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mardi 7 décembre 2021

Pour le Sénat, le "Pacte sur l’asile et la migration" a peu de chances d’aboutir sous présidence française

 

 

Selon un rapport d’information du Sénat, le scepticisme est de mise : le "paquet" de mesures contenues dans le Pacte sur l’asile et la migration destiné à apporter une réponse rapide et globale aux crises migratoires ont peu de chances d'être adoptées dans le cadre de la prochaine présidence française du Conseil de l’UE. Plus exactement, il existe encore des divisions persistantes entre Etats membres concernant l’adoption de l’ensemble des mesures figurant dans ce Pacte présenté par la Commission européenne en septembre 2020. Or, ces divisions sont de nature à compromettre l'adoption de l'ensemble d'un tel paquet que le Sénat juge pourtant bienvenu.




D'où vient-on ?

Depuis une dizaine d’années, l’Union européenne et ses États membres, qui ont une compétence partagée en matière migratoire, font face à une « crise migratoire larvée », qui a atteint son paroxysme en 2015-2016 avec la crise syrienne.
En réalité, cette crise a agi comme un révélateur des insuffisances des politiques de migration et d’asile européennes. Elle a été surmontée par une plus grande coopération européenne entre les pays européens et entre l’Union européenne et ses voisins.
Mais la situation actuelle reste instable et témoigne d’une absence de coordination entre les États membres malgré les nombreux efforts qui ont permis depuis 2016.


Et où va-t-on ?

La crise de 2015 a souligné les difficultés des États membres et de l’Union européenne à s’accorder sur un régime d’asile commun ou sur une politique de retours effective ainsi que la tentation du « chacun pour soi » face à des migrations aux caractéristiques très différentes suivant les pays.

Comme le constatait elle-même la Commission européenne, le 23 septembre 2020, « le système actuel ne fonctionne plus ». Présenté ce même jour, son projet de nouveau Pacte sur la migration et l’asile, ensemble de textes contraignants et d’orientations stratégiques, assume donc une « approche globale » que le Sénat qualifie de bienvenue et qui vise à donner une cohérence aux efforts déployés pour le contrôle aux frontières, la migration et l’asile et à rétablir une confiance mutuelle au sein de l’Union européenne.

Alors que la France doit prendre la présidence du Conseil au 1er janvier 2022, l’adoption du Pacte est très incertaine. La France souhaite donc poursuivre en priorité les négociations sur les dispositions législatives les plus consensuelles entre les États membres, en particulier Eurodac, en privilégiant une approche technique, et progresser autant que possible sur la dimension extérieure de la politique migratoire.


Une approche sur l'asile défaillante

La protection des frontières extérieures est le champ de compétences dans lequel l’Union européenne a enregistré le plus d’avancées ces dernières années.
Mais, malgré ces avancées, l’urgence d’une coordination européenne renforcée demeure, justifiant la présentation du Pacte pour la migration et l’asile.

Selon le Sénat, faute d’accord sur le « paquet asile » en 2016, aucun régime européen de l’asile n’a véritablement été mis en place en réalité.

En outre, les procédures sont trop longues : ainsi en France, où le délai moyen d’examen des demandes d’asile qui était déjà de 166 jours en 2019 s’est encore allongé avec la pandémie (275 jours en 2020).

Enfin, aux dires de la Commission européenne, en 2019, 32 % des demandeurs avaient déjà déposé des demandes dans d’autres États membres.


D'autres difficultés relevées

Par ailleurs, les débarquements de migrants à la suite d’opérations de recherche et de sauvetage en mer (86 300 traversées maritimes en 2020) ont continué à poser de grandes difficultés aux États membres dont la façade maritime est une frontière extérieure de l’Union européenne.

La difficulté des opérations de « retour » des migrants en situation irrégulière dans leur pays d’origine, accentuée par la pandémie en 2020, est avérée. Chaque année depuis 2008, ce sont environ 500 000 étrangers en moyenne qui reçoivent l’ordre de quitter l’Union européenne parce qu’ils y sont entrés ou y séjournent sans autorisation. Pourtant, seul un tiers d’entre eux retourne effectivement dans un pays tiers (29 % en 2019). Ce taux de retour effectif passe sous la barre des 20 % pour les retours vers des pays situés en dehors du continent européen.
En fait, en 2020, selon la Commission européenne, 394 000 ressortissants de pays tiers ont reçu l’ordre de quitter le territoire de l’Union européenne. Mais seulement 69 500 migrants irréguliers ont été renvoyés dans un pays tiers.


Peu de progrès pour une adoption rapide et globale du Pacte

Lors de sa présentation en septembre 2020, le Pacte sur la migration et l’asile avait été plutôt bien accueilli et l’ambition de la Commission européenne était de « boucler » un certain nombre de négociations dès la fin 2020.

Des progrès ont bien eu lieu mais ils sont ténus, avec l’accord politique trouvé sur la création de l’agence européenne de l’asile (en juin au Conseil et en septembre, au Parlement européen) et l’adoption de la réforme de « la carte bleue européenne », destinée à favoriser l’immigration légale en Europe des profils hautement qualifiés.


Un rapport de forces entre les États membres défavorable à une adoption rapide

Trois groupes d’États membres peuvent être distingués dans cette négociation.  Ces États membres du « groupe de Visegrad » (Hongrie ; Pologne ; Slovaquie ; République tchèque) s’opposent toujours à l’instauration d’un mécanisme de solidarité obligatoire pour la relocalisation des demandeurs d’asile. Ils souhaitent une négociation « en paquet » et soulignent l’intérêt prioritaire du renforcement de la dimension externe de la politique migratoire de l’Union européenne.

Face à eux, les États membres de première entrée (Espagne, Grèce, Italie, Malte) déplorent les lacunes du Pacte en matière de solidarité européenne et constatent que de nouveaux efforts leur sont demandés par la réforme, en particulier avec l’allongement des durées de prise en charge des demandeurs d’asile.

Un troisième groupe d’États membres, regroupant la France, l’Allemagne, la Belgique, cherche à trouver un compromis acceptable par tous entre responsabilité et solidarité et entre dimensions extérieure et intérieure des politiques migratoires.


La stratégie du gouvernement français pour l'adoption du Pacte

Le gouvernement français, qui prépare la présidence française du Conseil de l’Union européenne espère des obtenir des accords au moins sur les dispositions législatives considérées comme les plus urgentes entre États membres, à savoir le règlement sur le filtrage, la refonte de la directive «Retour» et le règlement Eurodac.
En effet, malgré leur volonté affichée d’une adoption du Pacte « en paquet », les États membres de première entrée et ceux du groupe de Visegrad ont marqué leur intérêt pour ces dispositions.

Sur la méthode, les négociateurs français comptent avancer « pas à pas » avec leurs homologues dans le cadre d’une « approche technique » des dossiers pour tenter de construire des majorités.
Simultanément, ils souhaitent progresser sur la dimension extérieure de la politique migratoire qui fait également l’objet d’un relatif consensus entre acteurs du débat européen.
Enfin, la présidence française souhaitera vraisemblablement obtenir un mandat de négociation pour tirer les leçons du « Brexit » en matière de droit d’asile entre la France et le Royaume-Uni.


synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr


 


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