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dimanche 22 mars 2015

L’Assemblée nationale fait le point sur le rôle joué par la France dans Schengen et la protection des frontières de l’UE


A l’heure où le nombre d'immigrés entrés clandestinement dans l'UE a plus que triplé en début d'année et où Athènes menace l’UE d’ouvrir les portes aux migrants, l’Assemblée nationale a publié un rapport d’information très complet sur les politiques européennes en matière de lutte contre l’immigration irrégulière au regard des migrations en Méditerranée.

D’après les auteurs du rapport, en l’état actuel, il n’est pas possible de parler d’une politique en matière de lutte contre l’immigration irrégulière mais de plusieurs politiques, segmentées en différentes actions sectorielles.

Le contrôle des frontières et le rôle de Frontex est sans doute l’élément le plus visible de ces politiques. Ces mêmes auteurs estiment que ses moyens devraient être renforcés et que l’ambition de créer à terme un corps européen de gardes-frontières doit être rappelée.

Le rapport étant extrêmement fourni et détaillé, la synthèse portera sur le rôle de la France dans ces politiques européennes de lutte contre l’immigration clandestine, en particulier dans la gestion des frontières extérieures de l’UE (à lire en complément le fil des article de securiteinterieure.fr sur l'immigration clandestine et les frontières extérieures, et notamment L'agence Frontex confrontée à 276.000 entrées clandestines en Europe, soit une hausse de 155% en un an).


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La situation aux frontières : une « pression migratoire sans précédents »

Dans son rapport d’analyse des risques de Frontex sur le deuxième trimestre 2014 (paru le 15 octobre 2014), Frontex souligne que les variations observées ce premier semestre 2014 sont supérieures aux variations saisonnières précédemment analysées.
Selon les dernières informations disponibles, 251 262 franchissements de frontières irréguliers ont été enregistrés entre janvier et novembre 2014, dont 19 928 pour le seul mois de novembre, soit une hausse de 149 % par rapport à la période de janvier à novembre 2013 (le chiffre de 2014 atteint deux fois et demie celui de 2013 pour la même période).
Dans son rapport d’analyse des risques sur le deuxième trimestre 2014 (paru le 15 octobre 2014), Frontex souligne que les variations observées ce premier semestre 2014 sont supérieures aux variations saisonnières précédemment analysées.

Les franchissements irréguliers ont atteint un niveau inédit en 2014. Ils sont dus pour une large part aux conflits civils et militaires existants et persistants dans des États proches de la zone méditerranéenne.

Selon l’Assemblée nationale, il apparait clairement que la situation aux frontières maritimes est tout à fait préoccupante et sans précédent par rapport aux analyses conduites depuis 6 ans par Frontex. Même au regard de l’année 2011, pendant laquelle l’immigration irrégulière avait augmenté, notamment par mer, les franchissements irréguliers sont plus de deux fois supérieurs s’agissant des entrées par voie maritime.

Entre le deuxième trimestre 2013 et le deuxième trimestre 2014, l’Italie a fait état d’une multiplication par 8 des franchissements irréguliers, et l’Espagne a connu une hausse de 50 %.
La principale route suivie est la route de la Méditerranée centrale (163 674 franchissements entre janvier et novembre, soit un quasi triplement par rapport à la même période en 2013), puis la route de la Méditerranée orientale (47 198 franchissements enregistrés, soit un doublement par rapport à la même période en 2013), et la route des Balkans occidentaux (22 620).

Un tiers de l’ensemble des migrants étaient Erythréens (depuis le premier trimestre 2014, en Méditerranée centrale, leur nombre aurait été multiplié par dix, passant de 1 522 à 16 207).
Plus de 10 000 Syriens ont cherché à rejoindre l’Union par la frontière maritime italienne et 5 000 par la frontière gréco-turque.
Les Maliens représentaient la troisième nationalité la plus importante (3 064 personnes) au deuxième trimestre 2014.

… et « des conditions de traversée dramatiques »


Dans un rapport suite au drame de Lampedusa, l’organisation internationale pour les migrations (OIM) (communiqué de presse en français) indique que, sur les neuf premiers mois de l’année 2014, 4 077 migrants ont été recensés comme ayant perdu la vie dans le monde, dont 3 072 pour la seule Méditerranée, qui apparait comme étant de loin la zone la plus dangereuse pour les migrants irréguliers (251 morts recensés en Afrique de l’Est et 230 recensés à la frontière entre le Mexique et les États-Unis).
Les chiffres réels sont, selon l’OIM, bien supérieurs aux statistiques connues. L’organisation estime que, depuis 2000, 22 400 personnes auraient perdu la vie en tentant d’atteindre l’Europe.

