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lundi 11 avril 2022

Lutte antiterroriste: l’agence européenne Eurojust veut jouer un rôle plus proactif en matière d'échange d'informations

 


L’agence Eurojust est une organisation incontournable de soutien à la coopération judiciaire. Son activité ne fait qu’augmenter au fil des ans. Pourtant, elle se voit entravée en matière de lutte antiterroriste.
Les autorités nationales utilisatrices omettent de transmettre à Eurojust les données nécessaires au recoupement des informations relatives aux affaires de terrorisme. Qui plus est, si d’un côté, l’agence possède une base de données, le registre judiciaire européen antiterroriste ou CTR, de l’autre, ce CTR rencontre un problème de base légale.
Qui plus est, l’environnement informatique d’Eurojust empêche l’intégration  en son sein du CTR. Une proposition de règlement est dès lors destinée à rémédier à ces lacunes.



De quoi parle-t-on?

Cette proposition entend permettre à Eurojust de jouer un rôle plus marqué et plus proactif, tel que prévu dans le règlement Eurojust, consistant à appuyer et à renforcer la coordination et la coopération entre les autorités nationales chargées des enquêtes et des poursuites relatives aux formes graves de criminalité, notamment aux infractions terroristes:

  • en permettant à Eurojust de détecter, de manière plus efficace, des liens entre les enquêtes et les poursuites transfrontières menées parallèlement à l’égard d’infractions terroristes et de fournir de manière proactive aux États membres des retours d’information sur les liens ainsi recensés;
  • en favorisant un échange de données plus efficace et plus sécurisé entre les États membres, Eurojust et les pays tiers.




Pourquoi cette proposition?

La lutte contre le terrorisme fait partie intégrante de la mission d’Eurojust depuis sa création en 2002 et demeure l’une de ses principales priorités.
Pour lutter efficacement contre le terrorisme, il est primordial que les autorités compétentes échangent entre elles, et avec les agences et organismes de l’UE, des informations pertinentes à des fins de prévention et de détection des infractions terroristes, d’enquêtes ou de poursuites en la matière.
Avec l’entrée en vigueur du tout nouveau règlement relatif à Eurojust (UE) 2018/1727 en décembre 2019, cette structure s’est vue doter d’un nouveau cadre juridique. Elle est transformée en agence de l’UE.


Que fait Eurojust actuellement ?

Selon le rapport d’activité de l'année 2020 (dernier rapport disponible), Eurojust comptait 207 personnes en 2020, soit un poste de moins qu'en 2019. En 2020, l’agence a reçu une demande d'aide dans 8 799 enquêtes pénales transfrontalières, soit une augmentation de 13 % par rapport à 2019.

Environ la moitié, 4 200, de nouveaux cas ont été ouverts en 2020 et 164 d'entre eux étaient directement liés au COVID-19 crise.
Les 4 600 autres cas étaient en cours depuis les années précédentes, reflétant un niveau croissant de complexité dans les enquêtes pénales transfrontalières.
Cela confirme une tendance récente des cas renvoyées à Eurojust qui sont de plus en plus complexes et nécessitent un accompagnement sur une plus longue période.



nombre cas traités par Eurojust
(cliquez sur l'image pour agrandir)

En outre, 291 nouveaux dossiers en 2020 ont été ouverts. Cela représente une augmentation de 17 % lorsque par rapport à 2019, bien qu'en raison de la crise du COVID-19, en deçà de l'objectif initialement fixé.

En 2020,

  • a facilité l'exécution des mandats d'arrêt européens relatifs à 572 nouvelles affaires et 712 affaires en cours;a soutenu l'utilisation des décisions d'enquête européenne concernant 1 772 nouvelles affaires et 1 387 affaires en cours.
  • a organisé 371 réunions de coordination et il a soutenu la mise en place de 75 nouvelles équipes communes d’enquête.
  • a fourni un soutien juridique, financier et/ou opérationnel à 268 équipes communes d’enquête, soit une baisse de 0,7 % lorsque par rapport à 2019 en raison de la crise du COVID-19.



répartition des cas traités par type de criminalité
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À ce jour, les équipes communes d’enquête continuent de fonctionner régulièrement dans la plupart des États membres, à la différence principale que les déplacements et les réunions physiques sont remplacés par communication électronique.
75 ECE ont été créées en 2020 et 193 étaient en cours depuis Les années précédentes.



Les équipes communes d’enquête actives en 2020 se sont concentrées sur un large éventail de types de crimes, principalement l'escroquerie et la fraude, le trafic de drogue et le blanchiment d'argent.
127 des équipes communes d’enquête actives en 2020 comprenait la participation d'un État tiers. L'équipe d'avocats et d'analystes d'Eurojust a fourni des conseils juridiques, des analyses et des informations opérationnelles. assistance dans les cas les plus complexes.



