Vladimir Poutine déclarait en septembre 2017 : « l'intelligence artificielle est l'avenir non seulement de la Russie, mais de toute l'humanité [...] Celui qui deviendra le leader dans ce domaine sera le maître du monde ».
Dans un rapport qui vient d’être adopté, le Sénat est convaincu que seule une action commune de l'ensemble des Européens peut permettre de ne pas être dépendants de futures technologies étrangères et des modèles de société qui les accompagneront.
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L’IA est comme le prochain saut technologique dans le monde.
Les États-Unis et la Chine dominent la compétition mondiale derrière laquelle se cachent deux modèles différents d'intelligence artificielle.
Les 18 derniers mois ont vu de nombreux pays adopter une stratégie pour promouvoir l'utilisation et le développement de l'IA : le Canada, le Japon, l'Inde, le Mexique, la Corée du Sud, Singapour, Taïwan et les Émirats arabes unis.
Éloignée de la déclaration de son président sur le sujet, la Russie n'a pas affiché d'ambition particulière en matière d'intelligence artificielle, ni déployé de stratégie nationale propre.
Une étude réalisée démontre que l'Europe est en retard dans l'investissement privé en IA.
Alors que ses entreprises investissaient entre 2,4 et 3,2 milliards d'euros en 2016, l'Asie apportait 6,5 à 9,7 milliards d'euros et l'Amérique du Nord entre 12,1 et 18,6 milliards d'euros.
La domination des États-Unis
Les États-Unis sont actuellement et incontestablement le leader mondial de l'intelligence artificielle. En mai 2018, l'administration Trump a énoncé 4 objectifs en matière d'intelligence artificielle :
- maintenir le leadership américain ;
- soutenir le travailleur américain ;
- promouvoir la recherche publique ;
- éliminer les obstacles à l'innovation.
Grâce à la puissance économique des GAFAM, ils disposent d'une avance technologique indéniable.
Ils ont engagé une politique d'accumulation massive de données, de matériels de pointe et de capacités de recherche, notamment en attirant les meilleurs spécialistes au monde.
Selon la Commission européenne, 240 000 européens travaillaient dans la Silicon Valley en 2017.
Les budgets que les GAFAM consacrent à la recherche et à l'innovation sont colossaux (16 milliards de dollars pour Amazon en 2017).
À côté de ces grands groupes, la Silicon Valley comprend entre 12 000 et 15 000 start-ups spécialisées dans l'IA.
Le pays était en 2016 le premier bénéficiaire d'investissements en IA à hauteur de 71 %.
Ces grands groupes sont également très présents en dehors de leurs frontières en exerçant une double action :
- ils rachètent de façon quasi systématique toute entreprise innovante en matière d'IA pour renforcer leurs propres capacités et étouffer la concurrence ;
- ils exercent aussi leur influence (soft power) au profit de leurs intérêts dans les enceintes internationales de normalisation et de régulation à l'image de ce qu'ils ont pratiqué dans les instances techniques de régulation de l'Internet.
La Chine comme challenger des Etats-Unis
Beaucoup d'observateurs s'accordent à dire que la Chine a opéré une transition d'une stratégie d'imitation à une stratégie d'innovation.
En d'autres termes, là où la Chine copiait les technologies occidentales, elle invente désormais.
Elle a su également développer des calculateurs à haute performance du premier niveau mondial.
Le lien entre secteur public et secteur privé, la très faible régulation des données personnelles, le soutien de la population au progrès technologique sont autant d'atouts qui font de la Chine le premier rival des États-Unis.
La Chine a publié en juillet 2017 une stratégie nationale pour l'IA des plus ambitieuses.
Les autorités chinoises ont annoncé qu'elles investiraient 22 milliards d'euros dans l'IA d'ici à 2020 et jusqu'à 59 milliards d'ici à 2025 dans l'objectif de rattraper les États-Unis.
Au-delà, la Chine ambitionne d'être le leader mondial de l'IA en 2030, où le marché a été estimé à 15 700 milliards de dollars.
