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mardi 3 mai 2022

Migration illégale : Frontex constate un emballement des chiffres des entrées alors qu'Europol fait état de réseaux criminels particulièrement déterminés et résilients

 



Avis de tempête sur le front de la migration clandestine. A l'heure où le ministère de la Défense britannique fait état d'un nombre significatif de traversées de la Manche (215 en seulement 24h début mai), Frontex observe dans son dernier rapport trimestriel une envolée des chiffres des entrées illégales sur un an : frontière terrestre orientale (+714%), Manche (+190%) et Méditerranée orientale (+132 %).

Des migrations illégales sont orchestrées par des criminels plus agiles et plus déterminés. Voilà ce qui ressort en substance du dernier rapport annuel de l’unité d’Europol (EMSC) chargée de l’analyse du phénomène de trafic de migrants vers et en Europe. 

A noter que ces deux rapports interviennent sur fond:


Des réseaux criminels plus agiles et plus déterminés

2021 a vu une augmentation des activités de contrebande sur toutes les principales voies d’acheminement en Europe. Europol a assisté à une forte augmentation après plusieurs années de baisse constante du nombre de personnes entrées clandestinement dans l'Union européenne. Les restrictions imposées en lien avec la pandémie de COVID-19 semblent n'avoir eu aucun impact sur les activités criminelles des passeurs. De nouvelles routes émergentes, de nouvelles technologies et de nouveaux modes opératoires ont forcé les forces de l'ordre à être mieux préparées et plus vigilantes que jamais.

Les réseaux criminels impliqués dans le trafic de migrants sont adaptables et réactifs aux changements de leur environnement. Ils sont flexibles dans les itinéraires et les modes opératoires utilisés. En outre, les criminels planifient leurs itinéraires en capitalisant sur les infrastructures existantes telles que la disponibilité de la logistique de transport, les restrictions de voyage, la présence des forces de l'ordre ou les conditions météorologiques.


Le recours intensif aux solutions technologiques par les passeurs

Les passeurs de migrants coopèrent fréquemment entre eux, à la fois entre les pays et sur divers segments des itinéraires de trafic. Au fil du temps, de nombreux facilitateurs ont construit leur propre réseau et acquis des connaissances sur le commerce criminel, leur permettant d'opérer indépendamment des groupes criminels plus importants ou plus importants.

Les chefs des réseaux de passeurs peuvent organiser à distance le commerce criminel, en profitant des opportunités offertes par Internet et les solutions numériques déjà omniprésentes. Les solutions et plateformes numériques gratuites et populaires, telles que les médias sociaux et les applications mobiles, sont fréquemment utilisées à diverses fins telles que la publicité, le recrutement, la communication, la coordination, l'orientation, le transfert d'argent ou la surveillance des activités de la police aux frontières.

Bien que les bénéfices globaux restent difficiles à estimer, de nombreux exemples indiquent la nature lucrative du trafic de migrants. Certains passeurs exigent des paiements anticipés, tandis que d'autres utilisent le modèle commercial de paiement à l'utilisation ou reçoivent leur rétribution une fois arrivés à destination. 


Chypre, la nouvelle plaque tournante des passeurs

Les réseaux de passeurs ont continué à utiliser principalement les trois routes d'entrée méditerranéennes (centrale, orientale et occidentale) et la route d'Afrique de l'Ouest pour acheminer illégalement des migrants en situation irrégulière dans l'UE.

Cependant, quelques changements ont été observés. Les arrivées par voie maritime à Chypre ont triplé en 2021, remplaçant la Grèce comme principale zone de débarquement sur la route de la Méditerranée orientale. 

La pression migratoire exercée à la frontière orientale, aux confins de la Biélorussie a mis en évidence la flexibilité et la réactivité des passeurs dans l'UE. Les réseaux ont rapidement concentré leurs efforts sur la zone et sur les mouvements secondaires qui s’en sont suivis. Ainsi, certaines des routes se sont prolongées hors de l'UE, les passeurs facilitant la migration irrégulière vers le Royaume-Uni. Les ressortissants irakiens figuraient parmi les principales nationalités passées en contrebande sur cette route.


