La situation aurait dû se calmer sur le front européen de Schengen, de l'immigration et des frontières extérieures. Pourtant, il n'en est rien. Le débat sur la capacité de l'UE à gérer l'immigration clandestine est relancé sur fond d'une tragédie humaine.
L'Europe est confrontée à un dilemme : faut-il sauver ou protéger ? Prise entre deux visions, celle d'une Europe passoire et celle d'une Europe forteresse, elle est amenée en effet à résoudre la quadrature du cercle : apporter secours aux migrants tout en sécurisant les frontières extérieures. Si des solutions sont envisageables en pratique, le choix sur le plan des valeurs est cornélien : sauver des individus au nom de l'humanisme ou protéger les frontières pour sauvegarder l'espace de libre circulation, voire les nations menacées par une immigration massive ?
Le fond du problème
Après la crise de 2011 entre la France et l'Italie, et le bras de fer institutionnel de 2012 sur la gouvernance Schengen, la situation aurait dû redevenir à la normale en cette fin d'année 2013.
Il faut dire que les 28 ministres de l'Intérieur du Conseil ont finalement avalisé ce mois-ci l'ensemble des mesures législatives de la fameuse "gouvernance Schengen" et ce, après de nombreuses péripéties (voir le dossier spécial Schengen de securiteinterieure.fr).
En outre,:
- le nombre de migrants illégaux aux portes de l'UE semble en baisse au regard du dernier rapport de l'Agence européenne aux frontières extérieures, Frontex, qui a vu par ailleurs son budget passer pour cause de crise économique, de 118 à 85 millions d'euros entre 2011 et 2013,
- le règlement instituant Eurosur a été adopté par le Parlement européen, destiné à assurer la connexion des systèmes radars nationaux (à lire sur securiteinterieure.fr : Sécurité des frontières : le système de surveillance de l'UE opérationnel en 2013).
- le dispositif Schengen semble faire preuve de robustesse à en croire la Commission européenne et ce, à la lecture de son dernier rapport sur le bilan de santé de Schengen (à lire sur securiteinterieure.fr : 3e « bilan de santé Schengen » : l'accalmie se confirme ainsi que : 2e bilan de santé Schengen : la situation s'arrange).
Pourtant, il n'en est rien. Le débat sur la capacité de l'UE à gérer l'immigration clandestine est relancé après que plus de 300 corps aient été recueillis au large de l'île italienne de Lampedusa. Cette tragédie, dénommée par les médias "drame de Lampedusa", a mis en relief la question de l’immigration clandestine aux frontières extérieures de l'Union européenne.
Or, deux représentations antagonistes s'affrontent à ce propos : la figure du migrant clandestin à mettre à distance et celle
de l'être humain à protéger.
En d'autres termes, faut-il apporter de l'aide au nom des valeurs humanistes ou bien faut-il d'abord se défendre face à ce que certains nomment le menace migratoire ?
Certes, les deux solutions ne sont pas inconciliables mais la finalité, sauver ou protéger, reste différente. Trois hypothèses sont envisageables :
Un drame médiatisé sur fond de lutte entre deux conceptions : "Europe passoire" et "Europe forteresse"
Les évènements politiques se sont bousculés : le vice-Premier ministre italien, Angelino Alfano, a demandé l’aide de l'UE. L'Italie, en première ligne dans le "Route centrale méditerranéenne", sollicite un plus grand soutien européen (qui l'a obtenu par l'intermédiaire de Frontex).
La Commissaire aux affaires intérieures, Cecilia Malmström, et le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, se sont rendus l'un et l'autre à Lampedusa, dans la foulée du Conseil "Justice et affaire intérieures"de Luxembourg au cours duquel les ministres ont eu un échange des vues sur la manière d'éviter de telles tragédies. L'Agence européenne des droits fondamentaux (FRA) a publié, quant à elle, un communiqué soulignant "la nécessité que l’Union européenne et ses États membres revoient les mesures actuelles en matière d’immigration irrégulière".
En France, le débat se cristallise autour de Schengen. Plus particulièrement, les discussions se déroulent autour de l'élargissement de l'espace de libre circulation à la Roumanie et à la Bulgarie. Le président de l'UMP a demandé au Président de la République d'éclaircir sa position quant à la levée des contrôles frontaliers entre ces deux pays d'une part, et les Etats de l'espace Schengen d'autre part.
Le Président Hollande s'est quant à lui, dit "prêt à réformer l'espace Schengen" et la porte-parole du gouvernement d'affirmer que "les conditions d'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l'espace Schengen n'étaient actuellement "pas réunies"", le Ministre de l'Intérieur précisant pour sa part que la levée n'était pas à l'ordre du jour.
