La problématique des conditions de l’imposition des contrôles unilatéraux aux frontières intérieures au sein de l’espace Schengen tourne à l'affrontement gauche/droite. Toutefois, si l'on dépasse cette opposition, les divergences autour de ces conditions cristallisent les ambiguïtés du projet européen. Mais de quoi parle-ton vraiment lorsqu'il s'agit de crise Schengen ou de réforme du dispositif Schengen ?
securiteinterieure.fr vous présente un bilan approfondi du sujet dans le cadre d'un dossier spécial "Crise et réforme Schengen, de quoi parle-t-on vraiment et où va-t-on ?"
Cet article est rédigé en 3 parties. La première partie est introductive et didactique. La deuxième partie, et surtout la troisième, sont plus analytiques.
Pour consulter la deuxième et la troisième partie
Plan de la première partie
1. Qu'est-ce que Schengen et son dispositif ?
2. Petit rappel des faits récents
3. Le problème Schengen est-il spécifiquement français ?
1. Qu'est-ce que Schengen et son dispositif ?
Schengen, du nom d'un village luxembourgeois à proximité de la France et de l'Allemagne, renvoie à un ensemble de règles destinées à assurer plus de liberté et davantage de sécurité :
- liberté au sens de libre circulation des personnes au sein d'un espace décloisonné, c'est-à-dire sans frontières intérieures. C'est l'espace Schengen;
- sécurité ensuite, car au moment de la mise en œuvre, en 1995 des accords de Schengen, l'idée était que cet espace de liberté devait être réalisé sans nuire au niveau général de sécurité. D'où la création d'une base de données européenne (le Système d'information Schengen), une meilleure coopération policière et judiciaire et un renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l'espace Schengen (ci-après les "frontières extérieures").
Schengen peut être vu comme un "club". Dans les grandes lignes (1) :
- certains Etats hors UE y appartiennent (Suisse, Liechtenstein, Norvège, Islande);
- certains Etats membres de l'UE n'en font pas partie. Ils ne veulent pas appartenir à la coopération Schengen car ils ne souhaitent pas un démantèlement des contrôles aux frontières intérieures. C'est le cas du Royaume-Uni et de l'Irlande (2);
- certains Etats membres de l'UE ne font pas partie de l'espace
Schengen mais ils veulent y appartenir. C'est le cas de la Roumanie et
de la Bulgarie.
(1) Il s'agit d'une présentation sommaire et synthétique, beaucoup d'aspects sont éludés comme le cas de Chypre par exemple.
(2) Il existe un espace de libre circulation entre le Royaume-Uni et l'Irlande.
- Pour davantage d'informations sur l'historique, la philosophie et le contenu du dispositif Schengen, pour pouvez consulter :
- Le droit institutionnel de la sécurité intérieure de l'UE
- Une sélection d'ouvrages universitaires à ce sujet
- La page de Touteleurope.eu consacrée à l'espace Schengen
- La page d'Europedia.eu consacrée à la libre circulation
- La page dédiée sur Vie publique
- La page dédiée dans "Synthèses de la législation de l'UE"
2. Petit rappel des faits récents :
- En janvier et en février 2011, suite au Printemps arabe, l’Italie fait face à une vague exceptionnelle de migrants et demande l’aide de l’Union européene (UE);
- Des fonds européens sont débloqués par la Commission et une opération est menée par Frontex, dénommée opération Hermès;
- Au premier semestre, 25.000 migrants sont arrivés en Italie, avec des vagues de 5000 en 5 jours;
- En mars, la police française est « submergée par des vagues de migrants venant d’Italie »
- Début avril, la France et l’Italie s’affrontent sur la situation des migrants tunisiens. L'affaire est largement médiatisée, tant en France qu'en Italie;
- Le ministre de l’Intérieur français, Claude Guéant, demande de l’aide l’Union et réclame une action plus vigoureuse.A défaut, la France utilisera la clause de sauvegarde prévue dans le dispositif Schengen pour fermer ses frontières avec l'Italie;
- La commissaire européen aux affaires intérieures, Cécilia Malström, refuse toute tentation généralisée de fermer les frontières;
- Le Conseil « Justice et affaires intérieures » de mi avril ne statue pas sur le contentieux franco-italien et ne mentionne pas l'idée de dispositif d'aide d'urgence Schengen, ce qui provoque la colère de l’Italie;
