L’exposition des citoyens européens à la désinformation à grande échelle, y compris à des informations trompeuses ou absolument fausses, constitue un défi majeur pour l’Europe.
C’est pourquoi la Commission européenne a présenté une communication qui expose les grands principes et les objectifs généraux destinés à combattre efficacement ce phénomène.
Parmi les mesures préconisées figurent la création d’un forum plurilatéral sur la désinformation et la création d'une communication stratégique en s'appuyant sur les outils de guerre hybride comme la task force East Stratcom, qui vise à répondre aux campagnes de désinformation réalisées par la Russie.
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D’où vient-on ?
En 2014, le Forum économique mondial a considéré que la propagation rapide de la désinformation en ligne était l’une des dix principales tendances des sociétés modernes.
80 % des Européens se sont retrouvés face à des informations qu’ils considéraient fausses ou trompeuses, et ce plusieurs fois par mois, voire plus souvent.
Pour 85 % des participants, il s’agit d’un problème dans leur pays.
En outre, au cours de ces dernières années, des pratiques de manipulation et de désinformation en ligne en période électorale ont été détectées dans au moins 18 pays et les tactiques de désinformation ont contribué à faire reculer la liberté sur l’internet pour la 7e année consécutive.
Pour faire face à ce phénomène, la Commission a mis en place, fin 2017, un groupe d’experts à haut niveau chargé de la conseiller en la matière.
Ce groupe a rendu son rapport le 12 mars 2018. La Commission a également lancé une vaste consultation publique sous la forme de questionnaires en ligne et un sondage d’opinion Eurobaromètre.
Et où va-t-on ?
Cette communication expose une démarche globale qui permettra de répondre que fait peser la désinformation sur nos sociétés ouvertes et démocratiques en favorisant des écosystèmes numériques fondés sur la transparence, qui privilégient l’information de qualité, responsabilisent les citoyens face à la désinformation et protègent les démocraties européennes.
La Commission considère que toute réponse politique devrait être globale, et prévoir l’évaluation continue du phénomène de la désinformation.
D’ici à décembre 2018, la Commission présentera un rapport sur les progrès accomplis. Elle examinera également dans ce rapport si de nouvelles mesures sont nécessaires pour garantir le suivi et l’évaluation continus des actions décrites.
Qu’est-ce que la désinformation en ligne ?
On entend par désinformation, les informations dont on peut vérifier qu’elles sont fausses ou trompeuses, qui sont créées, présentées et diffusées dans un but lucratif ou dans l’intention délibérée de tromper le public et qui sont susceptibles de causer un préjudice public.
Par préjudice public on entend les menaces aux processus politiques et d’élaboration des politiques démocratiques et aux biens publics, tels que la protection de la santé des citoyens de l’Union, l’environnement ou la sécurité.
La désinformation ne comprend pas les erreurs de citation, la satire, la parodie, ni les informations et commentaires partisans clairement identifiés.
Comment marche la désinformation ?
La prolifération de la désinformation découle de causes économiques, technologiques, politiques et idéologiques étroitement liées.
Premièrement, la propagation de la désinformation est symptomatique d’un phénomène plus vaste qui touche les sociétés confrontées à des changements rapides.
L’insécurité économique, la montée en puissance des extrémismes et les changements culturels sont générateurs d’anxiété et offrent aux campagnes de désinformation un terrain fertile pour accroître les tensions sociétales, la polarisation et la méfiance.
Des organisations (entreprises, États ou organisations non gouvernementales ayant un intérêt dans les débats politiques et stratégiques, y compris des sources extérieures à l’Union européenne) peuvent avoir recours à la désinformation pour manipuler les débats politiques et sociétaux.
Deuxièmement, la propagation de la désinformation se produit dans un secteur des médias en proie à de profondes mutations. L’essor des plateformes actives dans le secteur des médias a porté un coup dur aux journalistes et aux médias d’information professionnels, qui tentent encore, d’une manière générale, d’adapter leurs modèles commerciaux et de trouver de nouveaux moyens pour monétiser les contenus.
Leurs motivations économiques les incitent à attirer une large base d’utilisateurs en exploitant les effets de réseau et à maximiser le temps que les usagers passent sur leurs sites en privilégiant la quantité à la qualité de l’information, sans tenir compte de l’incidence que cela peut avoir.
Troisièmement, les technologies des réseaux sociaux sont manipulées pour propager la désinformation au cours d’étapes successives:
- la création des éléments de désinformation : de nouvelles technologies, peu onéreuses et faciles à utiliser, sont désormais disponibles.
Elles permettent de créer des images et du contenu audiovisuel truqués («deep fakes») et offrent des outils plus puissants pour manipuler l’opinion publique ; - l’amplification au moyen des médias sociaux et des médias en ligne : le modèle actuel de publicité numérique est souvent basé sur le nombre de clics effectués et récompense les contenus sensationnels et viraux.
En outre, les technologies en ligne telles que les services automatisés (parfois appelés robots ou «bots») amplifient artificiellement la propagation de la désinformation.
