Le projet de recommandation du Conseil établissant un Cyber Blueprint (schéma directeur) est sur la table. En termes savants, ce schéma directeur de l'Union pour la gestion des crises de cybersécurité est un outil stratégique de l’Union européenne pour organiser une réponse coordonnée aux cybercrises majeures.
En termes plus imagés, il s'agit d'une boussole et d'une carte marine pour permettre aux Etats membres naviguer collectivement à travers la tempête que constitue la cybercrise.
De quoi parle-t-on?
Le Cyber Blueprint est un outil stratégique qui clarifie les rôles des acteurs clés (États membres, EU-CyCLONe, CSIRT, Commission…) tout au long du cycle de crise, de la prévention à la résilience. Bien qu’il ne soit pas juridiquement contraignant, il complète les dispositifs législatifs existants comme la directive NIS 2. Son objectif : garantir la sécurité numérique du marché intérieur face aux menaces transfrontalières. Il incarne l’engagement de l’UE pour une cybersécurité collective, agile et efficace.
Quand une attaque frappe — imprévisible, violente, et souvent transfrontalière — chaque acteur (pays, institution, agence) pourrait être tenté d’agir seul, comme un bateau isolé dans l’orage.
Mais le Cyber Blueprint vient donner :
- la direction (qui fait quoi, quand, comment),
- les outils pour lire les vagues (détection, partage d'infos, analyse),
- et les protocoles de coordination pour éviter que la crise ne devienne un naufrage collectif.
En somme, cet outil non contraignant ne contrôle pas les navires (les Etats membres). Il leur permet seulement de naviguer ensemble vers un cap commun dans un océan numérique de plus en plus instable.
A quoi sert le Cyberblueprint ?
Le Cyber Blueprint est un instrument non contraignant qui identifie des actions spécifiques pour les acteurs concernés en cas de cybercrise et qui peut renforcer l'efficacité globale du cadre de gestion des cybercrises. Il compléte l'ensemble du cadre législatif de cybersécurité établi au niveau de l'Union.
Il actualise le plan directeur établi dans la recommandation (UE) 2017/1584 de la Commission relative à une réaction coordonnée aux incidents et crises de cybersécurité de grande ampleur, et s'appuie sur les résultats et les enseignements tirés des exercices menés au niveau de l'Union depuis l'adoption de cette recommandation. Il s'inscrit dans des priorités politiques plus larges dans les domaines de la préparation et de la sécurité.
D’où vient-on ?
La recommandation (UE) 2017/1584 de la Commission relative à une réaction coordonnée aux incidents et crises de cybersécurité de grande ampleur définit les objectifs et les modalités de coopération entre les États membres et les entités de l'Union pour répondre aux incidents et crises de cybersécurité de grande ampleur. Elle recense les acteurs concernés aux niveaux technique, opérationnel et politique et explique comment ils sont intégrés dans le dispositif plus large de gestion des crises de l'Union, notamment les dispositifs IPCR.
Depuis 2017, l'Union a développé son cadre de cybersécurité au moyen de plusieurs instruments qui contiennent des dispositions pertinentes pour la gestion des crises de cybersécurité. C’est le cas le règlement (UE) 2019/881 du Parlement européen et du Conseil , la directive (UE) 2022/2555 du Parlement européen et du Conseil, du règlement d'exécution 2024/2690 de la Commission, le règlement (UE, Euratom) 2023/2841 du Parlement européen et du Conseil, du règlement (UE) 2021/887 du Parlement européen et du Conseil, du règlement (UE) 2024/2847 du Parlement européen et du Conseil et du règlement (UE) 2025/38 du Parlement européen et du Conseil («acte sur la cybersolidarité»).
Pourquoi le Cyberblueprint ?
L’idée est que l' Union joue un rôle important en cas d'incident ou de crise majeur. De telles perturbations peuvent avoir des répercussions sur plusieurs, voire la totalité, des secteurs de l'activité économique au sein du marché unique et pourraient affecter la sécurité et les relations internationales de l'Union. Afin de garantir le fonctionnement du marché intérieur, une coordination au niveau de l'Union en cas de perturbations des infrastructures critiques ayant des répercussions transfrontières significatives est non seulement appropriée, mais également nécessaire.
