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mardi 27 novembre 2018

Pour mieux penser les migrations, la France suggère l’idée de centres contrôlés




Répartir l'effort d'accueil des migrants entre les États membres et dissuader ceux désireux de s’engager dans un périple dangereux en Méditerranée, c’est le projet européen des plateformes régionales de débarquement et des centres contrôlés, idée dont la France est à l’origine. Dans son rapport d'information sur Schengen, le Sénat fait le point sur l’avancement des discussions sur ces plateformes régionales de débarquement et ces centres contrôlés - compléments aux centres de gestion de crise (hotspots) -, ainsi que sur d’autres dossiers : la directive PNR et la coopération policière transfrontalière.

Dans ce deuxième volet, securiteinterieure.fr fait une synthèse sur de différents aspects traités  de ce rapport. Pour le 1er volet, voir : Back to reality : une « fin de Schengen » marquée par le traditionnel contrôle en aubette est une douce illusion pour le Sénat



La directive dite PNR

France a transposé la directive relative à l'utilisation des données des dossiers passagers (PNR) en deux temps : par une loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, puis par des décrets du 3 août 2018.
Ces deux derniers textes, dont les dispositions figurent désormais au code de la sécurité intérieure, ont modifié sans les abroger les anciennes dispositions réglementaires fixées par un décret du 26 septembre 2014 et un décret du 24 décembre 2014.
En effet, sans attendre l'adoption de la directive, la France, juste après le Royaume-Uni, s'était dotée d'un système API/PNR dès 2014, dont l'expérimentation a débuté en juin 2016.
Ainsi a-t-elle mis son système national existant en conformité avec les nouveaux standards fixés par la directive PNR.

Une extension de directive PNR ?

Sur l'extension de la collecte et du traitement des données PNR à l'ensemble des transports internationaux de voyageurs, des initiatives nationales pour mettre en oeuvre des systèmes PNR concernant d'autres modes de transport que l'aérien se développent ou vont être prises dans certains États membres.
À titre d'exemple, la loi du 30 octobre 2017 prévoit un PNR maritime. De même, la Belgique souhaite mettre rapidement en place un PNR ferroviaire, comme le Royaume-Uni a commencé à le faire.

Si l'exploitation des données passagers empruntant des modes de transport autres que l'aérien a un intérêt opérationnel dans la lutte contre le terrorisme et les formes graves de criminalité, il convient de s'interroger sur les limites d'initiatives nationales faisant craindre aux opérateurs de se trouver confrontés à des exigences techniques et juridiques non harmonisées.
C'est pourquoi la création d'un cadre juridique européen permettrait d'harmoniser les conditions de collecte et d'exploitation des données PNR de ces modes de transport, tout en garantissant un niveau de protection des données adéquate.

Toutefois, compte tenu, d'une part, des négociations, longues et difficiles, pour aboutir à l'adoption de la directive PNR et, d'autre part, des difficultés rencontrées par certains États membres dans la mise en place de leur PNR aérien, il est peu probable, d'après le Sénat, que la Commission soit disposée à proposer prochainement des modifications législatives en la matière.

La coopération policière transfrontalière

La France dispose d'outils et de mécanismes de coopération opérationnelle innovants, qui n'ont pas été initialement conçus dans une logique de contrôles aux frontières, mais qui peuvent utilement contribuer à améliorer la coopération en matière de surveillance des zones frontalières et des flux transfrontaliers :
  • l'accord conclu avec l'Allemagne en matière d'emploi transfrontalier des aéronefs, pour permettre l'intervention transfrontalière d'hélicoptères (observations et poursuites transfrontalières) et l'emploi du vecteur aérien dans le cadre d'une assistance mutuelle pour la gestion de grands événements (aéromobilité et surveillance de dispositifs d'ordre public). Cependant, cet accord peut aussi permettre l'emploi de moyens aériens pour renforcer la surveillance des zones et flux transfrontaliers, ce qui sera plus encore le cas à mesure que l'emploi de drones va se développer dans les forces de sécurité ;
  • la création de l'unité fluviale franco-allemande sur le Rhin (arrangement signé en 2011 pour lancer l'expérimentation, accord en cours de finalisation pour la pérenniser), qui répond d'abord à des logiques de police administrative de la navigation sur le fleuve et de police judiciaire pour les infractions commises sur le fleuve et à ses abords. L'unité se trouve sur la frontière entre les deux pays et pourra, par son activité de surveillance générale, contribuer au renforcement de la sécurité en zone frontalière ;
  • la brigade opérationnelle mixte franco-suisse (BOM Minerve), initialement conçue dans une logique de prévention et de répression de l'action d'organisations criminelles actives de part et d'autre de la frontière, peut également orienter son activité en tant que de besoin sur la surveillance plus générale de la zone frontalière, en appui des services territoriaux, notamment pour identifier des modes opératoires (filières d'immigration irrégulière) ou des comportements suspects (signes de radicalisation, présence anormale de personnes aux abords de sites sensibles, etc.) ;
  • les patrouilles mixtes ferroviaires peuvent contribuer à un dispositif proportionnel de renforcement des mesures de surveillance en zone frontalière.
Enfin, un groupe de travail relatif à la mise en œuvre des accords de Tournai II étudie l'interprétation concrète des dispositions de coopération transfrontalière entre la France et la Belgique. Sont notamment abordées en son sein les questions relatives :
  • au droit de poursuite ;
  • aux observations transfrontalières ;
  • au droit d'interpellation à l'étranger ;
  • aux prérogatives de puissance publique accordées aux agents présents sur le territoire de l'autre partie dans le cadre de patrouilles mixtes ;
  • au renforcement du projet LAPI ;
  • à l'assistance aux personnes ou aux biens en cas d'urgence sur le territoire de l'autre partie ;
  • au transit par le territoire de l'autre partie pour des raisons de « raccourcis ».

