illustration: l'instrumentalisation des migrants
par la Biélorussie à la frontière polonaise
Une nouvelle réalité se fait jour : l’imbrication grandissante de Frontex et des garde-frontières nationaux. Un dispositif structuré et articulé sous forme de cycle est destiné à articuler l’action de ce qui forme désormais le « Corps européen de garde-frontières ». L’objectif est que cette collaboration s’opère sans accrocs et ce dans un environnement géostratégique changeant où les menaces aux frontières se recomposent.
L’Union et les Etats membres doivent dès lors faire preuve d’agilité et c’est dans cet esprit que s’inscrit la « stratégie européenne de gestion intégrée des frontières (EIBM) ». Ce document entend définir de manière dynamique la vision européenne commune de la gestion européenne intégrée des frontières pour les cinq prochaines années.
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De quoi parle-t-on ?
Cette stratégie fournit une orientation politique pour la mise en œuvre de la stratégie européenne de gestion intégrée des frontières (EIBM) par le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes au cours des cinq prochaines années.
Le Conseil européen, lors de sa réunion extraordinaire du 9 février 2023 a invité la Commission européenne à finaliser rapidement l’EIBM
Une telle stratégie répond à cet appel afin de fournir un cadre politique commun et des orientations pour la mise en œuvre d'une gestion européenne intégrée efficace des frontières pour la période 2023-2027.
Qu’est-ce que la stratégie européenne de gestion intégrée des frontières (EIBM) ?
La stratégie européenne de gestion intégrée des frontières (EIBM) est fondée sur la base du règlement du 13 novembre 2019 instituant Frontex. Elle orientera les travaux :
- de Frontex
- des autorités nationales des États membres responsables de la gestion des frontières.
Au niveau opérationnel, cette stratégie est le cadre commun qui guide le travail quotidien de plus de 120 000 garde-frontières et garde-côtes européens des autorités nationales des États membres et de Frontex en vue de parvenir à une gestion européenne intégrée des frontières efficace et efficiente.
Il faut noter que la mise en œuvre de l'EIBM relève de la responsabilité partagée des autorités des États membres chargées de la gestion des frontières et des retours, et de Frontex. Alors que les autorités nationales chargées de la gestion des frontières conservent la responsabilité principale de la gestion de leurs tronçons de frontières extérieures, les membres du corps européen de garde-frontières et de garde-côtes ont le devoir de coopérer de bonne foi et d'échanger des informations entre eux.
D’où vient-on ?
Comme annoncé dans la stratégie Schengen du 2 juin 2021, la mise en œuvre de la gestion intégrée des frontières européennes sera guidée par le cycle politique stratégique pluriannuel (cycle politique EIBM). Les priorités politiques et les orientations stratégiques pour les 15 composantes de l'EIBM énoncées un document d'orientation du 24 mai 2022. Ce document a lancé le premier cycle politique stratégique quinquennal de l'EIBM.
Le Conseil européen, lors de sa réunion extraordinaire du 9 février 2023, a réitéré l'importance d'assurer le contrôle efficace des frontières extérieures terrestres et maritimes de l'UE dans le cadre d'une approche globale de la migration.
Pourquoi ? Un contexte stratégique renouvelé avec une gestion des frontières redéfinies
L'analyse stratégique des risques développée par Frontex identifie un certain nombre de tendances qui affectent le contexte dans lequel l'EIBM opère. Il s’agit :
- de mégatendances , telles que des inégalités mondiales plus larges, le changement climatique, la croissance démographique et d'éventuelles pandémies futures,
- des réalités géopolitiques et opérationnelles à plus court terme.
Ces défis devraient avoir un impact significatif sur la gestion des migrations et des retours, ainsi que sur la manière dont les frontières extérieures de l'UE doivent être protégées.
Les récents événements géopolitiques ont profondément affecté les frontières extérieures de l'UE et continueront d'en avoir. C’est le cas de la guerre d'agression russe contre l'Ukraine. Les frontières orientales sont été franchies par des personnes déplacées, qui fuient la guerre.
L'UE a également été confrontée à la nouvelle réalité de l'instrumentalisation de la migration à des fins politiques, une nouvelle tendance qui remet en question les approches traditionnelles de la gestion des frontières extérieures et qui risque de poser d'autres défis à l'avenir.
Au-delà de l'instrumentalisation délibérée par des acteurs étatiques, la situation aux frontières extérieures maritimes et terrestres se caractérise également par le fonctionnement continu de réseaux criminels bien organisés qui ont gagné en capacité et en sophistication, créant des défis supplémentaires pour la gestion efficace des frontières extérieures.
Les défis de l’inefficacité et de la fluidité des franchissements légaux
L’efficacité de la politique de retour de l'UE est entravée par le manque de coordination entre les autorités au sein de l'Union européenne ainsi que par la coopération limitée des pays tiers. Selon Eurostat, sur les 340 515 décisions de retour rendues en 2021, seules 21 % ont été effectivement exécutées. De plus, seuls 5 États membres sont responsables de 80 % des retours facilités par Frontex.
