l’Union européenne.
Des quantités record de cocaïne ont été saisies chaque année dans l'Union européenne depuis 2017, avec 303 tonnes saisies par les États membres en 2021. La Belgique, les Pays-Bas et l'Espagne signalent les volumes de saisies les plus élevés, ce qui reflète leur importance en tant que points d'entrée de la cocaïne.


Vers une déferlante de l’héroïne synthétique ?

Selon le rapport, l’héroïne reste l’opioïde illicite le plus couramment consommé.
Il est important de noter que les changements politiques en Afghanistan, principale source d’héroïne consommée en Europe, devraient perturber ce marché. L'interdiction des drogues annoncée par les talibans en avril 2022 semble avoir pris effet, car les données disponibles suggèrent une réduction significative de la culture du pavot à opium et de la production d'héroïne en 2023.
Cela pourrait précipiter une diminution de la disponibilité de l'héroïne dans l'Union européenne, ce qui pourrait conduire à combler les lacunes du marché. par d’autres drogues, y compris de puissants opioïdes synthétiques, avec un impact négatif important sur la santé et la sécurité publiques.
Les réseaux criminels turcs continuent de dominer le trafic de gros d'héroïne vers le marché européen, même si d'autres réseaux, tels que ceux liés à la région des Balkans occidentaux, sont également actifs dans le trafic d'héroïne.


Un exemple d’Eumolpe plaque tournante de la drogue : le cas de l’amphétamine

L’Union européenne est un marché important à l’échelle mondiale pour l’amphétamine, avec environ 90 tonnes de drogue consommées en 2021. Si l’amphétamine est généralement peu coûteuse et peu pure, on trouve des amphétamines de grande pureté et peu coûteuses en Belgique et aux Pays-Bas – le principal centres de production. Une certaine production d'amphétamine a également lieu en Allemagne et en Pologne, et occasionnellement ailleurs.

D'importantes expéditions de comprimés de captagon contenant de l'amphétamine transitent également par les ports de l'UE, depuis les centres de production en Syrie et au Liban, vers la péninsule arabique, le principal marché de consommation mondial. Cependant, une certaine production de captagon est également pratiquée dans l'Union européenne, principalement aux Pays-Bas, pour l'exportation vers les grands marchés de consommation.


La méthamphétamine, un marché en plein essor

Le marché de la méthamphétamine dans l'Union européenne, bien que relativement faible à l’échelle mondiale, elle pourrait croître. La pureté moyenne de la méthamphétamine a augmenté au cours de la dernière décennie, notamment depuis 2019.
La production industrielle de méthamphétamine a lieu aux Pays-Bas et, dans une moindre mesure, en Belgique. Les innovations dans la production européenne de méthamphétamine ont accru l’efficacité et la production.
Comme pour les autres drogues synthétiques, il reste difficile de contrôler la disponibilité des précurseurs à mesure que les réseaux criminels s’adaptent à la législation.

La production à grande échelle de méthamphétamine dans l’Union européenne a été motivée par la collaboration entre les producteurs européens de drogues synthétiques et les réseaux criminels mexicains. L’échange de connaissances entre les Pays-Bas et le Mexique, en particulier, a conduit à la création d’installations de production de méthamphétamine plus sophistiquées et plus grandes.
La production de méthamphétamine en Afghanistan constitue également une menace, en raison du trafic potentiel vers l'Union européenne via les routes établies de l'héroïne.


La MDMA ou l’ illustration d’un marché adaptatif et résilient

Même si les données actuelles suggèrent une situation globalement relativement stable en ce qui concerne la consommation de MDMA, il existe des différences considérables au niveau national.
L'Europe est un producteur de MDMA à grande échelle, le marché de consommation intérieur étant approvisionné par des producteurs européens. À l’instar de la production d’autres drogues synthétiques en Europe, la production de MDMAest largement concentrée aux Pays-Bas ou dans leurs environs. De grandes quantités de MDMA produites en Europe sont également exportées vers des marchés en dehors de l’Union européenne, notamment en Australie et dans les Amériques.
Comme c’est le cas pour d’autres drogues synthétiques, les producteurs de MDMA adaptent souvent leur utilisation de produits chimiques et de précurseurs afin d’éviter les contrôles.
La force globale des comprimés et des poudres de MDMA disponibles sur le marché de détail reste élevée par rapport aux normes historiques, même si dans certains pays clés, il semble y avoir une tendance à la baisse.


La nouvelle menace de la « cocaïne rose »

Une autre menace est l’émergence récente de nouveaux produits de consommation MDMA, tels que les produits comestibles et liquides, qui pourraient attirer de nouveaux groupes de consommateurs.
Il semble également que la « cocaïne rose » ou « tucibi », un mélange de MDMA avec de la kétamine, de la cocaïne ou du 2C-B signalé pour la première fois dans les pays d’Amérique latine, fasse son apparition sur le marché européen.
Pris ensemble, ces développements montrent que le marché européen de la MDMA est dynamique et résilient.


Le défi des nouvelles drogues

Le commerce de nouvelles substances psychoactives (NPS) représente un défi important et dynamique pour le marché européen des drogues, dans la mesure où ces substances évoluent constamment pour échapper aux restrictions légales. En 2022, un nombre record de 30,6 tonnes de nouvelles substances psychoactives ont été saisies en Europe, en raison d'un nombre relativement faible de saisies importantes.