Une hausse spectaculaire des traversées vers l’Italie

Le trafic de migrants vers l'Italie a presque doublé en 2021 par rapport à l'année précédente. Les passeurs ont continué à organiser des départs depuis la Libye et la Tunisie dans des bateaux en caoutchouc, en bois ou en fibre de verre. Parallèlement, la contrebande de groupes plus importants de diverses nationalités (afghanes, iraniennes, irakiennes, pakistanaises et syriennes) de la Turquie vers l'Italie à bord de navires de plaisance et de pêche a considérablement augmenté.

Les frais de contrebande pour cette route sont passés d'une moyenne de 6 000 euros à 12 000 euros par personne, ce qui en fait l'une des routes les plus chères vers l'UE. Les réseaux criminels employaient fréquemment des ressortissants ukrainiens pour diriger les navires de la Turquie vers l'Italie.

Les réseaux criminels opérant à partir des pays d’origine d'Afrique de l'Ouest font partir les migrants en partance vers l’Europe à partir du Maroc, du Sahara occidental et du Algérie. En 2021, ces groupes ont acheminés ces migrants aux îles espagnoles et en l'Espagne continentale. Le modus operandi utilisé par les contrebandiers opérant dans la zone impliquait, dans sa dernière étape, la traversée de la mer Méditerranée sur des vedettes rapides ou des navires hors d’état de naviguer.

Une caractéristique des réseaux criminels actifs le long de la route d'entrée de la Méditerranée occidentale est la dimension polycriminelle observée dans leurs activités de contrebande. Souvent, les réseaux criminels impliqués dans la contrebande de produits illicites – drogues, tabac, biens volés – sont également impliqués dans le trafic de migrants, profitant de l'infrastructure logistique déjà en place.


Les Balkans occidentaux, la principale porte d'entrée pour les mouvements secondaires 

Les mouvements secondaires sont phénomène diversifié, dynamique et souvent multidirectionnel. Ils sont soutenus par la demande continue des migrants irréguliers bloqués dans l'UE. Les routes partant des premiers points d'entrée dans l'UE (Italie, Espagne, Grèce, Chypre et, récemment, Lituanie et Pologne) vers des pays de destination tels que la France et l'Allemagne, continuent d'être empruntées par des réseaux de passeurs actifs sur des mouvements secondaires.

En outre, bon nombre de ces mouvements secondaires se poursuivent à la sortie de l'UE, où les passeurs facilitent l'acheminement des migrants vers le Royaume-Uni. 

Les Balkans occidentaux restent des points critiques pour les mouvements secondaires : les réseaux criminels offrant de manière proactive leurs services aux migrants irréguliers dans la région - en particulier dans les lieux où beaucoup d'entre eux se rassemblent, tels que les centres d'accueil et les centres de transport régionaux.

En outre, l'utilisation de véhicules destinés à faciliter les mouvements secondaires par voie terrestre à travers les États membres de l'UE est le principal mode opératoire. Elle est souvent associée à des méthodes de dissimulation dangereuses. Les moyens de transport variaient des voitures aux camionnettes, en passant par les (mini)bus, les camions, les remorques, les camping-cars ou les taxis. 


Une action fondée sur le partenariat : une collaboration fructueuse en voie d’élargissement 

En 2015, au plus fort de la crise migratoire en Europe, Europol a mis en place un centre de surveillance pour surveiller et rendre compte des flux migratoires vers les pays de l'UE. L'objectif était de générer et de mettre à jour en permanence le renseignement sur les mouvements migratoires. Il s’agit ainsi de permettre aux pays de destination les plus touchés dans l'UE de se préparer aux arrivées attendues de migrants irréguliers et aux activités de criminalité organisée connexes. Au cours des dernières années, l'attention de ce centre, l’EMSC, s'est déplacée vers une vision plus générale du renseignement sur le trafic de migrants et la traite des êtres humains.

