L'installation des caméras est un débat qui fait rage en France. Il s'agit d'une controverse hautement sensible dont l'issue est pourtant cruciale tant en termes de sécurité, de protection des libertés ou de finances publiques. Suite au billet "Vidéosurveillance : la "CNIL européenne" épingle l'UE pour défaillance", securiteinterieure.fr voudrait faire le point sur les discussions en cours, en vous présentant les arguments des différents camps et en faisant une synthèse des points de vue.
Que disent les élus ?
Schématiquement,
les élus plutôt de droite disent que :
- les caméras sont un procédé efficace vis-à-vis d’une délinquance en hausse constante (par exemple, concernant la ville de Nice, la vidéosurveillance intelligente, associée à la géolocalisation en temps réel de tous les équipages de la police municipale, aurait permis de faire reculer en 2011 les agressions sur la voie publique de 9 % et les cambriolages de 10 %;
- les caméras de surveillance s’inscrivent dans le cadre d’une réponse globale de l’Etat (et des communes) destinée à réduire l’insécurité, en lien avec d’autres mesures (mise en place de patrouilleurs et développement de la police municipale notamment);
- la sécurité est la première des libertés et la vidéosurveillance permet de concrétiser cette première liberté.
Pour un exemple, voir des articles sur la ville de Cannes ou sur le village du Beausset dans le Var.
Les
élus plutôt de gauche (pour un contre-exemple voir la ville de Grenoble où la vidéosurveillance fait partie des projets du maire "ayant abouti") affirment que les caméras sont un procédé inefficace
et attentatoire aux libertés. Ce discours, qui rejoint le point de vue défendu
par les associations de protection des droits de l’Homme et de la vie privée (par exemple la LDH-France), s’axe
autour de la dénonciation d’une « Big
Brotherisation » de la société. Pour un exemple, voir les propos des élus repris dans un article sur la ville de Lille.
Que disent les criminologues ?
Les
partisans de l’installation des caméras s'inscrivent dans un courant de pensée
en faveur d’un développement de la vidéosurveillance au sein d’un système global où la technologie
est une arme décisive contre la délinquance. Cette
vision relève :
- d’une logique de prévention situationnelle au sens où la mise en place d’une série de mécanismes (vidéosurveillance, fermeture des espaces, rondes policières, etc.) contribue à rendre le coût du crime plus élevé, les avantages tirés plus faibles et les risques d’échec plus grands;
- d’une logique proactive où il s’agit de surveiller des individus suspects avant qu’ils ne passent à l’acte. La vidéosurveillance entre dans le cadre d’efforts plus vastes de ciblage des individus menaçants (comme les terroristes en contrôlant les discussions sur le web grâce à des supermoteurs de recherche intelligents travaillant à partir de mots clés).
Les
adversaires remettent en cause l’efficacité globale :
- de nombreuses études montrent une efficacité contestable (voir l'article de Sébastian Roché ou l'article de Tanguy Le Goff) pour un coût démesuré (surtout à l’époque où la France est en crise et où des restrictions budgétaires s’imposent, ce que les élus de gauche (et certains de droite) évoquent aussi : des efforts financiers trop importants);
- certaines études montrent que les mesures de prévention situationnelle ont pour effet de reverser la délinquance sur les quartiers non équipés (idem pour les rondes citoyens : la délinquance sévit dans les quartiers où il n’y a pas de « voisins vigilants »). En somme, le problème se déplace plus qu’il ne disparaît.
Que disent les juristes ?
Les
partisans de la mise en place de caméras soulignent l’idée d’une loi « bouclier » :
le droit encadre l’usage des caméras en prévenant et en sanctionnant les abus.
C’est dans cette optique que s’inscrit la dernière en date, la loi sur la sécurité de mars 2011 (LOPPSI ou lopsi 2). La loi et le juge sont garants des libertés.
Les
détracteurs soulignent l’idée que la loi est au service d’une idéologie
sécuritaire. Les mesures prévues par les différentes lois sur la sécurité sont attentatoires
aux libertés publiques et elles sont
disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi (lutter contre la délinquance
et réduire le sentiment d’insécurité dans la population).
Que disent les sociologues ?
