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samedi 5 décembre 2020

Le "pacte des migrations et d’asile" : combler des faiblesses structurelles majeures et apporter des solutions durables


C’est le dossier de l’année. La Commission européenne a présenté son "pacte des migrations et d’asile" ce semestre et securiteinterieure.fr a déjà présenté différents volets. Il est désormais temps de prendre de la hauteur pour voir comment cette réforme de grande ampleur s’articule et la manière dont ses différents éléments s’agencent. Une telle réforme va avoir des répercussions au-delà de la migration, sur le plan de la gestion des frontières, de la sécurité intérieure et de la lutte antiterroriste en particulier. Il est crucial de garder un œil sur le nouveau paysage qui s’esquisse et qui va continuer à se dessiner ces prochaines années.


D'où vient-on?


La crise des réfugiés de 2015-2016 a mis en lumière de graves insuffisances, tout en montrant combien il est complexe de gérer une situation dans laquelle tous les États membres ne sont pas touchés de la même manière.
Elle a, avant tout, mis en évidence une réalité fondamentale inhérente à la nature de l’Union, à savoir que toute mesure a des répercussions sur les autres.
Alors que certains États membres continuent d’être confrontés aux difficultés de la gestion des frontières extérieures, d’autres doivent faire face à des arrivées massives par voie terrestre ou maritime ou à des centres d’accueil surpeuplés, et d’autres encore enregistrent toujours un nombre élevé de mouvements non autorisés de migrants.

 
Des mesures ponctuelles ne peuvent apporter de solution durable et des faiblesses structurelles majeures subsistent, tant au niveau de la conception que de la mise en œuvre.
Les incohérences entre les régimes nationaux d’asile et de retour, ainsi que les insuffisances constatées dans la mise en œuvre, ont mis en lumière des inefficacités et suscité des inquiétudes quant à l’équité.
Dans le même temps, le bon fonctionnement de la politique de migration et d’asile au sein de l’Union requiert également une coopération renforcée en matière de migration avec des partenaires extérieurs à l’Union.

Quelques chiffres


En 2019, 20,9 millions de ressortissants de pays tiers résidaient légalement dans les États membres de l’UE, soit environ 4,7 % de la population totale de l’Union.

  • En 2019, les États membres de l’UE ont délivré quelque 3,0 millions de premiers titres de séjour à des ressortissants de pays tiers, dont environ 1,8 million pour une durée d’au moins 12 mois.
  • Au plus fort de la crise des réfugiés en 2015, 1,82 million de franchissements illégaux des frontières avaient été enregistrés aux frontières extérieures de l’Union. En 2019, ce chiffre était tombé à 142 000.
  • Le nombre de demandes d’asile, qui avait culminé à 1,28 million en 2015, était de 698 000 en 2019.
  • En moyenne, chaque année, quelque 370 000 demandes de protection internationale sont rejetées, mais seulement un tiers environ des personnes concernées font l’objet d’une décision de retour dans leur pays d’origine.
  • Fin 2019, l’Union accueillait quelque 2,6 millions de réfugiés, soit l’équivalent de 0,6 % de sa population.


De quoi parle-t-on ?


Un nouveau cadre européen durable est nécessaire pour

  • gérer l’interdépendance entre les politiques et les décisions des États membres
  • pour apporter une réponse adéquate aux possibilités et aux difficultés qui apparaissent en temps normal, dans les situations de pression et dans les situations de crise.

Ce pacte:

  • prévoit une approche globale, regroupant les politiques dans les domaines de la migration, de l’asile, de l’intégration et de la gestion des frontières, tout en reconnaissant que l’efficacité globale dépend des progrès réalisés sur tous les fronts.
  • crée des procédures migratoires plus rapides et fluides et une gouvernance renforcée des politiques en matière de migration et de gestion des frontières, étayées par des systèmes informatiques modernes et des agences plus efficaces.

 

La réponse commune doit inclure les relations de l’UE avec les pays tiers, étant donné que les dimensions intérieure et extérieure de la migration sont indissociables: une collaboration étroite avec les pays partenaires a une incidence directe sur l’efficacité des politiques menées au sein de l’Union.

Concrètement, que prévoit le pacte ?

L’UE doit être prête à faire face aux situations de crise. Un plan de préparation et de gestion de crise en matière de migration sera publié afin de faciliter le passage d’un mode réactif à un mode fondé sur la préparation et l’anticipation.
Seront prévues par ailleurs des mesures temporaires et extraordinaires nécessaires en cas de crise.

