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mardi 30 mai 2023

Le nouveau "bilan de santé Schengen" met en évidence l’efficacité de Frontex en matière d’expulsion et une coopération policière transfrontière dynamique



« L’espace Schengen fonctionne bien ». Voici en substance le constat contre-intuitif dressé par cette communication faisant état du nouveau « bilan de santé Schengen » au moment où la France va débattre d'une nouvelle loi sur l'immigration où certains dans la classe politique vont jusqu'à évoquer la non-application du droit européen sur ce thème. Ce constat quelque peu optimiste avoue néanmoins des certaines difficultés : une pression migratoire forte aux frontières extérieures (route des Balkans et Méditerranée centrale), un dispositif d’expulsion peu efficace, une politique des visas inadaptée au risque migratoire et un recloisonnement de l’espace sans frontières par un rétablissement durable des contrôles entre Etats membres.

Pour autant, et il convient de le concéder, le rapport note que l’UE est mieux armée face aux crises. Il pointe en particulier l’efficacité de Frontex en matière d’expulsion et de gestion des frontières, notamment avec les pays voisins de l’UE, ainsi qu’une coopération policière transfrontière particulièrement dynamique. Il existe à cet égard une volonté politique forte des Etats membres et l’UE entend favoriser ce développement grâce à un soutien financier notamment. A suivre donc.




De quoi parle-t-on ?

Le rapport sur l'état de Schengen 2023 vise à renforcer la gouvernance de l'espace Schengen. Il s’agit de garantir des réponses européennes structurées et communes aux défis affectant l'espace commun.
Ce rapport lance le deuxième cycle annuel de Schengen.
Il suit les progrès réalisés à la fin du cycle de gouvernance annuel et met en évidence les domaines prioritaires qui nécessitent une attention supplémentaire.
Il sert de contribution au Conseil de Schengen qui se tiendra le 8 juin 2023 et qui réunit les ministres de l'espace Schengen pour assurer la coordination stratégique politique et fournir le pilotage opérationnel.


D’où vient-on ?

Le premier cycle annuel de Schengen a été établi par la Commission en 2022. Il s'agit d’assurer un cadre commun et stable pour la coordination des politiques ayant trait à l’espace Schengen.
Le nouveau cadre d'évaluation Schengen adopté en 2022 conduit à une rationalisation et des recommandations globales par pays, permettant l' élaboration d'orientations stratégiques et l'adoption de recommandations pour l'ensemble de l'espace Schengen, ce qui renforce encore le cadre de gouvernance et le rôle du Conseil de Schengen.


Depuis mars 2022, le Conseil Schengen réunit régulièrement les ministres de l'intérieur pour discuter de questions liées aux responsabilités communes de leurs pays en matière de Schengen.
Le premier rapport sur l'état de Schengen a fourni le cadre commun en identifiant les principales priorités politiques pour relever les défis auxquels est confronté l'espace Schengen.


schéma de la gouvernance Schengen (cliquez sur l'image pour agrandir)


Quel est le bilan à tirer ?

Selon le rapport, l’espace Schengen est solide et fonctionne bien, ceci en dépit de défis spécifiques. Une analyse de la mise en œuvre des recommandations de Schengen au cours des dernières années dans des domaines clés tels que la gestion des frontières extérieures, le retour, le système d'information Schengen et la politique des visas montre que, cumulé, le taux de mise en œuvre nationale effective est bien supérieur à 75 %.

Au cours de l'année écoulée, d'importantes priorités identifiées dans le rapport 2022 sur l'état de Schengen ont été mises en œuvre avec succès et des étapes clés ont été franchies. Parmi les réalisations notables figurent l'adhésion de la Croatie à l'espace Schengen, l'adoption d'un nouveau cadre juridique pour les évaluations Schengen, la première politique stratégique pluriannuelle pour la gestion européenne intégrée des frontières, l'adoption de la recommandation du Conseil relative à la coopération opérationnelle en matière répressive et le lancement du nouveau système d'information Schengen.

 


Aperçu du taux de mise en œuvre des recommandations des évaluations Schengen par domaine politique (cliquer sur l'image pour agrandir)


Où va-t-on ?


Le rapport, sur la base d'un dialogue étroit avec les futures présidences suédoise, espagnole et belge, propose donc un ensemble d'actions prioritaires pour le cycle Schengen 2023/2024.
Selon le rapport, dans ce deuxième cycle de Schengen, le Conseil de Schengen devrait encore intensifier ses efforts pour coordonner la mise en œuvre de politiques communes et donner un pilotage opérationnel fondé sur une compréhension commune des risques et des vulnérabilités.

Par ailleurs, le nouveau cadre d'évaluation Schengen adopté en 2022 inaugure une troisième génération d'évaluations Schengen, s'éloignant des évaluations de conformité fragmentées et axées sur les domaines politiques et ouvrant la voie à des évaluations complètes des performances globales des États membres.
En outre, il renforce les possibilités pour la Commission et les États membres de mener des évaluations thématiques évaluer les problèmes et les pratiques dans les domaines politiques des États membres confrontés à des défis similaires.