- La France suspend la circulation des trains entre la ville italienne de Vintimille et les villes françaises. Elle menace de suspendre les accords Schengen, perçus comme déficients. Avant le Conseil "Justice et affaires intérieures", le ministre de l'Intérieur Français avait adopté une circulaire précisant que la France acceptera les Tunisiens uniquement s'ils disposent de ressources économiques suffisantes. Les autres seront rapatriés en Italie, en vertu de l’accord France-Italie de Chambéry. La France recourt également aux dispositions de la directive "retour" permettant d’utiliser les accords bilatéraux de réadmission entre Etats membres au lieu de renvoyer les migrants dans les pays tiers (hors UE);
- Pour ce qui est de l’Italie souhaitant davantage de solidarité et ne l’ayant pas obtenue, elle délivre des titres de séjour de six mois aux migrants arrivés sur son territoire depuis janvier. Ce titre, délivré à titre humanitaire, est un sauf-conduit leur permettant de circuler dans tout l'espace Schengen, ce que la France conteste formellement;
- Fin avril, après une entrevue à Rome, le président de la République Nicolas Sarkozy et le président du Conseil Silvio Berlusconi demandent une révision du dispositif Schengen et un renforcement de Frontex. C'est la lettre frano-italienne. Au fond, "l’Union européenne est-elle soluble dans le printemps arabe ?";
- Début mai, de son côté, la Commission a réagi en publiant une communication sur la migration. L’une des idées principales est que les contrôles aux frontières nationales peuvent être rétablis du moment où un segment des frontières extérieures est soumis à une pression migratoire forte. Seulement, la Commissaire Malmstrom indique qu'il s'agit d'une mesure temporaire;
- La Commissaire aux affaires intérieures plaide pour davantage de solidarité entre les Etats membres.Elle précise que les politiques d’immigration requièrent une stratégie à long terme et elles ne doivent pas être soumises à des mouvements populistes. Sur son blog, la Commissaire, déclare que les migrants venant de Tunisie ne sont pas un motif pour la suspension des mesures de libre circulation au sein de l'espace Schengen, mais le dispositif doit être amélioré;
- En réponse, le Conseil "Justice et affaires intérieures" de mai « réserve un accueil globalement favorable » à la communication de la Commission, tout en réitérant l’importance de la libre circulation, Le Conseil « demande unanimement un renforcement du controle aux frontières extérieures de l'UE »;
- La France se réjouit des conclusions du Conseil allant dans le sens d'un contrôle plus strict des frontières;
- Le Conseil "Justice et affaires intérieures" de juin va dans le même sens. Il approuve des conclusions sur le suivi du Pacte sur l’asile et l’immigration adopté sous présidence française, préconisant le fait que le renforcement des frontières reste une priorité absolue;
- Fin juin, le Conseil des ministres parvient à un accord politique sur le nouveau règlement Frontex;
- Quant au Conseil européen de fin juin également, il précise que « le pilotage politique et la coopération dans l'espace Schengen doivent encore être renforcés pour permettre une plus grande confiance mutuelle entre les États membres »;
- En septembre, en réponse, la Commission a présenté un paquet législatif composé d’une communication consacrée à la gouvernance Schengen (modifiant le code frontières Schengen) (voir billet de securiteinterieure.fr à ce sujet), accompagnée de deux règlements, un règlement consacré au rétablissement des contrôles aux frontières intérieures et un règlement consacré à l’évaluation mutuelle des contrôles aux frontières extérieures (voir billet de securiteinterieure.fr à ce sujet);
- En octobre, l’Assemblée nationale (voir billet de securiteinterieure.fr à ce sujet) et en décembre, le Sénat (voir billet de securiteinterieure.fr à ce sujet) se sont prononcés sur la proposition de règlement sur la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures. Les deux Chambres ont rendu un avis opposé. L'Assemblée nationale a émis un avis défavorable, estimant que la compétence en maiière de réintroduction des contrôles est avant tout nationale. A l'inverse, pour le Sénat, le dispositif Schengen doit être préservé. Cette réintroduction doit donc être davantage encadrée.
