La lutte contre le discours de haine occupe le haut du pavé. Face à la multiplication des contenus haineux, le Parlement français a adopté, le 24 juin 2020, le loi "Avia" visant à lutter contre les contenus haineux sur internet. Europol a, quant à lui, mis en garde dans son dernier rapport sur l'état de la menace terroriste, un risque grandissant de radicalisation en ligne. Il y a quelques mois, les experts invités dans une conférence organisée par la présidence slovène ont mis en évidence l'ampleur alarmante des discours de haine. C'est dans ce contexte qu'une communication a été présentée et qui fait écho au discours du Président Macron détaillant les priorités de la présidence française de l'UE. L'objectif? Poser les bases d'un élargissement de la législation pénale destinée à harmoniser les crimes et délits commis commis dans ce contexte.
De quoi parle-t-on ?
La Commission européenne entend proposer d’élargir la liste des domaines de criminalité de l’UE, pour y inclure les discours de haine et les crimes de haine.
D’après elle, le besoin urgent de combattre les discours et crimes de haine dans toute l’UE appelle un engagement et des efforts conjoints.
Dans cette communication, la Commission invite le Conseil, avec l’approbation du Parlement européen, à donner suite à la présente initiative et à décider d’ajouter les discours et crimes de haine dans la liste des infractions prévues par la législation de l’UE.
À cet effet, ce texte est accompagnée d’une initiative de la Commission proposant l’adoption d’une décision du Conseil, conformément à l’article 83, paragraphe 1, du TFUE.
Une fois la décision du Conseil adoptée, la Commission sera habilitée à présenter des propositions législatives visant à incriminer les discours et crimes de haine à l’échelon de l’UE.
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Un constat inquiétant
Les discours et crimes de haine ont fortement augmenté au cours des dernières décennies. La haine se banalise et cible des personnes ou des groupes de personnes qui partagent ou sont perçues comme partageant «une caractéristique commune», telle que la race, l’origine ethnique, la langue, la religion, la nationalité, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle,et l’identité de genre.
L’usage accru de l’internet et des médias sociaux a également contribué à l’augmentation des discours de haine en ligne au fil des années. L’effet désinhibant des outils en ligne facilite la diffusion rapide de ces discours dans le monde numérique, car l’anonymat présumé sur l’internet et le sentiment d’impunité réduisent l’inhibition qui empêcherait normalement de commettre de telles infractions.
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Dans le même temps, les émotions et les vulnérabilités sont de plus en plus souvent exploitées, notamment à des fins politiques dans le débat public, pour faire circuler des propos et des attaques racistes et xénophobes, fréquemment amplifiés par les médias sociaux.
On voit la haine se répandre dans les publics potentiellement vulnérables, en prenant des formes très diverses d’extrémisme violent, qui vont du djihadisme aux extrémismes de droite et de gauche.
La société est ainsi devenue polarisée et les discours de haine contre les groupes marginalisés, en particulier, se sont multipliés.
La pandémie de COVID-19 comme facteur aggravant
La crise de santé publique causée par la pandémie de COVID-19 a exacerbé les sentiments d’insécurité, d’isolement et de peur, créant ainsi une atmosphère dans laquelle les discours de haine ont prospéré. Divers mouvements idéologiques extrémistes ont profité de la pandémie pour cibler des populations spécifiques, ce qui a également donné lieu à des crimes de haine.
Cette pandémie a créé un climat dans lequel les discours de haine ont prospéré, générant «une avalanche de haine et de xénophobie». Europol souligne que les attitudes se sont durcies et que les actes d’intimidation — y compris les appels à commettre des actes violents — sont davantage tolérés depuis la pandémie de COVID-19 et les crises économique et sociale qui en ont résulté.
Dans son rapport annuel pour 2020, l’ECRI faisait état de l’exposition accrue de certains groupes, accusés d’être les principaux vecteurs de propagation du virus, aux discours de haine et à la violence motivée par la haine.
