Cela semble être un jour sans fin. De nouvelles vagues de migrants déferlent sur l'Europe avec pour conséquence, le fait que la présidente de la Commission européenne présente un nouveau plan d'urgence. En réalité, les plans d'action européens se succèdent et une fois encore, la réaction des Etats membres n'est pas à la hauteur des enjeux. A voir les réponses actuelles des différentes chancelleries, il semble que la solidarité européenne, par le truchement d'une réaction commune et cohérente, fasse encore défaut face à une crise qui est tout sauf inédite. En effet, Frontex annonce dans ses derniers rapports une recrudescence de l'afflux de migrants. Le tout nouveau rapport dit "Analyse de risque", qui dresse un état très complet du phénomène d'entrées irrégulières, est à cet égard édifiant. En effet, un tel afflux, qui s'intensifie ces derniers mois, est massif. De surcroît, il se poursuit et, selon le rapport, il va perdurer au cours des prochains mois.
Un nombre d'entrées inédits depuis la grande crise de 2015
En 2022, année caractérisée à la fois par une forte pression migratoire et des flux de réfugiés, environ 332 000 franchissements illégaux des frontières à l’entrée ont été signalés par les États membres.
Il s’agit du plus grand nombre de franchissements illégaux de frontières détectés depuis 2016.
Les routes des Balkans occidentaux, de la Méditerranée centrale et orientale étaient les trois principales routes migratoires. Les migrants syriens, afghans et tunisiens étaient les nationalités les plus souvent signalées.
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Alors qu'en 2022, l'impact de la pandémie de COVID-19 sur les flux de passagers s'estompait et que la gestion des frontières européennes revenait donc, dans un certain sens, à la normale d'avant la pandémie, la guerre en Ukraine a entraîné le déplacement de population le plus rapide depuis la Seconde Guerre mondiale, avec environ 13 millions de personnes (migration circulaire incluse) sont entrés dans l’UE du 24 février jusqu’à fin 2022, dont la majorité étaient des femmes et des enfants.
Les frontières maritimes sous pression
Avec 147 982 détections signalées par les États membres, le chiffre de 2022 était également considérablement plus élevé, (+ 39 %), que le chiffre de 2019 avant la pandémie et le plus élevé pour ce type de frontière depuis 2017.
Alors que les corridors bien établis tels que les corridors libyen et tunisien en Méditerranée centrale ont enregistré les plus fortes augmentations absolues, les corridors émergents du Liban et de la Syrie vers la Méditerranée centrale ont connu des augmentations relatives incomparablement plus élevées, offrant des itinéraires alternatifs, en particulier aux migrants syriens.
Au total, la Méditerranée centrale, avec 105 561 entrées constatées (71 % de toutes les détections aux frontières maritimes), arrive en tête des routes migratoires maritimes, suivie par la route de l'Afrique de l'Ouest (15 463), les couloirs maritimes de la Méditerranée orientale (13 478). et la route maritime de la Méditerranée occidentale (13 257).
Le nombre de personnes vulnérables est en augmentation à la frontière maritime : en 2022, 20 276 mineurs, dont 14 073 non accompagnés, ont été recensés en Méditerranée centrale, soit le nombre le plus élevé jamais enregistré ces dernières années.
Une autre tendance importante est l’utilisation de navires plus navigables (mais pas plus sûrs), tels que les bateaux de pêche.
Selon les estimations de Frontex, ils ont été très lucratifs pour les passeurs.
Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), 2 406 migrants ont été portés disparus en Méditerranée en 2022, soit 17 % de plus qu’en 2021 (2 062).
Des frontières terrestres elles aussi fortement sous pression
Avec une augmentation de 110 % des détections par rapport à 2021, les détections à l’entrée signalées par les États membres aux frontières terrestres en 2022 (183 571) indiqueraient une augmentation proportionnelle beaucoup plus élevée de la pression migratoire par rapport aux frontières maritimes (+ 31 %).
La pression migratoire aux frontières terrestres reste la plus élevée depuis 2016, même si l’augmentation par rapport à 2021 est moins accentuée.
Une part considérable des 135 292 passages illégaux des frontières ont été signalés aux frontières avec la Serbie (74 % de tous les passages aux frontières terrestres).
L’instrumentalisation biélorusse de la migration s’est poursuivie en 2022, mais avec moins d’intensité.
Parallèlement, aux frontières avec l’Ukraine, 5 224 passages illégaux ont été enregistrés, avec un pic en mars 2022.
