L'espace pénal européen poursuit son édification. Les étudiants du Master Droit pénal de l'Union européenne de l'Université de Strasbourg font le point en donnant un aperçu des évènements marquants pour l'année 2014 (si l'on fait abstraction des discussions relatives au procureur européen).
La création d’un nouvel instrument en matière d’enquête
L’année 2014 marque la naissance d’un nouvel instrument : la « décision d’enquête européenne ». Destinée à promouvoir la coopération judiciaire en matière d’enquête, en la rendant plus rapide, plus efficace et cohérente, elle est la seule véritable nouveauté intervenue dans le cadre juridique pénal au cours de l'année écoulée.
Elle n’en introduit pas moins un changement conséquent. L’émission d’une décision d’enquête européenne par les autorités judiciaires d’un État membre permettra la réalisation d’une ou plusieurs mesures d’enquête spécifiques dans l’État d’exécution aux fins de recueil des preuves. Plus précisément, l’État d’émission pourra demander de l’État d’exécution, sur la base de la reconnaissance mutuelle, qu’il transfère des éléments de preuve qui sont déjà à la disposition de ses autorités compétentes, qu’il auditionne des témoins, qu’il lui fournisse des informations relatives aux comptes bancaires ou qu’il intercepte certaines télécommunications.
La directive 2014/41/ UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concernant la décision d’enquête européenne en matière pénale est entrée en vigueur le 22 mai 2014 et elle est destinée à être transposée par les États membres avant le 22 mai 2017.
Le renforcement des instruments existants
Les deux autres directives adoptées cette année visent au renforcement du cadre légal existant par l’adoption des règles minimales concernant la définition des infractions pénales et des sanctions dans deux domaines : le gel et la confiscation des produits du crime dans l’Union Européenne et la protection pénale de l’euro et des autres monnaies contre la contrefaçon. Il s’agit respectivement des directives 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 et 2014/62/ UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014.
Ce ne sont pas des instruments originaux : il existait déjà une décision-cadre 2005/212 du Conseil concernant l’harmonisation des lois de confiscation ainsi qu’une décision-cadre 2000/383/JAI du Conseil relative à la protection pénale contre le faux monnayage qui va être remplacée par la nouvelle directive.
Dans la pratique, cela signifie, quant à la première directive, qu’il existe désormais un cadre législatif harmonisé, non-seulement en ce qui concerne la confiscation, mais également le gel, ce qui constitue une nouveauté par rapport à la décision-cadre. Les définitions posées par l’ancien instrument sont modifiées et complétées ainsi que le champ d’application de l’harmonisation. Désormais, sont prévues des règles minimales sur la confiscation en valeur, la confiscation des avoirs des tiers qui ne sont pas couverts par la bonne foi et la possibilité de prononcer la confiscation par défaut. On instaure aussi une série de garanties à l’égard des personnes concernées par les décisions de gel.
Quant à la deuxième directive, on complète l’ancienne décision-cadre par d’autres dispositions relatives aux sanctions, aux outils des investigations et à l’analyse, à l’identification et à la détection de faux billets et de fausses pièces libellés en euros pendant les procédures judiciaires.
L’objectif est le même dans ces deux cas : le renforcement de la confiance mutuelle qui garantira une meilleure coopération entre les pays de l’UE dans ces domaines. Déjà en vigueur, elles doivent être transposées dans l’ordre juridique national au plus tard le 4 octobre 2015 et le 23 mai 2016 respectivement.
La Commission surtout préoccupée par la mise en oeuvre
En janvier, la Commission européenne a rappelé dans un rapport l'importance pour les États-membres de transposer correctement la décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal. Ce texte définissait une approche pénale commune de certaines formes de racisme et de xénophobie, en particulier les discours de haine et crimes de haine motivés par le racisme et la xénophobie. Son principal objectif était d'établir un certain nombre d'infractions en la matière. Tout en reconnaissant qu'aucun État-membre n'en était totalement dépourvu, la Commission notait que les défauts de la transposition étaient très circonscrits et concernaient surtout certaines de ces infractions, comme l'apologie, négation ou banalisation grossière publiques des crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, par exemple, pour lesquelles treize États-membres n'avaient aucune législation.
Dans un rapport remis en juin, elle faisait de même s'agissant de la décision-cadre 2008/675/JAI relative à la prise en compte des décisions de condamnation entre les États-membres de l’Union européenne à l’occasion d’une nouvelle procédure pénale, qui vise à garantir que les effets juridiques attachés aux condamnations nationales soient équivalents à ceux attachés aux condamnations prononcées dans d’autres États membres et facilite la confiance mutuelle. Six États-membres ne l'avaient toujours pas transposée, presque six ans après son adoption et, parmi les vingt-deux autres, elle relevait que seuls treize avaient fait une transposition satisfaisante, les autres étant ineffectives de par leur incomplétude et leurs contre-sens.
Le même mois, elle signalait dans un autre rapport l'état des transpositions de la décision-cadre 2009/948/JAI relative à la prévention et au règlement des conflits en matière d’exercice de la compétence dans le cadre des procédures pénales, qui devrait faciliter l'application du principe ne bis in idem. À ce stade, la Commission soulignait que seuls 15 États-membres sur 28 avaient procédé à la transposition de la mesure et que des retards, ainsi que de petites inconsistances persistaient dans leur mise en œuvre.
La CJUE et l’interprétation du principe ne bis in idem
Un autre apport du traité de Lisbonne, outre l'élargissement de la législation pénale qu'il permet, tient à la valeur normative donnée à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« la Charte »). Il est revenu à la CJUE, au cours de l'année écoulée, de procéder aux arbitrages entre Charte, Convention d'application de l'accord de Schengen (« la CAAS ») et CEDH, ce qu'elle a fait notamment dans deux arrêts, au sujet du principe de ne bis in idem.
