Pages

jeudi 8 février 2024

Coopération policière à la frontière française : les difficultés s’accumulent

 


Suite (et pas fin) du très intéressant du rapport de la Cour des comptes consacré à la politique de lutte contre l’immigration irrégulière.  La Cour s’intéresse à la coopération policière et force est de constater que les problèmes s’accumulent : soutien trop timide apporté par Frontex à la France, sous-investissement de la France dans le fonctionnement de l’agence, unités mixtes frontalières à l’effectif trop modeste, segmentation préjudiciable douanes / police aux frontières, pilotage éclaté à la frontière, etc.


Que reproche en substance la Cour des comptes ?

Selon la Cour des Comptes, les coopérations avec les pays limitrophes sont encore limitées. L’agence Frontex apporte un soutien réduit, car elle est compétente uniquement sur la surveillance des frontières extérieures de l’espace Schengen. La France est en revanche le deuxième contributeur au budget de Frontex (10 %), après l’Allemagne (16 %), mais sous-utilise les possibilités de se faire rembourser certaines opérations.


Par ailleurs, malgré des moyens significatifs engagés pour la surveillance des frontières aériennes, maritimes et terrestres, l’organisation des gardes- frontières n’est pas suffisamment optimisée : les prérogatives respectives de la police aux frontières et des douanes diffèrent, sans que ces disparités ne soient toujours justifiées ; les synergies opérationnelles sont encore insuffisantes tandis que la répartition des tâches, en particulier sur un plan géographique, est historique et ne s’est pas adaptée aux évolutions des enjeux de sécurité et des flux migratoires.


Problème 1 : un soutien trop timide apporté par Frontex à la France

Le soutien apporté par Frontex à la France concerne plusieurs domaines :

  • la sécurisation des frontières aériennes : en 2022, 62 gardes- frontières européens ont été déployés dans des aéroports hexagonaux ;
  • l’opération Opal Coast avec l’affrètement d’un avion de surveillance pour détecter les tentatives de traversée de la Manche. En 2022, elle a permis la détection de 70 personnes étrangères ;
  • l’assistance à la mise en œuvre de retours forcés au travers l’organisation de vols groupés. 50 opérations ont été réalisées en 2022.

 
Ces appuis, utiles lors de pics d’activité, restent assez anecdotiques par rapport aux moyens déployés par la France. Cela s’explique notamment par le fait que Frontex n’a pas vocation, conformément à ses statuts, à intervenir sur les frontières intérieures de l’Union.


Problème 2 : Un sous- investissement de la France dans le fonctionnement de Frontex

Dans le sens inverse, le règlement du 13 novembre 2019 prévoit des contributions obligatoires des États membres dans le cadre de la création d’un corps de   gardes-frontières   et   de   gardes-côtes   européens   de 10 000 effectifs. D’ici 2027, la France est censée fournir 170 agents détachés pour une durée de deux ans prolongeables (catégorie 2) et 624 détachements de courte durée (catégorie 3).
Or, la France peine d’ores et déjà à honorer ces cibles. Selon la police aux frontières, les détachements de longue durée ne sont pas assez attractifs car les policiers perdent leurs droits à congés et certaines primes et bonifications. De plus, le salaire proposé au siège de Frontex à Varsovie est inférieur à une partie des salaires des policiers français. En conséquence, l’agence attire plutôt des policiers provenant d’États- membres aux salaires plus faibles, notamment de Grèce et de Roumanie.


Problème 3 : Des unités mixtes frontalières à l’effectif trop modeste

Les centres de coopération policière et douanière (CCPD) ont pour objectif de favoriser l’échange de renseignement et la coopération directe entre services de pays limitrophes dans les zones frontalières. Dans l’Hexagone, les 10 CCPD regroupent 212 policiers, gendarmes et douaniers français, collaborant avec 245 personnels étrangers. La police des étrangers représente environ 35 % de leur activité, deuxième domaine le plus mobilisateur après la police judiciaire (40 % en moyenne). Des CCPD existent aussi en outre-mer, à l’instar du CCPD franco-brésilien de Saint-Georges-de-l’Oyapock en Guyane.
Par ailleurs, la France développe les unités mixtes frontalières. Elle a créé avec l’Allemagne, en 2020, et l’Italie, en 2021, des brigades mixtes spécifiques à l’immigration irrégulière sur la zone frontière terrestre.