À l’avenir, les détections de franchissements illégaux aux frontières terrestres en 2023/2024 pourraient diminuer quelque peu par rapport à la période précédente, car d’une part, les frontières terrestres aux frontières extérieures de l’Europe sont de plus en plus couvertes par des obstacles techniques robustes ainsi qu’une surveillance et des déploiements accrus. de gardes-frontières (y compris les déploiements de Frontex dans le cadre de l'opération conjointe Terra).
La fraude documentaire comme vecteur de l'immigration irrégulière
La fraude documentaire reste un facteur clé des menaces aux frontières extérieures de l’UE.
En 2022, le nombre de documents frauduleux signalés au sein du réseau d’analyse des risques de fraude documentaire de l’Union européenne (EDF-RAN) a augmenté de 5 % par rapport à 2021.
Les États membres de l’UE/pays associés à Schengen ont détecté en 2022 un total de 19 341 utilisateurs de documents frauduleux (ou en possession de ceux-ci) et 26 249 documents frauduleux aux frontières extérieures de l’UE et lors de mouvements secondaires intra-UE/Schengen.
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Les passeports sont devenus le type de document frauduleux le plus signalé en 2022, avec une augmentation de 35 % par rapport à 2021.
Les aéroports internationaux d’Asie occidentale restent les principaux derniers points de départ des documents frauduleux détectés à l’entrée aux frontières aériennes extérieures de l’UE.
Des déplacements de migrants intraeuropéens à la hausse
En 2022, les États membres de l’UE et les Etats tiers associés à l'espace Schengen ont signalé le niveau de déplacements de migrants intraeuropéens (mouvements dts "secondaires") le plus élevé depuis 2016.
Les autorités ont enregistré 317 500 détections de ressortissants de pays tiers voyageant au sein de l’UE/de l’espace Schengen sans autorisation de séjour, soit 92 % de plus qu’en 2021.
Cette augmentation était principalement due à un plus grand nombre de migrants irréguliers détectés en route depuis la région des Balkans occidentaux vers des États membres de l’UE/pays associés à Schengen plus occidentaux et septentrionaux de l'UE.
La situation aux frontières extérieures de l’UE avec les pays des Balkans occidentaux est principalement alimentée par la migration de transit via la Méditerranée orientale et les arrivées dans les pays des Balkans occidentaux sur la base de leurs politiques de visa.
Selon Frontex, les raisons des mouvements secondaires sont multiples et difficiles à généraliser.
Bien que les taux de reconnaissance de l’asile pour certaines nationalités diffèrent fortement entre les États membres de l’UE et les Etats tiers associés à l'espace Schengen , il n’est pas clair dans quelle mesure cela pourrait encourager des mouvements secondaires.
Un (gros) problème (qui perdure): des toujours migrants non identifiés
Selon Frontex, un autre aspect important pourrait être les différences dans les conditions d’accueil et les facilités d’hébergement au sein des les États membres de l’UE et des Etats tiers associés à l'espace Schengen , qui jouent également un rôle pour les bénéficiaires.
La simple disponibilité d’un espace d’accueil en général ou pour des groupes particuliers (par exemple les personnes vulnérables) peut être cruciale.
Un enregistrement insuffisant après détection aux frontières extérieures de l’UE complique l’identification ultérieure des arrivées dans d’autres États membres de l’UE et Etats tiers associés à l'espace Schengen, et entrave leur transfert vers les pays qui devraient être chargés d’examiner la demande de protection internationale dans le cadre de la procédure de Dublin.
Cela facilite considérablement les mouvements secondaires.
En 2022, selon les données de l’agence eu-LISA, le nombre d’enregistrements Eurodac (catégorie 2) était inférieur de 42 % au nombre de passages illégaux détectés aux frontières extérieures de l’UE.
La pression migratoire qui affecte actuellement les frontières extérieures de l’UE reste élevée, notamment en termes d’arrivées sur la route de la Méditerranée centrale. Il est donc très probable que le niveau des mouvements secondaires reste élevé, voire augmente en 2023.
Des expulsions à la peine
Avec environ 86 000 retours effectifs de ressortissants de pays tiers, le chiffre de 2022 est quasiment inchangé par rapport à 2021 (+1,6 %).
Cette situation s'explique par des problèmes tels que la longueur des procédures administratives et judiciaires, les difficultés à empêcher la fuite, les ressources insuffisantes et la capacité administrative limitée pour donner suite aux décisions de retour.
En fait, les indicateurs disponibles relatifs à la gestion de la migration irrégulière montrent de grands écarts entre la migration irrégulière, les décisions négatives en matière d'asile et de retour, d'une part, et les retours effectifs, d'autre part.
Le niveau de coopération avec les autorités des pays d’Afrique de l’Ouest est plutôt faible, ce qui se traduit par peu de retours effectués par rapport au nombre de décisions de retour émises.
