Pages

mercredi 8 mars 2023

Face à la violence routière, l'Europe veut mettre fin à l'impunité des conducteurs étrangers

 



L’affaire « Pierre Palmade », qui a récemment défrayé la chronique, a mis en lumière la violence routière et ses conséquences les plus tragiques. L’Union européenne est également concernée par cette situation. Dans le viseur ? Les conducteurs ressortissants d’un autre Etat membre qui bénéficient à l’heure actuelle d’une certaine impunité.
Certes, une directive sur la coopération transfrontalière avait été adoptée en 2015, destinée à y mettre fin, mais force est de constater son inefficacité. En conséquence, une révision est actuellement en cours. L’objectif de la proposition présentée ? D'une part, étendre le type de comportements dangereux visant à faire l'objet de cette coopération transfrontalière  et d'autre part, faciliter l’assistance mutuelle entre services nationaux chargés du suivi et du recouvrement des amendes. Cette coopération est pour l’heure, le principal talon d’Achille du dispositif.


Le cadre actuel : la « directive CBE »

La directive CBE actuelle établit l’échange électronique de données d'immatriculation des véhicules entre les États membres par l'intermédiaire de points de contact nationaux désignés. Ceci permet d'identifier le propriétaire/détenteur du véhicule immatriculé à l'étranger avec lequel l'infraction a été commise. 

En outre, ce texte désigne le système européen d'information sur les véhicules et les permis de conduire (Eucaris) comme plate-forme informatique privilégiée pour l'échange électronique des données d'immatriculation des véhicules. Plus exactement, l'échange des données d'immatriculation des véhicules («VRD») s'effectue par l'intermédiaire d'un système électronique unique – le système européen d'information sur les véhicules et les permis de conduire (Eucaris).

Le texte couvre 8 infractions routières liées à la sécurité routière : 

  • excès de vitesse, 
  • non-port de la ceinture de sécurité, 
  • non-arrêt à un feu rouge, conduite en état d'ébriété, 
  • conduite sous l'influence de stupéfiants, 
  • non-port du casque de sécurité, 
  • utilisation d'une voie interdite 
  • l'utilisation illégale d'un téléphone portable

Le texte porte avant tout les infractions sont détectées avec un « radar », c’est-à-dire à distance avec des moyens de détection.


Le but de la « directive CBE » : supprimer l’anonymat des délinquants étrangers 

L'analyse d'impact accompagnant la première proposition de directive CBE de 2008 estimait que les conducteurs non résidents représentaient environ 5 % du trafic routier dans l'UE (en termes de véhicules-kilomètres) mais qu'ils commettaient environ 15 % des infractions pour excès de vitesse. 

Par conséquent, ils sont relativement plus susceptibles de commettre des excès de vitesse que les conducteurs résidents. L'une des raisons identifiées était que les non-résidents estimaient qu'ils risquaient moins d'être sanctionnés lorsqu'ils conduisaient dans un État membre où ils ne résidaient pas et qu'ils risquaient moins de faire l'objet de poursuites judiciaires s'ils ne payaient pas les amendes imposées par autorités étrangères. La directive CBE vise donc à supprimer l’anonymat des délinquants étrangers en augmentant le nombre d'affaires transfrontalières instruites. 


Le problème : un ralentissement de la baisse du nombre de morts

La proposition présentée note un nombre de morts sur les routes trop élevé. Ce chiffre, 18 800 victimes en 2020, est toujours bien supérieur à la valeur cible. 

Certes, la sécurité routière dans l'UE s'est considérablement améliorée au cours des 20 dernières années. Le nombre de tués sur les routes a diminué de 61,5 %, passant d'environ 51 400 en 2001 à environ 19 800 en 2021. Néanmoins, l'amélioration de la sécurité routière n'a pas été suffisamment forte pour répondre à l'ambition politique de l'UE de réduire de 50 % le nombre de tués sur les routes entre 2001 et 2010, et de 50 % supplémentaires entre 2011 et 2020 (c'est-à-dire de 75 % entre 2001 et 2020)  

D’ailleurs, dans les années précédant 2020, il n'y a pratiquement pas eu de baisse du nombre de tués sur les routes. 


L'impunité des conducteurs étrangers dans le collimateur

Le ralentissement connu dans les années précédant 2020 était déjà apparu vers 2014. Il a poussé les ministres des transports de l'UE à publier une déclaration ministérielle sur la sécurité routière lors du Conseil informel des transports à La Valette en mars 2017. Dans cette déclaration, les États membres ont invité la Commission à explorer le renforcement du cadre juridique de l'Union en matière de sécurité routière afin d'inverser cette tendance à la stagnation.

En juin 2019, la Commission a publié le cadre stratégique de l'UE en matière de sécurité routière 2021-2030 – Prochaines étapes vers la « vision zéro ». La Commission y proposait de nouveaux objectifs intermédiaires pour réduire de 50 % le nombre de tués et de blessés graves sur les routes entre 2020 et 2030, comme le recommandait la déclaration de La Valette. 

