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mercredi 25 janvier 2023

Code des douanes européen : quand les écarts répressifs entre Etats membres bénéficient aux fraudeurs

 


Une évaluation publiée récemment montre un écart significatif concernant l’application du code des douanes de l'Union, plus spécifiquement du point de vue des sanctions. Le risque, souligne le rapport, est celui, bien connu, de l’« effet Delaware » :  les fraudeurs sont tentés de mener à bien leurs activités dans les pays à la législation la plus laxiste.

Plus exactement, les différences constatées au niveau de l’approche et de la méthode suivies pour choisir une sanction, s’agissant de la nature de la sanction, de sa sévérité, de ses limites dans le temps semblent être extrêmement importantes. 

L’évaluation montre très peu de points de convergence à cet égard. Même lorsque des points de convergence peuvent être recensés entre un nombre élevé d’États membres (par exemple, pour ceux qui appliquent à la fois des sanctions pénales et administratives), les différences demeurent significatives en ce qui concerne la sévérité des sanctions, le montant des amendes ou la durée des peines de prison.


De quoi parle-t-on ?

La législation douanière de l’Union européenne est harmonisée au moyen du code des douanes de l'Union («CDU»). Le CDU inclut l’obligation pour les États membres de prévoir des sanctions en cas d’infraction à la législation douanière et dispose que ces sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. 

Or, les sanctions douanières ne font pas partie de la législation douanière de l’Union. Dès lors, les sanctions dans le domaine des douanes ne sont pas harmonisées. Les États membres peuvent choisir les sanctions douanières à appliquer. Les régimes de sanctions, qui découlent directement de la législation nationale des États membres, varient d’un État membre à l’autre et évoluent au fil du temps. 

En 2008, le code des douanes modernisé a introduit, l’obligation pour les États membres d’informer la Commission de leurs régimes de sanctions. Le code des douanes de l’Union, en vigueur depuis 2016, a renforcé l’obligation incombant aux États membres d’informer la Commission des dispositions nationales en vigueur et de toute modification ultérieurement apportée à celles-ci.


Quel est le problème ?

L’évaluation globale amène à conclure que tous les États membres imposent des sanctions dans le domaine des douanes, qui découlent soit de leur législation nationale, soit de dispositions particulières adoptées pour répondre aux infractions au CDU.  Les États membres ont largement fait usage de leur pouvoir d’infliger des sanctions à l’égard des articles du CDU établissant une infraction, que ces sanctions soient des mesures spécifiques adoptées aux fins de l’infraction établie par le CDU ou qu’elles découlent de la législation administrative ou pénale nationale.

Cependant, les apparences sont trompeuses : la situation semble varier davantage d’un État membre à l’autre: en effet, si tous les États membres jouissent d’un pouvoir discrétionnaire au moment d’appliquer les sanctions qu’ils jugent les plus appropriées pour une infraction au CDU donnée, la méthode utilisée pour choisir et appliquer les sanctions varie tant sur le plan de la nature que sur le plan de la sévérité des sanctions.


Une divergence entre Etats membres particulièrement significative

Les différences entre les approches et méthodes adoptées par les États membres semblent extrêmement importantes. L’évaluation montre très peu de points de convergence à cet égard. Même lorsque des points de convergence peuvent être recensés entre un nombre élevé d’États membres (par exemple, pour ceux qui appliquent à la fois des sanctions pénales et administratives), les différences demeurent significatives en ce qui concerne la sévérité des sanctions, le montant des amendes ou la durée des peines de prison. 

L’absence d’un système commun relatif aux infractions et aux sanctions peut engendrer une insécurité juridique pour les entreprises ainsi que d’éventuelles distorsions de concurrence au sein du marché intérieur, avec pour conséquences des vulnérabilités dans la perception des recettes et des faiblesses dans l’application des politiques. 


Pourquoi s’agit-il d’un problème préoccupant ?

Dans sa communication intitulée «Faire passer l’union douanière au niveau supérieur: un plan d’action», adoptée en septembre 2020, la Commission a souligné les problèmes résultant d'une application inégale de la réglementation douanière.

Comme cela a déjà été souligné dans la communication intitulée «Faire passer l’union douanière à l’étape supérieure: un plan d’action», adoptée en septembre 2020, l’absence d’un système commun relatif aux infractions et aux sanctions peut engendrer une insécurité juridique pour les entreprises ainsi que d’éventuelles distorsions de concurrence au sein du marché intérieur, avec pour conséquences des vulnérabilités dans la perception des recettes et des faiblesses dans l’application des politiques. Les fraudeurs pourraient être tentés de choisir le système qu’ils perçoivent comme étant le plus faible, au détriment de l’union douanière dans son intégralité.


Des différences d’écart de sévérité

Le rapport indique que deux principaux types de sanctions sont utilisés (en règle générale) dans l’ensemble des États membres: des amendes (administratives ou pénales) et des peines de prison. 