Depuis 2022, les cannabinoïdes semi-synthétiques sont vendus ouvertement en Europe comme substituts « légaux » du cannabis et du delta-9-THC. Ils sont fabriqués à partir de cannabinoïdes naturels, tels que le cannabidiol extrait du cannabis (chanvre) à faible teneur en THC. Des quantités importantes ont été importées des États-Unis, mais elles sont également produites en Europe. Certains signes indiquent que de nouveaux opioïdes synthétiques, tels que les nitazènes, sont davantage disponibles dans certaines régions d'Europe.
Récemment, des mélanges de nouveaux opioïdes avec des benzodiazépines (« benzo-dope ») ou le sédatif animal xylazine (« tranq-dope ») ont été signalés en Europe.

 

synthèse et traduction du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr (synthèse réalisée sans intelligence artificielle)


 

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jeudi 7 mars 2024

Criminalité en ligne : l’Europe entend mieux lutter contre les deep fakes pédophiles

 


Une proposition de directive vient d’être publiée (encore en anglais au moment de la publication de cet article) pour renforcer la lutte contre la pédophilie, en particulier la pédophile en ligne.
Cette proposition, qui abroge la directive de 2011 en vigueur actuellement, renforce la répression. Elle intervient à l’heure où le Contrôleur européen à la protection des données enjoint de rester vigilant face aux risques de surveillance de masse et où le Conseil d’Etat saisit la Cour de justice (CJUE) concernant blocage des sites pornographiques ne contrôlant pas l’âge de leurs visiteurs.
Parmi le panel des mesures contenues dans la proposition de directive, et tendant à élargir la répression, il est possible de relever :

  • Une approche technologiquement neutre de la pédocriminalité, de manière à adapter cette répression aux innovations numériques,
  • Un allongement des délais de prescription
  • Une harmonisation à la hausse des sanctions
  • Un accent mis sur la sensibilisation et l'éducation.


A noter aussi le souhait d'une montée en puissance du Centre de l'UE contre la pédophilie, prévu par la proposition de règlement CSAM, afin d'en faire une plate-forme commune de connaissances sur ce phénomène.




D’où vient-on ?

En juillet 2020, la Commission a présenté une stratégie de l'UE pour une lutte plus efficace contre les abus sexuels sur les enfants.
Cette stratégie définit huit initiatives visant à assurer la pleine mise en œuvre et, si nécessaire, le développement du cadre juridique visant à lutter contre les abus et l'exploitation sexuels des enfants.

En 2022, la Commission a mené une évaluation pour évaluer la mise en œuvre de la directive de 2011. Or, l’étude a soulevé des inquiétudes liées à la croissance exponentielle du partage en ligne de matériels d’abus sexuels sur des enfants et aux possibilités accrues pour les auteurs de cacher leur identité (et dissimuler leurs activités illégales), notamment en ligne, échappant ainsi aux enquêtes et aux poursuites. Elle révèle que la présence accrue d'enfants en ligne et les derniers développements technologiques posent des défis aux forces de police tout en créant de nouvelles possibilités d'abus qui ne sont pas entièrement couvertes par la directive actuelle.
Par ailleurs, elle a constaté que la très grande marge de différenciation nationale laissée en matière de prévention et d'assistance aux victimes.

Un maillage réglementaire déjà serré

La proposition complète d'autres initiatives de l'UE qui, directement ou indirectement, abordent certains aspects des défis liés aux infractions d'abus et d'exploitation sexuels sur enfants. Ces initiatives comprennent :

  • la directive de 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité ;
  • la directive d'avril 2011 relative à la prévention et à la lutte contre la traite des êtres humains et à la protection de ses victimes ;
  • le  règlement de 2022 dit "DSA" (Digital Services Act).
  • la proposition de règlement établissant des règles visant à prévenir et à combattre les abus sexuels sur les enfants.



Une imbrication avec la proposition de règlement CSAM

La proposition de règlement CSAM oblige les fournisseurs de services en ligne à assumer la responsabilité de protéger les enfants qui utilisent leurs services contre les abus sexuels sur enfants en ligne.
La directive constitue le pilier du droit pénal sur lequel repose le règlement proposé.
Cette proposition de règlement s'appuie sur la directive pour définir ce qui constitue une infraction pénale car il s'agit d'un matériel et d'une sollicitation d'abus sexuels sur des enfants.

Les deux instruments se renforceraient mutuellement pour apporter conjointement une réponse plus globale au crime d’abus et d’exploitation sexuels d’enfants, tant hors ligne qu’en ligne.
En particulier, le Centre de l'UE pour prévenir et combattre les abus sexuels sur enfants, envisagé dans le règlement proposé, jouerait également un rôle important en soutenant les actions des États membres en matière de prévention et d'assistance aux victimes dans le cadre de cette proposition.
Même si le Centre de l’UE aiderait les forces de l’ordre et le pouvoir judiciaire à fournir des rapports de meilleure qualité, il ne modifierait pas la répartition actuelle des responsabilités entre Europol, Eurojust et les autorités répressives et judiciaires nationales.

Mieux lutter contre les deep fakes

Le développement des environnements de réalité augmentée, étendue et virtuelle et la possibilité d'utiliser à mauvais escient l'intelligence artificielle pour créer des « deepfakes », c'est-à-dire du matériel d'exploitation sexuelle d'enfants réaliste et créé synthétiquement, a déjà élargi la définition de « image ». Les modifications apportées à la directive existante visent à garantir que la définition du matériel pédopornographique couvre ces développements technologiques d'une manière suffisamment neutre sur le plan technologique et donc à l'épreuve du temps.