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crises majeures
La pandémie a également mis en relief les tensions intergénérationnelles et a provoqué, sur les réseaux sociaux, une résurgence de messages hostiles, ayant le caractère de discours de haine, à l’encontre des personnes âgées.
Ces dernières, qui sont une catégorie de population vulnérable, ont été davantage la cible d’injures pendant la pandémie et eu plus de risques d’être victimes de discours de haine et de crimes de haine.
Empêcher la pyramide de la haine
Les discours de haine peuvent causer non seulement des conflits, mais aussi des crimes de haine. Des études montrent qu’il existe une «pyramide de la haine» ou une «escalade du mal», qui commence par des actes basés sur des préjugés (harcèlement, moqueries, déshumanisation, etc.) et des discriminations (par exemple économiques, politiques), puis évolue vers une violence motivée par des préjugés, telle que le meurtre, le viol, l’agression, le terrorisme, l’extrémisme violent, jusqu’au génocide.
Des recherches montrent aussi que les discours de haine sur les médias sociaux entraînent davantage de crimes contre les minorités dans le monde réel. Des recherches indiquent un lien entre des tweets ciblés et discriminatoires publiés dans une ville et le nombre élevé de crimes de haine dans cette ville. Les Nations unies soulignent que «l’incitation à la violence envers des communautés ou des personnes en raison de leur identité peut ouvrir la voie à des atrocités criminelles [...] et en est à la fois un signe avant-coureur et un indicateur de risque».
D’où vient-on ?
Cette présente initiative s’inscrit dans un ensemble plus large d’actions de l’UE visant à lutter contre les discours de haine illégaux, les idéologies extrémistes violentes et le terrorisme en ligne.
Dans sa recommandation de 1997, le Conseil de l’Europe avait déjà considéré le discours de haine comme une incitation à la haine visant des personnes ou des groupes définis par certaines caractéristiques protégées.
Au niveau de l’UE, la décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal est déjà en place pour apporter une réponse commune forte aux discours et crimes de haine à caractère raciste et xénophobe.
La décision-cadre vise à faire en sorte que les manifestations graves de racisme et de xénophobie soient passibles de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives.
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La lutte contre les discours de haine illégaux, les idéologies extrémistes violentes et le terrorisme en ligne a été renforcée par :
- le code de conduite de l’UE pour la lutte contre les discours haineux illégaux en ligne,
- le règlement relatif à la lutte contre la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne,
- le forum de l’UE sur l’internet.
La directive «Services de médias audiovisuels» impose aux États membres de veiller à ce que les plateformes de partage de vidéos prennent des mesures efficaces non seulement contre la diffusion de contenus enfreignant la décision-cadre, mais aussi contre les discours haineux fondés sur l’un des motifs visés à l’article 21 de la Charte.
De quoi parle-t-on ?
Cette présente initiative appuiera
- le plan d’action de l’UE contre le racisme 2020-2025,
- la stratégie de lutte contre l’antisémitisme et de soutien à la vie juive dans l’UE.
- la stratégie en faveur de l’égalité de traitement à l’égard des personnes LGBTIQ pour la période 2020-2025,
- la stratégie en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes 2020-2025.
- la stratégie en faveur des droits des personnes handicapées 2021-2030, la stratégie relative aux droits des victimes 2020-2025,
- les conclusions du Conseil de mars 2021 sur l’intégration du vieillissement dans les politiques publiques.
D’autres actions de l’UE visant à lutter contre les discours de haine illégaux, les idéologies extrémistes violentes et le terrorisme en ligne sont également en préparation ou en projet :
- la proposition de la Commission relative à une législation sur les services numériques prévoit une réforme globale visant à garantir la sécurité des utilisateurs en ligne, en imposant l’obligation de lutter contre les contenus illicites et de gérer les risques systémiques.
- l’actualisation, en 2022, de la stratégie européenne pour un Internet mieux adapté aux enfants visera à protéger les enfants contre les menaces en ligne, notamment le cyberharcèlement et les discours de haine.
Des lacunes du droit de l’UE
Le droit de l’Union ne prévoit pas de définition juridique du discours de haine et du crime de haine en tant que tels.
