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jeudi 22 novembre 2018

Back to reality : une « fin de Schengen » marquée par le traditionnel contrôle en aubette est une douce illusion pour le Sénat


Le Sénat vient de publier un rapport d'information sur les liens entre la France et Schengen. Ce rapport qui fait le point sur les dossiers en cours, est dense et détaillé. Surtout, il s’intéresse à la situation spécifique de la France. Étudiant les conséquences du projet des frontières dites intelligentes, il rappelle le caractère irréaliste d’une « fin de Schengen », marquée par un contrôle à la frontière tel qu'il se pratiquait au milieu des années 1980 lorsque Schengen a été initié.

Dans un premier volet, securiteinterieure.fr fait une synthèse sur le volet « frontières » de ce rapport
Pour le 2e volet, voir : Pour mieux penser les migrations, la France suggère l’idée de centres contrôlés


La France et Frontex

La constitution d'une réserve de réaction rapide (RRR), effective depuis le 7 décembre 2016, vient compléter le dispositif opérationnel de Frontex et constitue une nouvelle étape vers une gestion plus intégrée des frontières extérieures de l'Union européenne.
Point de contact national de Frontex, la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) a indiqué que, depuis sa création, Frontex organise des opérations conjointes aux frontières extérieures des États membres.
Chaque année, elle élabore un programme de déploiement de garde-frontières et négocie avec chaque État membre sa contribution.
Ces agents sont référencés en fonction de leur profil dans une base informatique gérée conjointement par Frontex et les États membres, qui représente à l'échelle européenne environ 5 000 agents bénéficiant de formations spécifiques dispensées par Frontex.

Ainsi, la douane a participé à un exercice organisé par Frontex à la frontière entre la Bulgarie et la Turquie, en octobre 2017, ayant pour but de coordonner la participation de plusieurs administrations au sein de différents États membres pour une seule et même opération de surveillance des frontières terrestres.

La direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) a indiqué qu'elle n'avait pas inscrit ses moyens en garde-côtes dans la réserve d'intervention rapide au regard des contraintes excessives que représenterait la mise à disposition permanente de Frontex d'un moyen lourd de type navire ou aéronef. Ses moyens aéronavals participent néanmoins à diverses opérations pilotées par Frontex en Méditerranée, au sud de la Sicile et de la Grèce.
En revanche, les agents des douanes terrestres garde-frontières participent à cette réserve d'intervention rapide.

La question des futurs pouvoir des agents de Frontex en France

Actuellement, les agents déployés dans le cadre d'exercices menés pour tester la force d'intervention rapide continuent d'agir dans le respect des règles de l'État hôte sans disposer des mêmes pouvoirs que leurs homologues de celui-ci. Toutefois, Frontex mène une analyse juridique avec les administrations partenaires pour définir les conditions d'emploi des agents et des moyens lors de ses opérations.

La direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) du ministère de l'intérieur a indiqué, quant à elle, que les garde-frontières déployés dans le cadre des opérations conjointes ou de la réserve rapide disposent de pouvoirs limités : surveillance statique, patrouilles, consultation des bases de données européennes (système d'information Schengen, SIS, système d'information sur les visas, VIS, Eurodac), relevés d'empreintes, expertise des documents de voyage, vérifications approfondies des conditions d'entrée, recueil d'informations auprès des migrants, etc.

Une réflexion est toutefois en cours sur la délégation de prérogatives de puissance publique visant à renforcer l'efficacité et l'intégration de ces garde-frontières au niveau local. Ces pouvoirs délégués aux garde-frontières européens s'exerceraient sous l'autorité et le contrôle permanent de l'État hôte.
Ces nouvelles prérogatives pourraient concerner le compostage des documents de voyage des ressortissants des États tiers ou la consultation des bases internationales, notamment la base SLTD d'Interpol, mais la question sensible de l'accès aux bases de données nationales reste posée.

Selon la DCPAF, « il paraît difficile d'aller au-delà » car toute mesure administrative faisant grief telle que la notification d'une mesure de non-admission ou le placement en zone d'attente ne peut être prononcée que par des garde-frontières de l'État hôte. 
De la même manière, tout acte de procédure judiciaire telle que la notification d'une fiche de recherche, ne peut être établi que par des agents ou officiers de police judiciaire nationaux dûment habilités.
Selon la DCPAF, « cette approche du contrôle et de la surveillance des frontières nécessite par ailleurs des modifications de la norme européenne et de la Constitution de la plupart des États membres ».

