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mercredi 19 décembre 2018

D’après la Commission spéciale sur le terrorisme, le dispositif déployé face aux attaques reste encore très insuffisant


Après l’attaque qui a endeuillé le marché de Strasbourg, le rapport de la Commission temporaire spéciale sur le terrorisme du Parlement européen adopté en plénière ces jours-ci dresse un constat sans appel, la lutte antiterroriste souffre de graves lacunes : absence de recours aux instruments de l'Union par les États membres, implication inégale de ces États dans l'échange d’informations, inadaptation et absence de mise en en œuvre de la législation sur les explosifs et le commerce d'armes, absence d'évaluation des mesures antiterroristes, incapacité de Frontex à traiter des données à caractère personnel.

Pour mémoire, le 6 juillet 2017, le Parlement européen a créé une Commission temporaire spéciale sur le terrorisme (TERR). Il s’agit de :
  • lui fournir une vision des lacunes pratiques et juridiques dans le régime actuel de lutte contre le terrorisme, qui ont permis aux récents attentats terroristes au sein de l’Union de se produire ;
  • formuler des recommandations qui contribueraient à lutter contre la menace terroriste au niveau de l’Union.
A noter que ce rapport très dense fait l’objet d’un résumé en trois parties. La deuxième présente le gros des propositions. La troisième partie présente la suite.



L’état de la menace terroriste en Europe

Les députés européens notent que :
  • ces dernières années, les États membres de l’Union ont subi d’importants attentats terroristes. Les attentats les plus meurtriers ont été perpétrés ou soutenus par des groupes djihadistes tels que l’EIIL/Daech et le réseau Al-Qaida. D’après les estimations d’Europol, le nombre de djihadistes radicalisés présents dans l’Union était d’environ 30 000 en 2018;
  • l’extrême droite, l’extrême gauche et l’extrémisme violent ethnonationaliste séparatiste violent, qui visent à renverser les valeurs et le système démocratiques dans l’Union par le recours à la violence, demeurent également source de préoccupation ;
  • si la plupart des attentats terroristes perpétrés dans l’Union en 2017 ont été désignés comme des attentats séparatistes (137 sur 205), le rapport TESAT 2018 d’Europol affirme clairement qu’aucune de ces activités n’a été aussi mortelle et n’a eu une telle incidence sur la société dans son ensemble que celles commises par les terroristes djihadistes.

Par ailleurs, ils font remarquer que :
  • les récents attentats ont démontré que les armes à feu et les explosifs sont toujours des méthodes traditionnelles utilisées par les groupes terroristes. Il existe toutefois une utilisation croissante par les individus d’autres armes et de méthodes beaucoup moins sophistiquées et plus difficiles à détecter, visant à faire un nombre maximal de victimes, au hasard, parmi les civils;
  • les auteurs d’attentats terroristes dans l’Union européenne sont la plupart du temps :
  • des ressortissants européens, souvent des migrants de deuxième ou de troisième génération qui ont grandi dans les États membres qu’ils visent ;
  • des étrangers qui, dans certains cas, ont résidé pendant une longue période dans l’État membre visé;
  • de nouvelles formes de terrorisme peuvent être utilisées pour perpétrer un attentat, notamment le cyberterrorisme et l’utilisation d’armes de destruction massive, éventuellement liées à de nouveaux équipements techniques comme les drones.
    Il existe un précédent d’attentat déjoué à la ricine, un agent biologique hautement toxique. Dans certains cas, les groupes terroristes ont utilisé ou prévu d’utiliser des substances chimiques, biologiques, radiologiques ou nucléaires (CBRN).
    Ils ont diffusé sur les médias sociaux des tactiques et des méthodes sur la manière de commettre un attentat ainsi que des listes de cibles.