Des centres de de gestion de crise ou hotspots hors UE ?


Le dispositif des hotspots, proposé par la Commission dans le cadre de son Agenda européen en matière de migration, vise à apporter une assistance ponctuelle aux États membres de première entrée exposés à des pressions migratoires extraordinaires.
Le Sénat note que le bilan des hotspots « est plutôt positif pour ce qui est de l'identification et l'enregistrement des migrants », mais que « le problème du retour des étrangers en situation irrégulière reste prégnant, laissant entière la question de l'implantation de ces derniers à l'intérieur ou en bordure de l'Union européenne ».

Ce volet est sans doute le plus délicat compte tenu des derniers développements, en particulier politiques, de la crise migratoire à laquelle est confrontée l'Union européenne depuis 2015.

Le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) notait que «, sur le modèle de ce qui était fait en Turquie, au Liban ou en Jordanie, les personnes enregistrées auprès d'un pays de premier accueil peuvent être identifiées puis proposées par le HCR sur des listes fermées en vue de leur réinstallation en Europe.
En octobre 2017, le Président de la République a pris l'engagement de réinstaller 10 000 personnes en France d'ici fin 2019, dont 3 000 dans le cadre de missions de protection qui sont menées à partir du Tchad et du Niger ».

Le SGAE poursuivait ainsi : « En revanche, il n'existe pas à l'heure actuelle de hotspots à proprement parler. Si certains États membres de l'Union européenne ont pu émettre des idées dans ce sens, celles-ci n'ont débouché sur aucune concrétisation à ce stade.
En première analyse un tel concept semblerait soulever des questions juridiques (quel droit applicable par exemple ?) et diplomatiques. La question se pose sans doute aussi de l'effet d'appel d'air d'un tel dispositif ».

Du reste, un représentant de la Commission a indiqué à que l'établissement de hotspots dans des pays tiers n'était plus d'actualité, ce projet n'ayant d'ailleurs jamais été proposé par la Commission, mais seulement évoqué par certains États membres.

Des hotspots aux plateformes régionales de débarquement 


Au lieu de hotspots dans les pays de départ (Lybie, Tunisie, Maroc), les plateformes de débarquement de migrants secourus dans les eaux des pays tiers ou internationales seraient positionnés dans des pays de débarquement (Lybie, Tunisie, Albanie, etc.).

Le concept de plateformes régionales de débarquement a été forgé par le président du Conseil européen, Donald Tusk, avec le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), en raison de la nécessité, dans le contexte actuel, d'améliorer le sauvetage, l'accueil et l'orientation des migrants.
Ces plateformes de débarquement pourraient être installées dans les pays sûrs d'Afrique du Nord.
Les personnes secourues en mer seraient rapidement prises en charge et se verraient offrir des solutions adaptées en fonction de leur statut, soit le retour dans le pays d'origine, en lien avec l'OIM, soit l'accès à l'asile, y compris via la réinstallation dans un pays tiers, en lien avec le HCR. Il s'agit à la fois de prévenir les décisions unilatérales et de « casser » le modèle économique des passeurs.