Pour mettre en œuvre cette stratégie planifiée par le pouvoir politique, la Chine peut s'appuyer sur des grands groupes privés du numérique chinois.
Pour assouvir son ambition, la Chine devra toutefois surmonter 2 handicaps :
- sa dépendance technologique à l'égard des États-Unis pour les processeurs (et dans une moindre mesure les puces) ultra performants dont l'IA a besoin ;
- les ressources humaines : la Chine doit, d'une part, attirer les talents et, d'autre part, former en masse des ingénieurs.
Pour le Sénat, l’Europe a les capacités en matière d’IA, mais elle doit s'en donner les moyens
Pour mieux se préparer à cette nouvelle révolution technologique et se placer à son tour dans la course à l'IA, l'Europe se devait de réagir.
Si, comme il a été montré, plusieurs États membres ont adopté une stratégie, une action européenne s'avère nécessaire.
Il s'agit de résister à des superpuissances et de développer notre propre conception de machines intelligentes. Les États européens n'y parviendront pas seuls.
Elle dispose d'atouts non négligeables pour cela.
Toutefois, elle doit agir vite, fort et de manière globale. C'est aussi l'orientation prise par la Commission européenne.
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L'approche prônée par la Commission européenne a été validée par le Conseil en juin 2018. Pour le Sénat, elle a le mérite d'un constat juste et équilibré sur les bienfaits et les méfaits supposés d'une nouvelle technologie et de prôner une approche volontariste.
L'Union doit redevenir un acteur majeur dans l'évolution technologique du monde.
Le Sénat salue la mobilisation de la Commission européenne, qui ouvre la voie.
En effet, la Commission européenne a fait de l'intelligence artificielle le principal bénéficiaire de la phase pilote du future Conseil européen de l'innovation.
Elle a décidé d'affecter, au total, 1,5 milliard d'euros à l'IA au titre du programme-cadre de recherche et d'innovation actuel, Horizon Europe d'ici à 2020.
Le 7 décembre 2019, la Commission européenne a présenté un plan coordonné dans le domaine de l'intelligence artificielle.
Elle a en outre soumis les premières propositions du groupe de travail sur l'éthique à une consultation publique ouverte jusqu'au 18 janvier 2019.
Une priorité : augmenter l’investissement dans l’IA
Face aux montants investis par les Américains et les Chinois, la Commission européenne propose d'augmenter les investissements européens dans l'IA.
Le Sénat juge la mesure ambitieuse. La Commission donne l'impulsion et compte sur les effets d'entraînement et de levier tels qu'ils ont été mis en œuvre dans le cadre du plan Juncker.
A ce propos, pour le prochain cadre financier pluriannuel, elle propose d'investir 1 milliard d'euros par an dans la recherche sur l'IA dans le cadre du programme de recherche et d'innovation Horizon Europe.
Son objectif est de dégager 20 milliards d'euros d'investissements chaque année sur la période 2020-2030.
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En complément la Commission européenne propose de lancer un nouveau fonds pour soutenir les start-ups et les PME dans le domaine de l'intelligence artificielle et des chaînes de blocs.
L'objectif est d'aider ces jeunes pousses non seulement dans la phase de démarrage mais aussi dans la phase d'expansion pour assurer leur croissance et éviter qu'elles soient rachetées.
Là encore, le financement initial proviendrait d'Horizon 2020 et s'appuierait sur l'effet de levier du Fonds européen pour les investissements stratégiques et du Fonds européen d'investissement.
Force et faiblesse de la mise en réseau de centres d'excellence
Les exemples étrangers aux États-Unis et en Israël le montrent, un environnement favorable à l'innovation passe par une bonne coopération entre les entreprises et les laboratoires de recherche.
Pour concentrer les efforts, définir un agenda stratégique et rassembler ces communautés, la Commission européenne propose la création d'un nouveau partenariat public privé pour la recherche et l'innovation dans l'intelligence artificielle.
Inspirée par les exemples des partenariats existant pour la robotique, d'une part et les mégadonnées, d'autre part, la Commission espère que le secteur privé apportera des investissements conséquents dans l'IA.
