Alors que la criminalité environnementale s’adapte et s'aggrave, le cadre juridique européen va faire l'objet d'une modernisation. Le but ? Dépoussiérer la directive de 2008 en vue de permettre aux normes pénales de répondre aux enjeux actuels. Plus exactement, une communication est sur la table, qui est la première étape afin d'assurer une amélioration dans la répression à l'échelle de l'UE des infractions environnementales en faisant que les États membres placent la lutte contre ce type de criminalité au premier rang de leurs priorités et en évitant l'effet dit "Delaware" : les criminels organisent leur activité dans l’État où la répression est la plus faible et ce, même si le cadre législatif s'est globalement amélioré au niveau de l’Union.
La criminalité environnementale, quatrième activité criminelle au monde
La criminalité environnementale, source de préoccupation croissante, cause des dommages considérables à l’environnement et à la santé humaine au sein de l’Union et hors de ses frontières, ainsi qu’à l’économie.
Selon Interpol et le Programme des Nations unies pour l’environnement, la criminalité environnementale représente la quatrième activité criminelle au monde après le trafic de stupéfiants, la traite des êtres humains et la contrefaçon, et elle augmente de 5 % à 7 % par an.
Eurojust classe le trafic illicite de déchets et d’espèces sauvages, la criminalité liée à la pollution et le commerce illicite de substances dangereuses parmi les crimes les plus graves contre l’environnement .
Des études récentes estiment que les revenus annuels tirés du seul marché illicite des déchets dans l’Union se situent entre 4 et 15 milliards d’euros.
Malgré les préjudices qu’ils occasionnent, bien souvent, les auteurs de ces crimes courent de faibles risques d’être découverts et s’exposent à des poursuites et à des peines encore plus faibles, alors qu’ils tirent un avantage financier à contourner les mesures de protection de l’environnement.
Cette situation contribue à expliquer l’implication d’organisations criminelles dans ce type d’activités illicites.
D’où vient-on ?
L’adoption, en 2008, de la directive relative à la protection de l’environnement par le droit pénal a constitué une étape importante en ce qui concerne la reconnaissance du rôle du droit pénal dans la protection efficace de l’environnement. Cette directive a permis de faire en sorte qu’un ensemble d’infractions environnementales graves, arrêtées d’un commun accord, soient considérées comme des crimes dans tous les États membres de l’Union.
En mai 2017, dans le cadre du cycle politique permanent de l’UE pour lutter contre la grande criminalité organisée, le Conseil a inscrit la lutte contre la criminalité environnementale parmi les priorités en matière de lutte contre la criminalité pour la période 2018-2021. En 2021, cette priorité a été renouvelée pour la période 2022-2025.
En outre, en 2019, à la suite d’un cycle d’évaluations mutuelles sur la mise en œuvre pratique et le fonctionnement des politiques européennes en matière de prévention et de lutte contre la criminalité environnementale, le Conseil a élaboré un rapport contenant une série de recommandations, portant (entre autres) sur l’adoption de stratégies nationales, la coopération et la coordination interinstitutionnelles, la formation et les statistiques.
Quels sont les problèmes constatés ?
Il ressort de l’évaluation effectuée par la Commission en 2020 que la directive de 2008 présente des limites et des lacunes importantes.
Cette directive, qui n’a pas été actualisée au regard de l’évolution du droit de l’environnement de l’Union, s’avère inadaptée aux enjeux actuels. Par exemple, elle ne couvre pas des catégories d’infractions telles que le commerce illicite du bois ou le recyclage illicite de navires.
En ce qui concerne ses effets pratiques, la directive exige, en des termes assez généraux, que la législation nationale comporte des dispositions relatives aux sanctions pénales; elle ne prévoit rien concernant les niveaux et les types de sanctions à adopter, ni sur les questions liées à la détection ou à la poursuite des infractions environnementales.
En outre, les définitions des infractions environnementales et des notions essentielles employées dans la directive, telles que la «dégradation substantielle», devraient être clarifiées.
L’évaluation montre également que le niveau des sanctions varie grandement d’un État membre à un autre et que leur application dans la pratique n’est pas dissuasive. Aucune amélioration nette de la coopération transfrontière n’a été observée depuis l’entrée en vigueur de la directive.
1er axe : Mettre à jour et affiner la liste des infractions pénales
La Commission propose que la directive de 2008 soit révisée afin mettre à jour la liste des infractions pénales couvertes par la directive.
Il s’agit d’ajouter de nouvelles infractions afin de refléter l’évolution du droit de l’environnement de l’Union et de mieux faire face aux activités illicites les plus dommageables.
