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jeudi 16 mai 2019

Sécurité, terrorisme, frontières : comparatif critique des programmes politiques pour les Européennes


L’Europe de la sécurité est devenue un enjeu central des élections européennes. Désireux de s’extraire de la politique politicienne, ainsi que ses petites phrases et ses formules creuses, cette analyse se propose d’apporter un regard distancié en procédant à un comparatif critique des différents programmes électoraux.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il importe de formuler trois remarques importantes :
  • L’idée est de se livrer en aucune manière, à une forme ou une autre de favoritisme en privilégiant un programme particulier. Il s’agit, à l’inverse, de prendre du recul sur chacun d’eux en identifiant, non seulement leurs forces, mais aussi et surtout leurs faiblesses respectives.
  • Faute de temps et de place, le choix portera uniquement sur les partis crédités au 15 mai de plus de 5 % des voix. Seront donc passé au crible les programmes de 1. ELVV (Europe Ecologie Les Verts) 2. La France Insoumise 3. Les Républicains 4. Renaissance 5. Le Rassemblement national.
  • Certains programmes sont particulièrement riches. L’analyse, qui n’a pas vocation à être exhaustive, est par conséquent imparfaite.

Seront évoqués dans cette première partie, les programmes de ELVV, de la France Insoumise et des Républicains.
Pour le programme de Renaissance et celui du Rassemblement national, voir la deuxième partie de cette analyse.



ELVV (Europe Ecologie Les Verts) : une sécurité plus humaine ou trop humaine ?

L’entame du programme d’ELVV pourrait figurer dans celui du Rassemblement national : « Il faut dire la vérité : ce sont aujourd’hui les gouvernants qui sont à côté de la plaque. Ils nous conduisent dans le mur et ne proposent que des solutions qui ont déjà montré leur incapacité à améliorer nos vies ».
Le ton est donc donné. Pourtant, cette amorce aux relents antiélites cache des positions politiques d’ELVV aux antipodes du Rassemblement national.
D’abord, les Verts indiquent clairement leur préférence en faveur d’une Europe fédérale. Ensuite, ils promeuvent une politique migratoire ouverte.
Cette politique refuse de tourner « le dos aux migrant.e.s qu’ils [les gouvernants « à côté de la plaque »] laissent mourir à nos frontières alors qu’il faut construire un monde de coopération et une Europe accueillante.
L'aspect sécuritaire est abordé sous un seul angle, celui de la corruption. Le constat dressé par le texte est que ce phénomène coûte à l’UE entre 179 et 990 milliards d’euros par ans. Il suggère donc de renforcer notamment les compétences du Procureur européen.

Il y peu de commentaires à formuler, car les propositions relatives à l’Europe de la sécurité sont peu nombreuses. On pourrait reprocher au programme EELV son absence de propositions quant à la lutte antiterroriste ou la cybercriminalité, mais ce passage sous silence s’explique par la conception qui sous-tend le programme.
Il s’agit à ce propos d’une sécurité plus « humaine » en contradiction complète avec celle d'une sécurité « identitaire » que propose le Rassemblement national.
Il ne s’agit pas de traiter des menaces à la nation, mais à l’être humain quel que soit son origine et son appartenance : la pollution, le changement climatique et les atteintes aux droits de l’homme.
Cette vision à la fois écologique, humaniste et sociale est clairement affirmé en conclusion : « L’Europe actuelle n’a plus de sens : le nouveau modèle européen doit conjuguer préservation des écosystèmes, défense des droits sociaux et démocratie ». Pour dire les choses autrement, en faisant l’impasse sur l’Europe de la sécurité, ce programme a tous les défauts de ses qualités.





Le France Insoumise : L'équilibre liberté-sécurité, mais une occasion manquée ?

En parcourant le programme de la France insoumise sur l’immigration, le lecteur ne sera guère surpris, celui-ci se trouve bien à gauche sur le plan des idées politiques.
Il souhaite en effet stopper la « guerre » faites aux migrants, promouvoir leur accueil digne et combattre l’Europe forteresse.
En ligne de mire se trouve la militarisation de la politique européenne de contrôle des flux migratoires, même si Frontex n’est pas nommément cité.

A première vue donc, le programme de la France insoumise se rapproche de celui d’EELV. Cependant, il existe une opposition majeure, à savoir le refus d’une Europe fédérale. Cette posture eurosceptique n’est pas pour autant à rapprocher de celle du Rassemblement national.
En effet, le choix s’oriente, non pas vers une stratégie de repli national ou sur une coopération entre Etats à la carte, mais en faveur du multilatéralisme.
Les organisations internationales sont en effet à l’honneur : l’ONU pour ce qui est d’organiser une conférence internationale sur les migrations (tout en ne mentionnant pas le Pacte de Marrakech alors sur la FI n’y est pas hostile), et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) concernant une conférence portant, pour sa part, sur les frontières.