La situation totalement instable en Libye et les violences à l’encontre de ressortissants d’États sub-sahariens ont poussé ces personnes, qui pouvaient auparavant travailler en Libye, à prendre la mer dans des conditions très dangereuses.
Le rapport de Frontex souligne que nombre d’Erythréens ont vécu un certain temps en Libye et n’avaient pas planifié de rejoindre l’Europe mais qu’ils ont décidé de le faire compte tenu de la dégradation de la situation.

Le rapport d’analyse des risques sur le deuxième trimestre 2014 de Frontex note que près de 51 000 personnes ont été sauvées en mer au cours de 274 opérations de sauvetage entreprises par les autorités italiennes (principalement, voir la suite du rapport), les opérations communes coordonnées par Frontex et les navires civils.

Les effets controversés et paradoxaux de l’opération Mare Nostrum

L’opération Mare Nostrum a été lancée à la seule initiative de l’Italie le 18 octobre 2013, à la suite du drame de Lampedusa qui avait coûté la vie à 366 migrants le 3 octobre 2013.

L’opération visait la détection précoce des embarcations de migrants afin d’éviter les situations dangereuses pour les migrants et de recueillir le plus d’informations possibles sur les trafiquants. En cas d’immigration irrégulière suspectée, la marine procédait au recueil de preuves puis le navire était acheminé jusqu’aux eaux territoriales italiennes où il était placé sous le contrôle de la Guardia di Finanza (douanes).
Les navires italiens disposaient des capacités logistiques pour identifier les migrants à bord et les soigner. Une évacuation vers des hôpitaux à terre était possible en cas de nécessité.

Mare Nostrum a été financée par la Marine italienne sur son budget. Le coût de la mission a été évalué à 9 millions d’euros par mois.

Selon les derniers éléments communiqués, l’opération Mare nostrum aurait permis de sauver plus de 150 000 personnes.
La Marine italienne juge également cette opération efficace en termes de sécurité maritime et de lutte contre tous types de trafics. Son effet dissuasif a été souligné.

Néanmoins, d’après  certains États membres, parmi lesquels la France, qui avait dès l’origine souligné les risques liés à ce type d’opération en termes d’effet d’appel, Mare nostrum aurait paradoxalement pu contribuer à faciliter le trafic et à accroître le nombre de migrants.
Cette opération aurait permis aux trafiquants de migrants d’envoyer des migrants toujours plus nombreux sur des embarcations de plus en plus dangereuses, disposant de moins en moins d’eau et vivres, la Marine italienne les secourant près des côtes libyennes.

Participation française aux activités de Frontex

En 2013, la direction centrale de la police aux frontières a participé à 73 actions de coopération bilatérale, qui consistent notamment en l’envoi d’experts pour des missions à l’étranger (missions, formations, audits) ou en l’accueil de policiers étrangers dans les services français. En 2013, 31 actions se sont ainsi déroulées en France et 42 à l’étranger.
Au premier semestre 2014, 21 actions ont été réalisées, parmi lesquelles dix en France et onze à l’étranger.

La direction centrale de la police aux frontières entretient notamment, selon les informations transmises aux rapporteurs, des relations régulières et donnant de bons résultats avec son homologue espagnol (le Commissariat général des étrangers et des frontières), par le biais d’échanges croisés d’experts, quatre fois par an, sur une durée de trois semaines.

Les représentants espagnols assistent les fonctionnaires français à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle lors de l’arrivée des vols en provenance d’Amérique latine et d’Amérique centrale et les fonctionnaires français assistent leurs homologues espagnols dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla au Maroc.

