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mercredi 17 avril 2019

Pour l’Assemblée nationale, il est urgent que l’Europe s’implique davantage pour promouvoir l’innovation de rupture dans la compétition mondiale


L’Assemblée nationale a rendu un rapport soulignant le fait que le haut niveau de risque qui appelle des financements élevés rend indispensable la mutualisation entre les États membres. Seule, une politique au niveau européen peut permettre d’atteindre une masse critique des projets. L’objectif ? Être en mesure de rivaliser avec la capacité d’investissement des autres pays du globe, compris en matière de sécurité. Retour sur ce rapport d'envergure majeure.

Un exemple : l’intelligence artificielle

L’intelligence artificielle constitue bien souvent une rupture en soi mais encore de par les répercussions induites de manière transversale et qui se diffusent dans plusieurs domaines :
  • la production industrielle et l’offre économique de services, 
  • les usages et la demande, 
  • le modèle d’affaires qui en résulte,
  • l’organisation du marché et éventuellement ses conséquences sur celle du travail et la société dans son ensemble.

En soi, l’intelligence artificielle est donc un puissant vecteur de rupture dont l’effet est destiné à s’amplifier.
Or, en termes d’investissements, de brevets déposés ou encore de nombre d’entreprises, on constate que, dans le domaine de l’intelligence artificielle, les États-Unis et la Chine sont en passe d’acquérir une avance qui ne sera bientôt plus rattrapable.
Israël en a également fait une priorité. Face aux enjeux que comporte cette « nouvelle frontière », l’Union européenne ne doit donc plus perdre de temps.

Un constat inquiétant : les pays européens distancés

Force est de constater la suprématie actuelle des entreprises américaines et chinoises dans les secteurs les plus innovants, particulièrement dans le domaine du numérique.
En effet, l’Europe ne compte aucun des géants du web, (GAFAM), auxquels on peut ajouter des acteurs chinois émergents tels que LES BATX. Une autre statistique parlante est le faible nombre de licornes, jeunes pousses créées depuis l’an 2000, à très forte croissance, non-cotées en bourse.

En outre, les performances dans les domaines de l’activité du secteur privé, de la co-publication public-privé et du dépôt de brevets, ainsi que du niveau d’éducation permettent à des pays tiers de dépasser l’Union européenne.
Concernant plus spécifiquement l’innovation en 2017, l’Union européenne est derrière l’Australie, le Canada, la Corée du Sud, les États-Unis, le Japon et la Suisse.

En parallèle, nombre de chercheurs se sont expatriés aux États-Unis, où ils bénéficient de conditions matérielles et de travail parfois plus favorables.
Or, au sein de l’Union européenne en 2015, selon Eurostat, le taux moyen d’effort de recherche et développement était de 2,03 % du PIB mais de 1,96 %, selon l’OCDE.
Ceci est très éloigné de l’objectif de 3 % (7) défini par la « stratégie de Lisbonne ».

Cet objectif repris dans le programme-cadre pour la recherche « Europe 2020 » visait à faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique ».
15 ans plus tard, le monde de la science reflète en grande partie la compétition économique mondiale illustrée par le duel entre la Chine et les États-Unis.

Depuis les années 2000, la création de jeunes pousses, en particulier en liaison avec les technologies numériques, fait preuve d’un grand dynamisme dans plusieurs pays de l’UE (Royaume-Uni, France, pays nordiques, Allemagne notamment).
Pour autant, une série de faiblesses structurelles, freine en Europe continentale, au-delà même de leur accès au marché, leur développement et notamment :
  • L’absence de dispositif d’accompagnement public spécifiquement orienté vers l’innovation de rupture, susceptible de favoriser le transfert vers leur exploitation industrielle et vers le marché ;
  • Le nombre réduit des « business angels », pour la plupart des anciens chefs d’entreprise qui mettent leur patrimoine personnel mais aussi leur expertise et carnet d’adresses au stade du lancement de la start-up ;
  • La difficulté à financer massivement, dès le départ, les projets risqués et à forte intensité technologique deep tech, lesquels ont un besoin en capital initial important en dépit d’un horizon de mise sur le marché éloigné – entre cinq à huit ans en moyenne contre trois à cinq ans pour les start-up classiques ;
  • L’absence de continuité dans les mécanismes de financement sur le marché, caractérisés par une forte segmentation en plusieurs étapes et par séries pour des levées de fonds qui restent modestes au regard des besoins.