En temps normal, la première étape devrait consister en un filtrage préalable à l’entrée applicable à tous les ressortissants de pays tiers qui franchissent la frontière extérieure sans autorisation. Il constituera une première étape dans le dispositif général d’asile et de retour.


La Commission propose aussi une modification ciblée de sa proposition de 2016 relative à un nouveau règlement sur les procédures d’asile, afin de permettre une application à la fois plus efficace et souple des procédures à la frontière en tant que deuxième étape du processus.
Les règles relatives aux procédures d’asile et de retour, à la frontière, seraient fusionnées dans un instrument législatif unique.
Les procédures à la frontière permettent d’accélérer le traitement d’une demande, tout comme les motifs d’accélération tels que les concepts de pays d’origine sûrs ou de pays tiers sûrs. Les demandes d’asile ayant peu de chances d’être acceptées devraient être examinées rapidement sans nécessiter d’entrée légale sur le territoire de l’État membre.

Renforcer les mécanismes d’expulsion

Pour les personnes dont la demande a été rejetée dans le cadre de la procédure d’asile à la frontière, une procédure de retour européenne, à la frontière, s’appliquerait immédiatement. Cela permettrait d’éliminer les risques de mouvements non autorisés et d’envoyer un signal clair aux passeurs.
Un système efficace garantissant le retour est une responsabilité commune et il faudra disposer de structures de gouvernance solides pour garantir une approche plus cohérente et plus efficace.
À cette fin, la Commission nommera un coordinateur chargé des retours, soutenu par un nouveau réseau de haut niveau pour les retours. Le coordinateur apportera un soutien technique pour harmoniser les volets de la politique de l’UE en matière de retour, en s’appuyant sur les expériences positives des États membres en matière de gestion des retours.


En outre, pour la Commission, faut avant tout mettre pleinement et efficacement en œuvre les vingt-quatre accords et arrangements européens existants en matière de réadmission avec des pays tiers, achever les négociations de réadmission en cours et, si nécessaire, lancer de nouvelles négociations, et trouver des solutions pratiques de coopération afin d’accroître le nombre de retours effectifs.
La Commission évaluera au moins une fois par an le degré de coopération des pays tiers en matière de réadmission, et fera rapport au Conseil. À l’issue, elle peut proposer d’appliquer des mesures restrictives en matière de visas ou, en cas de bonne coopération, proposer des mesures favorables en la matière.

Pallier aux défauts de Dublin

Le pacte propose en outre, une approche allant au-delà des limites de l’actuel règlement de Dublin. La Commission retirera donc sa proposition de 2016 modifiant le règlement de Dublin, qui sera remplacé par un nouvel instrument, plus large, établissant un cadre commun pour la gestion de l’asile et de la migration - le règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration.
Ce nouveau cadre commun définira les principes et les structures nécessaires à une approche intégrée de la politique en matière de migration et d’asile, qui garantisse un partage équitable des responsabilités et traite efficacement les arrivées mixtes de personnes ayant besoin d’une protection internationale et de celles n’en ayant pas besoin.

Ce cadre prévoit un nouveau mécanisme de solidarité visant à intégrer l’équité dans le régime d’asile européen, en tenant compte des difficultés différentes qui se posent selon la situation géographique et en veillant à ce que tous les États membres contribuent à la solidarité.
Ce nouveau mécanisme de solidarité sera principalement axé sur la relocalisation ou le parrainage en matière de retour. En outre, un filet de sécurité garantira que la pression exercée sur un État membre est effectivement atténuée par la relocalisation ou le parrainage en matière de retour.

Les règles actuelles de Dublin relatives au transfert de la responsabilité de l’examen d’une demande de protection internationale entre États membres peuvent avoir pour effet d’encourager des mouvements non autorisés, en particulier lorsque le transfert de responsabilité découle du comportement du demandeur (par exemple, en cas de fuite).
Le pacte définit clairement les obligations qui incombent au demandeur ainsi que les conséquences auxquelles il s’expose en cas de non-respect de celles-ci.
Il y aura lieu ultérieurement de modifier la directive sur les résidents de longue durée de sorte que les bénéficiaires d’une protection internationale soient incités à rester dans l’État membre leur ayant accordé cette protection, avec la perspective d’obtenir le statut de résident de longue durée au bout de trois ans de résidence légale et ininterrompue dans cet État membre.

