Avant d’entrer dans le vif du sujet, il importe de formuler trois remarques importantes :
- L’idée est de se livrer en aucune manière, à une forme ou une autre de favoritisme en privilégiant un programme particulier. Il s’agit, à l’inverse, de prendre du recul sur chacun d’eux en identifiant, non seulement leurs forces, mais aussi et surtout leurs faiblesses respectives.
- Faute de temps et de place, le choix portera uniquement sur les partis crédités au 15 mai de plus de 5 % des voix. Seront donc passé au crible les programmes de 1. ELVV (Europe Ecologie Les Verts) 2. La France Insoumise 3. Les Républicains 4. Renaissance 5. Le Rassemblement national.
- Certains programmes sont particulièrement riches. L’analyse, qui n’a pas vocation à être exhaustive, est par conséquent imparfaite.
Seront évoqués dans deuxième partie, le programme de Renaissance et celui du Rassemblement national.
Pour les programmes de ELVV, de la France Insoumise et des Républicains, voir la première partie de cette analyse.
Renaissance : L’ambition ou l'éparpillement ?
Le lecteur ne manquera pas de découvrir dans le Programme Renaissance le nombre des mesures en faveur de l’Europe de la sécurité : mise en place d’un Conseil européen de sécurité intérieure, renforcement des pouvoirs d’Europol dans la lutte contre les passeurs, création d’un cyber-bouclier européen grâce à l’instauration d’une cyber-police, développement accru de Frontex, extension des pouvoirs du Parquet européen, création d'un registre judiciaire antiterroriste commun destiné à un meilleur échange d’informations, etc.
La place manque pour commenter chacune d’elles, mais une tendance se dégage malgré tout. Il s’agit de la volonté manifeste d’opérer un saut qualitatif, que ce soit en matière policière (faire d’Europol une police dotée de pouvoirs opérationnels), en matière judiciaire (en dotant le Parquet européen de compétences antiterroriste), de frontières (en renforçant les compétences de Frontex) ou dans le domaine de l’asile (en créant un Office européen de l’asile).
Les mesures du programme Renaissance s’inscrivent dans un cadre parfaitement cohérent axé autour d’une vision d’ensemble claire : stimuler la construction de l’Europe de la sécurité, consolider les frontières face au défi migratoire en faisant le constat qu’actuellement, « la lutte contre l’immigration illégale manque d’efficacité » et ordonner l’asile en apportant une réponse commune à partir de l’idée que pour l’heure, « l’accueil des réfugiés manque d’humanité ».
Surtout, le programme souligne clairement son attachement à Schengen comme espace de libre circulation. Sa sauvegarde est érigée comme priorité et en soulignant l’importance du renforcement de la protection des frontières extérieures en tant que condition d’existence de cet espace Schengen. Ce faisant, le programme ne fait, en réalité, que reprendre le principe même de la coopération Schengen, au moment de la signature de la convention d’application de 1990.
Si on pouvait reprocher au programme EELV les défauts de ses qualités, il en serait de même concernant le programme Renaissance : les faiblesses portent alors sur le revers de la richesse de mesures. Le néophyte découvrant le programme peut avoir l’impression d’un catalogue contenant une multiplicité de propositions allant dans toutes les directions.
Cette impression d’éparpillement se combine à une autre, celle du flou d’une partie d’entre elles. Autant la plupart sont compréhensibles, autant d’autres laissent songeurs.
C’est le cas de la proposition visant à renforcer le contrôle des mouvements financiers pour assécher les financements des terroristes. Concrètement, quelle mesure faut-il prendre et quelles avancées sont à préconiser, notamment au regard des conclusions du Conseil ECOFIN du 5 décembre 2018 sur ce thème ?
Si le flou de certaines mesures peut donner le sentiment d’une posture incantatoire, d’autres questionnent sur la faisabilité juridique.
Comment par exemple faire d’Europol une véritable police criminelle européenne sans porter atteinte aux dispositions de l’art. 88 du traité sur le fonctionnement de l’UE ? Certes, à défaut de pouvoir modifier les traités, il serait possible de rétorquer qu’une coopération renforcée entre Etats membres volontaires est envisageable pour dépasser l’obstacle juridique que constitue cet article interdisant à Europol de disposer de pouvoir de police judiciaire. Cependant, c’est oublier que toute coopération renforcée doit s’effectuer dans le respect plein et entier des traités.
En somme, la volonté politique est là et c’est indéniable, la clarté juridique l’est un peu moins.
Le Rassemblement national : L'efficacité sacrifiée sur l'autel de la lisibilité ?
La force du programme est sa lisibilité. Abondance d’exemples parlants, mise en page agréable, ton relevé et style dynamique, le lecteur y est rapidement happé et il est alors difficile de s’en extraire. Les formules et les images employées frappent les esprits, tandis que les propositions se caractérisent par leur simplicité et donc leur accessibilité au plus grand nombre.
