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mercredi 29 décembre 2021

Pour canaliser les flux migratoires, la France veut favoriser les centres fermés aux frontières européennes

 


 
La France prend désormais les rênes de l’UE et elle se trouve confrontée au défi de faire adopter les mesures du Pacte sur la migration et l’asile.
Pourtant, si tous les Etats membres partagent le même constant (assurer une réponse commune face aux crises migratoire et ne plus rééditer le chaos généré par les crises précédentes), ils divergent sur les solutions à apporter.

L’un des défis actuels consiste dans le déplacement non autorisé de migrants à travers l’Europe. Faute d’unification des systèmes nationaux d’asile, une solution de remplacement préconisée par les autorités françaises consiste, à l'heure de l'inauguration d'un centre fermé grec "nouvelle génération" financé par l'UE, à renforcer les centres d’accueil aux frontières afin d’endiguer ces déplacements sur le territoire européen.
C’est l’un des éléments qui ressort d’un tout nouveau rapport de l’Assemblé nationale. Autant dire que cette approche dite « hotspots » (en référence aux centres de gestion de crises établis à la suite de la grande crise de 2015) est accueillie froidement par les pays de première ligne, à savoir les États membres méditerranéens.



Quel est le constat de départ?


Le système dit «de Dublin» a montré ses faiblesses, dans les crises comme en période de relative accalmie. Le nouveau Pacte ne révolutionne pas ce paradigme, puisqu’il ne va pas au bout d’un mécanisme de solidarité robuste et systématique.
Les transferts ne sont effectués que dans 11 % des cas environ, tout en générant des coûts humains, matériels et financiers considérables. Une analyse de la mise en œuvre actuelle du règlement «Dublin III» indique une intention générale de se soustraire à la responsabilité du traitement des demandes, fragilisant la coopération et la confiance entre États membres.

L’étude conduite par le Parlement européen relève également que les États requis formulent des demandes de preuves trop complètes, qui sont en pratique difficiles à obtenir par les demandeurs ou par les États requérants, notamment lorsqu’il s’agit de démontrer des liens familiaux.

Selon les données de la Commission européenne, dans le système actuel, les demandeurs peuvent attendre jusqu’à 10 mois pour des demandes aux fins de « reprise en charge », voire 11 mois pour des demandes aux fins de « prise en charge », avant même le commencement de la procédure d’examen de leur demande de protection internationale.


D'où vient-on ?


La Commission européenne a présenté, le 23 septembre 2020, un nouveau Pacte sur la migration et l’asile.
Ce Pacte repose sur un équilibre entre mécanisme de solidarité intra-européenne et protection accrue des frontières européennes. Il ne parvient cependant pas à générer un consensus parmi l’ensemble des États membres qui restent divisés sur les enjeux migratoires.
Ce paquet a été considéré par les États membres comme une base de discussion acceptable.
Néanmoins, La proposition de la Commission, bien que cherchant à intégrer les priorités que chaque État ou groupe d’États aux intérêts similaires avait fait valoir au cours des années précédentes, ne parvient à en satisfaire pleinement aucun.
En effet, si tous s’accordent pour remettre en cause le système dépassé de « Dublin III », les solutions dessinées par la Commission sont vues alternativement comme trop attentatoires à la souveraineté des uns ou pas assez solidaires des autres.

Le contexte particulier de la pandémie de covid-19 a eu des effets ambivalents sur les négociations. Même si les gouvernements étaient naturellement préoccupés par d’autres urgences sur le front sanitaire, il est permis de penser que le net reflux des arrivées irrégulières au cours de l’année 2020 a permis de prendre du recul sur la situation.
Cependant, 2021 a apporté son lot de crises politiques et diplomatiques, de la Biélorussie à l’Afghanistan, rappelant qu’en matière d’asile européen, le statu quo n’est pas une sortie acceptable.