Les conditions supplémentaires pour appliquer ne bis in idem envisagées dans la CAAS sont compatibles avec la Charte.
La Cour de justice de l’Union européenne, dans un arrêt rendu en grande chambre, le 27 mai 2014 (affaire Zoran Spasic, C-129/14 PPU), a déclaré que les conditions d’application du principe ne bis in idem, telles qu’envisagées à l’article 54 de la CAAS constituent une limitation compatible avec la Charte. La Charte consacre le principe ne bis in idem sans fixer aucune condition à propos de son application, tandis que la CAAS introduit une condition supplémentaire pour son application – que la sanction infligée ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne peut plus être exécutée selon les lois de l’État de condamnation. La Cour estime que cette condition ne remet pas en cause le principe ne bis in idem en tant que tel - elle vise uniquement à éviter l’impunité des personnes condamnées. En permettant, en cas de non-exécution de la sanction imposée, aux autorités d’un État membre autre que l’État membre de condamnation, de poursuivre pour les mêmes faits le condamné, le risque que ce dernier reste impuni du fait qu’il ait quitté l’État de condamnation est évité. La Cour trouve aussi que la condition dans la CAAS est proportionnelle et n’excède pas ce qui est nécessaire pour éviter l’impunité des personnes condamnées.
Dans cet arrêt, la Cour donne aussi une interprétation de la notion de sanction « subie » et « actuellement en cours d’exécution ». Lorsque la personne est condamnée à une peine privative de liberté et une amende comme deux peines principales (ce qui est le cas de M. Spasic), l’exécution de la seule amende ne suffit pas pour considérer que « la sanction » a été subie ou est en cours d’exécution au sens de la CAAS. La Cour relève qu'une interprétation différente conduirait à vider de son sens le principe ne bis in idem énoncé à l’article 54 de la CAAS et compromettrait l’application utile dudit article.
Une personne qui bénéficie de non-lieu ne peut pas être poursuivie pour les mêmes faits dans un autre État membre.
Dans un autre arrêt rendu en 2014 (affaire M., C 398/12, 5 juin 2014), la Cour a interprété l’article 54 de la CAAS dans les cas de non-lieu faisant obstacle à de nouvelles poursuites. La juridiction de renvoi a demandé si, en application de l’article 54 de la CAAS, une personne qui bénéficie d’une ordonnance de non-lieu faisant obstacle, dans l’État membre où cette ordonnance a été rendue, à de nouvelles poursuites pour les mêmes faits, doit être considérée comme définitivement jugée. Pour répondre, la Cour souligne qu’afin de déterminer si une décision judiciaire constitue une décision jugeant définitivement une personne, il convient de s’assurer qu’elle a été rendue à la suite d’une appréciation portée sur le fond de l’affaire. Ainsi, le non-lieu prononcé à la suite d’une instruction au cours de laquelle ont été rassemblés et examinés divers moyens de preuve, comme dans le cas d’espèce, doit être considéré comme ayant fait l’objet d’une appréciation portée sur le fond.
En plus, pour qu’une personne puisse être considérée comme étant «définitivement jugée», l’action publique doit avoir été définitivement éteinte. Dans le cas d’espèce, l’ordonnance de non-lieu a été passée en force de chose jugée. Dès-lors, l’action publique doit être considérée comme éteinte, faisant ainsi obstacle à de nouvelles poursuites pénales pour les mêmes faits dans l’Etat membre où le non-lieu a été rendu. La Cour conclut que ce non-lieu fait ainsi obstacle à de nouvelles poursuites contre la même personne pour les mêmes faits dans un autre État contractant et que donc le principe ne bis in idem s’applique.
Signalons également l'avis 2/13 rendu par la Cour le 18 décembre 2014 et dans lequel elle exprime une opposition au traité d'adhésion de l'UE à la CEDH. Nous ne nous attarderons pas sur son contenu, puisqu'il ne ressort pas stricto-sensu de la matière pénale, mais il traduit également le relatif conservatisme manifesté par les institutions de l'Union lors de l'année 2014. Le droit pénal de l'Union Européenne continue de se construire sur les bases qu'il s'est données au fil des années, dont les principales sont :
- se résumer à des règles minimales nécessaire pour assurer la prévention des « eurocrimes », l'efficacité des autres politiques de l'Union et la reconnaissance mutuelle
- respecter des exigences de cohérence, de subsidiarité
- être compatible avec les droits fondamentaux.
Document réalisé sous la supervision de
securiteinterieure.fr par les étudiants du Master Droit pénal de l'Union européenne de l'Université de Strasbourg.
A lire aussi le fil des articles sur la coopération judiciaire et sur le procureur européen
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- Le parquet européen, un « Oui, mais… » pour l’Assemblée nationale
- Le Parlement européen réclame une indépendance totale du Parquet européen
Sur l'avis 2/18, à lire en ligne parmi une littérature à présent très abondante :
- La guerre des juges n’aura pas lieu. Tant mieux ? Libres propos sur l’avis 2/13 de la Cour de justice relatif à l’adhésion de l’Union à la CEDH (H. Labayle)
- L’AVIS 2/13 CJUE. Non à l’adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme ? (J.P. Jacqué)
- L’avis 2/13 complique l’adhésion de l’UE à la CEDH (A. Popov)
- Cour européenne des droits de l'homme : De l’art de la résilience juridictionnelle (N. Hervieu)
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