La répression transfrontalière des infractions routières liées à la sécurité routière est l'un des principaux piliers du système car elle réduit l'impunité des conducteurs étrangers. 


L’inefficacité de la directive CBE

Quant à la stratégie de mobilité durable et intelligente de 2020, la Commission définit le jalon de la réduction du nombre de morts pour tous les modes de transport dans l'UE à près de zéro d'ici 2050. Pour ce faire, elle a annoncé la révision de la directive. 

Il est important de noter que le Parlement européen a appelé, dans une résolution approuvée en octobre 2021, sur le cadre politique de l'UE en matière de sécurité routière 2021-2030 de revoir la directive CBE, jugé inefficace.

Alors que la directive CBE  a contribué à supprimer l’anonymat des délinquants étrangers en augmentant le nombre d'affaires transfrontalières instruites, elle a aussi prouvé ses limites puisque son effet dissuasif n'était pas suffisant pour lever l’impunité des contrevenants. 


Le cœur du problème : l’absence de coopération mutuelle

L'évaluation de la directive BCE de 2016 a identifié différentes raisons empêchant la répression des contrevenants non-résidents : 

  • environ la moitié des infractions routières détectées commises par des non-résidents n'ont pas fait l'objet d'une enquête ; 
  • environ la moitié des sanctions pécuniaires pour les infractions routières qui avaient fait l'objet d'une enquête n'ont pas été appliquées avec succès; 
  • presque toutes les infractions pour lesquelles les contrevenants ont refusé de payer des amendes n'ont pas été exécutées - les amendes versées étant essentiellement dues à des paiements volontaires. 

Les lacunes identifiées étaient l’absence d'assistance mutuelle. La coopération est lourde et chronophage. L’entraide entre les États membres n’a pas lieu pour enquêter sur les infractions routières liées à la sécurité routière. Le texte pointe les lacunes dans l’application des sanctions après l'échange des données d'immatriculation des véhicules, en particulier lorsque différents régimes de responsabilité sont à appliquer.


Première avancée : une extension des comportements interdits

La proposition de directive vise à renforcer la sécurité routière en étendant le champ d'application de la directive CBE à d'autres infractions:

  1. ne pas se tenir à une distance suffisante du véhicule qui précède ; 
  2. effectuer dépassement dangereux; 
  3. opérer un stationnement dangereux; 
  4. traverser une ou plusieurs lignes blanches continues ; 
  5. conduire à contre-sens ; 
  6. ne pas respecter les règles de création et d'utilisation des corridors d'urgence; 
  7. utiliser un véhicule surchargé. 


Deuxième avancée : des données d'immatriculation pleinement exploitables

Le texte prévoit que les États membres sont tenus de maintenir certaines données d'immatriculation des véhicules («VRD») disponibles et à jour. Dans les cas où un véhicule a été loué (ou fait l'objet d'un contrat de location à long terme), les États membres sont autorisés à effectuer des recherches automatisées dans les registres des véhicules pour récupérer les données sur les utilisateurs finaux des véhicules lorsqu'elles sont disponibles. 

Une période de conservation des données est établie en ce qui concerne l'identité des anciens propriétaires, détenteurs et utilisateurs finaux des véhicules afin de fournir aux autorités les informations appropriées dont elles ont besoin pour enquêter sur les infractions.

Enfin, un nouvel article est ajouté sur l'utilisation d’autres bases de données dans les enquêtes sur les infractions à la sécurité routière. Il établit que les autorités de contrôle des États membres sont autorisées à utiliser non seulement les registres des véhicules, mais également d'autres registres tels que les registres nationaux des permis de conduire ou les registres de la population, dans la mesure où une telle utilisation est explicitement autorisée par la législation de l'Union . 


Troisième avancée : une meilleure définition des contours de l’obligation d’assistance mutuelle 

Un nouvel article sur les procédures d'assistance mutuelle est ajouté à la directive CBE. Il prévoit que les États membres sont tenus de se prêter mutuellement assistance dans les cas où, sur la base des résultats de la recherche automatisée effectuée, l'État membre dans lequel l'infraction a été commise ne peut pas identifier correctement le responsable d'une infraction à la sécurité routière. 

En outre, les procédures d'assistance mutuelle seront numérisées conformément à un acte d'exécution. 

Pour terminer, le contenu minimal de la lettre d'information est précisé. Il doit inclure notamment :

  • les informations sur l'infraction commise, 
  • les sanctions prononcées, les voies de recours, 
  • le paiement des sanctions pécuniaires – y compris les mesures d'atténuation –, 
  • les règles applicables en matière de protection des données, 
  • les informations sur l’organisme chargé de percevoir l’amende.


traduction et synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr



A lire aussi sur securiteinterieure.fr:


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

remarques et suggestions à formuler à securiteinterieure [à] securiteinterieure.fr

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.