Une situation peu favorable à une adoption rapide du Pacte


La situation actuelle paraît plutôt défavorable à une adoption rapide du Pacte, comme le constate le rapport du Sénat.
La ligne politique de certains États d’Europe centrale et orientale, opposés à toute forme de solidarité obligatoire en matière migratoire, a peu évolué depuis 2015.
Les pays du « V4 » (Hongrie, Pologne, Tchéquie et Slovaquie) avaient réitéré cette position lors des discussions sur un mécanisme temporaire de répartition des migrants sauvés en mer, portées par la France, l’Allemagne, l’Italie et Malte à la suite du mini-sommet de La Valette le 23 septembre 2019.

Malgré les concessions faites aux gouvernements des États de Visegrád sur les modalités de la solidarité, leur soutien au processus d’adoption du Pacte semble loin d’être acquis.
Ils estiment qu’une plus grande flexibilité doit leur être accordée avec un choix plus large que l’alternative principale entre relocalisation et parrainage des retours.


Or, les migrations sont là pour durer


Pourtant, le temps ne joue pas en faveur des Européens. D’abord, toute nouvelle crise majeure les trouverait à peu près aussi démunis qu’ils ne l’étaient en 2015.
L’autre risque d’un enlisement est que la dynamique à l’œuvre dans l’espace Schengen ne l’emporte : les États membres ont montré que, face aux situations d’incertitudes (migratoire, sanitaire), ils peuvent prendre des décisions unilatérales qui affaiblissent, voire menacent les progrès collectifs durement acquis par le passé.

La Déclaration de New-York pour les réfugiés et les migrants énonce : « Nous observons que les êtres humains se déplacent actuellement plus qu’ils ne l’ont jamais fait. » Tous les indices laissent à penser que cette tendance ne va pas s’inverser.

Les raisons des migrations sont multiples et parfois cumulatives.
À ce jour, les raisons géopolitiques demeurent prépondérantes dans les grands mouvements de populations.
Ainsi, ce sont les conflits, d’une part, et les relations avec les pays tiers, d’autre part, qui conditionnent actuellement une part significative des arrivées sur le territoire européen.

Un autre facteur déterminant et durable, voué à jouer un rôle prépondérant au XXIe siècle, est l’environnement, entendu dans son acception large.
Le dérèglement climatique entraîne d’ores-et-déjà des déplacements de population qualifiés aujourd’hui de purement économiques.


Défi numéro 1 : le contrôle de Frontex


À la suite des récentes accusations de refoulements, l’agence a mis en œuvre un cadre renforcé pour la surveillance des droits fondamentaux, avec notamment le recrutement de 20 effectifs dédiés.
Cette attention renouvelée à la légalité des procédures est indissociable de l’augmentation des responsabilités déléguées à Frontex.

Le Parlement européen a demandé à ce qu’une partie du budget de l’agence pour 2022, soit 90 M €, soit gelée jusqu’au recrutement promis de 20 officiers supplémentaires spécialisés dans les droits fondamentaux, ainsi qu’à la création d’un mécanisme de signalement des incidents graves prévu par le règlement de 2019 instituant Frontex.
Au demeurant, il est à déplorer que ces personnels ne soient pas systématiquement associés au travail de l’agence, par exemple dans le cadre des tensions à la frontière lituanienne à l’automne 2021.

Enfin, l'Assemblée nationale exprime le souhait d'apporter leur soutien à la création d’un groupe de contrôle parlementaire dédié au suivi des activités de Frontex, à l’instar de celui exercé par les parlements nationaux sur l’agence Europol, chargée de la coopération policière et de la lutte contre la grande criminalité.
Le Parlement européen n’exerce en effet qu’un contrôle indirect, à travers l’attribution de ressources, sur cette agence qui gère le recours à la force aux frontières de l’Union et pour le compte de ses membres.


Défi numéro 2 : l'uniformisation du traitement des demandes


Le régime d’asile européen commun ne fait actuellement converger que faiblement les pratiques des États concernant les modalités d’examen des demandes et le contenu des garanties accordées.
Les taux de protection accordée par les autorités de détermination nationales sont, à cet égard, très éloquents : la situation des ressortissants afghans est notoirement et traditionnellement source de grandes différences d’appréciation entre la France et l’Allemagne.