Le large éventail de partenariats d'Europol dans la lutte contre la criminalité organisée reflète cette nouvelle réalité du trafic de migrants et de la traite. L'EMSC poursuit sa collaboration avec les États membres par le biais de l'équipe spéciale de liaison conjointe. Dans le cadre de l'Information Clearing House (ICH), Europol collabore avec Frontex, INTERPOL et, les opérations navales EUNAVFORMED et Irini. Par ailleurs, l'équipe opérationnelle conjointe Mare continue d'apporter son soutien aux enquêtes ciblant les réseaux criminels liés à la contrebande maritime et aux mouvements secondaires facilités par la mer. Europol étend ses enquêtes numériques grâce à l’appui apporté par l'unité de référence Internet de l'UE (EU IRU) d'Europol. L’office explore également d'autres possibilités de coopération avec l'Agence de l'UE pour l'asile et l'Agence européenne pour la sécurité maritime (EMSA) dans le cadre du cycle EMPACT.

A titre d’exemple, entre le 8 et le 12 novembre 2021, Europol et Frontex ont soutenu des actions internationales menées à grande échelle contre la traite impliquant 29 pays et effectuées par les autorités autrichiennes et roumaines. Ces actions visaient à lutter contre la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle, la criminalité forcée et la mendicité forcée. Plus de 14 000 agents ont ciblé les itinéraires de trafic sur les routes et dans les aéroports. Il en est résulté 212 arrestations et l'identification de 89 suspects. Les journées d'action se sont déroulées sous l'égide du mécanisme EMPACT.


Focus sur la frontière biélorusse : une action de démantèlement des médias sociaux

La réponse opérationnelle d'Europol à la crise émergente à la frontière avec la Biélorussie comprenait des déploiements rapides :

  • d'agents en Lituanie,
  • de personnel de l'EMSC en Lituanie et en Pologne. 

L'EMSC, en collaboration avec l'unité de référence Internet de l'UE (EU IRU), a ciblé les publications sur les réseaux sociaux. Cette activité a impliqué les autorités répressives de Lituanie, de Lettonie, d'Estonie, de Finlande, de Pologne et d'Allemagne et a visé 455 comptes de médias sociaux.

Les activités se sont concentrées sur la collecte de contenu en ligne faisant la promotion des services de trafic de migrants du Bélarus vers l'Europe. Elles ont couvert les comptes de médias sociaux faisant la publicité de la facilitation illicite et la vente de documents d'identité, de passeports ou de visas contrefaits. Ces comptes ont été renvoyés aux fournisseurs de services en ligne avec la demande de les examiner par rapport aux conditions de service. Beaucoup ont été fermés à la suite du processus.


Focus sur la Manche : une action de renseignement sur les traversées illégales

Alors qu'au cours des dernières années, les camions ont été le principal moyen de transport utilisé par les passeurs pour faciliter les migrations irrégulières de l'UE vers le Royaume-Uni, les petits bateaux sont devenus le modus operandi prédominant pour traverser la Manche en 2021. Près de 50 000 migrants irréguliers ont tenté de traverser la Manche. Près de la moitié des traversées ont réussi, la plupart d'entre eux ayant été facilités par des réseaux criminels et des passeurs.

Afin de lutter contre ce phénomène, une action commune a été lancée dans le cadre du plan d'action opérationnel EMPACT 2021. L'action, menée par la France et codirigée par Europol, aux côtés de la Belgique et d'Eurojust, se poursuit en 2022. 

