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lundi 15 novembre 2021

Travail au noir et immigration clandestine : la France cancre de la classe concernant les inspections menées

 


Désormais, la campagne présidentielle bat son plein et le sujet concerne l’interdiction de l’immigration en tant que telle. Mais le problème est-il bien posé ? Il est permis sérieusement d’en douter. Un contrôle efficace des flux migratoires implique avant tout une bonne application des textes existants en matière de lutte contre l’immigration clandestine.
Or, c’est là que le bas blesse. Le travail clandestin est un important facteur « pull » de l’immigration. Une directive européenne a été approuvée pour endiguer ce phénomène en réprimant les employeurs peu scrupuleux. A ce sujet, les migrants sont souvent les victimes de ce phénomène, eu égard aux conditions de travail infligées.

Un rapport sur cette directive met en avant le peu d’efficacité des mesures prises en matière de répression du travail clandestin. Si certains progrès ont été accomplis, ils sont lacunaires : absence de remontée d’informations, politique de ciblage défaillante, absence de suivi des mesures prises, contrôles inexistants, services d’inspection insuffisamment étoffés. La liste des faiblesses identifiées est longue.

Quant à la France, elle ne brille pas par son efficacité. Concernant le volume des inspections effectuées, le rapport indique que le pourcentage d’employeurs de tous les secteurs ayant fait l’objet d’inspections s’élève à… 0,1%.
A titre de comparaison, ce chiffre s’élève à 36,6 % en Slovaquie, voire à 64,6 % au Luxembourg. 1 286 contrôles ont été effectués en 2019 (année de référence à ce sujet) en France contre 3 920 à Malte, 7 141 en Lituanie et  10 444 en Slovénie.


Quelle est l’état de l’emploi illégal ?

L’emploi informel soit estimé à 16,8 % de l’emploi total dans l’UE en moyenne. Les secteurs les plus touchés par l’emploi illégal sont essentiellement les mêmes dans la plupart des États membres: il s’agit en général de secteurs à forte intensité de main-d’œuvre et à bas salaire, nécessitant un faible niveau de compétences, dans lesquels le taux de rotation du personnel est élevé.
Parmi les secteurs à risque les plus courants, on trouve notamment l’agriculture, la construction, l’industrie manufacturière, les soins à domicile et l’assistance sociale, l’hôtellerie et la restauration.

De quoi parle-t-on et où va-t-on ?


La directive de 2009 relative aux sanctions à l’encontre des employeurs fournit un cadre juridique européen pour prévenir l’emploi illégal de migrants en situation irrégulière. Ce texte :

  • fixe les règles qui imposent aux employeurs de vérifier le droit des ressortissants de pays tiers de séjourner dans l’Union,
  • définit les règles en matière de sanctions à l’encontre des employeurs de migrants
  • prévoit des mesures visant à protéger les droits des migrants en situation irrégulière, par exemple des mécanismes de réclamation des arriérés de salaire.

La directive accorde aux États membres une marge de manœuvre dans l’élaboration des diverses approches pour la réalisation de ses objectifs, ce qui leur permet de tenir compte des spécificités nationales relatives au marché du travail.

Cette communication examine l’application pratique de cette directive, à la suite de l’annonce faite dans le cadre du nouveau pacte selon laquelle la Commission examinera les moyens de renforcer l’efficacité de la directive. Elle fait suite au premier rapport sur l’application de la directive de mai 2014.

D’ici la fin de l’année 2022, la Commission mettra en œuvre les mesures figurant dans la cette communication et rendra compte des résultats obtenus dans le prochain rapport de mise en œuvre prévu pour 2024 au plus tard. Compte tenu des progrès accomplis, elle examinera alors s’il est nécessaire de modifier le cadre juridique existant.