L’augmentation actuellement observée sur la route de la Méditerranée centrale, un important retard dans les décisions de retour en attente en 2022 et un niveau de coopération plutôt insuffisant et non durable avec les autorités des pays tiers laissent présager une augmentation du nombre de retours vers l’Afrique du Nord en 2023.
Un business florissant: le phénomène de la traite d'être humains
D’après les données d’Eurostat pour 2021, 41 % des victimes signalées de la traite étaient des ressortissants de pays tiers.
L'exploitation sexuelle (56 %) reste la forme de traite prédominante dans l'UE, suivie par l'exploitation économique (29 %).
Parmi les autres types d’exploitation signalés figurent la criminalité forcée, la mendicité forcée, la fraude aux allocations et le prélèvement d’organes.
Les femmes et les filles constituaient le groupe le plus important de victimes identifiées de la traite (68 %), tant parmi les ressortissants de l’UE que parmi les ressortissants de pays tiers.
L’augmentation des flux migratoires en 2022 a également accru le risque d’exploitation des personnes vulnérables en déplacement.
En général, les formes directes d’abus, par exemple le recours à la menace ou à la force lors d’activités de contrebande, sont plus faciles à identifier, mais les moyens de coercition plus subtils peuvent être moins évidents et difficiles à détecter.
De plus, les victimes peuvent ignorer qu’elles font l’objet d’un trafic, ce qui rend la détection de la traite aux frontières encore plus difficile.
Alors que les crises humanitaires et les conflits militaires augmentent le nombre de mineurs non accompagnés arrivant en Europe par les routes migratoires, le risque d’exploitation des enfants augmente considérablement.
Comme les années précédentes, le nombre élevé de mineurs non accompagnés sera l’une des principales préoccupations des États membres de l’UE en 2023.
Un risque persistant de la menace terroriste
Au moment de la rédaction de cet article, la menace posée par chacun des groupes affiliés aux réseaux ISIS et Al-Qaïda semble rester locale/régionale plutôt que mondiale.
Le contexte sécuritaire est encore compliqué par la reconfiguration militaire en cours dans la région – notamment après le départ des forces françaises et d’autres forces de l’UE en 2022.
En ce sens, la contre-insurrection brutale des mercenaires russes pourrait probablement mettre en péril les efforts antiterroristes passés, exacerbant encore davantage la spirale de la violence et facilitant – à long terme – le recrutement des djihadistes.
Cela dit, l’Afrique reste également très attractive pour les anciens FTF disposés à s’installer ailleurs après la défaite territoriale du califat, ou pour les recrues potentielles de l’UE souhaitant rejoindre des factions militantes dans la région, comme le démontrent certaines arrestations effectuées par les services de sécurité de l’UE en 2022.
Pour l’avenir, la menace découlant du terrorisme reste principalement liée aux zones de conflit.
Les entrées non détectées de personnes liées au terrorisme aux frontières extérieures resteront probablement préoccupantes pour la sécurité intérieure de l’Union.
Des perspectives peu réjouissantes
La migration irrégulière en 2023/2024 poursuivra probablement le rebond post-COVID-19 observé en 2022, car les facteurs d’incitation socio-économiques dans de nombreux pays d’origine sont exacerbés par le ralentissement économique mondial et la hausse de l’inflation.
Les populations réfugiées et migrantes accueillies dans des pays tiers à l’est et au sud de l’Europe deviennent de plus en plus impopulaires auprès des populations locales dont la tolérance à l’égard des étrangers est mise à rude épreuve par des conditions socio-économiques de plus en plus difficiles.
Compte tenu de l’ampleur de l’hostilité entre la Russie et l’Occident et de leur interdépendance réduite, la probabilité d’une instrumentalisation des migrants par la Russie et la Biélorussie s’est accrue.
Il est important de noter que l’instrumentalisation des migrants pourrait ne pas se limiter aux frontières terrestres orientales, car les alliés et mandataires de la Russie au sud et au sud-est pourraient être mis à profit.
Le nombre considérable d’armes à feu, de munitions et d’explosifs actuellement présents en Ukraine constitue une menace sérieuse pour les frontières extérieures et la sécurité intérieure.
Les armes restantes peuvent facilement tomber entre de mauvaises mains et devenir des produits illégaux largement commercialisés, même dans un avenir lointain.
La guerre a également un impact sur le marché des véhicules et des machines volés.
La destruction de véhicules et de machines industrielles et agricoles pourrait entraîner une demande de remplacement bon marché, qui pourrait être exploitée par des bandes criminelles.
traduction et synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr
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