L’adaptation de la répartition des points de passage frontalier entre la police aux frontières et les douanes 

Pour ce qui concerne la douane, une première révision de la cartographie des points de passage frontalier avait eu lieu en 2016 et conduit à la déqualification de 13 points de passage frontalier sur 131 dont le trafic extra-Schengen était nul ou résiduel.
La douane s'est dite « favorable à la reprise des négociations menées avec la police des frontières sur la révision de la cartographie des points de passage frontalier afin d'envisager le transfert de certains au trafic important à la PAF ».

La DCPAF et la DGDDI ont d'ailleurs prévu une réunion relative à la répartition des points de passage frontalier aériens.
La DCPAF est favorable à la reprise du point de passage frontalier de Montpellier, sous la réserve d'un transfert des emplois budgétaires de la DGDDI correspondants.
La DGDDI a indiqué être « favorable à l'instauration d'un cycle de réunions régulières sur la répartition des points de passage », mais, là aussi, aucune autre information plus précise n'a été fournie à vos rapporteurs.

Enfin, sur la fusion des agents de contrôle aux frontières en un corps de garde-frontières unique, la DGDDI s`est montré réticente, estimant que « la conservation de plusieurs corps assurant cette mission (DCPAF, DGDDI) permet de tirer parti des compétences des deux administrations ».
 Selon elle, « il semble préférable de rester sur cette organisation en veillant à une bonne coordination au niveau central comme local ».

Les frontières électroniques : les sas PARAFE

Selon l'analyse de la douane, les sas PARAFE pourraient être installés sur certains points de passage frontalier aériens où le trafic passager est important.
En revanche, le déploiement de ce système n'est pas prévu pour les points de passage frontalier connaissant un nombre limité de passagers.

La DCPAF a indiqué qu'au 18 janvier 2018, le nombre de sas PARAFE s'élevait à 124, dont 23 à reconnaissance faciale. Elle a précisé que « le déploiement de cette technologie s'effectuera progressivement sur Roissy et Orly, du 19 mars au 31 mai 2018 pour permettre une exploitation avant l'été 2018 ».
L'ensemble des aéroports de province, régulièrement réunis sous l'égide de l'Union des aéroports français, s'apprêterait également à lancer des appels d'offre en ce sens.
Au total, 40 % des passagers seraient aujourd'hui éligibles aux technologies de contrôles automatiques.

Selon le Sénat, PARAFE ne peut toujours pas lire les empreintes des ressortissants européens autres que ceux de nationalité française enregistrées dans le passeport biométrique, faute, pour certains pays, d'avoir échangé leurs clefs de cryptage.

La DCPAF a également indiqué qu' « une réflexion est en cours pour rendre éligibles certains ressortissants de pays tiers (titulaires de titres de séjour et visas de circulation) » au dispositif PARAFE.
À propos de l'anticipation de la mise en place du SES, il convient de noter que l'interfaçage des sas PARAFE avec ce système dépend des équipes techniques du ministère de l'intérieur.

La France et le Système d’information Schengen (SIS)

Concernant l'amélioration de la qualité et de la fiabilité des informations renseignées dans le système d’information Schengen (SIS II), la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) a rappelé que plusieurs fonctionnalités du SIS ne sont pas encore exploitées par les systèmes nationaux de consultation des données (notamment fichier des personnes recherchées (FPR), le « Fichier des objets et véhicules signalés » (FOVeS) et COVADIS, comme l'a relevé l'évaluation Schengen de la France.
Les photographies, la disponibilité d'empreintes digitales, les liens entre signalements notamment ne s'affichent pas sur ces applications.

