Pages

lundi 24 septembre 2018

Le Parquet européen va-t-il être doté de prérogatives antiterroristes ?


C’est du moins l’idée de la Commission européenne qui a présenté une communication visant à étendre les compétences du tout nouveau Parquet européen.
Cette initiative, présentée du dans la perspective du Conseil européen de Sibiu du 9 mai 2019, vise à surmonter les difficultés constatées dans le domaine de la lutte antiterroriste transfrontière.
Elle est d’autant plus intéressante à relever que cet effort de centralisation au niveau européen entre en résonance avec les travaux menés en France en matière de création d’un parquet national antiterroriste.

De quoi parle-t-on ? 

La menace terroriste reste élevée et continue d’évoluer, appelant une réponse encore plus forte de la part de l’Union européenne.
Un renforcement de la capacité existante à l’échelle de l’Union pour enquêter sur les infractions terroristes, mener des poursuites en la matière et traduire les auteurs en justice fait partie intégrante de la réponse européenne globale aux menaces terroristes.

En sa qualité d’unique organe de l’Union habilité à mener des enquêtes pénales, à engager des poursuites pénales devant les juridictions nationales compétentes et à traduire les auteurs en justice, le Parquet européen recèle un grand potentiel pour renforcer considérablement les efforts actuellement déployés dans le domaine de la lutte contre les infractions terroristes dans l’Union européenne.

Une coopération insuffisante face à la menace terroriste

Si des progrès significatifs ont été accomplis et, dans certains cas, une coopération transfrontière a été menée avec succès, l’Union ne dispose cependant pas de dispositif au niveau européen pour mener des poursuites dans ce domaine, comprenant toutes les étapes, depuis l’enquête et la poursuite jusqu’au renvoi en jugement des infractions terroristes transfrontières.

Au fil des ans, l’Union a mis en place une série de mesures pour améliorer la coopération transfrontière en ce qui concerne les infractions terroristes. En particulier, Eurojust et Europol facilitent dès à présent la coopération multilatérale, respectivement en matière judiciaire et répressive, ainsi que la coordination et l’échange d’informations dans les affaires concernant la grande criminalité transfrontière à la demande des autorités nationales.
Le rôle d’Eurojust sera encore renforcé par son nouveau cadre juridique qui doit entrer en application en 2019.


La charge de travail d’Eurojust dans le domaine de la lutte contre les infractions terroristes a plus que doublé entre 2015 et 2017 (41 dossiers traités en 2015, 67 en 2016 et 87 en 2017), tandis que le nombre d’équipes communes d’enquête a quadruplé (en 2017, 12 équipes communes d’enquête ont été créées pour les besoins de la lutte antiterroriste, contre 4 en 2016 et 3 en 201).
Or, les dossiers traités par Eurojust montrent clairement qu’une approche commune et coordonnée entre les autorités judiciaires nationales est de plus en plus nécessaire.

Qu’est ce que le Parquet européen ?


Le Parquet européen récemment créé est responsable des enquêtes et des poursuites des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Acte fondateur du Parquet européen, le règlement (UE) 2017/1939 est entré en vigueur le 20 novembre 2017 avec la participation de 20 États membres. Depuis lors, 2 États membres supplémentaires se sont associés à la coopération renforcée.

Au total cette coopération renforcée rassemble : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Croatie, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Portugal, République Tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie. Des travaux sont en cours pour faire en sorte que le Parquet européen devienne pleinement opérationnel d’ici 2020.

Le Parquet européen est indépendant, agissant au niveau de l’Union, chargé d’enquêter sur les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union dans son ensemble, de poursuivre leurs auteurs et de les traduire en justice.


La structure intégrée du Parquet européen comprend le chef du Parquet européen et les procureurs européens, qui forment le collège des procureurs européens, organisé en chambres permanentes.
Une fois mis en place, ce collège exercera ses activités au bureau central du Parquet européen établi à Luxembourg. Le bureau central dirigera et surveillera les travaux des procureurs européens délégués affectés dans les États membres participants.
De tels procureurs européens délégués font partie intégrante du Parquet européen. ils enquêteront et engageront des poursuites en la matière et les renverront devant les juridictions nationales compétentes.

Quant au bureau central, il surveille, dirige et supervise les enquêtes et les poursuites menées par les procureurs européens délégués. Il garantit une politique cohérente en matière d’enquêtes et de poursuites dans toute l’Europe.

Le Parquet européen fonctionnera comme un parquet unique dans tous les États membres participants, ce qui signifie qu’en principe, des équipes communes d’enquête ad hoc ou des demandes d’entraide judiciaire ne seront pas nécessaires, comme c’est le cas aujourd’hui.
Dans le cadre de son activité, le Parquet européen pourra aussi recourir à un ensemble complet de mesures d’enquête pour réunir des éléments de preuve, aussi bien à charge qu’à décharge, dans le but de mener des poursuites judiciaires cohérentes et efficaces.

Où veut-on aller ? L’extension des compétences au terrorisme

Les affaires de terrorisme font l’objet d’enquêtes et de poursuites parallèles et isolées dans plusieurs États membres.
De ce fait, leur complexité et/ou leur caractère transfrontière ne sont pas toujours correctement pris en compte.
Les frontières des juridictions nationales peuvent ainsi entraver les efforts pour comprendre et combattre les activités des terroristes et des cellules ou réseaux terroristes transfrontières.