Une recommandation actualisée établissant un plan directeur en matière de cybersécurité (« Plan directeur cyber ») est donc nécessaire afin de fournir des orientations claires et accessibles expliquant ce qu'est une cybercrise à l'échelle de l'Union, comment le cadre de gestion de crise est déclenché, quels sont les rôles des acteurs et mécanismes concernés au niveau de l'Union, ainsi que l'interaction entre ces acteurs et mécanismes tout au long du cycle de vie d'une cybercrise. Le Plan directeur cybernétique s'inscrit dans le contexte plus large des relations civilo-militaires et UE-OTAN.
Pourquoi une recommandation ?
La proposition a fait le choix d’une recommandation (article 292 du TFUE) qui n’a pas de force contraignante. Une recommandation du Conseil constitue un instrument approprié dans ce cas, car elle témoigne de l'engagement des États membres envers les mesures qu'elle contient et constitue une base solide pour la coopération en matière de coordination de la gestion des incidents et crises de cybersécurité de grande ampleur. De cette manière, la recommandation proposée compléterait le cadre juridique contraignant (notamment la directive NIS 2).
Cette recommandation complète les dispositions relatives à un dispositif intégré de réaction aux crises politiques (IPCR) et les mécanismes de crise plus larges de l'Union, notamment le système général d'alerte rapide ARGUS de la Commission, le mécanisme de protection civile de l'Union (MPCU) soutenu par le Centre de coordination de la réaction d'urgence (ERCC), le mécanisme de réaction aux crises (MRC) du Service européen pour l'action extérieure, ainsi que d'autres processus, tels que ceux décrits dans la boîte à outils hybride de l'UE et dans le protocole révisé de l'UE pour la lutte contre les menaces hybrides. Elle complète également la recommandation du Conseil relative à un plan directeur pour la coordination de la réaction au niveau de l'Union aux perturbations des infrastructures critiques ayant une incidence transfrontière significative (ci-après le « plan directeur pour les infrastructures critiques »), qui couvre la résilience physique non cybernétique.
Comment se structure la gestion de crise ?
Si la gestion des cybercrises nationales relève de la responsabilité première des États membres, le caractère potentiellement transfrontalier et intersectoriel des incidents de cybersécurité exige que les États membres et les entités concernées de l'Union coopèrent aux niveaux technique, opérationnel et politique afin d'assurer une coordination efficace au sein de l'Union. Parallèlement, la réaction et le rétablissement après une crise sont coûteux pour les entités et les secteurs touchés. La gestion complète du cycle de vie d'une crise comprend donc la préparation et une connaissance partagée de la situation pour anticiper les incidents de cybersécurité, les capacités de détection nécessaires pour les identifier et les outils de réaction et de rétablissement nécessaires pour atténuer, dissuader et contenir les incidents de cybersécurité.
Quyels sont les principaux acteurs de la cybercrise ?
Dans le cadre de la gestion de crise en matière de cybersécurité au sein de l'Union européenne, plusieurs entités ont des rôles spécifiques :
- États membres :
- Responsables principaux de la gestion des cybercrises sur leur territoire.
- Doivent coopérer aux niveaux technique, opérationnel et politique pour une coordination efficace en cas d'incident transfrontalier.
- EU-CyCLONe (European Cyber Crisis Liaison Organisation Network) :
- Coordonne les réponses à des incidents de cybersécurité majeurs au niveau de l'UE.
- Fournit des informations stratégiques sur l'impact et les mesures de réponse nécessaires.
- CSIRT (Computer Security Incident Response Teams) :
- Equipes nationales ou sectorielles chargées de la prévention, de la détection, de la réponse et de la récupération après des incidents de sécurité.
- Coopèrent avec d'autres CSIRT et entités à travers l'UE pour assurer un partage efficace des informations.