Il existe par ailleurs des incohérences de données entre les données figurant au SIS et les données nationales (RMV et FPR), et des données nationales de mauvaise qualité sont envoyées dans le SIS, les documents volés transmis sans leur numéro par exemple.
Plusieurs mesures seraient prévues pour remédier à ces difficultés :
  • l'affichage des données SIS complètes : dans le FPR et le FOVeS d'ici à l'été ou l'automne 2018 ; dans CTF à son entrée en production prévue en 2019 ;
  • la cohérence des données : mise en place d'un iDCC mi-2018 pour FPR/N-SIS ; simplification de l'architecture avec l'entrée en production du nouveau N-SIS et de France Visas qui devrait remplacer RMV début 2019;
  • le ministère de l'intérieur a engagé la refonte de la partie nationale du SIS, le N-SIS, avec l'objectif de le rendre opérationnel courant 2019.

L’enjeu de la formation au SIS

Actuellement, la formation initiale des gardiens de la paix comporte, concernant le contrôle d'identité (et par extension au contrôle de la situation d'un étranger), un objectif d'une durée de 4 heures permettant d'évoquer Schengen.
Il s'agit davantage d'une connaissance des accords de Schengen et de leurs conséquences en matière de circulation des personnes que d'une étude approfondie.
Toutefois, le module d'adaptation au premier emploi de la police aux frontières comporte, quant à lui, une étude approfondie du SIS pour les gardiens de la paix devant être affectés à la direction centrale à la police aux frontières (DCPAF).

Dans le cadre de la refonte de la formation initiale, dont la mise en oeuvre est prévue en juin 2018, l'ajout de contenus supplémentaires pour l'ensemble des élèves gardiens de la paix, et pas seulement ceux affectés à la police aux frontières, pourrait être étudié avec la DCPAF.

Autre piste de réflexion pour gagner en efficacité : la mise en place d'un module d'auto-formation sur le e-campus, en complément des enseignements généralistes de la formation initiale, permettrait l'acquisition de compétences supplémentaires sur la thématique de Schengen.
L'accès aux contenus sur le terrain et en temps réel, via les tablettes Neo, permettrait une mise en oeuvre effective de ces compétences.

En matière de formation continue, la direction de la police nationale en charge de la formation ne dispense pas de formations traitant directement du contenu des systèmes d'information Schengen, domaine relevant de la compétence de la section centrale de coopération opérationnelle de police de la DCPJ.

Pour ce qui concerne la douane, depuis 2016, les formations Schengen ont été renforcées par diverses actions :
  • la mise en place de formations de formateurs « garde-frontières » organisées annuellement et qui comportent un module sur les fichiers police;
  • l'organisation d'un séminaire Schengen au cours duquel les différents systèmes d'information européens sont présentés;
  • la création d'un kit pédagogique sur les fichiers police;
  • l'inscription au plan national de formation de la douane en 2018, avec une formation spécifique sur ces fichiers.

Le petit trafic frontalier France-Suisse et France-Andorre

Sur le développement des accords de petit trafic frontalier, la DGDDI a indiqué qu'une convention de bureaux à contrôles nationaux juxtaposés (BCNJ) permet aux États signataires d'effectuer des contrôles sur un territoire étranger tout en appliquant leur réglementation propre sur le franchissement de frontières.
 La convention détermine notamment les lieux, les administrations ou les zones de contrôles autorisés.
Ainsi va-t-elle substituer à la frontière légale une frontière dite administrative située à l'intérieur d'un des États concernés sur laquelle s'effectueront les contrôles des deux États partenaires.

Concrètement, le BCNJ :
  • est une plate-forme (route, gare, aéroport) regroupant en un site unique les administrations concernées des 2 États partenaires et où s'effectuent les opérations de contrôle des personnes et des marchandises, ainsi que les opérations de dédouanement;
  • permet une fluidité des flux de marchandises ou voyageurs (centralisation des procédures d'exportation et importation), un renforcement de la coopération internationale (informations, renseignements, contrôles conjoints), des économies d'échelle (financement des infrastructures supporté par les deux États partenaires) et une facilitation de circulation des travailleurs frontaliers.
Des conventions-cadres ont été signées avec tous les États limitrophes de la France métropolitaine permettant et encadrant la création de BCNJ.
En 2017, 63 BCNJ en activité ont été recensés par les directions interrégionales des douanes, dont 24 sont situés sur la frontière franco-suisse et un sur la frontière franco-andorrane.