Par ailleurs, en 2013, 59 experts de la direction centrale de la police aux frontières ont été déployés par la France à la demande de Frontex dans le cadre des opérations coordonnées par l’agence.
Ces agents appartiennent au vivier des équipes européennes de gardes-frontières et exercent des missions en fonction des profils qui leur sont attribués. Les participations aux opérations de 2013 se sont réparties:
  • aux frontières terrestres : les experts ont été déployés par la direction centrale de la police aux frontières, notamment sur certains tronçons des frontières bulgares, croates, romaines, polonaises, et grecques,;
  • aux frontières aériennes : les experts de la direction centrale de la police aux frontières ont été déployés dans les aéroports européens dans le cadre des opérations « Focal points Air », « Flexi-Force Mizar » et « Meteor ». En outre, les aéroports de Roissy-Charles de Gaulle et d’Orly ont accueilli des fonctionnaires de plusieurs États membres sur l’année 2013 ;
  • aux frontières maritimes : les experts de la direction centrale de la police aux frontières ont été déployés dans le cadre des opérations « Aeneas » et « Hermes » en Méditerranée centrale, « Indalo » et « Minerva » en Méditerranée occidentale, « Poséidon » en Méditerranée orientale et « Focal Points sea » aux points de passages frontaliers de 6 États membres. Un navire de patrouille maritime de la marine nationale a été déployé dans le cadre de l’opération  « Indalo ».

Il convient d’ajouter que les moyens proposés par la Marine nationale française, qui permettent de patrouiller au-delà des zones couvertes par les systèmes de surveillance côtiers, sont rarement mobilisés par Frontex car c’est à l’agence qu’il revient de rembourser le coût des heures de mer et de vol consacrées aux missions.
La relative faiblesse du budget opérationnel de Frontex l’incite plutôt à se tourner vers les États proposant de petits moyens côtiers, moins onéreux et sortant à la journée, mais ne disposant pas des capacités de navires conçus pour la haute-mer. Ainsi, en 2011 et 2012, aucun moyen de la marine française n’avait été retenu.

… et participation de la France au système Eurosur

Eurosur est un réseau géré par Frontex qui vise à améliorer la capacité des États membres et de l’agence à partager et coordonner les informations et les ressources et à réagir aux incidents aux frontières extérieures de l’Union. Eurosur doit permettre aux autorités nationales et à Frontex d’améliorer leur connaissance de la situation aux frontières et leurs capacités de réaction. Il vise à prévenir, détecter et combattre l’immigration irrégulière et la criminalité transfrontalière et doit contribuer à assurer une meilleure protection des migrants.

Selon le règlement, Eurosur devrait considérablement améliorer les capacités opérationnelles et techniques de Frontex et des États membres et contribuer à réduire le nombre de décès de migrants.
L’European Patrol Network met en réseau depuis 2007 les patrouilles navales et les moyens de surveillance côtiers des États membres de l’espace Schengen.
Pour la France, le dispositif national permanent de surveillance des approches nationales repose sur la chaîne sémaphorique et son réseau Spationav, qui sera connecté à Eurosur à partir de 2015, et sur les patrouilles navales coordonnées entre administrations.
La Marine nationale, incluant la gendarmerie maritime, a consacré en Méditerranée près de 10 000 heures de mer et plus de 200 heures de vol à cette surveillance des approches depuis octobre 2013.

Le réseau Seahorse Mediterraneo repose sur un réseau d’échange d’informations relatives à l’immigration irrégulière et aux activités illicites entre les États parties et les pays tiers au Sud de la Méditerranée, ainsi que sur un volet de formation et d’entraînement au profit des personnels de pays tiers chargés de la surveillance des frontières.
Le réseau Seahorse Mediterraneo est encore en cours d’élaboration et doit entrer en service en 2015. Ce projet a été initié par la Guardia Civil espagnole sur la base du programme Seahorse Atlantico (partenariat espagnol avec le Maroc, le Sénégal, la Mauritanie et le Cap-Vert).
 Il a fait l’objet d’une déclaration de partenariat de Chypre, de l’Espagne, de l’Italie, de Malte, du Portugal, de la Grèce et de la France. Concernant les pays tiers, seule la Libye a signé une déclaration de partenariat mais aucune coopération n’est possible à ce jour.
L’Algérie, la Tunisie et l’Égypte ont été invitées à rejoindre le projet.

Bien qu’Eurosur concerne tous les États membres de la zone Schengen, l’utilisation qui en est faite aujourd’hui reste inégale. Les États membres se contentent en règle générale de reporter a posteriori les événements survenus et les actions entreprises.
Or, le règlement Eurosur ainsi que les investissements réalisés par Frontex visent à en faire un instrument de surveillance et de report, en temps réel, de la situation dans les approches terrestres et maritimes de l’Europe, ainsi que dans les aéroports pour les États qui le souhaitent.
La direction centrale de la police aux frontières souligne également que les informations sont le plus souvent entrées avec retard, ce qui pèse sur le caractère opérationnel du dispositif.