Une répression des employeurs de travailleurs clandestins variable d’un Etat à l’autre

Selon le texte, les États membres ont généralement transposé les dispositions de la directive relative aux sanctions dans leur législation nationale, bien que les approches choisies varient considérablement car elles sont influencées par divers facteurs (par exemple, les différents régimes nationaux de sanctions, l’incidence sociale et la perception de l’emploi illégal, la situation économique et le niveau des salaires, et l’incidence de l’emploi illégal sur l’économie).
Cela se reflète dans la grande diversité de la portée et de l’ampleur des sanctions financières et pénales, ainsi que dans les différents choix opérés par les États membres s'agissant du recours à d’autres mesures (par exemple, l’exclusion de l’aide publique ou du financement de l’UE ou l’exclusion des marchés publics).

En outre, la vue d’ensemble des procédures engagées contre les employeurs et des sanctions appliquées dans la pratique est éparse et incomplète; il est donc difficile d’effectuer une évaluation complète de l’incidence de la directive et de savoir si elle garantit la mise en place d’un régime de sanctions efficace permettant de lutter contre l’emploi illégal dans tous les États membres et l’existence de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives.

Les sanctions pénales pas assez sévères

Conformément à la directive relative aux sanctions à l’encontre des employeurs, des sanctions pénales (qui peuvent être des amendes, des peines d’emprisonnement ou d’autres sanctions) sont appliquées aux cas graves d’emploi illégal, avec des circonstances aggravantes (violations répétées, emploi d’un nombre important de migrants en situation irrégulière, ou leur emploi dans des conditions de travail particulièrement abusives, ou encore l’emploi de victimes de la traite des êtres humains et de mineurs).
Depuis 2014, la situation s’est quelque peu améliorée en France où des changements législatifs ont été apportés, facilitant l’application des sanctions pénales dans la pratique.
La France a étendu les compétences de l’inspection du travail à l’enregistrement des infractions de traite des êtres humains, de travail forcé et de servitude.
Toutefois, la sévérité des sanctions pénales diffère d’un État membre à l’autre, tant en ce qui concerne la durée de la peine d’emprisonnement, allant de 8 jours à 12 ans, que le montant de l’amende infligée.

Outre les sanctions financières et pénales, les États membres peuvent imposer des mesures administratives à l’encontre des employeurs, telles que la perte d’avantages publics, l’exclusion des marchés publics, le recouvrement de subventions publiques, la fermeture temporaire ou définitive d’établissements ou le retrait d’une autorisation d’exploitation.
La directive prévoit également la possibilité de «stigmatiser» et de publier une liste des employeurs qui ont commis une infraction pénale.
Là encore, la mise en œuvre de ces mesures varie considérablement d’un État membre à l’autre, notamment en ce qui concerne la durée d’application de ces mesures supplémentaires.


Aucune vue d’ensemble du phénomène

La directive impose aux États membres de communiquer chaque année à la Commission une série d’informations, notamment le nombre d’inspections réalisées ainsi que leurs résultats.
Ces informations sont essentielles pour évaluer la manière dont les dispositions de la directive sont mises en œuvre ainsi que leurs effets.

Cependant, les informations fournies par les États membres sont très limitées et inégales, ce qui entraîne d’importantes lacunes dans les données concernant les inspections et leurs résultats, l’application de sanctions financières et pénales, le nombre de procédures pénales engagées, ainsi que le recours aux mécanismes de réclamation et l’issue des plaintes.

Des données et des informations complètes et fiables relatives à l’application des mécanismes de réclamation et à l’issue des plaintes font également défaut.
De même, les informations transmises par les États membres concernant le nombre de recours introduits pour recouvrer des arriérés de salaire, et ayant abouti, ainsi que les procédures engagées à l’encontre d’employeurs ayant commis des abus sont insuffisantes.
Aucun État membre ne dispose de données centralisées sur le nombre de plaintes, déposées par des migrants en séjour irrégulier concernant le paiement de leur salaire, qui ont abouti.