Ces mécanismes peuvent être facilités par des profils fabriqués de toutes pièces (faux comptes) n’appartenant pas à des utilisateurs réels, et parfois orchestrés à une échelle massive (on parle alors d’«usines à trolls») ; - la diffusion par les utilisateurs. Par exemple, en France, un site de fausses nouvelles a généré à lui seul en moyenne plus de 11 millions d’interactions par mois, soit cinq fois plus que les sites d’informations mieux établis.
Les plateformes en ligne sur la sellette
Selon la Commission, les plateformes en ligne qui distribuent des contenus, en particulier les médias sociaux, les services de partage de vidéos et les moteurs de recherche, jouent un rôle essentiel dans la propagation et l’amplification de la désinformation en ligne.
En ne réagissant pas d’une manière proportionnée, ces plateformes n’ont pas été jusqu’ici à la hauteur des défis que posent la désinformation et l’utilisation de leurs infrastructures à des fins de manipulation.
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En outre, de sérieux doutes planent sur l’efficacité des mesures prises par les plateformes pour protéger dûment les utilisateurs contre l’utilisation non autorisée de leurs données à caractère personnel par des tiers, comme l’ont illustré les récentes révélations concernant Facebook/Cambridge Analytica.
De même que la désinformation russe est pointée du doigt
Une série d’acteurs nationaux et étrangers ont largement recours à des campagnes massives de désinformation en ligne pour semer la méfiance et créer des tensions sociétales, ce qui peut avoir de graves conséquences pour notre sécurité.
En outre, les campagnes de désinformation menées par des pays tiers peuvent faire partie de menaces hybrides à la sécurité intérieure, y compris dans le cadre des processus électoraux, en particulier lorsqu’elles s’accompagnent de cyberattaques.
Par exemple, la doctrine militaire russe reconnaît explicitement que la guerre de l'information est l'un de ses domaines de compétence.
La désinformation croissante et la gravité de la menace qu’elle représente ont suscité une prise de conscience.
En mars 2015, le Conseil européen a invité la haute représentante à élaborer un plan d’action pour contrer les campagnes de désinformation menées par la Russie.
Cette demande a abouti à la création de la task force East Stratcom, qui fonctionne comme prévu depuis septembre 2015.
Cette task force créée au sein du Service européen pour l’action extérieure vise à répondre aux campagnes de désinformation alors menées par la Russie.
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De même, la cellule de fusion de l’Union européenne contre les menaces hybrides a été mise en place en 2016 au sein du Centre de situation et du renseignement de l’UE pour surveiller et éliminer les menaces hybrides constituées par des acteurs étrangers, y compris la désinformation.
Ces institutions forment, avec le nouveau centre européen d’excellence pour la lutte contre les menaces hybrides, le socle d’une réponse européenne.
Elles sont des maillons importants de la coopération entre l’UE et l’OTAN face aux interférences hybrides.
1er axe : obliger les plateformes en ligne à agir rapidement
La Commission soutiendra l’élaboration d’un code de bonnes pratiques ambitieux, s’appuyant sur les principes clés proposés par le groupe d’experts de haut niveau, conformément auquel les plateformes en ligne et le secteur de la publicité s’engageraient à atteindre certains objectifs comme :
- améliorer considérablement le contrôle des placements de publicité, notamment afin de réduire les recettes des vecteurs de désinformation ;
- intensifier les efforts visant à fermer les faux comptes;
- fournir à des organismes fiables de vérification des faits et à des universités (notamment via les interfaces de programmation d’applications) un accès aux données des plateformes.
La Commission évaluera la mise en œuvre du code au moyen d’une large consultation avec les parties prenantes, sur la base d’indicateurs clés de performance conformes aux objectifs précités.
Si les résultats devaient ne pas être satisfaisants, la Commission pourrait proposer de nouvelles mesures, notamment des mesures d’ordre réglementaire.
Une proposition majeure : la création d’un forum plurilatéral sur la désinformation
Dans le cadre de la création de ce code, la Commission convoquera un forum plurilatéral sur la désinformation, afin d’instaurer un cadre de coopération efficace entre les parties prenantes, dont les plateformes en ligne, le secteur de la publicité et les grands annonceurs, les médias et les représentants de la société civile, et afin d’obtenir des engagements en faveur de la coordination et de l’intensification des efforts de lutte contre la désinformation.
Ce forum est distinct du forum de l’Union européenne sur l’internet consacré aux contenus terroristes en ligne.
Il devrait, pour commencer, aboutir à la publication d’un code européen de bonnes pratiques contre la désinformation d’ici la fin juillet 2018, en vue de produire des effets mesurables d’ici octobre 2018.
2e axe : renforcer la vérification des faits
La Commission :
- dans un premier temps, soutiendra la création d’un réseau européen indépendant de vérificateurs de faits, qui aura pour mission d’établir des méthodes de travail communes et d’échanger les bonnes pratique;
- dans un deuxième temps, lancera une plateforme européenne en ligne sécurisée sur la désinformation afin de soutenir le réseau européen indépendant de vérificateurs de faits et les chercheurs universitaires concernés.