Le nombre total de cas directement pris en charge par cette équipe était de 519 contre 655 en 2019.
La réduction des cas pris en charge en 2020 est le résultat direct de la pandémie de COVID-19 et les efforts d’Eurojust, au début des restrictions imposées par États membres, pour soutenir les praticiens et maintenir la continuité des activités. 

Au total l'équipe fourni une assistance juridique et analytique à 287 réunions de coordination, et il a produit un total de 777 livrables à l'appui direct du traitement des dossiers.



nombre d'équipes communes d'enquête soutenues
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Eurojust et Europol

Selon le rapport d’activité d’Eurojust en 2020, Europol et Eurojust ont poursuivi leur étroite coopération dans les travaux opérationnels et stratégiques et projets analytiques.
En 2020, des réunions régulières entre les points de contact d'Eurojust et d'Europol ont eu lieu ainsi qu'un échange d'expériences et la facilitation de la coopération dans les cas opérationnels. Eurojust continue d'apporter son soutien aux EC3 et Joint Cybercrime Action Taskforce (J-CAT).

Les autorités judiciaires nationales ont demandé à Europol d'être un partenaire à part entière dans 37 grands enquêtes coordonnées par Eurojust en 2020, y compris l'ECE pour démanteler EncroChat, un réseau téléphonique crypté largement utilisé par les réseaux criminels.


Et qu'en est-il de la lutte antiterroriste?


Selon le dernier rapport d’activité d’Eurojust didponible, en 2020, il est possible de noter :

  • Organisation de deux ateliers d'experts en ligne qui ont réuni des praticiens de la justice et des experts de la lutte contre le terrorisme pour partager leurs expériences et identifier des défis opérationnels dans l'enquête et la poursuite des infractions commises par les forces de droite les groupes extrémistes et terroristes et les acteurs isolés ;
  • Publication d’un Memorandum sur les expériences des autorités nationales à utiliser comme éléments de preuve les informations recueillies dans les zones de conflit. le rapport a été produit sur la recommandation du coordinateur de l'UE pour la lutte contre le terrorisme mettre à jour un mémorandum antérieur produit en 2018. Eurojust a poursuivi sa coopération dans ce domaine avec des partenaires américains ;
  • Contribution au rapport 2020 sur la situation et les tendances du terrorisme dans l'UE (TE-SAT), des informations sur les condamnations et les acquittements pour des infractions terroristes et les modifications la législation des États membres relative au terrorisme ;
  • Suivi opérationnel et coordination des informations transmises dans le cadre de la Registre antiterroriste (CTR). Lors d'une réunion dédiée tenue le 8 octobre 2020, Eurojust et les États membres ont discuté des défis, des meilleures pratiques et de la voie à suivre avec la mise en place de la CTR ;
  • Publication du rapport 2019 d'Eurojust sur la lutte contre le terrorisme présentant les activités dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, donnant un aperçu des cas Eurojust coordonné et identifiant les défis et les meilleures pratiques.


Une révision de la décision relative à l’échange d’informations et à la coopération concernant les infractions terroristes

La décision 2005/671/JAI du Conseil du 20 septembre 2005 relative à l’échange d’informations et à la coopération concernant les infractions terroristes indique qu’en matière de lutte contre le terrorisme, il est essentiel de disposer des informations les plus complètes et les plus actualisées.
Dans ce contexte, cette décision  dispose que les États membres sont tenus de recueillir toutes les informations qui intéressent ou sont susceptibles d’intéresser deux États membres ou plus. Plus exactement, ils sont tenus de:

  • recueillir les informations sur les enquêtes pénales liées à des infractions terroristes et de les transmettre à Europol.
  • recueillir toutes les informations concernant les poursuites et les condamnations pénales pour infractions terroristes, et de les transmettre à Eurojust.
Chaque État membre doit également donner accès à toutes les informations recueillies par ses autorités concernant les enquêtes pénales liées à des infractions terroristes.



L’enjeu du registre judiciaire européen antiterroriste (CTR)

L’un des éléments clés des travaux d’Eurojust est le registre judiciaire européen antiterroriste (Counter-Terrorism Register, CTR).
Le CTR a été lancé en septembre 2019, sur la base de la décision 2005/671/JAI du Conseil.
Dans le cadre du CTR, les États membres communiquent des informations sur les procédures judiciaires pour infractions terroristes engagées dans leur juridiction.

