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jeudi 21 novembre 2019

Un risque de conflit de compétences entre le Parquet national financier et le procureur européen ?



Le procureur européen est actuellement en cours de création mais un rapport d’information du Sénat relève que le Parquet national financier (PNF) n’a pas été consulté sur sa mise en place.
Ce rapport le déplore d’autant plus qu’un risque de conflits de compétences existe.

Securiteinterieure.fr fait le point sur ce rapport consacré à la création d'un parquet européen, qui constitue « un saut qualitatif majeur par rapport à un simple renforcement des institutions existantes » selon une étude de 2011 du Conseil d'Etat.

Cet article est publié à l’occasion du Colloque sur le Parquet européen de l'Université de Grenoble des 21 et 22 novembre.

image d'illustration : le futur siège du Procureur européen sur le Plateau du Kirchbeg à Luxembourg 
 
D’où vient-on ?

La Commission européenne a déposé sa proposition de règlement portant création du parquet européen, le 17 juillet 2013.
Ce texte traduit sa vision à l'origine très intégrée du parquet européen, qualifiée d' « irréaliste » par un interlocuteur des rapporteurs du rapport d’information.


Ce projet a été rejeté par un très grand nombre d'États membres.  Au cours des négociations, le ministère français de la justice a défendu une vision favorable à la création d'un parquet européen mais en soutenant le modèle collégial, indispensable dès lors que le projet affectait directement la souveraineté nationale, ainsi que l'organisation du travail en chambres permanentes.

Les négociations n'ont véritablement débuté que lorsque la Commission a accepté le principe de la collégialité. Toutefois, elles ont été bloquées du fait de l'opposition ferme de plusieurs États membres, en particulier les Pays-Bas, la Suède, la Pologne et la Hongrie.
Face à ces réticences, les ministres français et allemand de la justice, en décembre 2016, ont proposé de recourir à une coopération renforcée.


Lors du Conseil européen des 9 et 10 mars 2017, l'absence d'unanimité formellement constatée sur le projet issu des négociations a ouvert la voie à une coopération renforcée.
Lors du Conseil des ministres de la Justice (JAI) du 8 juin 2017, 20 États membres sont parvenus à un accord politique sur la création du nouveau parquet européen dont la France.

Le 5 octobre suivant, le Parlement européen, à son tour, a approuvé la création de cette structure et le règlement a été définitivement adopté le 12 octobre 2017, sous la forme d'une coopération renforcée entre 20 États membres, rejoints ensuite par Malte et les Pays-Bas.
Il est prévu que le parquet européen soit opérationnel en novembre 2020.

Quels sont les moyens dont il dispose ?

La Commission européenne envisage d'allouer 5 millions d'euros à la mise en place du parquet européen dans sa proposition de budget européen pour 2019, présentée le 23 mai 2018, étant entendu que le budget prévisionnel décidé en 2017 avait été évalué à 4 millions d'euros :
  • 2,3 millions pour le personnel,
  • 1,9 million au titre des dépenses opérationnelles
  • 0,6 million pour l'infrastructure
Le parquet européen assumera la charge des emplois de magistrats, à la fois en tant qu'agents temporaires (le chef du parquet européen et les 22 procureurs européens) et en tant que conseillers spéciaux (les procureurs européens délégués).

50 postes seront créés. Le parquet européen bénéficiera aussi de transferts de postes d'autres agences européennes, à la suite de redéploiements.
Il est ainsi prévu que 115 personnes rejoignent le parquet européen d'ici à 2023, soit :
  • 45 en provenance de l’Office de lutte antifraude (OLAF),
  • 16 d'Eurojust,
  • 4 de la Commission.

Et en France dans tout ça ?

L'insertion du parquet européen dans le système judiciaire français devrait être facilitée par une habitude acquise dans les parquets de s'assurer de leur compétence, voire d'envisager un dessaisissement au profit de parquets plus spécialisés, notamment les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) ou le procureur de la République financier.

Le niveau national, le droit français devra être adapté pour permettre le fonctionnement du parquet européen en novembre 2020, qu'il s'agisse du statut des magistrats du parquet européen ou de leurs prérogatives.

Le règlement étant d'application directe, il ne nécessitera pas de transposition en droit interne. Néanmoins, il sera nécessaire d'adopter des dispositions relevant :
  • de la loi organique pour les aspects statutaires ;
  • de la loi ordinaire, notamment pour l'articulation entre les procédures nationales et celles du parquet européen.
    Les enquêtes qu'il conduira ne pouvant donner lieu à ouverture d'information judiciaire, un cadre d'enquête spécifique devra être prévu, a minima dans les cas où des mesures de contraintes seraient nécessaires (détention provisoire ou contrôle judiciaire).