Empêcher la diffusion de manuels pédophiles

Des manuels circulent qui fournissent des conseils sur :

  • la façon de retrouver et de maltraiter les enfants
  • la manière d'éviter d'être identifié par la police ou de faire l'objet d'une enquête et de poursuites
  • la meilleure façon de cacher les matériels pédophiles.

En abaissant les barrières et en fournissant le savoir-faire nécessaire, ces manuels, appelés « manuels pédophiles », contribuent à inciter les délinquants et à soutenir la commission d'abus sexuels, et devraient donc également être criminalisés.
La proposition de directive vise donc à englober parmi le matériels pédophiles, ce type de manuels.

Une clarification nécessaire des échanges entre jeunes

Les modifications apportées à la directive existante comprennent également une définition des pairs, comme des personnes, y compris des enfants et des adultes, qui sont proches en termes d'âge et de degré de développement ou de maturité psychologique et physique.
Elle clarifie aussi les ambiguïtés actuelles du texte de la directive, notamment en garantissant que l'exonération de la criminalisation des activités sexuelles consensuelles soit correctement comprise comme s'appliquant uniquement au matériel produit et possédé entre enfants ou entre pairs, plutôt qu'à entre un enfant ayant dépassé l’âge du consentement sexuel et un adulte de tout âge.


Une aggravation des sanctions et un allongement de la prescription

Le niveau des sanctions pour se livrer à des activités sexuelles avec un enfant en cas de recours à la prostitution enfantine est porté à 8 ans lorsqu'il s'agit d'un enfant en dessous de l'âge du consentement sexuel, et à 4 ans lorsque l'enfant a dépassé l'âge du consentement sexuel.

La nouvelle version de la directive vise à garantir que les délais de prescription ne puissent pas commencer à courir avant que la victime n'ait atteint l'âge de la majorité. Les modifications imposent les normes minimales suivantes en ce qui concerne la durée des délais de prescription :

  • pour les infractions passibles en vertu de la présente directive d'une peine maximale d'au moins 3 ans, le délai de prescription est d'au moins 20 ans.
  • pour les infractions passibles en vertu de la présente directive d'une peine maximale d'au moins 5 ans, le délai de prescription est d'au moins 25 ans.
  • pour les infractions passibles en vertu de la présente directive d'une peine maximale d'au moins 8 ans, le délai de prescription doit être d'au moins 30 ans.



Une extension des incriminations

La proposition de directive prévoit :

  • que tous les États membres criminalisent et prévoient des enquêtes et des poursuites efficaces en cas d'abus sexuel sur des enfants diffusés en direct. Ce phénomène a connu une augmentation considérable ces dernières années et a soulevé des défis spécifiques en matière d'enquête, liés à l'impermanence des abus diffusés en continu et au manque de preuves qui en résulte pour les organismes d'enquête.
  • de criminaliser le fait de gérer une infrastructure en ligne dans le but de permettre ou d'encourager les abus ou l'exploitation sexuels d'enfants. Elle vise à s'attaquer au rôle joué par le dark web dans la création de communautés de délinquants ou de potentiels délinquants.


Une plus grande répression face aux personnes ayant un contact avec les enfants

La nouvelle version de la directive vise à lutter contre les risques que les délinquants puissent retrouver l'accès aux enfants par le biais d'un emploi ou d'activités bénévoles. Elle impose aux employeurs recrutant pour des activités professionnelles et bénévoles impliquant des contacts étroits avec des enfants et recrutant pour des organisations agissant dans l'intérêt public contre les abus sexuels sur enfants de demander le casier judiciaire des personnes à recruter.
Elle oblige également les États membres à fournir un casier judiciaire aussi complet que possible en réponse à de telles demandes, en utilisant le système européen d'information sur les casiers judiciaires lorsque cela est pertinent et toute autre source d'information appropriée.


Davantage de moyens pour la police

La nouvelle version de la directive vise à surmonter les défis liés aux enquêtes, notamment liés à l'utilisation des technologies en ligne, qui sont apparus dans le contexte de l'évaluation de la directive.
Elle requiert que les États membres veillent à ce que les personnes, unités ou services qui enquêtent et poursuivent les infractions pédophiles disposent d'un personnel suffisant, de l'expertise et d'outils d'enquête efficaces, y compris la possibilité de mener des enquêtes d'infiltration sur le dark web.

Favoriser la formation et la prévention


La proposition de directive exige que les États membres favorisent la formation régulière non seulement des policiers de première ligne susceptibles d'entrer en contact avec des enfants victimes d'abus ou d'exploitation sexuels, mais également des juges et autres professionnels concernés, afin de garantir une justice adaptée aux enfants.
Elle oblige les États membres à œuvrer à la prévention des abus sexuels sur enfants en ligne et hors ligne et les oblige à adopter des programmes de prévention spécifiques dédiés aux enfants en milieu communautaire, compte tenu de leur vulnérabilité particulière.

Une montée en puissance du Centre de l'UE pour prévenir et combattre les abus sexuels sur enfants

La proposition de directive oblige les États membres à collecter périodiquement des statistiques sur les infractions incluses dans la directive selon une méthodologie commune développée en coopération avec le Centre de l'UE, à partager ces statistiques avec le Centre de l'UE et la Commission et à les rendre publiques.
Le Centre de l'UE devrait à son tour compiler toutes les statistiques reçues et rendre cette compilation accessible au public.