La décision-cadre établit des définitions pénales des formes les plus graves de racisme et de xénophobie.
Le crime de haine au sens de la décision-cadre est une infraction pénale (infraction de base) autre que le discours de haine, commise avec une motivation raciste ou xénophobe (mobile discriminatoire).
Or, l’élément de haine est une caractéristique intrinsèque des discours et crimes de haine. La haine pousse à dévaloriser et menacer la dignité humaine d’une personne ou d’un groupe. Elle nie leur égalité en tant que membres de la société.
L’incrimination des discours de haine et des crimes de haine a pour objectif fondamental et commun de combattre cette haine, qui réunit ces deux catégories d’infractions au sein d’un même «domaine de criminalité». L’ajout des discours et crimes de haine comme nouveau domaine de criminalité permettrait à la Commission de proposer, dans une seconde phase, des dispositions de droit dérivé qui porteraient spécifiquement sur les évolutions et problèmes sociétaux dans ce domaine, au fur et à mesure de leur apparition et de leur évolution future.
Une mobilisation substantielle des États membres…
Face à la gravité des incidences décrites ci-dessus, les États membres ont décidé d’incriminer certaines formes de discours de haine et de crimes de haine.
Les États membres ont aussi incriminé explicitement les discours de haine fondés sur d’autres caractéristiques protégées:
les discours de haine fondés sur l’orientation sexuelle sont incriminés dans 20 États membres, dont la France,
ceux fondés sur le sexe ou le genre le sont dans 17 États membres, dont la France.
En outre, les discours de haine fondés sur :
le handicap sont incriminés dans 14 États membres, dont la France,
l’âge dans 6 États membres.
De surcroît, 8 États membres ont incriminé (en lieu et place ou en complément) les discours de haine sans définir les caractéristiques protégées des groupes, laissant ouvert le débat autour de l’incrimination des discours de haine afin de protéger tout groupe minoritaire ou toute partie de la population.
Les crimes de haine sont eux aussi largement incriminés dans les États membres, soit en tant qu’infraction autonome pour des crimes spécifiques, soit en tant que circonstance aggravante générale pour tous les crimes commis avec une motivation discriminatoire.
Mais la nécessité d’aller plus loin grâce aux outils du droit européen
La dimension transfrontière des discours et crimes de haine est attestée par la nature et l’incidence de ces phénomènes ainsi que par l’existence d’un besoin particulier de les combattre sur des bases communes.
Il est particulièrement nécessaire de combattre les discours de haine et les crimes de haine sur des bases communes.
Cette initiative est présentée sur le fondement de l’article 17, paragraphe 1, du TUE. Elle le fait conformément à la procédure en deux phases prévue à l’article 83, paragraphe 1, du TFUE.
Dans la première phase, le Conseil adopte à l’unanimité, après approbation du Parlement européen, une décision identifiant les discours et crimes de haine comme un autre domaine de criminalité qui remplit les critères visés à l’article 83, paragraphe 1, du TFUE.
Une telle décision étendra la liste des domaines de criminalité énumérés à l’article 83, paragraphe 1, du TFUE, pour y inclure les discours et crimes de haine à titre d’infractions de l’UE.
Il existera ainsi une base juridique permettant au Parlement européen et au Conseil d’établir, au moyen de directives, des règles minimales relatives à la définition des infractions et sanctions pénales dans ce domaine de criminalité.
Dans une seconde phase, la Commission peut présenter des propositions de directive établissant des règles minimales relatives à la définition et à la sanction des discours de haine et des crimes de haine, en vue de leur adoption par le Parlement européen et le Conseil selon la procédure législative ordinaire.
Une fois la décision du Conseil adoptée, la Commission procédera à une analyse d’impact afin d’évaluer minutieusement les différentes possibilités envisageables pour définir les infractions pénales et les sanctions, ainsi que leurs incidences sur les droits fondamentaux, en particulier sur la liberté d’expression et la liberté de la presse et des médias, qui constituent des fondements solides d’une société démocratique.
synthèse et traduction du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr
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