Une loi dédiée pourrait être adoptée avant la fin de la session parlementaire de l'été 2020, soit en juillet 2020.
Cela permettrait de disposer de quelques semaines pour travailler à la rédaction de la circulaire, à la préparation de l'identification des dossiers en cours relevant du parquet européen et susceptibles de lui être transmis et à la rédaction des textes réglementaires.

Le nombre de dossiers qui pourraient relever du parquet européen reste à ce stade limité, évalué entre 50 et 60.

L'impact attendu du parquet européen en France pourrait dépendre de plusieurs facteurs :
  • l'emploi par le parquet européen de plusieurs magistrats français, au minimum le procureur européen et deux procureurs européens délégués ; 
  • la détermination de la localisation des procureurs européens délégués, 
  • leurs interactions avec l'éventuel parquet de rattachement et avec les magistrats du siège,
  • la détermination de l'intervention du parquet européen en appel et en cassation.

Vers l’extension des compétences du Parquet européen ?

La perspective d'un parquet européen compétent contre le terrorisme et le crime organisé a été envisagée :
  • par le Président Juncker, lors de son discours sur l'état de l'Union, le 13 septembre 2017,
  • par le Président de la République, à l'occasion de son discours de La Sorbonne, le 26 septembre suivant.

Le 12 septembre 2018, la Commission européenne a publié une communication relative à une extension de compétences.
Dans une approche très intégrée, elle confirme l'ambition d'étendre la compétence du futur parquet européen à la lutte contre le terrorisme, sujet présentant une priorité politique haute dans de très nombreux États membres.


Sans formuler d'opposition de principe à l'extension des compétences, les rapporteurs du rapport d’informations, formulent des réserves :
  • il paraît donc peu réaliste, dans les conditions actuelles, de penser qu'un parquet européen aux compétences élargies susciterait l'accord des États membres, qui doivent se prononcer à l'unanimité.
  • il est nécessaire d'éviter toute précipitation, alors que le parquet européen n'est pas encore en fonctionnement.
    Ce parquet devra trouver sa place à la fois au sein du paysage institutionnel européen et dans l'ordre juridique des États membres.
  • la réponse à un attentat terroriste restera longtemps nationale et, dans la mesure du possible, privilégiera la prévention.
    L'extension du champ de compétences du parquet européen - qui plus est une compétence touchant directement à la souveraineté nationale - doit respecter le principe de subsidiarité.
    C’est d'autant plus vrai que les traités affirment que la sécurité nationale reste de la seule responsabilité des États membres.
  • un parquet européen antiterroriste n'apportera une véritable valeur ajoutée que s'il se coordonne de façon optimale avec les dispositifs nationaux. En France, l'organisation de la justice antiterroriste en France donne de bons résultats selon le rapport. 

Du reste, la France a récemment créé un parquet national antiterroriste qui, lui-même, va connaître une montée en charge progressive.
Toujours d’après le rapport, il convient d'éviter des conflits de compétences, en particulier sur un sujet aussi sensible.

Et le Parquet national financier (PNF) ?

Institué en décembre 2013 et entré en activité le 1er février 2014, le PNF est compétent pour :
  • les affaires de corruption nationale et internationale, dont le contentieux est en forte progression,
  • la fraude fiscale, y compris la fraude à la TVA (qui comporte une importante activité internationale et entre également dans le champ de compétences du parquet européen).

La grande majorité des dossiers traités par le PNF comportait une dimension internationale et nécessitait donc une coopération avec les autorités judiciaires étrangères.
Ainsi, en 2018, le PNF a adressé 103 demandes d'entraide à ses homologues étrangers et a reçu 40 demandes.

Au niveau européen, la coopération est facilitée par les relations directes entre les autorités judiciaires, si besoin avec le recours au bureau français d'Eurojust, avec lequel le PNF entretient des relations quasi-quotidiennes.
Le PNF pourra apporter son expertise au futur procureur européen délégué français.

Compte tenu de l'importance de cette coopération européenne et de la similitude des compétences, il paraît nécessaire que le PNF soit consulté par le ministère de la justice sur la mise en place du parquet européen.
Il semble que cela n'ait pas été le cas, ce que les rapporteurs du rapport d’information regrettent.
Le risque de conflits de compétences n'est en effet pas nul, d'autant plus que le seuil de 10 millions d'euros applicable aux fraudes transfrontalières pour la saisine du parquet européen peut évoluer au cours de la procédure.