L’immunité juridique pour mieux protéger certains acteurs impliqués dans la lutte

La révélation des abus sexuels sur enfants constitue toujours un défi majeur dans les efforts visant à mettre fin aux abus sexuels sur enfants et à prévenir de nouveaux abus sexuels, notamment parce que les éducateurs et les prestataires de soins de santé, ainsi que les autres professionnels travaillant en contact étroit avec les enfants, peut hésiter à alléguer que quiconque – potentiellement un collègue ou un pair – a commis des abus sexuels sur des enfants.
La directive a été donc modifiée pour instaurer une obligation de déclaration, afin d'assurer une sécurité juridique à ces professionnels.

En outre, il existe des organisations agissant dans l'intérêt public contre les abus sexuels sur enfants, telles que les lignes d'assistance téléphonique INHOPE.
Ces organisations reçoivent des rapports du public sur des matériels d'abus sexuels sur des enfants et facilitent la suppression de ces matériels et l'enquête. de l'infraction. Lorsqu’elles examinent et analysent ou traitent de toute autre manière des éléments constituant des images ou des vidéos d’abus sexuels sur des enfants à des fins de suppression ou d’enquête, ce traitement ne devrait pas être incriminé.

Une meilleure protection des victimes…

La proposition de directive étend la disponibilité de l'assistance et du soutien aux victime. Afin de soutenir le développement et l'expansion des meilleures pratiques dans les États membres, le Centre de l'UE, une fois créé, soutiendrait les efforts des États membres en collectant des informations sur les mesures et programmes disponibles et en rendant ces informations largement disponibles.

La proposition de directive garantit que les examens médicaux d'un enfant victime aux fins de la procédure pénale, susceptibles de retraumatiser un enfant, soient limités au strict nécessaire et effectués par des professionnels dûment formés.

… Qui implique la possibilité de demander réparation

La proposition de directive renforce :

  • la position des victimes et des survivants d'abus sexuels sur enfants en renforçant leur droit de demander réparation pour tout préjudice subi en relation avec des infractions d'abus et d'exploitation sexuels sur enfants, y compris les dommages causés par la diffusion en ligne de documents concernant l'abus,
  • les normes minimales de l’UE en ce qui concerne à la fois le délai de demande d’indemnisation et les éléments à prendre en compte lors de la détermination du montant de l’indemnisation.


 

synthèse et traduction du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr

 

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jeudi 29 février 2024

Retrait des contenus terroristes : la coopération marche, mais…

 


« La coordination fonctionne bien entre les autorités des États membres et Europol ». Voici ce que déclare un rapport sur l'application du règlement du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste (règlement « TCO »). Il indique qu'il avait eu une incidence positive sur la limitation de la diffusion de ces contenus. Plus exactement, les Etats ont nommé leurs autorités chargées de demander le retrait. Quant aux fournisseurs de services d’hébergement, ils semblent jouer le jeu en retirant les contenus signalés. Pour ce qui est de la solution technique d’Europol, elle fonctionne efficacement et elle poursuit sa montée en puissance.
Toutefois le rapport souligne une zone d’ombre, à savoir le retrait par les petits fournisseurs de services d’hébergement. Ici, le chantier n’en est qu’à ses débuts.


Pourquoi le retrait des contenus trroristes est important ?

Selon Europol, dans ses rapports sur la situation et les tendances du terrorisme (TE-SAT)  publiés ces dernières années, les terroristes utilisent largement l’internet pour diffuser leurs messages visant à intimider, à radicaliser, à recruter et à faciliter les attaques terroristes.

Le rapport précise que si les mesures volontaires et les recommandations non contraignantes ont permis de réduire la disponibilité des contenus à caractère terroriste en ligne, certains éléments, notamment le petit nombre de fournisseurs de services d’hébergement adoptant des mécanismes volontaires ainsi que la fragmentation des règles de procédure entre les États membres, ont limité l’efficacité et l’efficience de la coopération entre les États membres et les fournisseurs de services d’hébergement et ont rendu nécessaire la mise en place de mesures réglementaires.

Le rapport souligne aussi que l’enjeu est capital dans le contexte de conflit et d’instabilité actuel, qui a une incidence sur la sécurité de l’Europe.
La guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine et l’attaque terroriste commise par le Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 ont provoqué une augmentation de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne.

Que prévoit le règlement ?

Le règlement TCO fournit aux États membres un cadre juridique au niveau européen pour protéger les citoyens contre l’exposition à du matériel terroriste en ligne.
Le règlement vise à assurer le bon fonctionnement du marché unique numérique en luttant contre l’utilisation abusive des services d’hébergement pour diffuser au public des contenus à caractère terroriste en ligne.  Il a pour objectif d’empêcher les terroristes d’utiliser l’internet pour diffuser leurs messages visant à intimider, à radicaliser, à recruter et à faciliter les attaques terroristes.


Quelle est la panopolie juridque de l’UE ?

Le cadre réglementaire visant à lutter contre les contenus illicites en ligne a été renforcé par l’entrée en vigueur du règlement sur les services numériques, le 16 novembre 2022.
En outre, l’entrée en vigueur du règlement sur les services numériques, le 16 novembre 2022, étend le paysage réglementaire au moyen d’une législation horizontale dont le large champ d’application vise à instaurer un espace numérique plus sûr pour les consommateurs, à prévoir des mesures efficaces de lutte contre les contenus illicites et à établir des conditions de service plus transparentes.
Le règlement sur les services numériques confère à la Commission de vastes pouvoirs de surveillance, d’enquête et d’exécution pour prendre des mesures destinées aux très grandes plateformes en ligne et aux très grands moteurs de recherche.
Ces mesures comprennent des demandes d’informations et des enquêtes sur les mesures de modération des contenus adoptées par les entreprises, ainsi que la possibilité d’infliger des amendes.