- Commission européenne :
- Joue un rôle de coordination et de support en cas de crise.
- Contribue à la cohérence des mesures prises et peut activer des mécanismes de protection civile de l'Union.
- Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité :
- Participe à la coordination des réponses diplomatiques et peut être impliqué dans des efforts stratégiques pour faire face aux menaces hybrides.
- Secrétariat général du Conseil de l'UE :
- Facilite les discussions et la prise de décision au sein du Conseil concernant les réponses aux crises, y compris en matière de cybersécurité.
- ENISA (Agence européenne de cybersécurité) :
- Fournit une expertise technique et des recommandations pour renforcer les capacités de cybersécurité des États membres.
- Élabore des rapports sur la situation de cybersécurité pour informer les politiques et les pratiques au sein de l'UE.
Y a-t-il d’autres acteurs impliqués dans la gestion de crise à l’échelle européenne ?
Au niveau de l'Union, d’autres acteurs sont concernés par la gestion des cybercrises, notamment la Capacité unique de renseignement et d'analyse (SIAC), l'Agence de l'Union européenne pour la cybersécurité (ENISA), le Service de cybersécurité des institutions, organes et organismes de l'Union (CERT-UE), Europol, par l'intermédiaire de son Centre européen de lutte contre la cybercriminalité (EC3), le Centre satellitaire de l'Union européenne (CSUE) et le Centre de surveillance de la sécurité Galileo et le réseau des délégations de l'Union.
Pour se préparer en amont à une cybercrise, quelles mesures sont mises en place ?
Les mesures consistent en :
- 1. Évaluation des risques : Réaliser des évaluations coordonnées des risques pour identifier les menaces et vulnérabilités potentielles au sein des infrastructures numériques. Ces évaluations doivent être basées sur des scénarios élaborés et tenir compte des tendances en matière d'incidents ;
- 2. Exercices de cybersécurité : Les exercices de cybersécurité à l'échelle de l'Union sont essentiels pour tester les procédures et les mécanismes de coopération, permettant ainsi d'améliorer la préparation face à des incidents majeurs ;
- 3. Renforcement de l'infrastructure numérique : Promouvoir la résilience des infrastructures numériques critiques, en réduisant les dépendances techniques et en s'assurant que des solutions de sécurité robustes sont mises en place :
- 4. Connaissance commune de la situation : Établir une connaissance partagée des menaces, incluant des données sur les incidents, les tactiques, et les techniques utilisées par les cybercriminels. Cela doit inclure des échanges d'informations entre États membres et entités de l'Union ;
- 5. Mise en place de protocoles de communication sécurisée : Développer et appliquer des solutions de communication sécurisée pour le cyberespace, afin de garantir un échange efficace d'informations, même en cas de crise ;
- 6. Utilisation des ressources financières : Maximiser l'utilisation des ressources financières mises à disposition par l'Union pour renforcer les capacités de cybersécurité, afin de garantir la disponibilité des ressources nécessaires en période de crise ;
- 7. Formations et sensibilisation : Former le personnel aux meilleures pratiques de cybersécurité et sensibiliser les utilisateurs finaux aux risques de cybersécurité et aux comportements sûrs en ligne.
Quelles mesures sont prises pour détecter un incident susceptible de dégénérer en cybercrise ?
Les mesures à prendre incluent :
- 1. Stratégies de détection : Les entités publiques et privées doivent mettre en place des stratégies de détection adaptées aux menaces, ciblant spécifiquement leurs infrastructures numériques. Cela implique l'identification de vulnérabilités potentielles susceptibles d'être exploitées ;
- 2. Partage d'informations : Lorsqu'une opération secrète est détectée, les entités doivent partager proactivement les informations pertinentes avec leurs partenaires avant que la situation ne tourne en crise. Cela permet une réaction rapide et coordonnée face aux menaces potentielles ;
- 3. Connaissance commune de la situation : Les États membres et les entités de l'Union doivent bénéficier d'une connaissance partagée de la situation pour anticiper, se préparer, et détecter les cyberattaques. Cette connaissance devrait couvrir tous les secteurs critiques, en se basant sur des ensembles de données de haute qualité collectées en temps réel ;
- 4. Utilisation des ressources financières : Il est recommandé que les États membres utilisent pleinement les ressources financières disponibles pour la cybersécurité fournies par les programmes de l'Union, renforçant ainsi les capacités de détection et de réponse.