Le large écho médiatique donné à ce drame met en évidence le sempiternel affrontement entre deux visions irréconciliables : celles de l'Europe Forteresse et l'Europe passoire (sur ces deux visions, voir sur securiteinterieure.fr : Crise et réforme Schengen, de quoi parle-t-on vraiment et où va-t-on ?) . Sempiternel car ce débat est récurrent depuis la négociation de la convention d'application Schengen à la fin des années 1980 :
L'Europe sur la sellette... et Frontex en première ligne
Le cadrage donné aux évènements de Lampedusa majoritairement dans la presse semble plutôt aller dans le sens d'une mise en question de l'aptitude de l'Union à enrayer l'immigration clandestine (selon le point de vue des défenseurs de l'Europe passoire) ou à apporter efficacement une aide aux migrants (d'après le point de vue des tenants de l'Europe forteresse).
Ainsi, d'après Libération, il est question de "naufrage européen", de "vacuité de la politique migratoire de l'UE" et du fait que "L’Europe n’a pas de plan, sauf celui de renforcer la surveillance et de repousser les migrants".
Selon les Echos, "l’Europe est en accusation sur sa politique migratoire" et "Schengen se fissure" et "le tragique naufrage de Lampedusa a jeté une lumière crue sur les failles de la politique européenne de l’immigration".
Il est vrai que près de 3300 migrants sont morts à Lampedusa depuis 2002, et plus de 18 000 aux frontières de l'Union européenne. Jean-Marc Manach rappelle à ce sujet que "L'Europe est en guerre contre un ennemi qu'elle s'invente". Cette guerre aux migrants fustigée par de nombreuses ONG, se focalise sur l'agence Frontex, très contestée, qui tenterait de se "refaire une virginité" en mettant avant son action en matière de sauvetage.
Selon le rapport d'activité de Frontex pour l'année 2012, l'agence aurait sauvé de près de 6000 migrants. Cette activité de sauvetage fait d'ailleurs partie de l'une de ses préoccupations, le respect des droits fondamentaux étant sa principale priorité. Sur son site web, l'agence présente à cet égard une sucess story d'un sauvetage.
Ainsi, et toujours selon ce rapport, alors que son budget est en baisse, l'agence concentre ses efforts sur ses différentes missions, notamment celle de sauvetage.
Pourtant, et comme le rappelle Frontexit dans un communiqué publié sur le site de Migreurop "Frontex : surveiller ou sauver des vies ?", "au lieu de poser ces questions, l’Italie et les institutions européennes indiquent qu’il est temps de "réévaluer" le rôle de l’agence Frontex et de lui donner plus de moyens. Mais qu’on ne s’y trompe pas ! L’agence Frontex a pour mandat la lutte contre l’immigration dite « clandestine » et non le sauvetage dans son article, en mer".
Il importe de préciser à cet égard que l'agence Frontex a connu un développement très important : en 5 ans, son budget annuel a été multiplié par 20 (6 millions d’euros en 2006 à 118 millions d’euros en 2011), soit un record, en ces temps de crise, rappelle Jean-Marc Manach qui souligne aussi que "une des missions de Frontex est de rendre nos frontières “intelligentes”, au moyen d’une batterie de nouvelles technologies, développées, pour la plupart, par des marchands d’armes : caméras de vidéosurveillance thermiques, détecteurs de chaleurs et de mouvement, systèmes de drones, etc., le tout pour un budget estimé à 2 milliards d’euros. 2 milliards d’euros, c’est grosso modo ce que réclamaient les associations caritatives pour assurer l’aide alimentaire aux plus démunis, soit 19 millions de personnes en Europe, dont 4 millions en France" (à lire l'interview de Claire Rodier et à voir aussi sur securiteinterieure.fr : Les frontières intelligentes : une bonne initiative pour lutter contre l'immigration clandestine et la criminalité).
Une conception sécuritaire prédominante au sein de l'Union
Frontex a bénéficié d'une augmentation substantielle de son budget et l'agence a vu son cadre juridique réformé (voir sur securiteinterieure.fr : Adoption officielle du nouveau règlement Frontex). Le but est notamment de lui permettre d'acquérir de l'équipement et d'étendre sa marge de manœuvre dans la conduite des opérations menée aux frontières de l'UE avec l'aide des garde-frontières nationaux .
A découvrir :
A lire aussi sur securiteinterieure.fr:
A lire en outre sur RUEDELSJ :
A regarder par ailleurs : "EU rules on maritime rescue: Member States quibble while migrants drown" (Steve Peers - Statewatch Analysis)
A voir enfin les articles de :
L'action européenne doit-elle s'orienter vers le sauvetage des migrants (image de l'être humain en détresse) ou vers la protection face à la menace extérieure (image
des flots de migrants clandestins à repousser) ?