Cette hostilité à l’égard du caractère supranational de la construction européenne ressort de l’idée que la gestion des frontières extérieures relève de la compétence d’une organisation internationale pan-européenne (et non plus l’UE comme c’est le cas actuellement).
Il en est de même pour ce qui de la gestion des frontières intérieures de l’espace Schengen. Exit donc le rétablissement des contrôles à ces frontières en cas d’afflux de migrants, conformément aux dispositions du Code Frontières Schengen. L’approche coordonnée de la crise s’opère dans un cadre intergouvernemental pan-européen.

En réalité, et c’est le deuxième point de différence majeure avec le programme d’ELVV, celui de la France insoumise prend à bras le corps les questions de sécurité, de police et de terrorisme.
 Il propose par exemple de « renforcer Europol pour identifier et surveiller la grande majorité de djihadistes restés sur place en parallèle, séparer les djihadistes des autres prisonniers ».
Cette mesure, qui aurait pu se retrouver dans le programme des Républicains, atteste, une fois encore, du virage d’une partie de la Gauche amorcé dans les années 1990, en faveur de la sécurité.

Ce qui distingue alors le programme de la France insoumise des autres partis situés plus à droite sur l’échiquier politique a trait davantage au souhait de nuancer la portée des mesures préconisées : favoriser le principe d’une action de police et non militaire, ou encore adosser au dispositif de transfert des données des passagers ariens (PNR (Passenger Name Record)) à une meilleure réglementation sur la protection des données à caractère personnel et à l’établissement d’un « Comité d’éthique ».

Dans la même veine, le programme suggère de « refaire de la sûreté un droit fondamental ». L’ambivalence du terme traduit cette préoccupation du programme la France insoumise en faveur à la fois de la sécurité et des libertés, puisque le droit à la sûreté peut se comprendre dans son acception historique (protéger l’individu de l’arbitraire du pouvoir, ceci au nom des principes tels que mentionnés dans le Déclaration des droits de l‘Homme), et dans son acception actuelle, où le droit à la sûreté tend à se comprendre comme le droit à la sécurité.
Toujours dans cette volonté de nuancer et de lutter contre les amalgames, le programme propose une hiérarchisation des menaces, une évaluation européenne de la lutte contre la radicalisation en mettant en balance son coût et ses risques de stigmatisation des populations musulmanes et son refus d’une approche sécuritaire fondée sur le « choc des civilisations ».

Une faiblesse importante du programme porte sur l’articulation entre d’une part, les ambitions affirmées par lui en faveur d’une Europe de la sécurité et d’autre part, sa volonté claire de « sortir des traités européens actuel ». Un constat s’impose à ce propos.
Ce programme se montre très critique face à une sécurité anglo-saxonne, d’où une réévaluation des programmes de radicalisation d’inspiration britannique, une recontinentalisation des politiques antiterroristes et de renseignement, et un refus d’une « soumission de l’UE aux États-Unis au nom de la lutte antiterrorisme (transferts unilatéraux de données personnelles, prisons secrètes de la CIA en Europe, espionnage de masse des institutions et dirigeants européens par les États-Unis, etc.) ».
Cette posture se double d’une volonté nette de « défendre l’indépendance de la France, et le renforcement des moyens de l’État pour lutter contre le terrorisme ».

Pour autant, l’UE dispose d’un acquis conséquent en faveur de la sécurité (que ne nie pas le programme qui promeut le renforcement d’Europol). Reste que cette sortie des traités entrainerait irrémédiablement un détricotage de l’acquis juridique de l’Union (à la plus grande joie de certains tenants du Rassemblement national, ou bien, outre-Manche, ceux du Brexit). Une telle sortie serait néfaste, y compris pour la concrétisation des mesures telles que « l’instauration d’un corps européen civil de secours et de sauvetage en mer pour éviter les milliers de noyés en Méditerranée ».
Les progrès en matière de protection civile sont considérables ces dernières années, en témoignent les travaux relatifs au rescEU, qui visent à dépasser le dispositif existant, en l’occurrence la « capacité européenne de réaction d’urgence », en dotant l’Union de ses propres réserves. Or cet outil pourrait très bien servir à concrétiser ce corps européen civil de secours et de sauvetage. Sortir des traités européens reviendrait dès lors à jeter le bébé avec l’eau du bain.


Les Républicains : La voie du pragmatisme ou le chemin de l’ambiguïté ?

En parcourant le programme des Républicains, un élément saute aux yeux du lecteur. Le texte se révèle qualitatif concernant les propositions sécuritaires. Les préconisations sont précises et bien argumentées. Présentées de manière claire, elles sont marquées à la fois par leur diversité et par leur robustesse.

Un autre élément saute également aux yeux. Il s’agit du nombre de mesures correspondant au programme Renaissance sur la sécurité : l’extension des compétences du Parquet européen (#14), Europol (#13), Frontex (#4) ou l’expulsion des migrants par l’agence (#7).
Le sentiment d’une compatibilité, voire une complémentarité est très forte sur les questions sécuritaires.
Il est possible d’imaginer aisément un terrain d’entente quant à la mise en œuvre de certaines mesures du programme des Républicains, comme la généralisation du contrôle des vols aériens (PNR – «Passenger Name Record») (#15) et celles du programme Renaissance comme le cyber-bouclier européen.

