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lundi 27 novembre 2023

Qui garde les gardiens ? L’agence européenne des droits fondamentaux regrette l’absence de contrôle de bout en bout dans la procédure d’expulsion française

 



Bien que peu médiatisée, l’agence des droits fondamentaux effectue un contrôle des administrations nationales sur la conformité des procédures d’expulsion au regard des droits de l’homme. C’est le cas de l’administration française. Le rapport pour cette année 2023 vient d’être publié et l’agence indique notamment que les opérations de suivi en matière de respect des droits fondamentaux n’englobent ni la phase de vol, ni la remise des expulsés aux autorités de leur pays d'origine.



De quoi parle-t-on ?

Depuis 2014, l’agence des droits fondamentaux publie une mise à jour annuelle des systèmes de surveillance des retours forcés. Il s’agit de systèmes que les États membres de l'UE ont mis en place en vertu de la directive retour de 2008. Ces aperçus décrivent différents indicateurs pour un système efficace de suivi des retours forcés. Ils comprennent des informations sur :

  • l'organisation chargée de surveiller les retours forcés,
  • le nombre d'opérations surveillées au cours de l'année donnée,
  • les phases des opérations de retour surveillées,
  • le nombre de membres du personnel formés et travaillant en tant que contrôleurs,
  • si l'organisme de contrôle a publié des rapports publics sur le contrôle.

A noter que les aperçus ne couvrent pas le contrôle effectué par le groupe d’observateurs des retours forcés de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex).


Ne pas être juge et partie

Le rapport souligne que pour être efficace, le contrôle doit être effectué par une entité suffisamment indépendante de l'autorité en charge des retours.
L’agence des droits fondamentaux constate qu’il y a un manque de séparation institutionnelle dans certains pays.
Les observateurs de l’Office fédéral des migrations et des réfugiés en Allemagne et ceux de l’Office suédois des migrations font partie de la même entité responsable d’une partie de la procédure de retour.

Des problèmes d’indépendance peuvent également surgir dans les États membres de l’UE où le contrôle est effectué par des organismes de contrôle nationaux autres que les institutions des droits de l’homme, si des garanties suffisantes ne sont pas en place.
Des risques similaires peuvent apparaître lorsque les tâches de contrôle sont définies dans des contrats avec des organisations de la société civile, si ces organisations réglementent les tâches de contrôle de manière trop prescriptive ou si elles disposent d'un financement non durable. L’agence des droits fondamentaux recommande que dans ces situations, les garanties spécifiques d’indépendance doivent être soigneusement examinées.

L’agence note aussi que les États membres de l’UE qui ont désigné des mécanismes nationaux de prévention comme organismes chargés du contrôle des retours forcés offrent les plus fortes garanties d’indépendance.


Appliquer c’est bien, mais opérer un suivi c’est mieux

Le rapport insiste sur le fait qu’un aspect important d’un suivi efficace est la publication des principales conclusions des activités de suivi.
La plupart des organismes de contrôle publient au moins un résumé de leurs observations et de leurs recommandations dans des rapports réguliers (généralement annuels).
Le Défenseur public tchèque des droits et l'Inspection générale de l'intérieur portugais publient également un rapport de suivi individuel après chaque opération.

Dans certains États membres (Autriche, Chypre, Hongrie, Luxembourg, Malte et Roumanie), il n'existe pas de rapports publics récents sur les résultats des activités de surveillance des retours forcés.
En Allemagne, l'Office fédéral des migrations et des réfugiés ne publie pas les résultats de ses activités de contrôle. En Suède et en Slovénie, les organismes de contrôle des retours forcés ont informé l’agence des droits fondamentaux que des rapports pouvaient être demandés.

L’agence des droits fondamentaux indique que, comme pratique prometteuse, le Médiateur grec et le Garant national des droits des personnes privées de liberté en Italie ainsi que le Groupe pour le développement de la diversité en Lituanie publient régulièrement des rapports thématiques sur les activités de contrôle du retour.
Le cas échéant, elles incluent également des informations sur les mesures de suivi des recommandations antérieures.