3e axe : promouvoir la responsabilité en ligne
Afin de faciliter les enquêtes sur les comportements malveillants en ligne, comme indiqué dans la communication commune sur la cybersécurité présentée en septembre 2017, la Commission continuera de promouvoir l’adoption du protocole internet version 6 (IPv6), qui permet d’attribuer à une adresse IP un seul utilisateur.
Elle encouragera le réseau de coopération eIDAS à promouvoir, en coopération avec les plateformes, l’utilisation volontaire de systèmes en ligne permettant l’identification des fournisseurs d’information sur la base de moyens d’identification et d’authentification électroniques fiables, y compris les pseudonymes vérifiés.
4e axe : tirer parti des nouvelles technologies
Les technologies peuvent également jouer un rôle central dans la lutte contre la désinformation sur le long terme, par exemple:
- l’intelligence artificielle;
- les technologies innovantes, telles que la chaîne de blocs (blockchain), peuvent contribuer à préserver l’intégrité des contenus, et garantir la transparence et la traçabilité ;
- les algorithmes cognitifs qui améliorent la pertinence et la fiabilité des résultats de recherche.
La Commission utilisera pleinement le programme de travail Horizon 2020 pour mobiliser ces technologies.
5e axe : assurer la sécurité des processus électoraux
Dans la perspective des élections européennes de 2019, la Commission encourage les autorités nationales compétentes à recenser les meilleures pratiques en matière d’identification, d’atténuation et de gestion des risques que représentent la désinformation et les cyberattaques pour le processus électoral.
Au sein du groupe de coopération institué en vertu de la directive sur la sécurité des réseaux et des systèmes d’information (directive SRI), les États membres ont commencé à cartographier les initiatives européennes dans le domaine de la cybersécurité des réseaux et des systèmes d’information utilisés dans les processus électoraux, dans l’objectif d’élaborer des orientations non contraignantes.
Le colloque sur les droits fondamentaux qui aura lieu les 26 et 27 novembre 2018 aura la «démocratie» pour thème central.
En outre, la Commission démarrera un dialogue permanent pour soutenir les États membres dans la gestion des risques.
6e axe : promouvoir l’enseignement et de l’éducation aux médias
Le plan d’action en matière d’éducation numérique, adopté par la Commission en janvier 2018, met en évidence les risques que la désinformation représente pour les enseignants et les élèves ainsi que l’urgence qu’il y a à développer des compétences et des aptitudes numériques.
En raison de la dimension transfrontière de la désinformation, l’UE a un rôle à jouer en soutenant la diffusion, dans les États membres, des bonnes pratiques qui permettront d’accroître la résilience des citoyens.
Par exemple, la Commission :
- dirige le groupe d’experts en éducation aux médias et soutient des projets pilotes tels que «l’éducation aux médias pour tous»;
- soutient un certain nombre d’initiatives, y compris au moyen du programme Erasmus +, concernant les compétences numériques visant à stimuler une connaissance critique de l’environnement numérique.
La Commission entend également:
- inclure dans la campagne #SaferInternet4EU des initiatives ciblées sur la désinformation en ligne;
- organiser une semaine européenne de l’éducation aux médias dans le but de sensibiliser l’opinion publique;
- poursuivre la mise en œuvre du plan d’action en matière d’éducation numérique et continuer à soutenir les initiatives telles que le programme de stages en matière d’accès au numérique «Digital Opportunity traineeships» qui visent à renforcer les compétences numériques et la prise de conscience des citoyens européens en particulier, de la jeune génération.
7e axe : soutenir un journalisme de qualité
La Commission :
- lancera un appel à propositions, en 2018, en vue de la production et de la diffusion de contenus d'information de qualité sur les affaires européennes au moyen de médias d’information fondés sur les données ;
- sur la base des résultats des projets en cours, examinera les moyens d’accroître le financement en soutien aux initiatives visant à promouvoir la liberté et le pluralisme des médias.
En outre, la boîte à outils pour les professionnels des médias, élaborée par l’Agence des droits fondamentaux, relative à la couverture de l’information sous l’angle des droits fondamentaux proposera aux journalistes un ensemble de recommandations, de conseils et d’outils pour le traitement de dilemmes éthiques, y compris la désinformation.
8e axe : éliminer les menaces de désinformation grâce à une communication stratégique
La Commission (avec le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) :
- examinera les options possibles pour élaborer des réponses de communication stratégique afin de renforcer la résilience et de contrer les campagnes de désinformation systématique et les interférences hybrides de la part de gouvernements étrangers ;
- présentera en juin un rapport sur les progrès accomplis dans le renforcement des capacités de lutte contre les menaces hybrides, notamment la cybersécurité, la communication stratégique et le contre-espionnage.
synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr
A lire par ailleurs sur securiteinterieure.fr :
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