Quels sont les premiers resultats en termes de retrait ?

Au 31 décembre 2023, le rapport indique que la Commission avait reçu des informations sur au moins 349 injonctions de retrait de contenus à caractère terroriste émises par les autorités compétentes de six États membres (l’Espagne, la Roumanie, la France, l’Allemagne, la Tchéquie et l’Autriche), qui, dans la plupart des cas, ont conduit les fournisseurs de services d’hébergement à prendre rapidement des mesures de suivi pour supprimer les contenus à caractère terroriste ou en bloquer l’accès.
Cela prouve que les outils prévus par le règlement commencent à être utilisés et permettent de garantir le retrait rapide des contenus à caractère terroriste par les fournisseurs de services d’hébergement,. Selon les informations reçues par la Commission, ces injonctions de retrait n’ont pas été contestées.

Au total, au 31 décembre 2023, la Commission avait été informée de l’envoi d’au moins 349 injonctions de retrait à Telegram, Meta, Justpaste.it, TikTok, DATA ROOM S.R.L., FLOKINET S.R.L., Archive.org, Soundcloud, X, Jumpshare.com, Krakenfiles.com, Top4Top.net et Catbox, par les autorités compétentes espagnoles, roumaines, françaises, allemandes, autrichiennes et tchèques.

Et la France dans tout ça ?

Au 31 décembre 2023, 23 États membres avaient désigné une ou plusieurs autorités habilitées à émettre des injonctions de retrait (la liste est disponible sur le site web de la Commission et régulièrement mise à jour) .
L’autorité française (Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication, «OCLCTIC») a envoyé vint-six injonction de retrait.
Le 13 juillet 2023, l’OCLCTIC a émis sa première injonction de retrait à l’encontre d’une plateforme de partage (Justpaste.it), qui a supprimé les contenus à caractère terroriste dans l’heure qui suivait.
Le contenu ciblé était de la propagande d’Al-Qaida et, plus particulièrement, de l’organe médiatique Rikan Ka Mimber, appartenant à sa branche indienne «Al-Qaida en guerre sainte dans le sous-continent indien». Le retrait complet du contenu a été confirmé sur la plateforme PERCI d’Europol.


Qu’est-ce la plateforme «PERCI», cheville ouvrière du dispositif ?

L’outil «PERCI» (Plateforme Européenne de Retraits des Contenus illégaux sur l’internet) d’Europol est destiné àcentraliser et coordonner la transmission des injonctions de retrait et des signalements par les États membres aux fournisseurs de services d’hébergement. La plateforme est opérationnelle depuis le 3 juillet 2023.
Plus concrètement, PERCI:

  • est une solution en nuage conçue pour garantir la sécurité et la protection des données dans le nuage;
  • est une plateforme unique de communication et de coordination collaboratives et en temps réel, qui permet de supprimer rapidement des contenus à caractère terroriste;
  • facilite le processus d’examen approfondi des injonctions de retrait transfrontières;
  • renforce la prévention des conflits, élément important pour éviter que l’autorité compétente d’un État membre envoie une injonction de retrait ciblant des contenus faisant l’objet d’une enquête en cours dans un autre État membre;
  • permet aux fournisseurs de services d’hébergement de recevoir des injonctions de retrait d’une manière unifiée et normalisée à partir d’un canal unique.

Par ailleurs, PERCI permet également la transmission des signalements.
Cet outil a été utilisé avec succès par certains États membres pour transmettre à la fois les injonctions de retrait et les signalements . Les autorités compétentes espagnoles, allemandes, autrichiennes, françaises et tchèques ont également utilisé cet outil pour transmettre des injonctions de retrait.
Au total, au moins 14 615 signalements ont été traités au moyen de PERCI entre son lancement le 3 juillet et le 31 décembre 2023.


Comment ont réagi les herbergeurs ?


Sur la base des informations reçues de la part des États membres et d’Europol et mises à disposition par les fournisseurs de services d’hébergement, le rapport indique que l’application du règlement avait eu une incidence positive sur la limitation de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne.
Bien que le règlement ne prévoie aucune mesure particulière en matière de signalement, la Commission européenne a reçu des informations selon lesquelles la réactivité des fournisseurs de services d’hébergement s’est accrue face aux signalements depuis l’entrée en application du règlement.

Selon les rapports de transparence transmis par les fournisseurs de services d’hébergement, des mesures ont été prises par ces derniers pour lutter contre l’utilisation abusive de leurs services aux fins de la diffusion de contenus à caractère terroriste, notamment l’adoption de conditions spécifiques et l’application d’autres dispositions et mesures visant à limiter la diffusion de contenus à caractère terroriste.


Une solution trouvée pour les services d’hébergement établis dans des pays hors UE ?

Le rapport précise que les États membres ont fait état de difficultés liées à la transmission des injonctions de retrait aux fournisseurs de services d’hébergement établis dans des pays tiers qui n’ont pas encore rempli leur obligation de désigner une représentation légale dans l’UE.
Dans ce contexte, la Commission a aidé les États membres à veiller à ce que les fournisseurs de services d’hébergement respectent leur obligation de désigner un représentant légal dans l’UE et d’établir un point de contact, tel qu’une adresse électronique, afin de garantir une action immédiate. 
En outre la Commission a rappelé aux fournisseurs de services d’hébergement leurs obligations au sein de différentes enceintes, notamment au sein du forum de l’UE sur l’internet.


