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lundi 14 avril 2025

Refondation de la « directive retour » : le migrant expulsé va devoir (enfin) (et vraiment) coopérer à son rapatriement

 


C’est probablement un des textes législatifs les plus importants de l’année. Une proposition de règlement a été présentée qui toilette le dispositif actuel posé par la directive dite « retour » de 2008. Inadaptée aux circonstances actuelles, la directive est abrogée au profit de ce texte qui contient toute une série de nouveautés parmi lesquelles l’obligation explicite pour les candidats à l'expulsion de coopérer avec les autorités nationales à toutes les étapes de la procédure de retour, notamment donner leurs données biométriques, un dispositif renforcé pour éviter le risque de fuite, des règles procédurales spéciales applicables aux personnes présentant un risque pour la sécurité, l’instauration d’une décision de retour européenne qui complétera les décisions de retour des États membres, un mécanisme de reconnaissance des décisions rendues par un autre État membre et enfin, la possibilité de renvoyer les expulsés vers un pays tiers avec lequel il existe un accord ou un arrangement de retour (« plateformes de retour »).


Quel est le problème ?

À l'heure actuelle, seuls 20 % environ des ressortissants de pays tiers sommés de quitter l'Union le font effectivement. Les personnes sommées de quitter l'Union échappent fréquemment aux autorités, se dirigeant souvent vers d'autres États membres.
De plus, la mosaïque actuelle de 27 systèmes nationaux de retour différents, chacun avec ses propres approches et procédures, compromet l'efficacité des retours au niveau de l'Union. Cela exige une refonte complète de la législation actuelle relative à la politique de retour dans l'UE.

Quelles sont les difficultés rencontrées par le cadre juridique actuel ?

Au niveau de l'UE, la politique de retour est régie par la directive du 16 décembre 2008 (directive dite « retour »). Plusieurs défis compromettent actuellement l'efficience et l'efficacité des retours, allant de procédures inefficaces au niveau national à une coopération insuffisante des pays tiers pour la réadmission de leurs propres ressortissants.
La procédure de retour implique souvent de nombreuses autorités et acteurs et est devenue très complexe dans de nombreux États membres. 

La directive retour actuelle laisse une marge de manœuvre importante à la législation nationale pour mettre en œuvre les règles de l'UE et aux juridictions nationales pour les interpréter.
Les États membres signalent des problèmes liés au manque de clarté des règles et à la longueur des procédures administratives, qui compromettent le respect de la légalité.
Cela crée une ambiguïté et une incertitude pour les ressortissants de pays tiers concernés, ainsi que pour les autorités chargées de la gestion des retours.

Le manque de coopération des ressortissants de pays tiers, qui peuvent résister, fuir ou faire obstacle aux efforts de retour, rend difficile l'exécution des décisions de retour.
Les États membres sont confrontés à des difficultés pour suivre les ressortissants de pays tiers au cours des différentes phases des procédures de retour, ce qui ralentit, voire empêche, les progrès.   
Les systèmes et pratiques nationaux manquent de cohérence et il n’existe actuellement aucun processus structuré et systématique permettant d’identifier et d’accélérer le retour des ressortissants de pays tiers présentant des risques pour la sécurité.

Les nombreuses divergences entre les pratiques des États membres incluent également des approches différentes du processus de réadmission.
Cela a un impact direct sur la cohérence de l'approche de l'UE et des États membres en matière de réadmission à l'égard des pays tiers.
Bien que des progrès aient été réalisés en matière de retour volontaire, ces efforts sont entravés par l'absence d'une politique crédible de retour forcé.
De plus, les ressortissants de pays tiers sommés de quitter le territoire d'un État membre et qui fuient vers un autre ne subissent actuellement que peu de conséquences : dans la plupart des États membres, la procédure de retour reprend avec une nouvelle décision de retour.
Cela compromet les décisions prises dans le respect des garanties procédurales dans le premier État membre, ce qui entraîne un contournement pratique du système de retour.

