« Le constat est unanime et sans appel : la France et l’Europe font face à une recrudescence importante des flux migratoires ». Voici le constat réalisé par le rapport d'information de l’Assemblée nationale. Particulièrement réaliste, il observe une transformation de la migration, notant désormais que les flux sont structurels et donc qu’ils s’inscrivent dans le temps long. Il souligne aussi le fait que ce « énième projet de loi » (devenue loi entretemps) ne modifiera qu’a la marge le cadre juridique existant. Surtout, il déplore le fait que cette nouvelle loi « immigration » se fait sans véritablement prendre en compte les bouleversements annoncés par les réformes induites par le cadre du « Pacte européen sur l’asile et la migration ». En d’autres termes, il regrette cette vision du problème migratoire en mode «bocal de poisson rouge» qui ni ne prend en compte les modifications à venir du droit européen, ni même n’utilise les marges de manœuvre offertes par ce même droit européen.
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Quel est le message essentiel de ce rapport ?
Les franchissements irréguliers enregistrés aux frontières extérieures sont passés d’environ 125 000 en 2020 à plus de 300 000 en 2022, soit une augmentation de 64 % par rapport à 2021, un chiffre jamais atteint depuis 2016. Cette dynamique haussière se confirme et tend même se renforcer en 2023.
Cette situation appelle des mesures fortes qui ne sont hélas pas au rendez vous du projet de loi présenté par le Gouvernement. La migration est un phénomène mondial et complexe qui touche tout le continent européen. C’est pourquoi la réponse nationale doit nécessairement s’inscrire dans un cadre européen renforcé permettant aux États membres de conserver la maîtrise de leurs frontières qui sont aussi celles de l’Union.
En matière migratoire, l’Europe ne doit pas constituer qu’un espace de contrainte : elle est aussi porteuse d’opportunités à condition de se saisir pleinement des outils qui sont offerts par le projet européen.
Une remontée de la vague migratoire
La route de la Méditerranée centrale constitue actuellement la route migratoire la plus active avec 131 600 traversées enregistrées sur les neuf premiers mois de l’année 2023, un chiffre qui lui non plus n’avait jamais été atteint depuis 2016. La seconde route la plus active est la route des Balkans occidentaux avec 80 000 passages enregistrés sur la même période.
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Quant à la demande d’asile, bien que son niveau n’atteint pas les chiffres enregistrés en 2015, il n’a jamais retrouvé celui d’avant crise (259 635 en 2010), ce qui confirme que l’Europe est confrontée à une nouvelle donne migratoire depuis 10 ans qui n’est pas seulement conjoncturelle.
7 millions d’étrangers en France, avec toujours plus de migrants
La hausse des flux migratoires en Europe est également une réalité en France. Le nombre d’immigrés résidant sur le territoire national s’élevait au 1er janvier 2021 à 7,0 millions, soit 10,3 % de la population totale. Cette part n’était que de 7 % il y a une vingtaine d'années. Si l’on ne comptabilise que les personnes étrangères, la proportion s’élève à 7,7 % de la population, soit 5,2 millions de personnes.
Cette hausse du nombre d’étrangers résidant en France résulte de l’augmentation de toutes les catégories d’immigration : légale, humanitaire et illégale.
Le nombre de premiers titres de séjour délivrés a ainsi augmenté de 17 % en 2022 par rapport à l’année 2021 pour atteindre le chiffre de 320 330, principalement portée par la hausse de la délivrance des titres de séjour en matière d’immigration de travail (52 000 titres, représentant une augmentation de 41 %) et à destination des étudiants étrangers (101 000).
La migration familiale, si elle fait l’objet d’une moindre augmentation (+2,5 %) continue toutefois de représenter une part substantielle de la délivrance de titres de séjour (95 500). Le nombre de visas délivrés connaît également une augmentation marquée de 137 % par rapport à 2021 et s’élève à 1 million 738 151.
Toujours plus de clandestins et de demandeurs d’asile en France
Le nombre de primo-demandeurs d’asile s’élève à 137 000 en 2022 soit 30 % de plus qu’en 2021. Au total, 16 % de toutes les demandes d’asile enregistrées en Europe ont été déposées en France.
La France est le second pays européen à avoir enregistré le plus de demandes d’asile sur l’année 2022, derrière l’Allemagne.
Si la migration irrégulière est par nature plus difficile à quantifier, elle a augmenté de 80 % en dix ans, passant de 210 000 en 2011 à 380 000 en 2021.
Il est, de surcroît, probablement inférieur à celui de clandestins réellement présents compte tenu de l’importance du non-recours, estimé à près de 50 %. Le ministre de l’intérieur a ainsi estimé « entre 600 000 et 900 000 » le nombre d’étrangers présents irrégulièrement sur le territoire national.
83 000 refus d’entrée sur le territoire français ont été pris en 2022, soit une hausse de 7 % par rapport à 2021. 2023 marque une nouvelle hausse, tout particulièrement à la frontière italienne.
Des taux d'expulsion à un niveau historiquement bas
Le rapport rappelle que le nombre de mesures d’éloignement exécutées en 2022 s’élevait à 15 400.