Une pression migratoire sous contrôle

La migration irrégulière en 2022 a atteint son plus haut niveau depuis 2016, avec 330 000 franchissements irréguliers des frontières signalés par Frontex.
La route des Balkans occidentaux représente 43 % de toutes les entrées irrégulières en 2022. La route de la Méditerranée centrale était la deuxième route migratoire la plus fréquentée en termes absolus et a connu une augmentation de 56 % par rapport à 2021.


En février 2023, le Conseil européen a fait le point sur la situation migratoire et est convenu de renforcer et d'accélérer les travaux.
Le rapport note que les progrès des derniers mois ont confirmé que, par rapport à 2015-2016, l’Union est mieux préparées à prévenir conjointement les mouvements irréguliers grâce à des contrôles renforcés aux frontières extérieures de l'UE, et à mener des opérations de retour et de réadmission plus efficaces. Par exemple :

  • Au cours des derniers mois, des aides ont été apportées pour l'achat de systèmes de surveillance électronique aux frontières extérieures.
  • Frontex a étendu son opération conjointe en Serbie jusqu'à la frontière avec la Hongrie, complétant le soutien déjà fourni à la frontière avec la Bulgarie. Elle a également lancé des opérations conjointes en Moldavie (avril 2022) et en Macédoine du Nord (avril 2023).



Un problème : la politique des visas inadaptée au risque migratoire


Le suivi des régimes d'exemption de visa que l'UE a avec les pays tiers, a montré que des problèmes qui concernent notamment les flux migratoires irréguliers.
Ces flux sont dus non-alignement de la politique des visas de pays voisins de l’UE par rapport à celle de l'UE, à l'augmentation des demandes d'asile non fondées de ressortissants de pays exemptés de visa.
Au cours des premiers mois de 2023, à l'initiative de la présidence suédoise, le Conseil a discuté d'une éventuelle révision de ces règles, et en particulier du mécanisme de suspension des visas.
Les États membres ont exprimé un large soutien, si bien qu’une proposition législative est à l’étude, modifiant le mécanisme de suspension des visas.


Un autre problème : l’approche purement nationale des expulsions

Dans le domaine du retour, le rapport note la nature toujours fragmentée des solutions, les réponses ad hoc et l'absence de planification stratégique qui empêchent les États membres de rationaliser globalement les procédures nationales, et d'utiliser au mieux les ressources (limitées) disponibles.
Le rapport note que la révision des stratégies nationales de gestion intégrée des frontières d'ici mars 2024 offre une occasion de :

  • renforcer la gouvernance nationale,
  • renforcer davantage la planification stratégique des capacités nationales de contrôle des frontières et de retour,
  • mettre en place des plans d'urgence nationaux.




… mais une montée en puissance d’une réponse structurée au niveau européen

Selon le rapport, la mise en œuvre de la stratégie 2021 de l'UE en matière de retour volontaire et de réintégration progresse bien.
En 2022, la tendance positive des retours volontaires comme option privilégiée pour le retour des ressortissants de pays tiers sans statut légal s'est poursuivie, les retours volontaires représentant 56 % de tous les retours mis en œuvre.
Depuis avril 2022, Frontex fournit États membres avec des packages standardisés pour soutenir la réintégration des personnes retournant dans leur pays d'origine afin de renforcer davantage une approche européenne cohérente.


Toutefois, le nombre total de retours effectifs effectués en 2022 (environ 78 000) est resté faible compte tenu du fait qu'environ 4 2 0 000 ressortissants de pays tiers ont été invités à quitter l'UE en 2022.
Selon le rapport, la fourniture efficace de conseils en matière de retour doit rester une priorité de l'agenda du Réseau de haut niveau pour s'assurer que tous les États membres ont le conseil en matière de retour en tant que profil professionnel et sont au courant de tous les outils et formations disponibles.
En outre, au cours de ce deuxième cycle de Schengen, le réseau à haut niveau doit explorer des solutions pratiques aux lacunes persistantes identifiées, en s'appuyant sur l'expérience et les bonnes pratiques des États membres.

En tant que bras opérationnel de la politique de retour de l'UE, Frontex joue un rôle clé à cet égard. L'augmentation continue du nombre de retours coordonnés par Frontex est une évolution très positive (31 % en 2022 contre 22 % en 2021 et 17 % en 2020), d'autant plus qu'elle est liée à une part croissante de retours volontaires (+ 109% en 2022 par rapport à 2021).
L'Agence devrait également continuer à soutenir les États membres dans le développement, la mise en œuvre et l'harmonisation des systèmes informatiques de gestion des dossiers de retour au niveau de l'UE.


Encore un autre problème : la permanence des contrôles durables aux frontières intérieures

Bien que la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures puisse être mise en œuvre, les exceptions à ce droit sont d'interprétation stricte. Pourtant, le rapport note qu’il reste encore beaucoup à faire pour garantir que les contrôles aux frontières intérieures ne soient utilisés qu'en dernier recours.