Une mutation de la menace terroriste

Les députés européens observent en outre que :
  • il y a eu un changement de stratégie depuis l’effondrement militaire de l’EIIL/Daech, qui se caractérise par :
    • une diminution du nombre de personnes allant dans ces pays à des fins terroristes ;
    • l’incitation des djihadistes terroristes et des «cellules dormantes» présents au sein de l’Union à mener des attentats dans leur pays d’origine ou de résidence;
  • il existe des centres d’enseignement religieux autoproclamés qui propagent des idées extrémistes dans l’Union européenne et dans lesquels les mineurs, y compris de jeunes enfants, peuvent se trouver exposés à un programme pédagogique ;
  • en réponse aux grandes entreprises qui suppriment davantage de contenus, les groupes terroristes utilisent de plus en plus de plateformes nouvelles et/ou plus petites, qui se prêtent bien moins au retrait rapide des contenus à caractère terroriste.

En 2015 et 2016, des explosifs ont été utilisés dans 40 % des attentats terroristes commis dans l’Union. L’explosif utilisé dans la plupart des attentats était le triperoxyde de triacétone (TATP), une arme de fabrication artisanale qui demeure l’explosif privilégié des terroristes. Or, aucune mesure exécutive de contrôle n’a été appliquée par les États membres en dépit du plan d’action européen CBRN.

Un changement de méthodes en matière de financement du terrorisme

Les députés européens notent qu'il existe des méthodes traditionnelles de financement du terrorisme telles que :
  • les dons privés;
  • l’extorsion;
  • l’enlèvement contre rançon;
  • l’abus et le mauvais usage des organisations à but non lucratif;
  • les systèmes parallèles formels et informels;
  • l’utilisation de bénéfices d’activités illégales et les transferts monétaires ou de fonds par les banques.

En plus des méthodes traditionnelles de financement du terrorisme, de récents attentats terroristes ont montré que l’émergence de méthodes de financement par des moyens électroniques ou en ligne tels que les monnaies virtuelles ou les cartes prépayées anonymes et les services informels de transfert de fonds posent également un risque de détournement par des organisations terroristes cherchant à financer ainsi leurs activités.

En outre, l’anonymat entourant certaines cryptomonnaies entraîne une recrudescence de leur utilisation pour des activités illégitimes.
Leur utilisation par les groupes criminels organisés pour financer des activités criminelles et le terrorisme et recycler l’argent du crime a augmenté ces dernières années.

Liens entre terrorisme, armes et criminalité

Dans l’Union européenne, les groupes extrémistes violents doivent souvent se tourner vers les réseaux criminels pour acquérir des armes.
Selon le rapport Te-Sat 2018 d’Europol, des armes à feu ont été utilisées dans 41 % des attentats, soit une légère augmentation par rapport à 2016 (38 %).

La criminalité organisée alimente le terrorisme par différents moyens, tels que l’approvisionnement en armes, le financement par le trafic de drogue et l’infiltration des marchés financiers.
Or, des risques importants sont dus aux interactions entre les organisations terroristes et les groupes criminels organisés. Or, les capacités d’enquête et judiciaires axées sur la criminalité organisée font souvent défaut dans de nombreux États membres et au niveau de l’Union.

Un (gros) problème (persistant) en matière d’échange d’informations

Il y a eu une augmentation significative des échanges d’information depuis les attentats de Paris en 2015 mais que les données relatives aux échanges d’informations montrent qu’un petit nombre d’États membres est responsable d’une grande partie du contenu disponible et des recherches effectuées dans les bases de données de l’Union.
Les services de police et de renseignement reçoivent, traitent et transmettent des informations classifiées et d’autres qui ne le sont pas, ce qui implique des régimes différents à tous les stades de l’utilisation de ces informations.

L’échange d’informations entre les agences de l’UE n’est pas optimal en raison de l’utilisation de moyens de communication sécurisés différents.
Il existe des différences entre les États membres quant au nombre d’autorités compétentes qui peuvent consulter les bases de données d’Europol ou contacter Europol sans passer par les agents de liaison nationaux.
En outre, certains États membres ne disposent pas de réseaux nationaux restreints et sûrs pour les communications des services de police, ce qui empêche leurs autorités compétentes d’accéder de manière décentralisée à ces réseaux et, en particulier, à la plateforme sécurisée d’échange d’informations, CT-SIENA.

Plusieurs instruments de l’Union, tels que une décision de septembre 2005, la directive sur la lutte contre le terrorisme et le règlement Europol, exigent des États membres qu’ils échangent des informations sur le terrorisme avec les agences compétentes.
Or, les États membres n’échangent toujours pas spontanément les informations pertinentes avec d’autres États membres.