Une solution à trouver pour les petits fournisseurs ?

Le rapport note que les petits fournisseurs de services d’hébergement sont de plus en plus ciblés par des acteurs malveillants qui cherchent à exploiter leurs services.
On pourrait aussi en déduire que les grands fournisseurs de services d’hébergement déploient des efforts efficaces en matière de modération des contenus.
Si cette tendance illustre la réussite des mesures de modération des contenus, elle souligne également la nécessité d’aider les petits fournisseurs de services d’hébergement à renforcer leurs capacités et leurs connaissances afin qu’ils puissent se conformer aux exigences du règlement.

Un appel à propositions a été dans le cadre du Fonds pour la sécurité intérieure. Elle a ensuite sélectionné trois projets (FRISCO, ALLIES et TATE :

  • Cadre fondé sur l’IA pour aider les micro (et petits) fournisseurs de services d’hébergement à signaler et à retirer les contenus à caractère terroriste en ligne (ALLIES);
  • Lutte contre les contenus à caractère terroriste en ligne (FRISCO),
  • Technologie contre le terrorisme en Europe (TATE).



Un exemple concret de piste visant à cerner le problème?

Les travaux relatifs à ces trois projets ont débuté en 2023 et ont déjà apporté des résultats « intéressants » selon le rapport.
Par exemple, il ressort du rapport de cartographie du projet FRISCO que les micro et petits fournisseurs de services d’hébergement ont généralement une connaissance très limitée du règlement.

Leurs difficultés potentielles pour répondre aux injonctions de retrait dans un délai d’une heure sont également évoquées, étant donné qu’ils ne disposent souvent pas de services 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
Le manque de ressources est un obstacle, de même que l’établissement de lignes de communication avec les services répressifs. Plus de la moitié des fournisseurs de services d’hébergement interrogés par les contractants ne modèrent pas les contenus générés par les utilisateurs et ont déclaré n’avoir jamais été confrontés à des contenus à caractère terroriste sur leurs plateformes.
Ces fournisseurs de services d’hébergement sont susceptibles de prendre des mesures ad hoc si de tels contenus apparaissent sur leurs plateformes.

 

Synthèse du rapport par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr


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jeudi 22 février 2024

Bilan en matière de gestion des frontières extérieures : Frontex obtient la moyenne

 


C’est en ces termes qu’il est possible de résumer en substance le rapport d’évaluation de l’agence. Son action est y jugée bénéfique. Les Etats membres sont satisfaits de son intervention opérationnelle et l’implication des nouveaux garde-frontières est jugée utile. Pour toutes ces raisons, aucune refonte législative n’est en vue.
Pour autant, le rapport pointe plusieurs faiblesses, par exemple le système européen de surveillance et de détection des mouvements suspects généré par l’agence, ou bien encore les obstacles en matière de recrutement de profils spécialisés. Il souligne un défi à relever à l’avenir, à savoir la capacité de l’agence de développer une vision stratégique pour anticiper les évolutions sécuritaires.


Que dit le rapport dans les grandes lignes ?

L’évaluation se conclut par un bilan positif en ce qui concerne la pertinence et la valeur ajoutée européenne du règlement relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes (le «règlement de 2019»).
L’évaluation a mis en évidence un certain nombre de difficultés qui limitent actuellement l’efficacité du règlement. Certaines dispositions du règlement pourraient certes être plus claires (par exemple, en ce qui concerne les droits fondamentaux), mais la plupart des difficultés recensées ne découlent pas du règlement lui-même; elles résultent plutôt de faiblesses organisationnelles, techniques ou opérationnelles, qui prennent principalement la forme de retards, dans sa mise en œuvre (par exemple, absence de structure de commandement claire pour le contingent permanent, lacunes dans certains profils du contingent permanent).
Enfin, une autre série de problèmes sapant l’efficacité de la mise en œuvre découle de certaines limitations (comme le manque de reconnaissance des pouvoirs exécutifs conférés au contingent permanent dans la législation nationale de certains États membres) ou de l’existence de dispositions de la législation de l’UE qui vont au-delà du règlement relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes lui-même (régissant, par exemple, le traitement des données à caractère personnel par l’Agence).


Un corps européen qui fonctionne bien et qui est apprécié

En dépit des retards, le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes fonctionne bien, compte tenu de l’état actuel de mise en œuvre. Il a largement atteint ses objectifs de la manière escomptée, certaines activités clés devant encore être pleinement mises en œuvre. L’objectif reste d’atteindre d’ici à 2027 le nombre prévu de 10 000 membres du personnel du contingent permanent pleinement opérationnels.

L’Agence a accompli des progrès importants dans le recrutement d’agents de catégorie 1 du contingent permanent, faisant passer le nombre d’agents de catégorie 1 pouvant être déployés de 678 18 à la fin de 2022 à 970 en septembre 2023. L’Agence a donc presque atteint le nombre requis de personnel déployable en 2023.

L’Agence a également déclaré 450 agents de catégorie 2 du contingent permanent détachés et 3 899 agents de catégorie 3 du contingent permanent nommés. L’objectif de 1 500 membres du contingent permanent de catégorie 4 fixé pour 2023 a été atteint.