Un potentiel européen pourtant à ne pas négliger

L’UE est traditionnellement reconnue comme un acteur de premier plan en matière de recherche, derrière les États-Unis.
Selon le classement de Shanghai, l’Union européenne concentre, avec seulement 7 % de la population mondiale, 20 à 30 % des meilleures universités mondiales, 8 des 25 instituts de recherche les plus innovants au monde étant de surcroît localisés en Europe.



L’Union européenne occupe le premier rang mondial dans de nombreux domaines tels que les mathématiques, les sciences du vivant, l’informatique et l’intelligence artificielle.
En outre, dans un contexte d’augmentation globale et de collaboration internationale accrue du nombre de publications, l’UE est à l’origine d’environ 30 % des publications scientifiques mondiales.

L’UE offre deux atouts majeurs : la taille de son marché et sa puissance industrielle.
Avec 500 millions d’Européens, le marché intérieur est un espace de prospérité qui, constituant le premier marché de consommateurs au monde, offre des débouchés commerciaux sans égal.
S’agissant du poids de l’industrie dans l’économie européenne, la part de l’industrie représente près de 20 % du PIB, l’Union européenne pouvant s’appuyer sur de nombreuses entreprises d’envergure mondiale.

Du programme Horizon au rapport Lamy

Avec Horizon 2020, huitième programme-cadre pour la recherche, en cours d’exécution, l’Union européenne s’est dotée de son programme de financement le plus ambitieux en matière de recherche, à hauteur de 77 milliards d’euros.
Ce programme septennal (2014-2020), qui intègre explicitement l’innovation, vise à renforcer la position de l’Union européenne dans le domaine scientifique ainsi que l’innovation industrielle et à relever de grands défis sociaux (changement climatique, transport durable, sources d’énergie renouvelables).
Il doit permettre de mettre en œuvre l’Union de l’innovation.

Dans un document d’information publié en mars 2018 dans la perspective de l’élaboration du futur programme-cadre, la Cour des comptes européenne appelle à poursuivre la simplification entreprise par Horizon 2020 concernant les dépenses de recherche, soulignant qu’un cadre réglementaire trop complexe peut faire obstacle à une mise en œuvre efficiente des programmes.

Dans la perspective de la préparation du 9e programme-cadre pour la recherche et l’innovation pour la période 2021-2027, un groupe européen de haut niveau présidé par M. Pascal Lamy a réfléchi aux moyens de maximiser les effets des programmes de recherche et innovation de l’Union européenne.
Le rapport « Lab – Fab – App »  qui résulte de ses travaux, relève que l’Union européenne s’appuie sur un capital humain exceptionnel, avec 1,8 million de chercheurs œuvrant dans des milliers d’universités et centres de recherche.

Tout en appelant à doubler le montant global des crédits dans le futur programme – cadre pour la recherche et l’innovation pour la période 2021-2027, le rapport Lamy a dressé un rapport mitigé des politiques actuelles et invité la Commission à approfondir la simplification engagée par le programme-cadre en cours d’exécution en vue de :
  • construire une vraie politique d’innovation qui créé les futurs marchés de l’Union européenne en renforçant les écosystèmes pour les chercheurs, les innovateurs, les industries et les gouvernements ;
  • promouvoir et investir dans des idées innovantes via un Conseil européen de l’innovation ;
  • rationaliser les financements, diminuer le nombre d’instruments de financements en renforçant les synergies avec d’autres programmes et d’autres politiques de l’Union européenne, et notamment les fonds structurels ;
  • mieux coordonner les investissements nationaux et européens pour apporter une plus grande valeur ajoutée aux missions spécifiques de l’Union européenne ;
  • moderniser l’éducation et la formation pour une Europe créative et innovante.

Et où va-t-on ?