D’où vient-on ?

Depuis l'adoption de la directive « retour » en 2008, l'espace de liberté, de sécurité et de justice et la politique migratoire de l'Union ont connu une réforme majeure. Le droit de l'UE dans le domaine de la migration est passé d'une législation comportant des normes minimales à un rapprochement des pratiques des États membres, notamment par l'élaboration d'actions opérationnelles et pratiques et d'un soutien concret, vers une approche plus cohérente au niveau de l'UE.
La Commission a cherché proactivement à rationaliser les pratiques afin d'améliorer l'efficacité des retours, notamment par le biais de recommandations de 2017 et 2023, et de la stratégie de l'UE de 2021 sur le retour volontaire et la réintégration.  La Commission a nommé un coordinateur pour les retours, soutenu par un réseau de haut niveau pour les retours.
Le Conseil européen a constamment souligné la nécessité d'une politique unifiée, globale et efficace en matière de retour et de réadmission. En octobre 2024, il a invité la Commission à soumettre d'urgence une nouvelle proposition législative sur les retours.
Dans le cadre du Pacte, les demandes d'asile seront traitées plus rapidement et plus efficacement. Pour que cela soit durable, les retours doivent intervenir rapidement, afin d'éviter que nos systèmes ne soient submergés, que des personnes ne soient laissées dans l'incertitude et que les tentatives de circulation ultérieure au sein de l'UE ne soient entravées.   


Pourquoi cette proposition ?

La réforme des règles de retour est une priorité et un objectif politiques depuis 2018, lorsque la Commission a présenté sa proposition de refonte de l'actuelle directive « retour ». Une proposition de directive modifiant la directive retour a été présentée le 12 septembre 2018. Les parties restantes de l'initiative de 2018 n'ont pas reçu un soutien suffisant pour que les négociations soient menées à bien par les colégislateurs et devraient donc être retirées.

Bien que le nouveau règlement relatif à la procédure de retour à la frontière soit entré en vigueur dans le cadre de la législation du Pacte, les règles générales de retour sont toujours régies par la directive « retour » de 2008, qui n'est plus adaptée.
Cette proposition remplace la proposition de directive du 12 septembre 2018, qui est retirée.
Elle vise à amener les règles de retour au même niveau d’ambition que le reste du cadre juridique de la gestion des migrations et des frontières, afin de créer un lien transparent et une continuité entre les différentes étapes du processus de gestion des migrations dans l’Union.


Premier axe : définir les obligations de coopération du migrant expulsé

Le manque de coopération du ressortissant de pays tiers lors des procédures de retour constitue un obstacle majeur au retour.
La présente proposition introduit donc une obligation explicite pour les ressortissants de pays tiers de coopérer avec les autorités nationales à toutes les étapes de la procédure de retour, notamment pour établir et vérifier leur identité en vue d'obtenir un document de voyage valide, et pour fournir des informations personnelles, des informations de voyage et des données biométriques.
Les règles proposées précisent les implications de cette coopération et les conséquences en cas de non-coopération, ainsi que des mesures incitatives pour garantir cette coopération, notamment des conseils en matière de retour et un soutien au retour volontaire.
Afin de garantir que le ressortissant de pays tiers soit correctement informé de ce qui est attendu de lui dans le cadre de la procédure de retour, la proposition prévoit le droit à l'information du ressortissant de pays tiers, en s'appuyant sur certaines pratiques des États membres.
Elle reprend des dispositions similaires introduites par le règlement relatif aux procédures d'asile. Le système prévoit la possibilité de contester certaines décisions et d'accéder à des voies de recours.