En plus de ces deux principaux types de sanctions, plusieurs autres sanctions (accessoires) sont utilisées. La sanction accessoire la plus courante est la confiscation des marchandises et/ou des mesures relatives aux autorisations. 

Le rapport souligne que le montant de l’amende pécuniaire, qu’elle soit administrative ou pénale, ainsi que la durée de la peine de prison pouvant être infligée constituent l’un des domaines dans lesquels il existe d’importants écarts de sévérité d’un État membre à l’autre.

En ce qui concerne les peines de prison, leur durée est comprise entre un minimum de 1 à 30 jours (en Estonie) et un maximum de 10 ans (en Roumanie).


La nature complexe du régime des sanctions

Le rapport souligne que la nature des sanctions, pénales ou administratives, est difficile à appréhender. 

L’appréciation de la nature des sanctions appliquées par les États membres révèle la complexité des méthodes utilisées par les États membres pour définir une sanction. Les données fournies ont montré que les États membres qui utilisent un système prévoyant à la fois des sanctions pénales et administratives appliquaient ce système pour la même infraction au titre du même article du CDU. 

En outre, en vertu de la législation nationale d’un État membre, une infraction au titre du CDU peut être considérée comme une simple infraction administrative, tandis que dans un autre État membre, elle peut déboucher sur une procédure pénale. D’autres États membres peuvent appliquer des sanctions administratives tant qu’un seuil donné n’est pas dépassé, et une fois ce seuil franchi, la sanction infligée sera de nature pénale.

Selon le rapport, en ce qui concerne la nature des sanctions a montré que:

  • 14 États membres disposent d'un système prévoyant à la fois des sanctions pénales et administratives;
  • 8 États membres disposent d'un système prévoyant uniquement des sanctions pénales; 
  • 2 États membres prévoient des sanctions administratives;
  • 3 États membres appliquent essentiellement des sanctions administratives.


Une responsabilité des personnes morales à géométrie variable

La responsabilité des personnes physiques et morales constitue l’un des points de convergence des États membres. Le CDU détermine déjà qui sont les personnes susceptibles d’être tenues responsables d’infractions douanières. En ce qui concerne les personnes physiques, tous les États membres semblent retenir les mêmes types de personnes que ceux retenus par le CDU.

Pour autant, si les personnes morales peuvent théoriquement être tenues responsables d’infractions dans les 27 États membres, tous les types d’infractions n’engagent pas la responsabilité des personnes morales dans tous les États membres. Certaines infractions ne peuvent être commises que par des personnes physiques 30 31 .


Le kaléidoscope des circonstances atténuantes ou aggravantes 

Selon le rapport, il existe 17 différentes circonstances aggravantes et 19 différentes circonstances atténuantes pouvant être retenues au moment d’infliger des sanctions.

Les circonstances aggravantes généralement retenues sont :

  • la criminalité organisée (19 États membres), 
  • la récidive (24 États membres), 
  • l'intention frauduleuse (17 États membres), 
  • le montant de droits éludés (17 États membres), 
  • le statut de l’auteur de l’infraction (10 États membres),
  • l’usage de la violence (10 États membres).


En ce qui concerne les circonstances atténuantes, les plus couramment retenues sont :

  • la coopération avec les autorités douanières (10 États membres), 
  • la négligence (absence d’intention frauduleuse) (13 États membres), 
  • le paiement immédiat (neuf États membres), 
  • la faible gravité de l’infraction (neuf États membres),
  • la bonne foi (neuf États membres).


Quelques convergences malgré tout

Les régimes de sanctions nationaux ont beau être différents, cela ne les empêche pas d’avoir des convergences. En particulier, ils visant à prévoir des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives, conformément au CDU. La Cour de justice veille au respect de ces notions, subjectives à certains égards, en définissant leurs limites.

En ce qui concerne les similitudes, il n’existe aucun cas de similitude absolue entre tous les États membres, en ce sens où chacun d’entre eux appliquerait exactement une même sanction, avec les mêmes modalités, à une même infraction.

Il peut exister des convergences entre certains États membres ou groupes d’États membres. Par exemple, la majorité des États membres possèdent un système prévoyant à la fois des sanctions administratives et pénales. La plupart appliquent des délais de prescription, la plupart retiennent des circonstances aggravantes ou atténuantes au moment de déterminer la sévérité d’une sanction infligée, etc..


Du coup, où va-t-on ?

Plus récemment, dans son rapport publié en mars 2022, le groupe de sages sur les défis auxquels l'union douanière est confrontée a souligné les différences et divergences dans le domaine des sanctions douanières, mais surtout les conséquences qu’elles peuvent avoir et la nécessité de prendre des mesures dans ce domaine.

Il est envisagé, dans cette évaluation de mettre en place un mécanisme permettant de progresser vers une plus grande convergence des régimes de sanctions des États membres. Les suites à donner au présent rapport seront exposées dans la prochaine réforme de l’union douanière de l’UE.


synthèse et traduction du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr



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