Europol a déployé du personnel de l’EMSC dans la cellule conjointe de renseignement mise en place entre la France et le Royaume-Uni. Il soutient l’équipe belge dénommée «Team Transit» destinée à lutter contre le phénomène. L'EMSC d'Europol a mis en place le projet "La Manche" pour collecter de manière exhaustive des données sur le phénomène et pour coordonner les activités opérationnelles associées. Europol continue à suivre les développements dans la région et informe ses partenaires par le biais de rapports d'analyse stratégique réguliers sur le sujet.


Et que dit Frontex sur la situation en Manche ?

Le nombre de migrants en situation irrégulière cherchant à traverser la Manche vers le Royaume-Uni jusqu'à présent cette année a presque triplé par rapport à il y a un an pour atteindre plus de 8 900, la moitié d'entre eux ont été empêchés de partir et l'autre moitié ont été secourus par les autorités britanniques.
Les patrouilles terrestres et les activités de surveillance aérienne ont détecté 55 % des départs et ces moyens travaillant ensemble sont des facteurs clés qui permettent la détection précoce et la prévention des traversées maritimes.


Et pour le reste, Frontex note une aggravation de la situation

Le premier trimestre de cette année a été le plus chargé en termes de franchissements illégaux aux frontières extérieures de l'UE depuis la crise migratoire de 2016. Les réfugiés fuyant l'Ukraine et entrant dans l'UE par les points de passage frontaliers ne font pas partie des chiffres des entrées illégales détectées. Les calculs préliminaires de Frontex montrent que plus de 40 300 passages illégaux ont été détectés entre janvier et mars 2022, soit 57 % de plus qu'il y a un an.

Au mois de mars, près de 11 700 migrants en situation irrégulière ont été enregistrés aux frontières extérieures de l'UE, soit 29 % de plus qu'au même mois de 2021.

Les routes migratoires les plus actives sont :

  • Frontière terrestre orientale (+714%)
  • La Manche (+190%)
  • Méditerranée orientale (+132 %)
  • Balkans occidentaux (+115%)
  • Route Afrique de l'Ouest (+70%)


(cliquez sur l'image pour agrandir)



Une explosion des chiffres du côté de la frontière terrestre orientale

Au premier trimestre de l'année, la frontière terrestre orientale a connu la plus forte augmentation parmi les routes migratoires. Cela était dû au fait que certains citoyens ukrainiens cherchaient à franchir illégalement la frontière entre les points de passage frontaliers, bien qu'une grande majorité d'Ukrainiens soient arrivés légalement par des points de passage frontaliers réguliers. Le nombre total de détections a été multiplié par sept pour atteindre plus de 950.

Au cours du seul mois de mars, le nombre de détections de passages frontaliers illégaux dans la région a été multiplié par 12 pour atteindre plus de 600.

Quant à la route des Balkans occidentaux, elle a représenté près de la moitié de tous les passages frontaliers illégaux au cours des trois premiers mois de cette année. Le chiffre total pour la période janvier-mars a plus que doublé pour atteindre plus de 18 300.

Au mois de mars, le nombre de migrants irréguliers détectés dans la région a presque triplé pour atteindre 6650. Les principales nationalités détectées étaient syriennes et afghanes.


Le retour de la vague migratoire en Méditerranée orientale

La route de la Méditerranée orientale a vu le nombre d'arrivées de migrants irréguliers plus que doublé au cours de la période janvier-mars pour atteindre plus de 7 000. 100 (sur 7 005 détections pour toute la route Méditerranée Orientale).

Au mois de mars, le nombre total de migrants détectés a également doublé pour atteindre près de 3 250. Les principales nationalités détectées étaient des Nigérians et des Congolais.

Le nombre de détections sur la route ouest-africaine a augmenté de 70 % au premier trimestre pour atteindre environ 5 850, même si le total pour le seul mois de mars a chuté des deux tiers par rapport à il y a un an, à quelque 360. Les principales nationalités détectées étaient marocaines et guinéennes.


synthèse et traduction des deux textes par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr



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