Deuxième axe : gestion et prévention des fuites et des mouvements irréguliers entre les États membres (flux secondaires)

La proposition prévoit des règles renforcées pour garantir la disponibilité des ressortissants de pays tiers faisant l'objet d'une procédure de retour, en créant un système plus performant pour évaluer et gérer le risque de fuite. Elle introduit une liste exhaustive des motifs de rétention, garantissant une approche cohérente et uniforme entre les États membres.
Les règles qui complètent l'obligation de coopération, afin de garantir la disponibilité de la personne renvoyée tout au long de la procédure, reflètent en partie les solutions convenues en matière d'asile prévues dans les actes juridiques composant le Pacte, par exemple la possibilité d'exiger du ressortissant de pays tiers qu'il reste dans un lieu géographique précis, tel qu'une région.


Troisième axe : retours de ressortissants de pays tiers présentant des risques pour la sécurité

Les ressortissants de pays tiers n'ayant pas le droit de séjourner dans l'Union et présentant un risque pour la sécurité doivent être rapidement identifiés et rapatriés.
La proposition prévoit donc une obligation générale pour les autorités compétentes de procéder aux vérifications nécessaires dès le début de la procédure de retour afin de faciliter l'identification et de vérifier tout risque potentiel pour la sécurité.
La proposition définit certaines catégories de ressortissants de pays tiers relevant du champ d'application des règles procédurales spéciales applicables aux personnes présentant un risque pour la sécurité, par exemple lorsqu'une infraction d'une certaine gravité a été commise.
Ces ressortissants de pays tiers seront soumis à un retour forcé, à des interdictions d'entrée plus longues et à un motif de rétention distinct.
Ces règles reflètent et alignent les règles relatives au retour sur la législation du Pacte récemment adoptée, ainsi que sur le Code frontières Schengen, qui contiennent tous des dispositions spécifiques concernant les migrants présentant des risques pour la sécurité.


Quatrième axe : décision de retour européenne

Si les États membres continueront de prendre leurs propres décisions de retour, la proposition introduit une décision de retour européenne, qui complétera les décisions de retour des États membres afin d'assurer la clarté entre eux. La décision de retour européenne, formulaire commun reprenant les éléments clés de la décision de retour, sera disponible via le Système d'information Schengen.


Cinquième axe : mécanisme de reconnaissance des décisions rendues par un autre État membre

Tirant les enseignements tirés de la mise en œuvre de la recommandation de la Commission de 2023 sur la reconnaissance mutuelle des décisions de retour, cette proposition introduit une simplification procédurale importante en prévoyant un mécanisme permettant d'exécuter directement une décision de retour rendue par un autre État membre.
En vertu des règles actuelles, la plupart des États membres ont l'obligation de prendre une nouvelle décision de retour à l'encontre de la personne concernée, même si un autre État membre a déjà pris une décision de retour. Cette proposition permet de supprimer une étape du processus et d'éviter les doublons.


Sixième axe : retour vers un pays avec lequel il existe un accord ou un arrangement de retour

La proposition introduit la possibilité de renvoyer les ressortissants de pays tiers ayant fait l'objet d'une décision de retour vers un pays tiers avec lequel il existe un accord ou un arrangement de retour (« plateformes de retour »).
Un tel accord ou arrangement doit définir les modalités de transfert, ainsi que les conditions de la période de séjour du ressortissant de pays tiers dans le pays, qui peut être de courte ou de longue durée. Un tel accord ou arrangement doit être assorti d'un mécanisme de suivi permettant d'évaluer sa mise en œuvre et de prendre en compte toute évolution de la situation dans le pays tiers.


Septième axe : réadmission comme partie intégrante du processus de retour

La proposition intègre la réadmission comme partie intégrante du processus de retour.
Elle établit une approche procédurale commune pour la soumission des demandes de réadmission, notamment au moyen d'un formulaire standard pour les demandes de réadmission et du suivi systématique des décisions de retour avec les demandes de réadmission.
Elle renforce la transparence et la coordination de l'approche à l'égard des pays tiers en matière de réadmission, tout en préservant la flexibilité des États membres.
 

synthèse par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr

 

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