Le document de la Commission sur les plateformes de débarquement publié après une réunion informelle - au bilan mitigé - des ministres de l'intérieur européens à Innsbruck, le 24 juillet 2018, porte sur l'installation, dans les pays tiers sûrs qui se porteraient volontaires, de ces plateformes.
La Commission cherche à inciter les pays nord-africains à établir des zones de recherche et de sauvetage et des centres de coordination de sauvetage maritime avec le soutien du HCR et de l'OIM. Ces deux organisations contribueront à faire en sorte que les personnes débarquées puissent recevoir une protection, si elles en ont besoin.
Elles peuvent être, orientées vers des programmes de réinstallation. Si elles n'ont pas besoin d'une protection, elles ont expulsées dans leur pays d'origine.

Ces plateformes, dont la forme dépendrait des pays tiers hôtes, ne devront en tout cas pas constituer un facteur d'attraction (pool factor).
Les personnes débarquées ayant besoin d'une protection internationale ne bénéficieraient pas toutes des mesures de réinstallation vers l'Union européenne. Ces points d'accueil devraient être établis le plus loin possible des points de départ de la migration irrégulière.
La Commission, sans préciser de chiffres, apporterait un soutien financier et opérationnel à ces pays pour les débarquements.

Toutefois, le projet a suscité des préventions de la part des pays de la rive Sud de la Méditerranée, qui ne souhaitent pas se voir imposer l'installation de telles plateformes.
C'est le cas, par exemple, de la Tunisie. Ni le Maroc ni l'Algérie ne sont plus enthousiastes, ces deux pays attendant surtout un soutien pour renforcer leurs capacités visant à empêcher les départs.

Selon les informations recueillies par le Sénat, le concept de « plateforme » serait d'ailleurs en train d'évoluer vers celui d' « arrangement », la « plateforme » évoquant trop fortement l'existence d'un centre physique établi de façon durable sur un territoire.

Une idée française : les centres contrôlés


Les centres contrôlés constituent une idée issue d'une analyse critique du fonctionnement des hotspots qui ont permis l'accueil et l'enregistrement des migrants là où ils ont été installés et qui auraient donc apporté des améliorations, même imparfaites, au fonctionnement du règlement de Dublin et de l'espace Schengen.
Néanmoins, selon la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur, les hotspots ont été insuffisamment directifs pour décourager les flux migratoires.

Les centres contrôlés concerneraient les migrants interceptés dans les eaux territoriales d'un État membre : ceux qui répondent aux critères d'attribution du statut de réfugié pourraient être transférés vers d'autres États membres qui les accueilleraient sur leur sol de manière volontaire pour pallier le refus d'un autre État d'ouvrir ses ports.
La Grèce et l'Espagne pourraient accueillir de tels centres, mais pas la France qui n'est pas un pays de première entrée.

La Commission, a publié, le 24 juillet 2018, a publié à côté du document sur les plateformes régionales de débarquement et, un autre sur les centres contrôlés. La complémentarité est recherchée entre ces deux dispositifs :
  • les centres contrôlés visent à répartir l'effort d'accueil des migrants entre les États membres ;
  • les plateformes régionales de débarquement auraient pour objectif d'encourager les pays de la rive Sud de la Méditerranée à traiter chez eux les demandes d'asile des migrants secourus en mer.

Avec ces centres contrôlés, l'objectif est d'intervenir rapidement quand un bateau transportant des migrants arrive dans les eaux d'un État membre.
La Commission contacterait alors d'autres États membres et organiserait avec les pays volontaires le transfert des migrants pris en charge. Sur cette base, le premier État membre concerné pourrait donc temporairement faire débarquer ces personnes sur son territoire le temps d'organiser les transferts.

Toute opération dans un centre contrôlé serait entièrement couverte par le budget européen.
Les États membres volontaires pour accueillir ces personnes pourraient recevoir 6 000 euros par migrant pour les frais de transfert. Les États membres pourraient aussi recevoir des crédits pour la mise en place des infrastructures.

Les États membres décideraient de la forme de ces centres et de leur nature, fermée ou ouverte.
Le schéma proposé aux États membres par la Commission serait en tout cas celui d'une identification initiale rapide des profils des personnes secourues, une fois débarquées dans un port européen.
En 72 heures, des équipes renforcées d'experts européens, par exemple de Frontex ou de l'agence européenne pour l’asile, vérifieraient si un migrant peut être transféré dans un autre État membre pour y voir traiter sa demande d'asile, s'il peut être redirigé dans le système d'asile du pays.
Sinon, cette personne sera rapidement orientée vers des centres fermés pour procéder à son retour, si elle ne peut prétendre à rester dans l'Union européenne.
L'ensemble de la procédure d'examen individuel de la demande devrait intervenir dans un délai de 4 à 8 semaines.

Néanmoins, l'intention de la Commission est que cette solution soit transitoire, dans l'attente de l'adoption de la réforme du régime d'asile européen commun. Le dispositif serait testé dans le cadre d'une phase pilote.


Synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr


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