En d'autres termes, faut-il apporter de l'aide au nom des valeurs humanistes ou bien faut-il d'abord se défendre face à ce que certains nomment le menace migratoire ?
Certes, les deux solutions ne sont pas inconciliables mais la finalité, sauver ou protéger, reste différente. Trois hypothèses sont envisageables :
- dans une première optique, il s'agit avant tout de sauver des vies au nom d'un idéal européen : celui des droits de l'Homme. Les migrants "sont les victimes d’une Europe enfermée jusqu’à l’aveuglement dans une logique sécuritaire, qui a renoncé aux valeurs qu’elle prétend défendre. Une Europe assassine".
- dans une seconde optique, il s'agit de sauver des vies certes, mais aussi et surtout de sauvegarder le dispositif Schengen alliant liberté et sécurité (liberté de circulation au sein d'un espace sans frontières et sécurité sous la forme d'une surveillance accrue des frontières et de mécanismes efficaces de réadmission des migrants clandestins, au titre de mesures compensatoires à la création de cet espace de liberté,
- dans une troisième optique, si le sauvetage est un aspect, la dimension la plus importante est le retour des migrants appréhendés dans le pays d'origine ou de transit et ce, au nom de la préservation de l'identité nationale et de la défense de l'idée que l'Europe ne peut pas héberger toute la misère du monde.
Un drame médiatisé sur fond de lutte entre deux conceptions : "Europe passoire" et "Europe forteresse"
Les évènements politiques se sont bousculés : le vice-Premier ministre italien, Angelino Alfano, a demandé l’aide de l'UE. L'Italie, en première ligne dans le "Route centrale méditerranéenne", sollicite un plus grand soutien européen (qui l'a obtenu par l'intermédiaire de Frontex).
La Commissaire aux affaires intérieures, Cecilia Malmström, et le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, se sont rendus l'un et l'autre à Lampedusa, dans la foulée du Conseil "Justice et affaire intérieures"de Luxembourg au cours duquel les ministres ont eu un échange des vues sur la manière d'éviter de telles tragédies. L'Agence européenne des droits fondamentaux (FRA) a publié, quant à elle, un communiqué soulignant "la nécessité que l’Union européenne et ses États membres revoient les mesures actuelles en matière d’immigration irrégulière".
En France, le débat se cristallise autour de Schengen. Plus particulièrement, les discussions se déroulent autour de l'élargissement de l'espace de libre circulation à la Roumanie et à la Bulgarie. Le président de l'UMP a demandé au Président de la République d'éclaircir sa position quant à la levée des contrôles frontaliers entre ces deux pays d'une part, et les Etats de l'espace Schengen d'autre part.
Le Président Hollande s'est quant à lui, dit "prêt à réformer l'espace Schengen" et la porte-parole du gouvernement d'affirmer que "les conditions d'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l'espace Schengen n'étaient actuellement "pas réunies"", le Ministre de l'Intérieur précisant pour sa part que la levée n'était pas à l'ordre du jour.
Le large écho médiatique donné à ce drame met en évidence le sempiternel affrontement entre deux visions irréconciliables : celles de l'Europe Forteresse et l'Europe passoire (sur ces deux visions, voir sur securiteinterieure.fr : Crise et réforme Schengen, de quoi parle-t-on vraiment et où va-t-on ?) . Sempiternel car ce débat est récurrent depuis la négociation de la convention d'application Schengen à la fin des années 1980 :
- d'un côté, l'Europe est fustigée, incapable d'apporter une réponse au drame humain qui se joue aux frontières de l'Union,
- de l'autre, l'Europe est critiquée pour son incapacité chronique à empêcher l'afflux de migrants sur son sol.
L'Europe sur la sellette... et Frontex en première ligne
Le cadrage donné aux évènements de Lampedusa majoritairement dans la presse semble plutôt aller dans le sens d'une mise en question de l'aptitude de l'Union à enrayer l'immigration clandestine (selon le point de vue des défenseurs de l'Europe passoire) ou à apporter efficacement une aide aux migrants (d'après le point de vue des tenants de l'Europe forteresse).
Ainsi, d'après Libération, il est question de "naufrage européen", de "vacuité de la politique migratoire de l'UE" et du fait que "L’Europe n’a pas de plan, sauf celui de renforcer la surveillance et de repousser les migrants".
Selon les Echos, "l’Europe est en accusation sur sa politique migratoire" et "Schengen se fissure" et "le tragique naufrage de Lampedusa a jeté une lumière crue sur les failles de la politique européenne de l’immigration".