Au cours de l'année écoulée, les États membres ont eu recours à la réintroduction ou à la prolongation des contrôles aux frontières intérieures à 28 reprises, dont 19 sont liées à la prolongation des contrôles existants de longue durée aux frontières intérieures qui sont en vigueur depuis 2015.
Depuis octobre 2022, le coordinateur Schengen indique avoir un dialogue étroit avec l'Autriche, le Danemark, la France, l'Allemagne, la Norvège et la Suède, ainsi qu'avec les États membres concernés par ces contrôles.

Entre avril et mai 2023, l'Autriche, le Danemark, la France, l'Allemagne, la Norvège et la Suède ont notifié à la Commission la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures pendant six mois (de fin avril/mi-mai à fin octobre/mi-novembre 2023). Il en ressort que les contrôles aux frontières intérieures notifiés varient considérablement en ce qui concerne leur intensité et sont souvent complémentaires des autres mesures prises pour faire face aux menaces identifiées.


Une coopération policière accrue comme antidote au rétablissement de ces contrôles

Le rapport note une série de bonnes pratiques en matière de coopération policière.
Par exemple, certains États membres effectuent des patrouilles ferroviaires trilatérales, comme sur les liaisons ferroviaires entre l'Autriche, l'Allemagne et la Hongrie, ainsi qu'entre l'Autriche, l'Italie et l'Allemagne.
L'Autriche, la Croatie et la Slovénie ont également mis en place un réseau de coopération policière avec des partenaires des Balkans occidentaux, contribuant ainsi à empêcher l'entrée de migrants en situation irrégulière en provenance de cette région.


Dans le cas du Danemark, les contrôles sont effectués sur la base d'un système de reconnaissance des plaques d'immatriculation déployé par les autorités danoises à la frontière terrestre avec l'Allemagne permettant des contrôles ciblés de véhicules spécifiques et suspects, au lieu de contrôles systématiques aux frontières.

Le rapport note que l'élargissement de ces bonnes pratiques de coopération policière transfrontalière à tous les tronçons frontaliers concernés devrait conduire au remplacement des contrôles aux frontières intérieures existants par des mesures alternatives.
Ainsi, la coopération transfrontalière renforcée mise en place entre l'Autriche et la Tchéquie s'est traduite par la levée de leurs contrôles aux frontières avec la Slovaquie en février 2023.


Une volonté politique de maximiser la coopération opérationnelle transfrontalière

Depuis le premier rapport sur l'état de Schengen, les États membres mènent une action conjointe pour transformer la recommandation du Conseil de juin 2022 sur la coopération opérationnelle en matière répressive.
S'appuyant sur les échanges de bonnes pratiques sur les patrouilles conjointes lors de l'atelier de décembre 2022 organisé par la présidence tchèque du Conseil et la Commission, un certain nombre d'États membres s'emploient à accroître les patrouilles conjointes avec leurs voisins.
D'autres ateliers de ce type sont prévus.



Un soutien logistique de l’UE pour stimuler cette coopération policière

Des projets financés par l'UE ont aidé les États membres à :

  • mettre en place des commissariats de police communs,
  • assurer une formation conjointe sur les différentes procédures opérationnelles des États membres voisins dans le cadre de patrouilles conjointes
  • permettre la préparation d'une analyse régionale conjointe des risques de criminalité permettant de mieux cibler patrouilles et opérations conjointes.

La Commission fournira un financement supplémentaire en 2023 pour intensifier cette coopération.


Il existe une multitude de bonnes pratiques dans certains États membres en matière de coopération policière opérationnelle qui peuvent être reprises par d'autres.
La Commission a l'intention de créer un groupe d'experts pour échanger des compétences.
Un financement dédié important disponible en 2024 et 2025 pour accélérer le déploiement de bonnes pratiques dans d'autres États membres.


Les travaux du groupe d'experts contribueront également à l'évaluation par la Commission de la mise en œuvre de la recommandation du Conseil de juin 2022 sur la coopération opérationnelle en matière répressive, qui est attendue d'ici 2024.


Du côté des bonnes nouvelles, un élargissement de Schengen qui se poursuit

À la suite de l'avis favorable du Parlement européen, le Conseil a décidé, le 8 décembre 2022, de lever les contrôles aux frontières communes entre la Croatie et les autres pays Schengen.
La Croatie a également commencé à délivrer des visas Schengen en 2023, facilitant la visite des touristes dans le pays.

En décembre 2022, la présidence tchèque a également mené un débat important sur une décision du Conseil visant à lever les contrôles aux frontières intérieures en ce qui concerne la Bulgarie et la Roumanie.

Par ailleurs, Chypre appliquera les dispositions de l'acquis de Schengen relatives au système d'information Schengen à partir de juillet 2023.
Quant à l'Irlande, à la suite des évaluations réussies, l'Irlande fera l'objet d'évaluations pour le reste de l'acquis auquel elle a demandé à participer en 2023, en vue d'une décision du Conseil à prendre pour l'application de ces parties de l'acquis de Schengen.
 

synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr 



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