(cliquez sur l'image pour agrandir)


Or, il est établi que ces disparités alimentent en grande partie les mouvements secondaires au sein de l’Union européenne, alors même que l’adoption de la directive « accueil » serait de nature à rapprocher les pratiques.
Elles alimentent le phénomène appelé asylum shopping qui, bien que dépourvu de définition légale, est présent dans les communications de la Commission européenne.
Il désigne le fait de demander l’asile auprès d’un ou plusieurs États membres en fonction de l’attractivité du système d’accueil et de la prospérité du pays.


La position française : favoriser l’approche «hotspots»


L’existence d’une procédure à la frontière dans un cadre fermé, afin d’éviter les risques de fuite des demandeurs, est un point essentiel pour les autorités françaises dans le cadre des négociations à deux égards.

  • D’abord, la bonne gestion des flux secondaires est un enjeu majeur pour l’ensemble de l’espace Schengen – à ce titre, le Pacte est indispensable à la préservation de la liberté de circulation au sein de cet espace.
  • Ensuite, en tant que pays de destination des mouvements secondaires, la France a enregistré 120 000 demandes d’asile en 2019, alors que le pic de la crise est passé pour l’Union européenne dans son ensemble.
le tout nouveau camp sur l'île grecque de Samos


Le sujet est donc essentiel à l’efficacité et au bon usage de notre procédure d’asile.
Les pays de première entrée restent très opposés aux procédures à la frontière.

  • Leur principale préoccupation est que cela revient à créer des centres fermés dans des territoires aux marges de l’Europe, avec tous les risques de saturation qu’implique la possibilité que survienne une nouvelle crise migratoire.
  • De plus, les associations de défense des droits humains et des personnes migrantes s’y opposent en raison des probables extensions des délais de rétention qui s’observent en pratique.
  • Enfin, la procédure de filtrage qui y est associée implique, elle aussi, une charge supplémentaire.



La stratégie française : L’approche du «paquet souple»

Ainsi, la stratégie du pouvoir exécutif français, consistant à avancer sur les dossiers les plus consensuels, afin d’atteindre un niveau critique de points d’accord permettant d’envisager l’adoption du paquet, est pertinente. Au surplus, la France a intérêt à accepter des compromis, par exemple sur la question des critères de responsabilité, au bénéfice d’un accord politique.

La France n’est pas opposée à l’adoption échelonnée de certains des éléments utiles du paquet, dans la mesure où les équilibres entre responsabilité et solidarité sont respectés et que les règles adoptées demeurent cohérentes et efficaces.
D’autres États sont favorables à l’adoption échelonnée: Luxembourg, Finlande, Suède, Belgique et Pays-Bas. Ils sont cependant très minoritaires et il est très probable que l’approche en paquet demeure incontournable.

Et la position de l'Assemblée nationale dans tout ça ?


Selon les rapporteurs, le Pacte sur la migration et l’asile repose sur un équilibre indéniable entre solidarité intra-européenne et fermeté aux frontières.
Cet équilibre rejoint la plupart des priorités de la France en matière de migration.
En ce sens, la France, qui assurera la Présidence française de l’Union européenne au premier semestre de l’année 2022, a tout intérêt à œuvrer pour que le Pacte connaisse des avancées significatives.

Parce que les migrations touchent à des enjeux transversaux (économiques, humanitaires, sécuritaires ou encore géopolitiques) qui concernent tous les Européens, il est impératif que la réforme des politiques européennes avance.
Les présidences portugaise et slovène ont permis des avancées qui méritent d’être soulignées ; la présidence française pourrait être une étape clé.
Il appartient désormais aux États de surmonter les logiques purement nationales afin de doter l’Union européenne des outils nécessaires pour faire face aux prochaines crises.

synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr


 

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