La réserve de réaction rapide (catégorie 4) a été créée pour répondre à des besoins imprévus avant que le contingent permanent n’atteigne une masse critique. Jusqu’à présent, il n’a pas été nécessaire d’utiliser cette réserve.
La taille des contributions nationales est considérée comme conforme aux capacités nationales. Les contributions individuelles des États membres varient de 0,14 % à 1,5 % des capacités nationales. La répartition actuelle s’est révélée efficace.
Même si la création du contingent permanent en est encore à ses débuts, elle a déjà fait la preuve de sa valeur ajoutée et son soutien opérationnel est apprécié par les États membres.


Un soutien efficace qui répond  pleinement aux besoins opérationnels

Depuis 2019, l’Agence a renforcé son soutien opérationnel aux États membres dans divers domaines relevant de son mandat, répondant ainsi en grande mesure à leurs besoins. Le nombre d’opérations conjointes menées entre 2020 et 2023 n’a cessé d’augmenter.
En 2023, l’Agence a lancé 24 opérations conjointes, contre 15 en 2020, 19 en 2021 et 20 en 2022, et elle comptait 2 874 personnes déployées à la mi-octobre 2023, contre 1 122 en 2020. Au cours de la période soumise à évaluation, l’Agence a pris de plus en plus d’initiatives en proposant un soutien opérationnel aux États membres sur la base de sa propre analyse des priorités opérationnelles.

Frontex a également continué d’accroître le soutien aux États membres dans les activités liées aux retours. En 2022, l’Agence a apporté un soutien au retour effectif de 24 868 ressortissants de pays tiers, soit une augmentation de 36 % par rapport à l’année précédente.


Une agence à la gouvernance saine et dont le soutien s’étend

En 2022, Frontex a renforcé son engagement opérationnel dans les pays partenaires en élargissant sa zone opérationnelle et en renforçant sa capacité opérationnelle. En octobre 2023, Frontex comptait près de 600 membres du personnel déployés dans le cadre de dix opérations conjointes dans huit pays tiers 12 . Une nouvelle opération («Joint Operation North Macedonia») a été lancée en 2023 sur la base de l’accord sur le statut entre la Macédoine du Nord et l’Union européenne, qui est entré en vigueur en avril 2023.

L’analyse de la structure de gouvernance de Frontex montre qu’il existe une répartition claire des tâches entre le conseil d’administration et le directeur exécutif. La structure de contrôle de l’Agence, qui associe le Parlement européen, le Conseil et la Commission, est également claire et efficace.


Pas d’augmentation d’effectifs, ni de modification réglementaire

L’évaluation note que le règlement de 2019 reste pertinent pour faire face à la situation actuelle et à son évolution future aux frontières extérieures de l’UE
Bien que ce processus nécessite des efforts considérables de la part de l’Agence et des États membres, les résultats du réexamen, compte tenu également de la situation actuelle aux frontières extérieures de l’UE, ne justifient pas d’ajustements à ce stade.
La taille et la composition du contingent permanent, ainsi que les contributions annuelles à fournir par les États membres, telles que définies dans les annexes du règlement relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, restent justifiées et proportionnées.

La mise en place du corps européen de garde-frontières et de garde-côtes nécessite également des efforts importants de la part des États membres et certains sont confrontés à des difficultés pour renforcer leurs propres capacités.
Les contributions au contingent permanent définies par le règlement semblent dans l’ensemble suffisantes pour atteindre les objectifs du règlement relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, étant donné que l’Agence a pu répondre à la quasi-totalité des demandes d’assistance urgentes des États membres.


Droits fondamentaux : pas de renforcement de la responsabilité

L’évaluation attire l’attention sur la question de savoir dans quelle mesure Frontex peut être tenue responsable des actes des États membres et comment les actions de l’Agence pourraient contribuer efficacement à garantir que les États membres hôtes respectent les droits fondamentaux dans le cadre des activités conjointes, telles que les opérations conjointes.

Si l’article 46 constitue un outil essentiel à la disposition de l’Agence, il ne devrait être utilisé qu’en dernier recours, étant donné que l’évaluation suggère que la présence de Frontex peut contribuer de manière positive à un meilleur respect global des droits fondamentaux.
Par conséquent, l’évaluation conclut qu’à ce stade, il n’est pas nécessaire de modifier l’article 46.


Premier écueil : un système EUROSUR à optimiser
 
Le système EUROSUR n’est toujours pas en mesure d’apporter une connaissance complète et entièrement actualisée de la situation aux frontières extérieures de l’UE. Cela s’explique principalement par des problèmes de mise en œuvre, tels que le fait que tous les États membres ne signalent pas les événements se produisant aux frontières avec la même exhaustivité ou la même régularité.

A ce sujet, en ce qui concerne la connaissance de la situation, il sera envisagé de prendre des mesures qui fournissent un tableau de situation et une analyse des risques précis, complets et actualisés.
Cet objectif peut être atteint, par exemple, en incluant mieux les données d’évaluation de la vulnérabilité dans les produits d’analyse des risques et en poursuivant le développement d’EUROSUR.
Ces mesures feront l’objet d’une réflexion plus approfondie afin que ces produits analytiques puissent mieux soutenir la prise de décision opérationnelle.


Deuxième écueil : une dimension « Retour » à prendre davantage en considération

Outre la gestion des frontières extérieures, le règlement de 2019 charge explicitement Frontex de fournir une assistance technique et opérationnelle dans la mise en œuvre des mesures de retour. Or, il ressort de l’évaluation que la coopération entre l’Agence, les autorités nationales chargées des procédures de retour et la Commission européenne peut encore être améliorée.

