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lundi 20 juin 2022

Guerre en Ukraine & biens soumis à embargo: l’Europe va faciliter le gel immédiat pour empêcher tout risque de dissimulation

 



C’est l’une des mesures choc prévues par la proposition de directive destinée à faciliter le gel et saisie des biens criminels: étendre le dispositif européen aux tentatives de soustraction de biens soumis à embargo. Ce n’est toutefois pas la seule. Par exemple, les Etats devront se doter d’une stratégie nationale de recouvrement des avoirs.

Et il faut dire que ce n’est pas un luxe eu égard aux faibles taux de confiscation dans l'UE. Cette proposition de directive modernise dès lors les règles de l'UE.
Elle s’inscrit aussi dans le contexte de la guerre entre l’Ukraine et la Russie. Plus exactement, un paquet de mesures a été adopté concomitamment à ce texte, destiné à empêcher que les mesures de mesures restrictives de l'UE ne soient affaiblies par des efforts de dissimulation. Aussi, l’arsenal répressif en matière de recouvrement d'avoirs est étendu aux violations des mesures restrictives de l'UE  de manière à réprimer tout effort visant à éluder les interdictions émises. Actuellement, le montant des avoirs gelés s'élève à 12,5 milliards d'euros.

Pourquoi cette décision ?

Comme le souligne la stratégie de l'UE de lutte contre la criminalité organisée (2021-2025), priver les criminels de ces profits illicites est essentiel pour perturber les activités des groupes criminels et empêcher leur infiltration dans l'économie légale. Étant donné que le motif principal du crime organisé est le gain financier, le recouvrement d'avoirs est un mécanisme très efficace pour dissuader les activités criminelles. 

En juin 2020, le Conseil a invité la Commission à envisager de renforcer le cadre juridique relatif à la gestion des biens gelés et à conférer aux bureaux de recouvrement des pouvoirs supplémentaires, par exemple pour geler d'urgence les avoirs, et l'accès à un ensemble de registres publics. Le Parlement européen a demandé des règles renforcées en matière de recouvrement d'avoirs. Ces appels complètent la demande précédente des deux colégislateurs d'analyser la possibilité d'introduire de nouvelles règles communes sur la confiscation des biens provenant d'activités criminelles, également en l'absence de condamnation.

Afin de garantir que le crime ne paie pas, la Commission a annoncé, dans sa stratégie de l'UE pour lutter contre le crime organisé, son intention de renforcer les règles relatives au recouvrement et à la confiscation des avoirs, en tenant compte du Rapport 2020 de la Commission « Recouvrement et confiscation d'avoirs : faire en sorte que le crime ne paie pas » .


De quoi parle-t-on ?

Le crime organisé est l'une des plus grandes menaces pour la sécurité de l'Union européenne. La portée transnationale du crime organisé, son recours systématique à la violence et à la corruption et son degré d'infiltration économique sans précédent ont été exposés dans les opérations EncroChat, Sky ECC et AN0M menées en 2020-2021. Sur la base des enquêtes de suivi lancées par les États membres ainsi qu'Europol et Eurojust (plus de 2 500 enquêtes à partir d'EncroChat uniquement), les autorités nationales ont procédé à plus de 10 000 arrestations, appréhendé près de 250 tonnes de drogue et saisi plus de 600 millions d'euros en espèces ainsi que d'autres actifs, dont des centaines de véhicules, navires, avions et articles de luxe.

Les organisations criminelles déploient des moyens sophistiqués pour blanchir leurs vastes revenus, qui sont estimés au moins à 139 milliards d'euros chaque année.


Un mécanisme encore trop inefficace 

Les systèmes de recouvrement des avoirs des États membres ne sont pas bien équipés pour traiter efficacement le modus operandi complexe des organisations criminelles. Les autorités nationales ont des capacités limitées pour retrouver, identifier et geler rapidement les avoirs.

La gestion inefficace des avoirs gelés signifie qu'ils perdent de la valeur avant qu'une décision sur leur confiscation ne soit prise.

En outre, les outils de confiscation existants ne couvrent pas tous les marchés criminels générateurs de revenus élevés et ne s'attaquent pas aux structures et aux méthodes complexes des organisations criminelles. 


D’où vient-on ?

La décision du Conseil de 2007 relative aux bureaux de recouvrement des avoirs exige des États membres qu'ils mettent en place des bureaux de recouvrement des avoirs pour faciliter le traçage et l'identification des produits du crime, et établit des exigences minimales pour faciliter leur coopération transfrontalière. 

La directive sur la confiscation de 2014, remplaçant en partie les instruments législatifs antérieurs, fixe des règles minimales pour le gel, la gestion et la confiscation des avoirs criminels. 

Ce texte révise la directive sur la confiscation de 2014, la décision du Conseil de 2007 sur les bureaux de recouvrement des avoirs (BRA) et la décision-cadre de 2005 sur la confiscation des produits, instruments et biens liés au crime afin de renforcer les capacités de traçage et d'identification et, en fin de compte, de confisquer les gains illicites en s'attaquant au problème même.


Axe 1 : élargir les possibilités de confiscation

La proposition de directive élargit les possibilités de confiscation d'avoirs, qui deviendront applicables à un ensemble plus vaste d'infractions pénales, parmi lesquelles la violation de mesures restrictives de l'UE.