Ce sont en général les plus critiques :
- la vidéosurveillance, à supposer qu’elle soit efficace vise un type de public particulier. Elle est discriminante comme le sont les contrôles policiers. Elle s’apparente à une surveillance au faciès. En effet, la logique proactive requiert de cibler les individus suspects avant leur passage à l’acte. Or, certaines catégories sont particulièrement visées (comprenez les jeunes d’origine étrangère);
- la vidéosurveillance est une nouvelle forme de contrôle social. Elle contribue à une construction sociale de la déviance. Elle participe à créer des catégories suspectes et à reproduire les classes sociales (ce sont en général les catégories sociales défavorisées qui sont en ligne de mire au motif qu’elles sont particulièrement criminogènes). C’est la rhétorique des classes dangereuses;
- la logique de prévention situationnelle prévaut au détriment d’autres formes de prévention sociale. Ainsi, le Fonds de prévention de la délinquance (FIPD) sert davantage à financer des projets technologiques à travers l’installation de caméras, plutôt que des projets sociaux;
- la vidéosurveillance s’inscrit dans le cadre d’un discours anxiogène. La présence des caméras rassure autant qu’elle inquiète. Ces caméras rassurent les citoyens. Ceux-ci se sentent en sécurité sous l’œil électronique protecteur. En même temps, ces caméras inquiètent car elles rappellent que la criminalité est présente et menace de frapper à tout instant.
- le débat sur la vidéosurveillance est aussi un débat économique. C’est un marché juteux et il existe un intense lobbying des fournisseurs de caméras (voir une vidéo à ce sujet sur OWNI). Ce lobby pointe l’idée d’une délinquance grandissante… sauf là où les caméras sont installées (pour un exemple, voir le site video-surveillance-marseille.fr). Cette communication autour des « success stories » vise à donner une vision positive du public de ce procédé. En soi, ce débat rappelle le débat actuel sur la création d’une carte d’identité à puce (débat sur le fichier des honnêtes gens). Voir l’interview du chercheur Pierre Piazza dans Libération reprise sur le site de Laurent Mucchielli.
Et que dit l’Union européenne ?
La question de la vidéosurveillance est d’abord une question nationale. C’est l’application du principe de subsidiarité qui veut que l’Union n’interviennent que là où elle a une valeur ajoutée. Cependant, ce développement s’opère sous le regard bienveillant de l’UE. Le Conseil de l’UE a en effet adopté l’année dernière des conclusions préconisant le recours aux procédés de prévention situationnelle (et donc indirectement le texte avalise la vidéosurveillance).
L'avis de securiteinterieure.fr
La France découvre la problématique alors que les Anglais
ont une longueur d’avance (et pour cause, la vidéosurveillance est très
développée chez eux et ce, depuis de nombreuses années). Les études anglo-saxonnes
sont donc déjà très étoffées (surtout les "Surveillances studies") . A titre
personnel une chose m’a choquée au cours de la lecture de l’une de ces
études: les surveillants scrutent dans l’espace public autant les individus
suspects que les jeunes femmes aux formes généreuses (la fonction « zoom »
est, semble-t-il, très appréciée !).
Pour aller plus loin :
- l’article de Laurence Dumoulin, Séverine Germain et Anne-Cécile Douillet, « Une petite entreprise qui ne connaît pas la crise. Le succès de la vidéosurveillance au regard de la littérature internationale », Champ pénal/Penal field [En ligne], Vol. VII | 2010;
- l'Étude réalisée par Tanguy Le Goff avec la collaboration de Virginie Malochet (Mission études sécurité) et de Tiphaine Jagu, "Surveiller à distance. Une ethnographie des opérateurs municipaux de vidéosurveillance" (présentation du CESDIP)
- l'ouvrage de Stéphane Leman-Langlois (dir.), Sphères de surveillance, Les Presses de l'Université de Montréal, 2011, ISBN-10: 2760622665
- l'ouvrage d'Alain Bauer, François Freynet, Vidéosurveillance et vidéoprotection, Paris, Presses universitaires de France, Collection : Que sais-je ?, ISBN : 978-2-13-056728-8
- l'ouvrage de Jean-Jacques Lavenue, Bruno Villalba (dir.), Vidéo-surveillance et détection automatique des comportements anormaux. Enjeux techniques et politiques, Villeneuve d'Ascq, PU du Septentrion, 2011, 294 p., ISBN : 9782757402146
- l'ouvrage d'Armand Mattelart, La globalisation de la surveillance : aux origines de l'ordre sécuritaire, Paris, La Découiverte, 2009, ISBN : 2707156256
Et parmi les sites critiques sur la vidéosurveillance celui de :
- Laurent Mucchielli (page sur la vidéosurveillance)
- Bugbrother (J.-M. Manach)
- La LDH-Toulon (page sur la vidéosurveillance)
- Vous avez dit sécurité ?
- Souriez vous êtes filmés
A visiter également :
Ce billet est une version longue d'une contribution au débat "La vidéosurveillance est-elle efficace ?" publiée sur Newsring.
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