Les nouvelles catégories d’infractions proposées comprennent:
- le commerce illicite du bois;
- le recyclage illicite de navires;
- le captage illicite d’eau entraînant une dégradation substantielle des ressources en eau;
- les infractions graves à la législation de l’Union sur les produits chimiques entraînant une dégradation substantielle de l’environnement ou de la santé humaine;
- la mise sur le marché de produits qui, en violation d’exigences impératives, entraîne une dégradation substantielle de l’environnement,
- le rejet de substances polluantes par des navires;
- les infractions graves à la législation relative aux espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union;
- le contournement grave des exigences relatives à l’obtention d’autorisations de projet et à la réalisation d’une évaluation des incidences sur l’environnement, entraînant une dégradation substantielle;
- les infractions graves liées au traitement des gaz à effet de serre fluorés.
2e axe : Renforcer les dispositions relatives aux sanctions pénales
Les dispositions proposées concernant le rapprochement des types et des niveaux de sanctions renforceront leur effet dissuasif de celles. Des sanctions et mesures auxiliaires sont proposées afin que les juges et procureurs nationaux disposent d’une panoplie d’instruments leur permettant d’imposer des sanctions adaptées à chaque cas. Les dispositions relatives aux circonstances aggravantes permettront d’imposer des sanctions plus efficaces, notamment en tenant compte des liens avec la criminalité organisée, des antécédents des auteurs en matière de respect des règles et des entraves aux contrôles et à l’exécution.
3e axe : Combiner un éventail de mesures répressives d’ordre administratif ou pénal.
Le recours au droit pénal s’inscrit en fin de compte dans un objectif plus large, à savoir garantir le respect général de la législation environnementale de l’Union. Toutes les infractions au droit de l’Union doivent être punies, et pas seulement celles qui justifient des sanctions pénales. C’est la raison pour laquelle les propositions législatives de la Commission comportent des dispositions relatives aux sanctions.
Pour être en mesure de déterminer le type de sanction approprié dans chaque situation, il importe de pouvoir choisir au cas par cas.
Dans certains cas, on décidera d’engager des poursuites contre une infraction environnementale; dans d’autres, on optera pour des sanctions administratives. Il peut être nécessaire d’appliquer à la fois des mesures relevant du droit administratif et du droit pénal, par exemple lorsqu’une activité constituant un comportement délictueux donne également lieu à une obligation de réparation des dommages environnementaux, pour autant que ces mesures n’équivalent pas à une double peine.
4e axe : Soutenir la chaîne répressive
L’application effective du droit pénal dépend des capacités, des compétences et des performances de chaque maillon d’une chaîne liant entre eux les rôles des inspections de l’environnement, des forces de police et des autres services répressifs, du parquet et du pouvoir judiciaire.
La proposition prévoit l’adoption de stratégies nationales ayant comme priorité commune de mobiliser les efforts en vue de lutter le plus efficacement possible contre la criminalité environnementale.
La Commission cherchera à soutenir la chaîne répressive:
- en encourageant les réseaux professionnels volontaires à utiliser le forum sur le respect de la législation environnementale et la gouvernance environnementale pour échanger leurs idées sur le fonctionnement de la chaîne pénale;
- en soutenant le recours au renseignement géospatial et à l’intelligence artificielle pour recueillir et rassembler des éléments probants, telles que l’élimination illicite des déchets et la destruction d’habitats protégés;
- en améliorant la part consacrée au droit pénal de l’environnement dans le programme de formation continue pour la coopération avec les juges et procureurs nationaux, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Union;
- en promouvant la plateforme pluridisciplinaire européenne contre les menaces criminelles (EMPACT).
En outre, la Commission étudiera la possibilité d’étendre le mandat de l’OLAF dans la législation sectorielle, afin qu’il puisse mener des enquêtes administratives concernant des infractions environnementales.
Il est essentiel que les États membres contribuent eux aussi à soutenir la chaîne répressive au niveau de l’Union, notamment en permettant à leurs professionnels de participer aux réseaux volontaires européens et en encourageant une telle démarche.
Sans cela, il sera plus difficile de garantir une approche cohérente et uniforme de la lutte contre la criminalité environnementale dans l’ensemble de l’Union.
5e axe : Tirer parti des connaissances des professionnels des services répressifs
Le Réseau européen de formation judiciaire (REFJ) dispense une formation de qualité et fournit des connaissances essentielles dans le domaine concerné aux praticiens de la justice. Les huit séries d’évaluations mutuelles menées à bien par le Conseil sont une illustration de la façon dont ces connaissances peuvent être mises à profit. Il en va de même pour l’approbation, en 2021, par le forum sur le respect de la législation environnementale et la gouvernance environnementale d’orientations relatives à la lutte contre la criminalité environnementale. Cette approbation est le fruit d’une collaboration approfondie entre la Commission, les États membres et les réseaux professionnels..