Trop peu d’opérations de retour surveillées

Selon le rapport, dans six États membres de l’UE – Bulgarie, Espagne, Croatie, Hongrie, Lettonie et Pologne – l’organisme de contrôle des retours forcés n’a surveillé aucune opération nationale de retour en 2022, selon les informations fournies à la l’agence.
Dans certains autres États membres de l’UE, l’agence européenne des droits fondamentaux regrette que très peu d’opérations de retour ont été surveillées en 2022, par rapport au nombre total d’opérations de retour forcé réalisées.

Dans plusieurs États membres de l'UE, sur la base d'une analyse des risques, la priorité a été accordée au contrôle de la phase préalable au retour (c'est-à-dire la prise en charge des rapatriés, leur transfert à l'aéroport et les procédures avant et pendant l'embarquement).
À Chypre, en Tchéquie et en France, le suivi a porté uniquement sur la phase préalable au retour, et non sur la phase de vol elle-même, ni sur la remise des rapatriés aux autorités de leur pays d'origine.
L’agence explique que la priorité accordée au suivi de la phase précédant le retour est liée aux questions de ressources humaines et financières. Elle est aussi liée au fait que la phase précédant le départ est généralement considérée comme une phase où de multiples problèmes liés aux droits fondamentaux peuvent surgir.


Quelqu’un sait ce que fait Frontex ?

Le rapport note que la plupart des opérations de retour forcé sont réalisées par voie aérienne, soit via des vols commerciaux, soit par des vols charters.
Les vols peuvent être organisés et financés entièrement par les autorités nationales, ou ils peuvent être coordonnés, organisés ou cofinancés par Frontex. Or, les organismes nationaux de contrôle des retours forcés ne savent pas toujours si un vol transportant uniquement des personnes rapatriées depuis leur propre État membre est cofinancé par Frontex ou non.

Pour mémoire, concernant le suivi des opérations de retour soutenues par Frontex, un groupe dédié d'observateurs des retours forcés a été créé au sein de Frontex conformément au règlement instituant cette agence. 
En plus du pool de contrôleurs de retour forcé de Frontex, les organismes de contrôle nationaux sont habilités à surveiller leur contingent national de rapatriés sur un vol Frontex.


L’expulsion par voie maritime : un « no man’s land » en matière de droits fondamentaux ?

Au cours des premières années de leur fonctionnement, les organismes de contrôle nationaux se sont principalement concentrés sur le contrôle des vols charters, où le risque de violations des droits fondamentaux était jugé plus élevé que celui des vols commerciaux.
Parallèlement, les retours par vols intérieurs sont également surveillés.

Comme en 2021, plus de la moitié des États membres de l’UE ont également surveillé les opérations de retour forcé effectuées via des vols commerciaux.
Bien que les risques pendant la phase à bord des retours via des vols commerciaux puissent être inférieurs à ceux des retours par vols charters, des problèmes spécifiques peuvent apparaître dans la phase préalable au retour, en particulier lorsqu'il s'agit d'éloignements de familles ou de personnes vulnérables.

L’agence des droits fondamentaux fait remarquer que dans un État membre de l’UE sur trois, les opérations de retour par voie terrestre ont été surveillées en 2022.
Quant au retour par voie maritime, l’agence déplore le fait qu’aucun d’eux n’a été surveillé.


La fragilité des financements, le talon d’Achille du contrôle

Le rapport constate que les développements au fil des années montrent que le financement disponible a un impact significatif sur la mise en œuvre des systèmes de surveillance nationaux.
En particulier lorsqu'il repose sur un projet – comme c'est le cas pour certaines activités nationales de surveillance financées par l'UE – ou sur un accord temporaire entre l'autorité et l'entité de surveillance, un système adéquat de surveillance des retours forcés peut être en place.

Toutefois, des lacunes réapparaissent lorsque le financement prend fin.
La durée des contrats avec l’organisme de contrôle ne doit donc pas être trop courte et il doit exister des sources alternatives de financement du contrôle des retours forcés afin d’éviter de telles lacunes.

 synthèse et traduction du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr


 

 

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