Il est vrai que près de 3300 migrants sont morts à Lampedusa depuis 2002, et plus de 18 000 aux frontières de l'Union européenne. Jean-Marc Manach rappelle à ce sujet que "L'Europe est en guerre contre un ennemi qu'elle s'invente". Cette guerre aux migrants fustigée par de nombreuses ONG, se focalise sur l'agence Frontex, très contestée, qui tenterait de se "refaire une virginité" en mettant avant son action en matière de sauvetage.
Selon le rapport d'activité de Frontex pour l'année 2012, l'agence aurait sauvé de près de 6000 migrants. Cette activité de sauvetage fait d'ailleurs partie de l'une de ses préoccupations, le respect des droits fondamentaux étant sa principale priorité. Sur son site web, l'agence présente à cet égard une sucess story d'un sauvetage.
Ainsi, et toujours selon ce rapport, alors que son budget est en baisse, l'agence concentre ses efforts sur ses différentes missions, notamment celle de sauvetage.
Pourtant, et comme le rappelle Frontexit dans un communiqué publié sur le site de Migreurop "Frontex : surveiller ou sauver des vies ?", "au lieu de poser ces questions, l’Italie et les institutions européennes indiquent qu’il est temps de "réévaluer" le rôle de l’agence Frontex et de lui donner plus de moyens. Mais qu’on ne s’y trompe pas ! L’agence Frontex a pour mandat la lutte contre l’immigration dite « clandestine » et non le sauvetage dans son article, en mer".
Il importe de préciser à cet égard que l'agence Frontex a connu un développement très important : en 5 ans, son budget annuel a été multiplié par 20 (6 millions d’euros en 2006 à 118 millions d’euros en 2011), soit un record, en ces temps de crise, rappelle Jean-Marc Manach qui souligne aussi que "une des missions de Frontex est de rendre nos frontières “intelligentes”, au moyen d’une batterie de nouvelles technologies, développées, pour la plupart, par des marchands d’armes : caméras de vidéosurveillance thermiques, détecteurs de chaleurs et de mouvement, systèmes de drones, etc., le tout pour un budget estimé à 2 milliards d’euros. 2 milliards d’euros, c’est grosso modo ce que réclamaient les associations caritatives pour assurer l’aide alimentaire aux plus démunis, soit 19 millions de personnes en Europe, dont 4 millions en France" (à lire l'interview de Claire Rodier et à voir aussi sur securiteinterieure.fr : Les frontières intelligentes : une bonne initiative pour lutter contre l'immigration clandestine et la criminalité).
Une conception sécuritaire prédominante au sein de l'Union
Frontex a bénéficié d'une augmentation substantielle de son budget et l'agence a vu son cadre juridique réformé (voir sur securiteinterieure.fr : Adoption officielle du nouveau règlement Frontex). Le but est notamment de lui permettre d'acquérir de l'équipement et d'étendre sa marge de manœuvre dans la conduite des opérations menée aux frontières de l'UE avec l'aide des garde-frontières nationaux .
A SUIVRE DANS LA DEUXIEME PARTIE DE L'ARTICLE
Pour citer l'article :
Pierre Berthelet, « Frontex, Schengen, Lampedusa... Faut-il sauver ou protéger ? », 1ère partie, securiteinterieure.fr, 13 octobre 2013, http://securiteinterieurefr.blogspot.be/2013/10/frontex-schengen-lampedusa-faut-il.html
Pour citer l'article :
Pierre Berthelet, « Frontex, Schengen, Lampedusa... Faut-il sauver ou protéger ? », 1ère partie, securiteinterieure.fr, 13 octobre 2013, http://securiteinterieurefr.blogspot.be/2013/10/frontex-schengen-lampedusa-faut-il.html
A découvrir :
- L'interview de Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr dans la journal de la radio suisse romande (RTS)
- La « gouvernance Schengen ». Le sentier périlleux de la réforme
- "Gouvernance Schengen : réforme difficile"
- Front national : réflexes identitaires
A lire aussi sur securiteinterieure.fr:
- Les Roms sont-il intégrables à la société française ?
- Le dossier spécial Schengen
- Le fil des articles sur les frontières extérieures
- Le fil des articles sur l'immigration clandestine
- Le fil des articles sur Schengen
- Le fil des articles sur Frontex
A lire en outre sur RUEDELSJ :
- Lampedusa : chronique de drames annoncés
- les articles sur Schengen
- les articles sur l'immigration
- les articles sur les frontières
A regarder par ailleurs : "EU rules on maritime rescue: Member States quibble while migrants drown" (Steve Peers - Statewatch Analysis)
A voir enfin les articles de :
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