Ce programme, qui se lit comme un roman, repose de surcroît sur une logique d’ensemble parfaitement huilée conférant à chaque proposition avancée sa place dans l’édifice global.
Sur le fond, le ton est donné sous forme de vérités assénées brutalement : le programme démarre par « le bilan désastreux » de l’Europe.
La politique d’asile est particulièrement visée et le terme de « laxisme » revient à trois reprises. L’immigration régulière est décrite comme massive et l’islamisme comme une menace existentielle. Les mesures draconiennes sont préconisées, au premier chef l’arrêt de l’immigration y compris l’immigration légale, l’expulsion systématique des clandestins et la fermeture des mosquées radicales.
Au-delà de la volonté d’agir vite et fort, le programme est empreint de nombreuses faiblesses, donnant le sentiment que le fond n’est pas à la hauteur de la forme. Première faiblesse : le nombre modeste de propositions sécuritaires.
Comparé aux programmes concurrents, notamment celui de Renaissance et celui des Républicains, le programme du Rassemblement national fait pâle figure.
Cette indigence se combine avec une autre faiblesse, à savoir le fait que le programme suggère des mesures relevant de la compétence des Etats individuellement (fermeture des mosquées, non renouvellement des titres de séjour). Quelle pertinence en effet à proposer des mesures sur lesquelles l’UE n’a en aucune manière son mot à dire dessus ?
Troisième faiblesse, le choix du modèle intergouvernemental retenu. En matière de frontières extérieures, le programme du Rassemblement national propose la création d’une coopération renforcée.
L’observateur attentif ne manquera pas de relever que cette idée fait écho ni plus ni moins qu’au retour de … Schengen à l’époque où il s’agissait d’une coopération intergouvernementale aux mains des Etats (avant son intégration dans l’acquis de l’Union avec le traité d’Amsterdam de 1997).
Ce choix en faveur de l’intergouvernemental interroge, puisque l’expérience montre qu’un tel modèle a très largement révélé ses limites (ce qui avait amené les Etats membres, face aux vagues migratoires répétées, à changer de format en jetant les bases, au début des années 2000, de l’agence Frontex qui verra ses pouvoir croître au fil du temps avec la bénédiction des Etats membres, y compris ceux du Nord de l’Europe, les plus hostiles à l’idée d’une « police européenne aux frontières »).
Il en est de même en matière de coopération policière et judiciaire.
Le programme souligne l’importance de la « volonté politique et une coopération entre les services de police et de justice ». Nul n’oubliera que l’Europe de la sécurité était bâtie précisément dans les années 1990 sur cette logique de l’Europe des nations : respect des souverainetés, principe de l’unanimité, processus décisionnel relevant du mode intergouvernemental et mécanismes d’entraide policière et judiciaire respectueux des souverainetés.
Or le résultat de cette Europe intergouvernementale (celle du « troisième pilier du traité de Maastricht » pour les initiés) est peu reluisant.
Le bilan est maigre eu égard à la paralysie récurrente de la prise de décision (chaque Etat ayant un droit de véto), au nivellement par le bas des textes adoptés (les propositions étant systématiquement rabotées), à la lenteur de textes mis en œuvre (les textes étant mal appliqués faute d’instance de contrôle et de sanction) à la création de mécanismes d’entraide lourds, bureaucratiques et inefficaces.
Sans donner plus de précisions, le programme du Rassemblement national semble donc vouloir revenir à cet ancien monde, dans les années 1980 et 1990 où les policiers et les magistrats (certains se souviendront de « l’Appel de Genève » lancé en 1996 pour une justice efficace) se plaignaient de manière récurrente que les criminels avaient fait l’Europe se jouant des frontières nationales, tandis que les forces de sécurité se heurtaient au sacro-saint principe de territorialité.
Quatrième et dernière faiblesse, l’imprécision des mesures avancées. Ainsi, il est bien indiqué qu’il faut « expulser systématiquement les clandestins », mais il n’est pas indiqué comment. Idem pour la coopération policière et judiciaire.
Comment moderniser les outils existant tout en renonçant à la supranationalité ? Là encore rien n’est dit. Faute de réponse concrète, le lecteur se satisfera du contre-feu ouvert par les attaques faites sur le vote des députés européens Républicains.
Bref, autant la forme du programme est une réussite indéniable, autant le fond plonge le lecteur dans un abîme de perplexité.
- Pour les programmes de ELVV, de la France Insoumise et des Républicains, voir la première partie de cette analyse.
Analyse par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr
- Programme EELV
- Programme de la France insoumise
- Programme des Républicains
- Programme Renaissance
- Programme du Rassemblement national
En complément, à regarder "Élections européennes, demandez le programme" (Vidéo de la chaine Arte)
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