Elle s'appuie sur le fait que ces deux partenariats bénéficient d'un total de 4,4 milliards d'euros d'investissement dont 3,2 proviennent de l'industrie.
La Commission européenne propose, en outre, la mise en place à travers l'Union d'un réseau de centres d'excellence de classe mondiale en matière d'intelligence artificielle.
Ces centres qui doivent mener des expériences et des vérifications d'innovations en conditions réelles pourront bénéficier des fonds dédiés à l'intelligence artificielle dans le futur programme pour une Europe numérique à hauteur de 1,5 milliard d'euros.
Pour le Sénat, les projets de la Commission pour renforcer la recherche et l'innovation dans l'IA affichent une certaine cohérence. Cependant, il s'inquiète :
- d'une trop grande dispersion des crédits pour satisfaire l'ensemble des acteurs et des pays européens ;
- du fait que cette approche fortement centrée sur la recherche et l'innovation risque de servir principalement les grands groupes en mesure de racheter quasiment n'importe quelle entreprise et technologie prometteuses.
Créer un projet d'intérêt européen commun en faveur de l’IA
Le Sénat dénonce depuis longtemps les limites de la politique de la concurrence qui interdit la constitution de champions européens capables de rivaliser dans la compétition économique mondiale. D’après lui, cette vision centrée sur le marché unique est dépassée à l'heure des économies ouvertes et du numérique qui abolit les frontières.
Le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) prévoit toutefois que des projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) peuvent faire l'objet d'aides financières de plusieurs États membres.
Un 1er projet important d'intérêt européen commun européen a été autorisé le 18 décembre dernier en faveur de la microélectronique, dont le volet français s'intitule Nano 2022.
Pour le Sénat rapporteurs, l'innovation dans certains secteurs clés de l'intelligence artificielle répond pleinement à l'exigence d'un PIIEC.
Il préconise donc la création rapide d'un « important projet d'intérêt européen commun » en faveur de l'intelligence artificielle.
Défendre les valeurs et les intérêts européens dans le monde
D’après la Sénat, si l'Europe veut être un acteur qui compte sur l'échiquier mondial de l'intelligence artificielle, elle doit assurer ses intérêts et ses valeurs dans les instances mondiales de régulation.
Il n'est pas certain par exemple que les Chinois, qui veulent aussi mettre l'intelligence artificielle au service de leurs citoyens, aient la même conception que les Européens.
C'est pourquoi les lignes éthiques qui seront adoptées à la fin du premier trimestre 2019 devront ensuite être intégrées dans un cadre juridique mondial de l'IA.
L'entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données (RGPD) a eu un retentissement mondial. Ce régime traduit une approche européenne de la régulation de l'économie numérique.
Sa portée symbolique se mesure notamment en Californie où l'État envisage à son tour d'adopter des règles de protection des données à caractère personnel.
Or, le monde numérique semble entrer dans une nouvelle phase où la prise de conscience de la valeur des données à caractère personnelles peut déboucher sur une plus grande régulation.
Pour le Sénat, l'IA n'obéira pas au même modèle : les grandes puissances ont engagé une course à la technologie, derrière laquelle plusieurs modèles se dessineront.
Un modèle européen doit donc pouvoir être mis en avant dans le cadre d'une régulation mondiale que l'Europe doit contribuer à mettre en place. En outre, ces valeurs peuvent être partagées par d'autres, notamment en Occident : le Canada, la Norvège, la Suisse, voire les États-Unis sont autant de partenaires avec lesquels l'Union européenne peut bâtir un socle commun de valeurs éthiques, ainsi qu'une communauté de vues et d'intérêts.
Le Sénat salue l'initiative franco-canadienne de créer un GIEC de l'intelligence artificielle. Ce G2IA soutiendra l'adoption responsable de l'IA, axée sur le respect des droits de la personne.
En outre, le 23 octobre 2018, une déclaration sur l'éthique et la protection des données dans le secteur de l'intelligence artificielle a été adoptée par la Conférence internationale des commissaires à la protection des données (ICDPPC).
Ce texte était porté par les CNIL française et italienne et par le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD).
synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr
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