Renforcer les frontières extérieures de l’UE

La Commission lancera le processus préparatoire en vue de présenter le document d’orientation pour le cycle stratégique pluriannuel d’élaboration des politiques et de mise en œuvre au cours du premier semestre de 2021.
Ce cycle mettra en place un cadre unifié dans lequel s’inscriront des orientations stratégiques destinées à tous les acteurs concernés du secteur de la gestion des frontières et des retours, au niveau national comme européen, et ce moyennant des stratégies liées: une stratégie technique et opérationnelle européenne conçue par Frontex et des stratégies nationales définies par les États membres. Il permettra de garantir la cohérence de tous les outils et instruments juridiques, financiers et opérationnels,.


La mise en œuvre rapide et intégrale du nouveau règlement relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes constitue une étape décisive. Les évaluations de la vulnérabilité réalisées chaque année par Frontex sont particulièrement importantes. Elles complètent celles qui sont réalisées conjointement par la Commission et les États membres dans le cadre du mécanisme d’évaluation de Schengen.
 

Avec une approche européenne commune sur la SAR (recherche et de sauvetage)
 

Le pacte propose d’élaborer une approche européenne plus coordonnée, fondée sur la solidarité. Elle devrait comporter les principaux éléments ci-dessous.

  • Les spécificités des opérations de recherche et de sauvetage dans le cadre juridique de l’UE en matière de migration et d’asile doivent être reconnues.
    Le nouveau règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration prévoira une aide sous forme de relocalisation, après les débarquements faisant suite à des opérations de recherche et de sauvetage..
  •  Frontex devrait fournir un soutien opérationnel et technique accru.
  • La coopération et la coordination entre États membres doivent être considérablement intensifiées, avec la participation régulière d’acteurs privés.
    La Commission a publié le 23 septembre 2020 une recommandation afin de maintenir la sécurité de la navigation et d’assurer une gestion efficace des migrations. Cette coopération devrait également passer par un groupe d’experts en matière de recherche et de sauvetage créé par la Commission pour encourager la coopération et l’échange de bonnes pratiques. 

 

Parvenir à un espace Schengen apaisé


Pour la Commission, il n’est permis de recourir à des contrôles temporaires que dans des circonstances exceptionnelles.
S’appuyant sur son expérience des nombreuses crises de ces cinq dernières années, elle présentera :

  • une stratégie sur l’avenir de Schengen, qui comprendra des initiatives en faveur d’un espace Schengen plus fort et plus complet ;
  • une approche nouvelle du code frontières Schengen, notamment ne révision du mécanisme d’évaluation Schengen
  • établira un forum Schengen, auquel participeront les autorités nationales compétentes, telles que les ministères de l’intérieur et la police (des frontières) aux niveaux national et régional, afin d’encourager une coopération plus concrète et une confiance plus grande.


La confiance dans l’espace Schengen sera encore renforcée par la numérisation intégrale de la procédure de délivrance des visas d’ici à 2025, avec un visa numérique et la possibilité d’introduire les demandes de visa en ligne.
 

Se montrer impitoyable face aux passeurs

Le nouveau plan d’action de l’Union contre le trafic de migrants pour la période 2021-2025 mettra l’accent sur la lutte contre les réseaux criminels et, conformément à la stratégie européenne sur l’union de la sécurité.

Une réflexion est en cours sur la modernisation des droit existant destiné à lutter contre le trafic de migrants. La Commission clarifiera la question de la criminalisation pour les acteurs privés en fournissant des orientations sur la mise en œuvre des règles de lutte contre le trafic de migrants, et précisera que l’exécution de l’obligation légale de sauver des personnes en détresse en mer ne peut pas être érigée en infraction pénale.

La Commission examinera comment renforcer l’efficacité de la directive sur les sanctions à l’encontre des employeurs et évaluera la nécessité de prendre de nouvelles mesures. Elle collaborera également avec l’Autorité européenne du travail pour coordonner les efforts des autorités nationales et veiller à la mise en œuvre efficiente de la directive, qui est indispensable pour décourager la migration irrégulière en interdisant effectivement l’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

Le nouveau plan d’action de l’Union contre le trafic de migrants stimulera la coopération entre l’Union et les pays tiers au moyen de partenariats ciblés chargés de lutter contre le trafic de migrants, dans le cadre de partenariats plus larges avec des pays tiers clés :

  • renforcement des capacités en ce qui concerne tant les cadres répressifs que les capacités opérationnelles,
  • change d’informations avec les pays tiers et l’action sur le terrain, en soutenant des opérations communes et des équipes communes d’enquête
  • campagnes d’information sur les risques de migration irrégulière et sur les autres solutions légales.



synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr 



A lire le paquet législatif :

 

A lire sur securiteinterieure.fr la synthèse du paquet législatif :

 




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