Pourtant, chaque unité dispose d’un effectif modeste (une quinzaine de policiers dont 60 % de Français) et leurs résultats sont inégaux : en 2022, la brigade franco-allemande a contrôlé 17 872 personnes, alors que, sur les 10 premiers mois de 2022, la brigade franco-italienne a eu une activité plus de  deux fois moins intense (6 698 personnes contrôlées). En parallèle, des dispositifs plus souples de patrouilles conjointes sont organisés, avec l’Italie (depuis 2022, huit agents), l’Espagne (depuis 2015, huit agents) et la Suisse (depuis 2014, quatre agents).


Problème 4 : une segmentation douanes / police aux frontières  préjudiciable

Actuellement, la France compte 126 points de passage frontalier (PPF) (82 aériens, 33 maritimes et 11 terrestres), dont 77 sont tenus par les douanes, 45 par la police aux frontières et quatre par la gendarmerie de l’air (bases aériennes militaires).
Néanmoins, la répartition des PPF est historique et présente aujourd’hui de nombreuses incohérences.
 
Depuis avril 2021, un groupe de suivi interministériel a été créé. Cependant cette structure interministérielle ne s’est réunie qu’une fois par an depuis lors et n’a pas proposé une nouvelle répartition des PPF entre les deux directions.

En outre, lorsque la police aux frontières et les douanes assurent leurs missions traditionnelles de surveillance générale et de contrôle des biens et des personnes déjà entrés sur le territoire national (par exemple dans le cadre de patrouilles dynamiques, de points de contrôle aux péages autoroutiers, etc.), la divergence de prérogatives handicape leur mission de lutte contre l’immigration irrégulière. Ainsi, à la frontière franco-italienne de Menton, le contrôle des véhicules de moins de neuf places est restreint pour la police aux frontières mais pas pour les douanes. Cela impose de réaliser des patrouilles communes, qui ne sont pas toujours possibles.


Problème 5 : un défaut de transposition qui prive les forces de sécurité de pouvoir supplémentaire

D’après la Cour des comptes, les travaux menés par les douanes pour effectuer cette transposition n’ont pas abouti, ce qui privent les gardes-frontières de prérogatives supplémentaires de contrôle.
En effet, lorsque les gardes-frontières contrôlent le droit d’entrée de personnes en provenance de pays limitrophes ou étrangers, leurs pouvoirs de contrôle sont en grande partie fixés par le code frontières Schengen, transposés en droit national. Dans ce cas, les douaniers et les policiers aux frontières disposent des mêmes prérogatives, à savoir de vérifier l’identité, le droit d’entrée et d’interroger les fichiers de police. En revanche, leurs prérogatives de fouilles, notamment des véhicules, sont bien plus limitées. En effet, l’audit Schengen conduit en avril 2021 a montré que les dispositions du code frontières Schengen – qui prévoient la possibilité de contrôler les véhicules et les personnes pour des raisons de sécurité – n’avaient pas été transposées en droit français.
  

Problème 6 : Un pilotage éclaté à la frontière

D’après la Cour des comptes, à l’exception de l’état-major frontières, le pilotage interministériel de la gestion des frontières n’a pas été amélioré. En l’état, la police aux frontières et, dans une moindre mesure, les douanes, demeurent assez isolées dans leur mission.

Selon la Cour, les autres forces présentes à la frontière s’investissent peu dans le contrôle migratoire, tandis que les forces mobiles placées en mission de « lutte contre l’immigration clandestine » sont souvent retirées au profit d’autres missions.
Sur la base d’un rapport inter-inspections, le Gouvernement a annoncé à l’été 2023 la constitution d’une « force frontière » ou « border force ». Il ne s’agit pas ici de créer un corps unique de gardes-frontières, à l’instar des Etats-Unis, mais de renforcer à nouveau la coordination entre les intervenants.

Néanmoins, les contours de cette force frontière demeurent flous, six mois après l’annonce. Les renforts frontaliers se composent principalement de forces mobiles qui risquent, de nouveau, d’être régulièrement prélevées pour d’autres priorités.
Par ailleurs, à l’exception de l’état-major frontières, le pilotage interministériel de la gestion des frontières n’a pas été amélioré. En l’état, la police aux frontières et, dans une moindre mesure, les douanes, demeurent assez isolées dans leur mission.

synthèse et traduction par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr

 
A lire sur securiteinterieure.fr  les 2 autres parties du rapport:

A lire aussi sur securiteinterieure.fr : 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

remarques et suggestions à formuler à securiteinterieure [à] securiteinterieure.fr

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.