Les vérifications dans les zones frontalières hors cas de rétablissement des contrôles aux frontières intérieures 

La Cour de justice de l'Union européenne, interrogée à 3 reprises sur cette question, considère qu'un encadrement spécifique de l'intensité et de la fréquence des contrôles doit être prévu en droit national et qu'un cadre normatif est nécessaire pour en guider l'application pratique, afin d'empêcher que ces mesures ne s'apparentent à de véritables contrôles aux frontières (CJUE, Melki, C-188/10 et C-189/10 du 22 juin 2010 ; Adil, C-278/12 PPU, A.-C-9/16 du 19 juillet 2012).

La loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure délimite l'exercice de cette compétence de police dans les zones frontalières françaises.
L'article 19 porte désormais :
  • à 12 heures consécutives la durée pendant laquelle il peut être procédé à des contrôles d'identité,
  • jusqu'à 20 kilomètres en deçà des frontières intérieures ;
  • dans un rayon maximal de 10 kilomètres autour des ports et aéroports (constituant des points de passage frontaliers, points de passage frontalier).

France et le systèmes européens Entrée-Sortie (SES) et d’autorisation électronique de voyage (ETIAS)


Les futurs systèmes d'information SES et ETIAS devraient recourir à la reconnaissance faciale, qui ne nécessite pas de cryptage.
La DCPAF a indiqué que des expérimentations étaient en cours sur certains sites importants tels que la gare du Nord, pour les Eurostar vers Londres, ou l'aéroport de Roissy, en lien avec des sociétés privées.

Le ministère de l'intérieur a toutefois insisté sur le fait que la mise en oeuvre de SES et d'ETIAS se traduirait très probablement par un ralentissement des flux de passage aux frontières.
Pour limiter ce ralentissement dans un contexte de contrainte sur les emplois budgétaires, il sera nécessaire de réaliser des investissements en matière d'équipements technologiques.

Plus largement, le contrôle aux frontières devra faire l'objet d'une profonde évolution dans les années à venir - il est illusoire de penser que la « fin de Schengen », parfois évoquée, consisterait à revenir au contrôle en aubette.

La France et les contrôles aux frontières intérieures à l’espace Schengen

Il convient de rappeler que la France a réintroduit les contrôles à ses frontières intérieures le 13 novembre 2015, qui ont depuis lors été reconduits sans interruption sur la base de l'article 25 du code frontières Schengen (CFS) relatif à une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure d'un État membre. Ces contrôles devraient perdurer jusqu'au 30 avril 2019.
Ces contrôles ne sont pas prolongés, mais renouvelés, ce qui fait de nouveau courir le délai à chaque renouvellement. Si le Conseil d'État a admis cette pratique, il convient de s'interroger sur la position qu'adopterait la Cour de justice de l'Union européenne.

Il faut aussi rappeler que 5 États membres continuent de pratiquer des contrôles à leurs frontières intérieures : la France donc, mais aussi l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark et la Suède, ainsi que la Norvège, qui est un État associé à l'espace Schengen.

À la demande de la France et de l'Allemagne, la Commission européenne a présenté, le 27 septembre 2017, une proposition de règlement concernant règles applicables à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures.

La majorité des États membres, dont la France, ont accueilli favorablement cette initiative de la Commission. Toutefois, plusieurs États membres, ceux du Sud et de l'Est de l'Europe en particulier, ont exprimé des préoccupations au cours des négociations au Conseil, en raison de la lourdeur des procédures envisagées, susceptibles de limiter fortement la capacité d'action des États membres.

D’après le Sénat, les négociations sont longues.  Le texte de compromis auquel la Présidence bulgare a abouti réduit la durée maximale autorisée de rétablissement à un an, au lieu de trois ans dans le texte de la Commission et de 6 mois actuellement, et allège substantiellement le cadre procédural envisagé, notamment en supprimant une recommandation du Conseil pour autoriser la prolongation de ces contrôles. Toutefois, te texte rend possible l'émission d'un avis par les États membre affectés par de tels contrôles après une prolongation de 6 mois, tandis que les États à l'origine de cette prolongation des contrôles devraient produire une évaluation des risques justifiant une telle prolongation. Le Parlement européen doit encore se prononcer.

Synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr


A lire aussi, le rapport d'information de l'Assemblée nationale sur Schengen d'avril 2018

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