Lutte contre l’immigration clandestine et retour des migrants illégaux


La politique de l’Union en matière de retour des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière est un élément central de la lutte contre l’immigration irrégulière.

Dans le dernier rapport annuel sur l’analyse de risque de Frontex publié en 2014, l’agence rappelle que, en 2013, 224 305 décisions d’éloignement ont été prises à l’encontre de ressortissants de pays tiers (baisse de 17 % par rapport à 2012 ).
En 2013, 160 699 ressortissants d’États tiers ont été effectivement renvoyés dans leur pays d’origine ou de transit, la Grèce et le Royaume-Uni étant les deux États membres ayant effectué le plus grand nombre de retours. 54 % des retours effectués étaient des retours forcés.

En France, le taux d’exécution des mesures d’éloignement prononcées (17), est passé de 18,9 % en 2011 à 23,3 % en 2012. Le nombre d’éloignements effectifs d’étrangers depuis la métropole a atteint, en 2012, 36 822 (21 841 si l’on exclut les départs aidés).
Il convient de souligner que 11 000 personnes ont fait l’objet de renvoi ou de réadmission vers un État membre de l’Union européenne.
La question des accords de réadmission est au cœur de la politique de retour. La France est signataire de 43 accords bilatéraux de réadmission. Le plus récent a été conclu et signé avec le Kosovo le 2 décembre 2009.

D’une manière générale, les difficultés rencontrées par la France avec certains pays tiers le sont également par les autres États membres (Pakistan). Un certain nombre de pays tiers sont peu coopératifs (Afghanistan, Inde, Maroc, Algérie, Nigéria, Bengladesh, Iran, Irak).

Lutte contre les filières d’immigration clandestine


Entre 2012 et 2013, Frontex a noté une baisse des arrestations des passeurs de 11 % (6 900 arrêtés), qui peut être analysée au regard de la pratique qui s’oriente davantage vers la fraude documentaire, permettant aux réseaux d’agir en amont et de demeurer en retrait.

Selon les informations transmises aux rapporteurs par le ministère de l’intérieur, 178 filières ont été démantelées en France en 2012 (dont 146 par la police aux frontières et 77 avec le concours d’un ou plusieurs pays) :
  • 87 filières étaient spécialisées dans la fraude documentaire, 
  • 80 organisaient le passage ou le séjour de clandestins, 6 concernaient des »  mariages blancs »,
  • 5 étaient relatives à des reconnaissances indues d’enfants. 

L’évolution est très marquée par rapport aux années précédentes, s’agissant du recours de plus en plus fréquent à la fraude documentaire (en 2011, la grande majorité des filières étaient spécialisées dans l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers, sans lien avec la fraude documentaire).

En 2012, 1 278 personnes ont été mises en cause (371 organisateurs, 210 logeurs, 147 passeurs, 73 employeurs aidants, 172 faussaires ou fournisseurs de faux et 305 autres).
Les filières agissaient principalement au profit de ressortissants d’Algérie, du Brésil, de Chine, de la République démocratique du Congo, du Pakistan et de la Turquie.

En 2013, 203 filières ont été démantelées et 1 470 personnes ont été mises en cause. Les filières agissaient principalement au profit de ressortissants originaires de l’Algérie, du Brésil, du Maroc, de la République démocratique du Congo, d’Haïti et de la Chine.

À l’issue du premier semestre 2014, 95 filières ont été démantelées et 705 personnes ont été mises en cause. S’agissant de l’origine des filières, les filières agissaient principalement au profit de ressortissants originaires de Tunisie, de Chine, du Maroc, de l’Algérie et de la Côte d’Ivoire.

L’unité de coordination opérationnelle de lutte contre le trafic et l’exploitation des migrants (UCOLTEM) constitue en France le point de contact unique en matière de coopération policière internationale et a engagé depuis plusieurs années une collaboration européenne au profit des enquêteurs des brigades mobiles de recherche et de l’office central pour la répression de l’immigration irrégulière et de l’emploi d’étrangers sans titre (OCRIEST), qui est un service de la police aux frontières.

L’UCOLTEM et l’OCRIEST travaillent, au plan européen, en étroite collaboration avec l’Office européen de police (Europol)  compétent en matière de lutte contre les filières d’immigration irrégulière et de fraude documentaire.

synthèse du rapport par securiteinterieure.fr


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