Par conséquent, même si les recours aboutissent, on ne sait souvent pas si les travailleurs reçoivent ou non leurs arriérés de salaire, car, dans bien des cas, les employeurs déclarent faillite ou disparaissent. Sans une vue d’ensemble complète du nombre de plaintes déposées et de leur issue, il est difficile de tirer des conclusions sur le caractère effectif de l’accès à la justice et aux mécanismes de réclamation dans les États membres, ainsi que sur la fréquence du recours à ces mécanismes et sur leurs performances.
En raison du manque d’informations fiables et complètes, il est difficile d’évaluer de manière concluante si la directive a eu une incidence sur la lutte contre l’emploi illégal et sur la réduction de ce dernier, et si les sanctions pénales dans les États membres sont effectives.

Des inspections nationales mal ciblées

Les inspections constituent le principal outil pour détecter les employeurs qui recrutent des migrants en séjour irrégulier ainsi que les situations d’exploitation.
La directive impose aux États membres de veiller à ce que des inspections efficaces et appropriées soient effectuées sur la base d’analyses des risques permettant d’identifier les secteurs d’activité les plus exposés, faute de quoi il est impossible d’atteindre les objectifs de ladite directive.

Or, les pratiques varient selon les États membres, ce qui fait ressortir plusieurs éléments entravant l’efficacité des inspections: identification des secteurs économiques les plus exposés au risque d’emploi illégal, faible nombre d’inspections effectuées dans les États membres (notamment dans les secteurs les plus exposés au risque d’emploi illégal), ressources insuffisantes et difficultés à établir un dialogue avec les migrants exploités dont la situation a été constatée lors des inspections.

En outre, il existe d’importantes lacunes dans les données relatives aux inspections que communiquent les États membres.
Qui plus est, les secteurs à risque ne sont pas identifiés, ce qui témoigne de la nécessité de mieux établir les priorités en matière d’inspection.
Si les secteurs à risque restent généralement les mêmes au fil du temps, en raison des évolutions économiques, de nouveaux secteurs exposés au risque d’emploi illégal peuvent apparaître, tels que ceux qui emploient des travailleurs de plateforme. Les États membres devraient donc régulièrement mettre à jour leur liste des secteurs à risque.

Des mécanismes d’inspection inefficaces et déficients

Selon le rapport, le nombre d’inspections effectuées dans le cadre du système actuel est peu susceptible de dissuader les employeurs de recruter des migrants en séjour irrégulier.
Le plus souvent, une part très faible des employeurs exerçant dans les secteurs concernés fait l’objet d’inspections.
Par conséquent, il est possible que les employeurs estiment que l’avantage économique tiré de l’emploi illégal prime sur la probabilité d’être détecté lors des inspections.

En 2019, par exemple, moins de 1 % des employeurs de tous les secteurs ont fait l’objet d’inspections en Bulgarie, en Estonie, en France, en Lettonie, aux Pays-Bas et en Suède.
Dans treize États membres, les inspections ont concerné entre 1 % et 10 % de l’ensemble des employeurs, contre 14,5 % en Autriche et plus de 30 % en Slovénie et en Slovaquie.

D’après les informations à la disposition de la Commission, dans la plupart des États membres, les inspections ne portent pas spécifiquement sur les secteurs à risque, une situation qui ne satisfait pas à l’exigence de la directive.
Par ailleurs, les autorités chargées de l’inspection du travail sont souvent en sous-effectif et manquent de ressources, ce qui limite le nombre et la fréquence des inspections effectuées.

Un exemple des recommandations

Concernant l’efficacité des inspections, ces recommandations portent sur le fait pour les États membres de :

  • de définir des objectifs annuels envisageables pour les inspections effectuées auprès des employeurs des secteurs à risque;
  • d’encourager l’échange de bonnes pratiques en matière d’inspections, d’identification des secteurs à risque et de coopération entre les services d’inspection en sollicitant l’expertise de la plateforme européenne de lutte contre le travail non déclaré;
  • d’encourager l’échange de bonnes pratiques en matière de détection des victimes de l’exploitation et de la traite des êtres humains, notamment en ce qui concerne les inspections conjointes menées avec des unités spécialisées;
  • d’étudier les possibilités de soutien aux États membres en matière de formation des inspecteurs du travail en coopération avec l’Agence des droits fondamentaux.


synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr


 


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