Si ce chiffre constitue une augmentation vis-à-vis des années 2020 et 2021, lesquelles ont été fortement touchées par l’impact de la crise du Covid-19, il demeure bien en deçà du niveau constaté en 2019 (23 746 éloignements) ou en 2018 (19 957).
Le rapport estimait ainsi qu’en 2021 le taux d’exécution des mesures d’éloignement s’élevait à 9,3 %. En 2021, seule la moitié des demandes de laissez-passer consulaire adressées par la France a donné lieu à une réponse positive dans les délais utiles à l’éloignement (53,7 %).
Ce taux d’exécution des mesures d’éloignement est faible dans l’ensemble des pays européens. Selon les données fournies par Eurostat, 21 % des 342 100 personnes qui ont fait l’objet d’une décision de retour au sein de l’UE ont été effectivement éloignées en 2021.
Ainsi, la France se situe en deçà de la moyenne européenne en termes de taux d’exécution mais demeure l’un des pays à avoir éloigné le plus d’étrangers en volume.
Rétablir le délit de séjour irrégulier sur une bande littorale pour dissuader les départs des côtes françaises
D'après le rapport, bien que les pouvoirs publics mènent une politique volontariste pour éviter la reconstitution de campements, la préfecture estime que 400 à 600 migrants sont recensés quotidiennement dans la ville de Calais.
Désormais, les passeurs privilégient les traversées par la mer via les « small boats ». Selon les chiffres de la préfecture, 45 700 migrants ont réussi à rejoindre la Grande-Bretagne par la mer en 2022, soit 30 fois plus qu’en 2019.
Cette situation conduit à la multiplication de drames humains engendrés par les naufrages et met sous forte pression les services de l’État en charge des opérations de recherche et de sauvetage en mer.
Le rapport est ainsi favorable à la réintroduction du délit de séjour irrégulier dans une bande littorale le long des côtes de la Manche, afin de permettre l’interpellation immédiate des étrangers en séjour irrégulier qui stationnent à proximité des points de départ des bateaux.
Cela aurait pour effet de rendre très difficile le travail des passeurs et d’éviter les traversées mortelles.
Utiliser les marges de manœuvre du droit européen, plutôt que de s’en plaindre
Selon le rapport, il est regrettable que soit présenté au Parlement un énième projet de loi sur l’immigration sans que soient évoqués les effets de l’adoption prochaine du Pacte sur l’asile et la migration alors même que cette réforme est susceptible d’avoir d’importantes conséquences sur la politique migratoire nationale et son cadre juridique, voire de nécessiter l’adoption d’un nouveau projet de loi.
D’abord, la politique nationale est fortement encadrée par le corpus juridique européen qui s’impose au législateur. L’Union européenne a en effet produit un nombre important de textes de droit dérivé sur le fondement de sa compétence en matière d’asile et d’immigration.
Ensuite, dans le contexte d’une forte reprise des flux migratoires, il convient que les autorités françaises utilisent pleinement les marges de manœuvre accordées par le droit de l’Union européenne.
Par exemple, la France se situe en deçà des possibilités prévues par le droit européen dans un certain nombre d’autres domaines, à l’instar des délais de placement en rétention. Ce délai fixé à 90 jours maximum par la loi du 10 septembre 2018, dite « asile et immigration » demeure bien en deçà des 18 mois permis par le droit de l’Union européenne.
Utiliser pleinement les marges de flexibilité : l’exemple à suivre des contrôles par la France aux frontières intra-Schengen
Le rapport note que le maintien des contrôles aux frontières intérieures doit constituer une priorité pour la France dans le contexte d’une pression migratoire accrue aux frontières extérieures de l’Union.
Il rappelle que la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures est prévue sur le fondement du Code Frontières Schengen (CFS) qui permet une réintroduction des contrôles pour une période de 30 jours renouvelable dans la limite de 6 mois en cas de menace pour l’ordre public ou la sécurité intérieure.
Il rappelle aussi qu’à la suite de la crise migratoire de 2011, les États membres ont demandé l’introduction d’une nouvelle clause de sauvegarde permettant le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures sur une plus longue durée.
Si la Cour de Justice a considéré que le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures ne pouvait pas dépasser une durée totale maximale de six mois, elle précise toutefois que l’État membre peut appliquer de nouveau une telle mesure, même directement après la fin de cette période de six mois, lorsqu’il est confronté à une nouvelle menace grave affectant son ordre public ou sa sécurité intérieure.
Or, l’exigence d’une menace nouvelle et distincte de celle initialement identifiée pour permettre l’activation des clauses de sauvegarde a fait l’objet d’une interprétation souple par les juridictions françaises.
Il est vrai que la conformité au droit de l’Union de cette interprétation est incertaine et la validité des mesures de contrôle aux frontières intérieures pourrait être remise en cause.
Toutefois, le rapport note qu’il est particulièrement important de faire valoir, dans le cadre de la réforme en cours du code frontières Schengen et les discussions institutionnelles à ce sujet, il serait possible de maintenir les contrôles aux frontières intérieures au-delà d’une période de deux ans et six mois en cas de circonstances particulières.
synthèse par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr
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