Plus exactement, sont couverts les délits visés comprennent les crimes énumérés à l'article 83 du TFUE et les crimes qui sont harmonisés au niveau de l'UE. En outre, l'article sur le champ d'application comprend un certain nombre de crimes qui sont généralement commis par des groupes criminels organisés. En outre, il comprend les infractions liées à la violation des mesures restrictives de l'Union, une fois que la proposition de la Commission visant à étendre la liste des infractions pénales de l'UE aura été adoptée.


Axe 2 : muscler le dispositif de confiscation

Les États membres devront permettre la confiscation des biens d'une personne condamnée lorsque la juridiction nationale d'un État membre est convaincue que ces biens proviennent d'une activité criminelle (« confiscation élargie »). Par rapport à la directive sur la confiscation, cette possibilité devrait être disponible pour toutes les infractions relevant du champ d'application de la directive.

La proposition de directive introduit une nouvelle possibilité de confiscation lorsque des avoirs sont gelés sur la base de soupçons d'implication dans des activités criminelles organisées et lorsqu'une confiscation en vertu d'autres dispositions de la directive n'est pas possible. Elle ne devrait autoriser la confiscation des avoirs que lorsque la juridiction nationale est convaincue que les avoirs en question proviennent d'activités criminelles. 

Cette constatation doit être fondée sur une évaluation complète de toutes les circonstances de l'espèce, y compris si la valeur du bien est disproportionnée par rapport aux revenus légaux du propriétaire. 


Axe 3 : créer partout des bureaux de recouvrement

La proposition de directive:

  • crée des bureaux de gestion des avoirs dans tous les États membres de l'UE pour faire en sorte que les biens gelés ne perdent pas de valeur, en rendant possible la vente d'actifs gelés qui risqueraient de se déprécier facilement ou dont le maintien en état est coûteux.
  • donne pour mission à ces bureaux de rechercher et d'identifier les biens des personnes et entités faisant l'objet de mesures restrictives de l'Union. Dans le contexte de rechercher et d'identifier les biens des personnes et entités faisant l'objet de mesures restrictives de l'Union, les bureaux de recouvrement des avoirs auraient également le pouvoir de prendre des mesures immédiates pour geler temporairement les biens en question.
  • impose aux États membres d'assurer des enquêtes sur la recherche des avoirs en vue de faciliter la coopération transfrontalière, en particulier chaque fois qu'il existe un soupçon qu'une infraction pénale est susceptible de générer des profits économiques substantiels et afin de prévenir, de détecter ou d'enquêter sur la violation du droit de l'Union mesures restrictives.
  • exige des États membres qu'ils mettent en place un registre centralisé contenant les informations sur les avoirs gelés, gérés et confisqués. Les bureaux de recouvrement des avoirs, les bureaux de gestion des avoirs, ainsi que les autorités chargées de la recherche et de l'identification ou de la gestion des avoirs devraient pouvoir accéder à ce registre.


Axe 4: renforcer les bureaux existants

La proposition de directive étend le mandat des bureaux de recouvrement des avoirs afin de dépister et d'identifier rapidement les avoirs de personnes et d'entités faisant l'objet de mesures restrictives de l'UE. Ces pouvoirs s'appliqueront également aux avoirs d'origine criminelle, en permettant notamment de geler d'urgence des biens qui risqueraient sinon de disparaître.

La proposition impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour garantir que les avoirs illicites puissent être gelés rapidement. Ces mesures comprennent – en plus des mesures prévues dans la directive sur la confiscation – la possibilité pour les bureaux de recouvrement d'avoirs de prendre des mesures temporaires urgentes de gel jusqu'à ce qu'une décision formelle de gel puisse être émise.  Le cas échéant, la décision peut être à effet immédiat pour éviter leur dissipation. 

Concernant l'échange d'informations entre bureaux de recouvrement d'avoirs, à la fois spontanément et sur demande, la proposition prévoir que ces bureaux fournissent des détails supplémentaires par rapport à la décision du Conseil concernant les bureaux de recouvrement d'avoirs. Notamment, ils définissent :

  • les objectifs de ces échanges, 
  • les informations minimales à inclure dans les demandes aux frontières, 
  • le canal d'échange d'informations (SIENA),
  • les motifs de refus.


Concernant les délais de réponse aux demandes d'informations, ils sont inchangés par rapport à ceux fixés dans la décision du Conseil relative aux bureaux de recouvrement des avoirs. Il y a deux scénarios, à savoir les demandes normales auxquelles il convient de répondre dans les sept jours et les demandes urgentes qui doivent être traitées dans les huit heures.


Axe 5 : mettre sur pied une stratégie nationale de recouvrement des avoirs

La proposition de directive impose aux États membres d'adopter une stratégie nationale de recouvrement des avoirs et de la mettre à jour tous les cinq ans. La stratégie nationale devrait être un outil permettant aux États membres de définir des mesures visant à renforcer les efforts des autorités nationales impliquées dans le processus de recouvrement des avoirs, à assurer et à faciliter la coopération et la coordination et à mesurer les progrès. À cette fin, la stratégie devrait définir des objectifs, des besoins en termes de ressources (y compris de formation) ainsi que des mécanismes de coopération entre les autorités nationales compétentes.



synthèse et traduction du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr



Cette proposition de directive fait partie du paquet de mesures:


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