Les nuances à apporter sont donc ailleurs. La différence est d’abord d’un point de vue conceptuel, puisque le programme des Républicains récuse l’approche « opposant les auto-proclamés «progressistes » à la prétendue « lèpre nationaliste» ».
 Il propose à cet égard une autre Europe en refusant le modèle actuel de construction européenne.
La différence porte en outre sur la réponse apportée de la question migratoire. Le programme des Républicains entend clairement reporter son traitement en dehors de l’Union (#3), en refusant l’idée d’une répartition même volontaire des demandeurs d’asile entre Etats membres préconisée par le programme Renaissance au titre de la solidarité.
Cette divergence de fond entre ces deux programmes se double également d’une approche plus stricte à l’égard des migrants.
Alors que le programme Renaissance propose de favoriser le retour volontaire à l’expulsion, et de promouvoir l’intégration, le programme des Républicains fait montre de davantage de fermeté : interdiction d’entrée sur le territoire de toute personne n’ayant pas respecté la procédure de demande d’asile via des centres internationaux d’étude de l’asile (#3), montée en puissance les forces de contrôle naval et aérien de la Méditerranée (#4), retour systématique des bateaux de migrants sur les côtes africaines (#5), accroissement notable du vol groupés d’expulsion des illégaux organisés par l’agence Frontex (#7) et conditionnalité des aides au développement des pays tiers à la coopération (#8).

Si, sur ces derniers points, le programme des Républicains se rapproche de celui du Rassemblement national, le premier a néanmoins le mérite de présenter des mesures concrètes, alors que le second demeure excessivement vague sur des questions pourtant au cœur de ses préoccupations.
En prenant du recul, le constat observé dans de nombreux pays européens, à savoir le raidissement des positions politiques en matière migratoire, est observable en France : alors que le programme Renaissance refuse expressément l’immigration à des fins de travail, celui des Républicains, soucieux de se démarquer propose davantage en faisant montre de sévérité accrue à l’égard de l’immigration illégale, reprend la sémantique du Rassemblement national, à savoir l’« immigration de masse ».
Or, si la stratégie politique en faveur d’une telle sémantique peut aisément se comprendre dans la perspective de captation d’une partie de l’électorat (tenté par un vote en faveur) du Rassemblement national, elle pose question au regard des faits, puisque, au vu des différents rapports de Frontex sur la question des entrées illégales (FRAN Q2 2018 et ARA 2019), force est de constater que les flux se sont taris depuis plusieurs mois à présent.

Une autre faiblesse a trait à l’ambiguïté du programme des Républicains quant à l’espace Schengen. Celui-ci suggère en effet la mise en place d’une « double protection de nos frontières : une protection européenne et une protection française, pour arrêter l’immigration de masse » (#1).
À ce titre, le rétablissement des contrôles aux frontières nationales devient un maillon central du dispositif et ce, d’autant plus que ces contrôles ont vocation à être pérennisés « tant que les frontières extérieures de l’Union européenne ne nous protègent pas efficacement des flux migratoires incontrôlés ».
Cette remise en cause de Schengen comme espace de libre circulation peut faire l’objet d’une double lecture : positivement, il s’agit d’aiguillonner l’Union en vue d’intensifier le renforcement des frontières extérieures.
Dans un contexte différent, cette stratégie fait écho à l’appel pressant à la Cour européenne de justice formulé par la Cour constitutionnel allemande dans son célèbre arrêt bien connu des juristes, l’arrêt « Solange » (« aussi longtemps que » en français), lui intimant d’intervenir pour assurer à l’échelle européenne, un niveau de protection adéquat des droits de l’homme. Cette conditionnalité insérée dans le programme des Républicains peut donc être perçue comme stimulante.

Cependant il existe une autre lecture, bien plus pessimiste. Il s’agit dès lors de rétablir une fois pour toutes les frontières nationales, l’Union ne pouvant atteindre le niveau souhaité en matière de réduction du volume des migrations illégales.
Cette posture rappelle en son temps les propos du Président Sarkozy sur l’espace Schengen qui avait souhaité suspendre les « accords de Schengen » jusqu’à ce qu’ils soient réformés. Le recloisonnement de l’espace Schengen poserait alors de sérieuses difficultés.
Le défi est d’abord économique, au regard de l’impact négatif non négligeable sur le Marché intérieur et donc sur le dynamisme et la compétitivité des entreprises françaises. Il est juridique ensuite, puisqu’il est contraire aux traités actuels. La permanence des contrôles requerrait une sortie de ces traités, solution qui ne manquerait de ravir certains tenants du Rassemblement national… ainsi que ceux de la France insoumise.


Analyse par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr 



En  complément, à regarder "A qui servent les élections européennes" (Vidéo du journal Le monde)



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