La proposition de la Commission européenne relative au prochain cadre financier pluriannuel (CFP) pour 2021-2017 publiée le 2 mai 2018, donne une impulsion au secteur de l’innovation.
Le choix de penser et d’encourager une politique européenne de l’innovation se lit d’ailleurs dans la première « priorité thématique principale » de la proposition de budget, intitulée « Marché unique, innovation et numérique ».
Sur les 7 priorités thématiques principales annoncées par la Commission, l’innovation se trouve donc citée en premier.

Loin d’être une décision anodine, la terminologie choisie pour la première rubrique du CFP 2021-2027 est un signal politique fort, la Commission y signifiant explicitement son intention d’accélérer le développement des technologies de demain.
En augmentant considérablement, de plus 65 %, le programme d’investissement dans la recherche pour le prochain budget européen, Horizon Europe, la Commission indique de manière claire la priorité qui doit être donnée à la recherche et à l’innovation.
L’évaluation du programme Horizon 2020 faite à mi-parcours par le groupe d’experts indépendants, présidé par M. Pascal Lamy a bien été pris en compte pour établir les lignes directrices du nouveau programme.

L’organisation générale d’Horizon Europe affiche les domaines pour lesquels des impacts significatifs sont souhaités.
L’organisation en trois piliers a été conservée mais, contrairement à Horizon 2020 qui cible un soutien à des technologies clés dans son deuxième pilier et qui sélectionne les défis sociétaux à faire progresser dans le troisième, Horizon Europe fusionne les 2 approches et crée un nouveau pilier, l’innovation ouverte.
Celle-ci se veut novatrice en axant la recherche et l’innovation sur des missions spécifiques ciblant des défis sociétaux.

Regard critique de l’Assemblée nationale

La Commission européenne met l’accent dans ses programmes de recherche sur ses priorités stratégiques pluriannuelles dans le respect du principe de subsidiarité.
Concernant ces nombreuses interrogations, il est impossible d’affirmer que les États membres s’accorderont d’emblée sur ces priorités dans la phase de négociation du programme Horizon Europe et du cadre financier pluriannuel qu’il est envisagé de mettre en place.
La méthode de sélection des projets nécessite en outre des précisions : si les instruments annoncés privilégient une démarche bottom-up, le second pilier d’Horizon Europe semble lui choisir la logique top-down avec un choix de grands thèmes sociétaux, mais sans qu’une mécanique de défis soit réellement définie et que les enveloppes entre les différents instruments ne soient allouées.
Quel procédé sera le plus à même de favoriser l’innovation de rupture ? 
Quelle complémentarité entre ces deux approches ?

De surcroît, vu la nature même de l’innovation concernée – la disruption, la définition et l’amplitude données à la notion de risque pour la gestion de ces futurs projets se doivent d’être débattues et clairement décrites. Les instruments de suivi devront en découler.
Il devra également être compris que les retombées économiques ne se feront sentir qu’à moyen et long terme.

La coordination des instruments et la poursuite dans le temps des politiques de soutien à l’innovation, comme cela se fait avec la poursuite du programme Horizon 2020 par Horizon Europe devront être poursuivies.
La Commission consciente de la difficulté des enjeux, propose une expérimentation pendant 2 ans jusqu’au démarrage du futur programme-cadre. Si cela est une bonne initiative, beaucoup de questions restent en suspens.

De manière plus générale, les progrès de l’intelligence artificielle ne manquent pas d’interpeller sur la puissance accordée par l’homme aux robots, le risque de perte de contrôle et d’asservissement à sa création, à l’instar de certains scénarios de science-fiction.

De plus en plus, le citoyen demande de la transparence. L’adhésion des citoyens aux innovations de rupture passe donc par leur appropriation des nouvelles technologies, et au-delà de l’outil, des transformations profondes qu’elles emportent.
Les politiques publiques mises en œuvre doivent pour ce faire veiller à demeurer inclusives.
Les consultations citoyennes doivent être popularisées en ce sens.


synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr

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En  complément, à regarder "Intelligence artificielle : l'UE en retard et en ébullition" (Émission sur France24)



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