Quelles sont les relations actuelles entre les autorités judiciaires françaises et l’Office de lutte antifraude (OLAF) ?


Du fait des compétences de l'OLAF et du parquet européen, qui se recoupent largement, leurs relations ne seront pas simples. Ces deux organes devront s'accorder sur des méthodes de travail assurant leur complémentarité.


Pour mener ces enquêtes, l'OLAF se fonde actuellement sur les informations transmises par les responsables de la gestion des fonds européens au sein des institutions européennes ou dans les États membres.
Chacun d’eux doit désigner un service de coordination antifraude (SCAF) pour favoriser la coopération et l'échange d'informations avec l'OLAF, dont il est le correspondant principal.
Pour la France, le SCAF est assuré par la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF), rattachée au ministère de l'économie, qui a par ailleurs pour mission le pilotage de la coordination des administrations.

Dans la pratique, il existe, en France, un double circuit de transmission :
  • pour les enquêtes internes, l'OLAF transmet son rapport directement aux autorités judiciaires, accompagné de recommandations aux fins d'ouverture d'une enquête pénale au niveau national;
  • pour les enquêtes externes, l'OLAF transmet son rapport et ses recommandations aux autorités de gestion (régions ou administrations) et à d'autres autorités (judiciaires, financières, administratives ou disciplinaires).
    Ces autorités peuvent ensuite saisir le parquet européen, sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale.

Quelles relations entre le procureur européen et Eurojust ?

Les relations entre le parquet européen et Eurojust sont régies par le règlement instituant le parquet. Des réunions entre le chef du parquet européen et le président d'Eurojust devront avoir lieu régulièrement pour évoquer les sujets d'intérêt commun. Le parquet européen :
  • aura la possibilité d'associer Eurojust à ses activités,
  • pourra partager avec Eurojust des informations sur ses enquêtes. À cet égard, il disposera indirectement d'un accès au système de gestion des dossiers d'Eurojust par un système de concordance/non-concordance (hit/no hit).

Il sera intéressant d'observer les effets sur l'activité d'Eurojust de la création du parquet européen, les procureurs européens délégués allant travailler directement avec les autorités judiciaires, alors que la coordination passe aujourd'hui par les bureaux nationaux d'Eurojust.


Eurojust comptait 313 agents à la fin de l'année 2018, dont 91 membres nationaux, membres adjoints et assistants, et 222 agents de l'administration.

Il bénéficie de crédits à hauteur de 274,5 millions d'euros sur la période 2014-2020. Son budget s'établissait à 38,6 millions d'euros en 2018, après 37,6 millions en 2017, soit une hausse de 2,7 %.
Toutefois, le budget initial prévu pour 2019 s'établit à 38,1 millions d'euros, en baisse de 1,3 %. L'évolution des moyens dont Eurojust disposera à l'avenir fait l'objet d'inquiétudes, ont relevé les rapporteurs du rapport d’information.

Selon le ministère de la justice, Eurojust a su trouver sa place en matière de coopération judiciaire pénale entre les autorités judiciaires nationales.
Le nombre de dossiers ouverts par Eurojust chaque année témoigne du dynamisme de son activité et reflète à la fois la confiance en cette agence et la valeur ajoutée avérée qu'elle apporte dans la conduite des enquêtes.

Ce dynamisme se traduit par la progression régulière, avec une accélération depuis 2014, de l'activité d'Eurojust, qui a augmenté de 74,5 % entre 2014 et 2018.
2 tendances  se dégagent:
  • les saisines concernent principalement des dossiers bilatéraux, les dossiers multilatéraux n'en représentant que 16 %. Cela peut s'expliquer pour certains États membres par l'absence d'un réseau robuste de magistrats de liaison ;
  • une augmentation sensible des dossiers ouverts en matière de terrorisme depuis 2014.
L'activité du bureau français d'Eurojust illustre le dynamisme des relations des autorités judiciaires françaises avec cette agence : il a été saisi de 400 dossiers en 2017 et de 541 en 2018, dont 9 en matière de terrorisme.
La France est l'un des États membres qui utilisent le plus Eurojust (17,2 % des dossiers ouverts), derrière l'Allemagne (715 dossiers ouverts en 2018) et l'Italie (646).


synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr 


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