De graves problèmes identifiés en matière de gestion des frontières

L’attentat déjoué du train Thalys le 21 août 2015, les attentats de Paris du 13 novembre 2015 et les attentats de Bruxelles du 22 mars 2016 ont démontré que, dans un nombre limité de cas, les terroristes ont exploité des lacunes dans les politiques de gestion des frontières de l’Union et de plusieurs États membres, qui n’étaient pas prêts pour un afflux massif.
Il a été signalé par les services répressifs qu’au moins 8 des auteurs de ces attentats sont entrés dans l’Union par des flux irréguliers en juillet, en août et en octobre 2015.
Dans d’autres cas, les futurs auteurs sont demeurés dans les États membres alors qu’ils devaient partir ou être renvoyés; que cela démontre certaines lacunes dans les politiques de gestion des frontières de l’Union et leur mise en œuvre au niveau des États membres.

En outre,  Frontex peine à surveiller les activités terroristes en raison de la courte période de conservation des données à caractère personnel, qui est de 90 jours seulement. En outre, entre Eurojust et Frontex, il n’existe qu’un protocole d’accord prévoyant l’échange d’informations générales, stratégiques et techniques, mais pas l’échange d’informations à caractère personnel.

3 quarts des documents frauduleux détectés aux frontières extérieures et à l’intérieur de l’Union européenne imitent des documents d’identité émis par les États membres et des pays associés à l’espace Schengen, que les cartes nationales d’identité avec un plus faible niveau de sécurité sont le plus souvent détectées parmi les contrefaçons.

Un contrôle des précurseurs explosifs déficient

Les services sont fournis par des systèmes de plus en plus complexes, ce qui rend obsolète la vision sectorielle actuelle des infrastructures critiques européennes (ICE).
En dépit d'un règlement de janvier 2013, certains terroristes continuent de se procurer des précurseurs d’explosifs, en particulier pour le TATP. En outre, ce règlement de 2013 :
  • ne prévoit pas de restrictions et de contrôles suffisants ;
  • ne porte que sur les ventes au grand public, et non aux utilisateurs professionnels, qui ne sont pas définis dans le texte.
Les principaux problèmes de ce règlement de mise en œuvre comprennent l’absence de sensibilisation à la réglementation existante dans la chaîne d’approvisionnement en raison du grand nombre d’opérateurs économiques (détaillants de produits ménagers) et le manque de respect des restrictions sur les ventes en ligne, les importations et la circulation à l’intérieur de l’Union.

D’autres lacunes graves identifiées

Le budget de l’Union prévoit d’allouer, jusqu’en 2020, 314 millions d’euros aux projets de lutte contre la radicalisation).
Or, il existe un besoin d’évaluation continue de l’efficacité de tels programmes.
D’après le rapport de la Cour des comptes européenne sur la déradicalisation publié en 2018, la Commission n’a pas de vue d’ensemble complète des mesures financées par l’Union et qu’aucun indicateur ou objectif des fonds européens n’est utilisé pour évaluer le degré d’efficacité de la stratégie.
Plus généralement, il n’existe à ce jour aucune méthodologie claire pour évaluer l’efficacité des projets de prévention de la radicalisation et de lutte contre ce phénomène.

Par ailleurs, plusieurs États membres n’ont pas encore ratifié la Convention de Varsovie du 16 mai 2005, qui constitue la convention internationale la plus globale relative au blanchiment et au financement du terrorisme.

Selon l’évaluation globale de la politique de sécurité de l’Union européenne réalisée par la Commission, sa mise en œuvre lacunaire représente l’un des problèmes de l’union de la sécurité.
Or, il est essentiel d’évaluer les mesures de lutte contre le terrorisme pour juger de leur efficacité.

Enfin, le Parlement européen note que sur les 88 mesures de lutte contre le terrorisme juridiquement contraignantes proposées entre septembre 2001 et l’été 2013, un quart seulement ont fait l’objet d’une analyse d’impact et trois seulement ont été soumises à une consultation publique.
Cela étant dit, le pourcentage s’est malgré tout amélioré ces dernières années.


Synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr


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