Quelles mesures de réaction immédiate à une cybercrise doivent être prises ?
Ces mesures incluent :
- 1. Coopération entre États membres et CSIRT : Les États membres concernés doivent collaborer étroitement avec le réseau des CSIRT (équipes de réponse aux incidents de sécurité informatique) pour restaurer rapidement les systèmes compromis tout en minimisant les disruptions opérationnelles ;
- 2. Utilisation de l'EU-CyCLONe : En cas de cybercrise, l'EU-CyCLONe, en coopération avec les CSIRT, doit fournir des informations claires au niveau stratégique sur l'impact, les conséquences possibles et les mesures de réponse nécessaires. Cela inclut la contribution à des rapports d'analyse et de connaissance intégrée de la situation (ISAA) ;
- 3. Coordination des réponses : La Commission européenne, en collaboration avec le Haut Représentant si nécessaire, doit assurer la cohérence et la coordination entre les différentes réponses à la crise ainsi qu’avec les actions connexes au niveau de l'Union, notamment en mobilisant les mécanismes sectoriels de gestion de crise ;
- 4. Communication publique efficace : Il est crucial de coordonner les efforts de communication publique pour garantir que les informations envoyées au public soient précises et ne servent pas à diffuser des fausses informations. Cela vise à maintenir la confiance du public et à éviter la panique ;
- 5. Mobilisation de la réserve de cybersécurité de l'UE : Les États membres peuvent faire appel à la réserve de cybersécurité de l'UE ainsi qu'aux actions de soutien à l'assistance mutuelle pour obtenir des ressources et de l'expertise en cas d'incidents majeurs ;
- 6. Évaluation rapide des incidents : Évaluer rapidement la situation pour comprendre l'ampleur et les impacts des cyberattaques. Cela permet de coordonner efficacement la réponse et d'affecter les ressources de manière optimale.
Quelles sont les mesures de résilience à plus long terme pour faire face à une cybercrise ?
Les mesures incluent :
- 1. Renforcement des infrastructures critiques : Investir dans la sécurisation des infrastructures critiques telles que l'énergie, les transports, la santé et les services financiers. Cela inclut des mesures proactives pour protéger ces infrastructures contre les cyberincidents ;
- 2. Développement d'une culture de cybersécurité : Promouvoir une culture axée sur la cybersécurité au sein des organisations, où chaque membre du personnel se sent responsable de la protection des informations et infrastructures numériques ;
- 3. Formation et éducation continue : Mettre en place des programmes de sensibilisation et de formation réguliers pour le personnel et les utilisateurs finaux afin d'améliorer les connaissances en cybersécurité et de promouvoir des comportements sécurisés en ligne ;
- 4. Collaboration public-privé : Promouvoir une coopération étroite entre le secteur public et le secteur privé pour partager les meilleures pratiques, les informations sur les menaces et les ressources nécessaires à la gestion des cybercrises ;
- 5. Amélioration continue des capacités de détection et de réponse : Mettre en œuvre des outils et des technologies avancés pour améliorer la détection précoce des cyberincidents et la réponse rapide. Cela inclut les investissements dans des infrastructures de cybersécurité et la mise à jour des procédures de gestion des incidents ;
- 6. Élaboration de normes et de réglementations : Développer des normes harmonisées et des réglementations en matière de cybersécurité à l'échelle de l'Union et encourager leur adoption par tous les acteurs concernés, afin d'assurer un niveau cohérent de protection ;
- 7. Évaluation et tests réguliers des systèmes de cybersécurité : Conduire des exercices de cybersécurité réguliers pour tester les procédures de réponse et de coopération, permettant d'identifier les lacunes et d'améliorer les capacités des équipes.
synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr
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