Or, le Parquet européen, avec sa structure institutionnelle et ses processus décisionnels intégrés, offre des avantages considérables dans la lutte contre les infractions terroristes transfrontières. Cette structure :
  • réunit les connaissances des systèmes juridiques nationaux, permet d’avoir un aperçu unique des activités criminelles transfrontières dans l’Union,
  • prévoit une prise de décision rapide par l’intermédiaire de chambres permanentes, au sein desquelles les procureurs européens exercent leurs activités,
  • assure un suivi effectif au niveau national par l’intermédiaire des procureurs européens délégués.

Un système de gestion des dossiers garantira des flux de communication rapides entre tous les procureurs du Parquet européen établis au niveau central et local dans toute l’Union.

Et pourquoi ? Les lacunes justifiant de cette extension

1er problème : pour ce qui est de l’échange d’informations sur les affaires de terrorisme, Eurojust a indiqué dans son récent rapport sur les combattants terroristes étrangers qu’il n’existait aucune approche harmonisée en ce qui concerne les informations partagées.
Il subsiste des différences en ce qui concerne le volume, le type et la portée des informations partagées avec Eurojust par chaque ‎État membre.
En raison du caractère sous-optimal de cet échange d’informations, la capacité d’Eurojust de déceler des liens existants avec des enquêtes et des poursuites en cours, reste entravée.

2e problème : les rapports d'Eurojust sur le suivi des condamnations pour terrorisme indiquent qu’il existe également des problèmes en ce qui concerne la collecte et le partage d’informations utilisées comme moyen de preuve concernant des affaires de terrorisme.
Plus particulièrement, dans les affaires de terrorisme, la collecte dépend souvent du recours à des techniques spéciales d’enquête ou nécessite l’intervention d’une autorité nationale.
Bien souvent, de telles informations ne sont pas partagées afin de protéger les sources d’information, de garantir l’anonymat des informateurs ou de faire en sorte que les méthodes par lesquelles les informations ont été obtenues demeurent confidentielles.

3e problème : les mandats d’arrêt ou les perquisitions domiciliaires doivent être exécutés simultanément et les autorisations judiciaires doivent être obtenues en temps utile.
Or, il arrive que des priorités ou des sensibilités nationales différentes, ou simplement la (non-)disponibilité de ressources, influent sur le résultat final.
Il n’existe pas, à l’échelle de l’Union, d’autorité centrale qui assure une coopération réellement harmonieuse entre les acteurs des différents Etats membres.

4e problème : les infractions terroristes touchent souvent plusieurs pays. Souvent aussi, les suspects et les victimes sont de différentes nationalités.
Des conflits de compétence peuvent par exemple survenir lorsque les victimes de la criminalité viennent de différents États membres, ce qui amène tous les États membres concernés à vouloir exercer leur compétence à l’égard du même acte terroriste.
Par exemple, dans plusieurs affaires terroristes récentes, deux États membres ou plus ont fait valoir parallèlement leur compétence en ce qui concerne la poursuite de la même infraction pour des motifs différents, tels que la nationalité de la victime ou la compétence territoriale.
De telles poursuites parallèles pourraient donner lieu à des situations de type ne bis in idem.

5e problème : il n’existe actuellement, au niveau de l’Union, aucun mécanisme adéquat permettant de répondre à de telles situations.
Dans les affaires impliquant des cellules terroristes dont les membres sont actifs dans différents États membres, en particulier, une action coordonnée est cruciale afin de prévenir la disparition de preuves ou de suspects.
Si Eurojust peut jouer un rôle crucial dans la coordination des enquêtes, il ne peut pas, en vertu de son cadre juridique actuel, se prononcer sur les conflits de compétence, ni forcer les autorités des États membres à s’abstenir d’exercer leur compétence.

Quelle réponse à apporter concrètement ?


Le traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) prévoit la possibilité d’étendre les compétences du Parquet européen. Pour ce faire Conseil européen adopte une décision à l’unanimité, après approbation du Parlement européen et après consultation de la Commission.
Il peut étendre la compétence matérielle du Parquet européen à toutes les formes, à certaines formes de «criminalité grave ayant une dimension transfrontière». D’après la Commission, cette notion englobe le terrorisme.

À la suite de la décision du Conseil européen de modifier l’article 86 du TFUE, la Commission suggère de présenter une proposition législative visant à modifier le règlement (UE) 2017/1939 de façon à étendre la compétence du Parquet européen aux infractions terroristes affectant plusieurs États membres.
Comme le cadre actuel du Parquet européen est conçu pour mener des enquêtes et des poursuites concernant des infractions portant atteinte au budget de l’Union, l’extension de sa compétence aux infractions terroristes nécessitera logiquement d’apporter d’autres modifications au règlement actuel. Parmi les questions qui devraient être examinées dans le règlement figurent, par exemple, la définition de la compétence territoriale et personnelle du Parquet européen.
Une extension de la compétence du Parquet européen aux infractions terroristes affectant plusieurs États membres aurait des répercussions sur les missions et rôles actuels d’Europol et d’Eurojust. Le Parquet européen :
  • pourrait être habilité à charger Europol de réaliser des travaux d’analyse criminelle pour son compte ;
  • coordonnerait étroitement ses travaux avec Eurojust, afin de garantir la complémentarité entre les poursuites menées par le Parquet européen et celles entreprises par les autorités nationales avec l’appui d’Eurojust. Dans le même temps, Eurojust pourrait consacrer ses ressources au soutien des enquêtes transfrontières relatives à d’autres formes de criminalité, telles que la criminalité organisée, le trafic de stupéfiants et la traite des êtres humains.

synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr 



A lire sur securiteinterieure.fr :



Votre attention est le carburant de ma passion.


  Merci pour votre fidélité !
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

remarques et suggestions à formuler à securiteinterieure [à] securiteinterieure.fr

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.