Ces données sont stockées et recoupées dans le système de traitement des informations d’Eurojust (c’est-à-dire le système de gestion des dossiers d’Eurojust) de la même manière que les données opérationnelles relatives à des cas existants de coopération judiciaire soutenus par Eurojust.
L’objectif est de:

  • détecter des liens potentiels entre les procédures judiciaires engagées en matière de lutte antiterroriste;
  • déterminer les éventuels besoins de coordination en découlant.
  • Selon les conclusions de l’étude intitulée «Digital Criminal Justice», l’amélioration du fonctionnement du CTR constitue l’une des principales priorités en matière de droit pénal européen.


Quel est le problème?

Le règlement Eurojust ayant été adopté avant la création du CTR, le CTR et ses fonctions ne sont pas couverts par le règlement Eurojust.
Cela crée quelques incertitudes sur le plan juridique, notamment du fait que la relation entre la décision 2005/671/JAI et le règlement Eurojust n’est pas clairement définie.
Or, depuis 2005, l’importance du partage d’informations entre les États membres, et avec Europol et Eurojust, est devenue plus évidente encore.

La directive (UE) 2017/541 relative à la lutte contre le terrorisme a modifié la décision 2005/671/JAI du Conseil afin de veiller à ce que les informations en matière d’infractions terroristes soient échangées entre les États membres de manière effective et en temps utile.
Or, du fait de son obsolescence technique, le système de gestion des dossiers d’Eurojust n’est pas en mesure d’intégrer et de supporter un outil novateur tel que le CTR.

…ou plutôt quels sont les problèmes?

D’autres problèmes se posent en ce qui concerne les données communiquées à Eurojust par les autorités nationales. Actuellement, les autorités nationales omettent généralement de partager avec Eurojust les données nécessaires au recoupement des informations relatives aux affaires de terrorisme, conformément à la décision 2005/671/JAI du Conseil, et aux formes graves de criminalité, conformément à l’article 21 du règlement Eurojust.


Les raisons à cela sont nombreuses :

  • la décision 2005/671/JAI du Conseil n’est pas suffisamment précise puisqu’elle était supposée avoir une portée bien plus large. Même si elle fournit quelques orientations sur le type d’informations que les États membres sont tenus de transmettre à Eurojust, elle n’est pas encore suffisamment détaillée.
  • bien souvent les informations ne sont pas partagées en raison de l’absence de canaux de communication sécurisés et de la charge administrative qu’impose l’extraction manuelle des informations, aucun échange de données plus structuré et plus automatisé n’étant possible sans intensification de la numérisation.


La coopération avec les procureurs de liaison de pays tiers pose également des problèmes d’ordre pratique et juridique.
Eurojust a conclu des accords de coopération avec 12 pays tiers avant l’entrée en vigueur du règlement Eurojust.
Ces accords contiennent des dispositions portant sur l’échange de données, les garanties en matière de protection des données et la coopération pratique.
Afin de faciliter la coopération, ces accords autorisent le détachement de procureurs de liaison auprès d’Eurojust.


Les procureurs de liaison travaillent en étroite relation avec leurs collègues des États membres de l’UE et fournissent une assistance lors des enquêtes transfrontières concernant leur pays, conformément aux accords de coopération applicables.
Néanmoins, le règlement Eurojust ne mentionne aucunement ces procureurs de liaison, ni leur accès au système de gestion des dossiers.

Quelle est la solution retenue ?

La proposition prévoit de modifier le règlement Eurojust et la décision 2005/671/JAI du Conseil afin de clarifier et de renforcer l’obligation légale qu’ont les États membres de partager avec Eurojust les données relatives à des infractions terroristes.
Les conditions dans lesquelles les procureurs de liaison de pays tiers détachés auprès d’Eurojust peuvent accéder au système de gestion des dossiers, conformément aux règles applicables en matière de protection des données, devraient également être précisées.
Des canaux de communication sécurisés ainsi qu’un environnement de traitement des données plus flexible devraient également être mis en place.


La proposition vise également à apporter des précisions d’ordre juridique quant à la portée exacte de l’obligation imposée en matière de partage d’informations dans les affaires de terrorisme et quant à la relation avec la décision 2005/671/JAI du Conseil, ce qui requiert une modification substantielle du règlement Eurojust ainsi que de la décision 2005/671/JAI du Conseil.

Par exemple, un article de la proposition introduit dans le règlement Eurojust un nouvel article spécifique qui précise et renforce l’obligation de fournir des informations sur les procédures liées au terrorisme, auparavant fondée sur la décision 2005/671/JAI. Ce nouvel nouvel article spécifique :

  • énonce avec davantage de précision les cas dans lesquels les États membres sont tenus de fournir des informations sur des enquêtes pénales et des procédures judiciaires en relation avec des infractions terroristes;
  • définit plus clairement le stade des enquêtes pénales et des procédures nationales ainsi que le type d’information.


synthèse des deux textes par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr (dont traduction du rapport d'activité)


 

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