La Commission s’efforcera de jouer son rôle:
- en diffusant et en promouvant activement les travaux déjà réalisés en collaboration avec les professionnels, notamment par l’intermédiaire du Réseau européen de formation judiciaire;
- en encourageant les réseaux de professionnels à définir les sujets de préoccupation et à fournir des conseils pratiques sur la manière de les traiter.
6e axe : Soutenir les défenseurs de l’environnement, les lanceurs d’alerte et les victimes
La lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages bénéficie amplement du travail d’organisations non gouvernementales (ONG) spécialisées qui percent à jour les crimes, recueillent les éléments permettant de les qualifier et en dénoncent les effets.
Plus généralement, la société civile, dont font partie un certain nombre d’ONG, joue un rôle essentiel en alertant les autorités sur des problèmes tels que l’élimination illicite des déchets.
Les lanceurs d’alerte peuvent jouer un rôle crucial pour mettre au jour le comportement criminel des entreprises. La toute première stratégie de l’UE relative au droit des victimes (2020-2025) porte, entre autres, sur les victimes de la criminalité environnementale, notant que celles-ci peuvent être particulièrement exposées aux risques de victimisation secondaire, d’intimidations et de représailles, notamment si les infractions sont le fait de la criminalité organisée.
La Commission cherchera à soutenir davantage les défenseurs de l’environnement, les lanceurs d’alerte et les victimes:
- en encourageant le recours au règlement LIFE pour les projets impliquant la participation des défenseurs de l’environnement, en vue de lutter contre la criminalité environnementale;
- en encourageant les États membres à disposer de systèmes efficaces de traitement des plaintes permettant aux membres de la société civile de signaler en toute sécurité des infractions environnementales aux autorités compétentes.
- en veillant à ce que la proposition de législation soit adoptée, contre les recours abusifs visant les journalistes et les défenseurs des droits notamment les défenseurs de l’environnement.
7e axe : Développer la responsabilité des entreprises et garantir le respect du principe du pollueur-payeur
Parallèlement aux travaux sur la criminalité environnementale, la Commission:
- procédera à la deuxième évaluation de la directive 2004/35/CE sur la responsabilité environnementale, afin d’examiner de quelle manière améliorer l’application du principe du pollueur-payeur aux dommages environnementaux.
Si les deux directives (la directive relative à la protection de l’environnement par le droit pénal et la directive sur la responsabilité environnementale) visent à renforcer la protection de l’environnement, la première concerne les infractions individuelles à la législation environnementale, tandis que la seconde traite des mesures correctives à mettre en place afin de réparer les dommages environnementaux; - présentera, comme annoncé dans son programme de travail pour 2021, une proposition législative sur la gouvernance d’entreprise durable afin de favoriser un comportement durable et responsable à long terme des entreprises.
8e axe : agir au plan international
La Commission et le haut représentant prévoient:
- de promouvoir la lutte contre la criminalité environnementale au niveau international, notamment en travaillant avec le Programme des Nations unies pour l'environnement et dans le cadre d’accords multilatéraux en matière d’environnement;
- de réviser le plan d’action de l’Union contre le trafic d’espèces sauvages à la lumière de l’expérience acquise jusqu’à présent dans sa mise en œuvre;
- d’approfondir la coopération avec les pays partenaires afin de réduire la criminalité liée aux espèces sauvages (dont le braconnage) et la criminalité forestière, par exemple en renforçant les capacités des parties prenantes concernées tout au long de la chaîne de valeur/d’approvisionnement, des détaillants jusqu’aux négociants et aux consommateurs internationaux;
- d’apporter un soutien aux pays partenaires de l’Union à la mise en œuvre des accords environnementaux multilatéraux en matière de déchets et de pollution, à l’amélioration des réglementations et au renforcement des capacités pour les faire appliquer;
- d’élaborer des solutions pour la mise en place, dans les pays du voisinage et les pays partenaires de l’Union, de programmes de formation à la prévention et à la lutte contre la criminalité environnementale, destinés tant aux forces de l’ordre qu’aux professionnels de la justice.
- de continuer à aider les partenaires de l’Union relevant des politiques d’élargissement et de voisinage – par exemple par des actions de renforcement des capacités – à lutter contre la criminalité environnementale. C’est le cas au moyen d’inspections environnementales plus efficaces et de mesures répressives du droit administratif et du droit pénal.
synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr
A lire également: Damien Roets, Naissance du droit pénal européen de l'environnement (à propos de la directive 2008/99/CE du parlement européen et du conseil du 19 novembre 2008 relative à la protection de l'environnement par le droit pénal), Revue Européenne de Droit de l’Environnement, 2009.
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