Une autre constatation est que les autorités chargées des procédures de retour ne sont pas encore suffisamment représentées au sein du conseil d’administration.
À l’heure actuelle, les États membres au sein du conseil d’administration continuent d’être représentés principalement par leurs autorités nationales chargées de la gestion des frontières, qui ne sont souvent pas compétentes en matière de retour.
Les activités de retour occupent une place de plus en plus importante dans le nouveau mandat de l’Agence.
En conséquence, il est essentiel que le conseil d’administration assure un pilotage stratégique approprié des questions liées aux retours, avec la possibilité d’envisager également des discussions lors des réunions de la table ronde de haut niveau.


Troisième écueil : une réponse imparfaite concernant les profils spécialisés

L’évaluation note que la composition actuelle du contingent permanent doit être affinée pour correspondre davantage aux besoins opérationnels. Il existe des lacunes dans la disponibilité de certains experts et profils spécialisés.

Le réexamen conclut que l’évolution des tendances migratoires nécessite un déploiement souple et flexible de l’aide aux États membres, afin de combler les lacunes et de contribuer à gérer des situations inattendues.
Dans ce contexte, l’augmentation récente de la migration irrégulière met également en évidence la nécessité de lutter plus efficacement contre le trafic de migrants et la traite des êtres humains. En outre, les défis en matière de sécurité, qui vont du terrorisme aux menaces hybrides, sont en augmentation, comme en témoignent les derniers attentats en Europe.
Des cas d’instrumentalisation de la migration, qui sont des tentatives pour déstabiliser l’UE et ses États membres, ont également été signalés.
Pour ce faire, l’Agence doit davantage se tourner vers l’avenir et mieux prévoir les nouvelles tendances.
Les États membres, quant à eux, doivent répondre efficacement aux demandes de déploiement de personnel de l’Agence. Cela exige également que les profils spécifiques de certains membres du contingent permanent, qui définissent leur rôle opérationnel, puissent être adaptés à l’évolution de la situation.


Quatrième écueil : des points à clarifier concernant le statut

En outre, il convient de remédier à certaines limitations découlant du statut des fonctionnaires de l’UE qui ont une incidence sur l’efficacité du déploiement du personnel de catégorie 1 du contingent permanent, telles que les conditions de travail.
Le siège de l’Agence à Varsovie ne devrait compter qu’un nombre très limité de membres du contingent permanent affectés à des fonctions de soutien.

Les actions garantissant un niveau satisfaisant de formation répondant aux besoins opérationnels, en particulier pour la catégorie 1 du contingent permanent et l’efficacité des procédures de recrutement, sont particulièrement importantes.
En outre, il est aussi nécessaire d’examiner plus avant comment remédier à certains problèmes découlant du statut des fonctionnaires de l’UE, ou de ses règles d’exécution, pour le personnel du contingent permanent de catégorie 1 afin que le personnel statutaire en uniforme de l’Agence soit pleinement opérationnel.

Outre les problèmes recensés concernant sa formation, le personnel statutaire est également confronté à d’autres difficultés qui l’empêchent de faire pleinement usage de ses compétences.
Ces questions doivent également être abordées afin de garantir que le contingent permanent fonctionne de manière professionnelle et efficace.
Par exemple, les procédures d’accès aux bases de données nationales, les problèmes linguistiques et la dépendance à l’égard de l’État membre hôte dans plusieurs domaines administratifs et procéduraux limitent la capacité du personnel à travailler de manière indépendante.


Un défi à venir : le renforcement de la coopération avec Europol

 
La coopération de Frontex avec d’autres agences de l’UE, telles qu’Europol, et avec des pays tiers a été entravée dans une certaine mesure par des retards dans la mise en œuvre d’un cadre approprié de protection des données à caractère personnel permettant un échange efficace d’informations.
Les règles nécessaires en matière de protection des données ont été adoptées par le conseil d’administration de Frontex au début de 2024.

La coopération entre Frontex et Europol en particulier doit être intensifiée afin de renforcer la lutte contre le trafic de migrants et la traite des êtres humains.
La conclusion d’un arrangement de travail entre les deux agences, qui est en cours de négociation, facilitera notamment le transfert de données à cette fin.


Un autre défi à venir : le renforcement d’une vision stratégique


Le rapport indique qu’il importe de continuer à suivre l’évolution des besoins opérationnels afin de veiller à ce que le contingent permanent reste apte à réagir à la situation en constante évolution aux frontières extérieures de l’UE.
En outre, il est essentiel que l’Agence et les États membres mettent en œuvre le cycle stratégique d’orientation politique pluriannuel pour la gestion européenne intégrée des frontières et le processus connexe de planification intégrée des opérations et de planification d’urgence.

En outre, l’évaluation souline le fait qu’il est essentiel de garantir une vision stratégique à long terme, une planification et une prévisibilité pour les investissements clés dans les capacités au sein de l’Agence et des États membres.
À cette fin, il est clairement nécessaire d’élaborer et de mettre à jour régulièrement la feuille de route sur les capacités et les plans nationaux de développement capacitaire. Le processus de planification intégrée du corps européen de garde-frontières et de garde-côtes doit également être élaboré et mis en œuvre.
Cette étape est essentielle pour garantir des déploiements rapides et flexibles en fonction des besoins opérationnels.


synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr

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