Au niveau mondial, le respect des droits de l'homme et des obligations internationales est régulièrement remis en question par des acteurs étatiques et non étatiques, créant des pressions à long terme sur le système mondial de protection.
En outre, dans le contexte d'une concurrence économique accrue, le défi est de faciliter les déplacements de millions de voyageurs de bonne foi, tout en identifiant les risques de sécurité éventuels.
Enfin - sur un plan plus opérationnel - la complexité et la sophistication croissantes de la gestion intégrée des frontières risquent également de conduire à une approche fragmentée et non coordonnée avec trop d'acteurs faisant double emploi et des lacunes pouvant être exploitées par les réseaux criminels.
A quoi sert l’EIBM ?
L'EIBM poursuit différents objectifs en parallèle :
- faciliter le franchissement légitime des frontières et accroître l'efficacité de la politique de retour de l'Union ;
- assurer la prévention efficace des franchissements non autorisés des frontières extérieures;
- prévenir et détecter les crimes graves ayant une dimension transfrontalière, tels que le trafic de migrants, le terrorisme, la traite des êtres humains, le trafic d'armes et le trafic de drogue;
- parvenir à une coopération efficace avec les pays tiers;
- assurer l'enregistrement et la prise en charge rapides des personnes ayant besoin ou demandant une protection internationale.
Quels sont défis que doit relever l’EIBM ?
Trois défis sont identifiés :
- Une meilleure conscience situationnelle : une connaissance de la situation complète et en temps quasi réel est indispensable pour une réponse rapide face aux menaces émergentes.
Cela nécessite un tableau complet de la situation européenne, élaboré et constamment mis à jour par Frontex au niveau de l'UE et par les États membres au niveau national. Le système EUROSUR devra être efficacement mis en œuvre à cet effet. - Une meilleure coordination entre services : assurer le bon fonctionnement du corps européen de garde-frontières et de garde-côtes nécessite un système bien établi de coordination, de communication et de planification intégrée entre Frontex et les autorités nationales responsables de la gestion intégrée des frontières.
Par conséquent, des orientations stratégiques doivent être prises pour assurer une coordination nationale efficace entre les autorités de gestion des frontières et les autres autorités compétentes aux frontières extérieures, parmi lesquelles les autorités douanières. - Une montée en compétence : la gestion intégrée des frontières européennes requiert un degré élevé de spécialisation et de professionnalisme.
Le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes devrait développer une culture commune de garde-frontières et un haut niveau de professionnalisme avec des valeurs éthiques et une intégrité élevées.
Et Schengen dans tout ça ?
Il existe une complémentarité EIBM-cycle Schengen. Pour mémoire, la Commission a développé un nouveau modèle de gouvernance pour l'espace Schengen sous la forme d'un «cycle Schengen» assurant un «bilan de santé» régulier sur l’état de Schengen. Suite aux discussions du Conseil « Justice et affaires intérieures » (JAI) de Lille, ces idées ont commencé à se concrétiser avec le premier Conseil Schengen s'est tenu le 3 mars 2022.
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Or, malgré la nécessité d'une planification stratégique à long terme pour l'EIBM, l'environnement opérationnel dynamique et sensible nécessite une surveillance constante des développements et une adaptation flexible aux besoins changeants. Le cycle de Schengen permettra ce suivi. Il garantira que les défis émergents dans la mise en œuvre de l'EIBM peuvent être pris en compte et que les priorités peuvent, si nécessaire, être adaptées à l'évolution des besoins.
Et maintenant, qui fait quoi ?
Frontex, en étroite coopération avec les États membres et avec la Commission, doit établir une nouvelle stratégie technique et opérationnelle pour l'EIBM. Cette stratégie technique et opérationnelle devrait être adoptée par le conseil d'administration de Frontex dans les six mois suivant l'adoption de cette stratégie.
En outre, la mise en œuvre de l'EIBM exige également que la stratégie établie au niveau de l'UE soit effectivement traduite dans les stratégies nationales pour l'EIBM élaborées par les États membres.
Les États membres devraient aligner leurs stratégies nationales pour l'EIBM sur la politique stratégique pluriannuelle de l'EIBM dans les 12 mois suivant l'adoption de la stratégie.
Et après ? Où va-t-on ?
Dans une prochaine étape, l’EIBM doit être effectivement traduite en objectifs opérationnels et en activités par l'Agence et par les États membres, comme l'exige le règlement instituant Frontex.
La Commission lancera l'évaluation de la stratégie européenne de gestion intégrée des frontières quatre ans après l'adoption de cette stratégie. Les résultats de cette évaluation seront pris en compte lors de la préparation du prochain cycle politique pluriannuel.
Avant cela, l'évaluation actuellement en cours du règlement instituant Frontex qui sera achevée avant la fin de l'année 2023, fournira une première occasion de faire le point sur ce processus.
traduction et synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr
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