3. Le problème Schengen est-il spécifiquement français ?
Non, et voici trois exemples récents :
- le premier date de début janvier 2012. Les Pays-Bas ont établi un ensemble de caméras aux points d'entrée du territoire.
L'objectif consiste à identifier les plaques minéralogiques des
véhicules venant de Belgique et d'Allemagne et ce, en vue de mieux
lutter contre la criminalité internationale. Les autorités néerlandais
ont indiqué à la Commission européenne qu'il ne s'agissait pas de
réintroduction déguisée de contrôles aux frontières intérieures;
- le second date de mi 2011 et a concerné le Danemark. Peu avant la réunion du Conseil "Justice et affaires intérieures" de mai, avec au menu des 27 ministres la discussion d'une intensification des contrôles aux frontières extérieures, les autorités danoises ont déployé à leurs frontières des douaniers afin de contrôler les flux venant d'Allemagne et de Suède. L'objectif ? Lutter contre l'immigration et la criminalité. La Commission a menacé le Danemark de le poursuivre devant la Cour de justice. Finalement, suite à un changement de majorité et à quelques mois de la présidence danoise du Conseil, le gouvernement annonce en octobre la levée des contrôles;
- le troisième date de la même époque. Il concerne la Grèce en proie à une vague migratoire sans précédent le long de sa frontière nord-est (fleuve Evros). Le Conseil "Justice et affaires intérieures d'octobre avait exprimé son inquiétude concernant la capacité de la Grèce à protéger ses frontières extérieures dans le cadre de l'espace Schengen. Frontex a d'ailleurs publié un rapport sur le déploiement des équipes d'intervention rapide, les Rabits à la frontière gréco-turque pour l'année 2010 ainsi que son rapport semestriel sur l'état du phénomène d'immigration clandestine (voir billet de securiteinterieure.fr à ce sujet). La Cour a d'ailleurs "dynamité" un règlement sur la détermination des demandes d'asile par les Etats membres (règlement de Dublin) dans le contexte où la Grèce était incapable d'assumer ses responsabilités qui lui incombait.
La suite à lire prochainement dans la deuxième partie.
Plan de la deuxième partie
1. Le cœur du débat
2. Quelques mythes et idées fausses sur la coopération Schengen
3. Vers quoi s’achemine-t-on ?
Pour consulter la deuxième et la troisième partie
bibliographie mise en jour en juin 2012
Eléments de bibliographie
- Le droit institutionnel de la sécurité intérieure de l'UE par Pierre Berthelet;
- La gestion des frontières extérieures de l'Union européenne - Défis et perspectives en matière de sécurité et de sûreté, (sous la direction de Jean-Christophe Martin), Paris, Pedone, 2011
- les notes et publications d'Yves Pascouau de l'EPC en particulier la dernière "The Schengen evaluation mechanism and the legal basis problem: breaking the deadlock";
- l'étude de Marie-Laure Basilien-Gainche, "La remise en cause des accords de Schengen", CERISCOPE Frontières, 2011;
- l'étude de Philippe Kaeser consacrée au dilemme de Schengen;
- la note de Charles Elsen, Le rôle des accords de Schengen dans la construction européenne;
- l'étude de Dirk Vanheule, Dr. Joanne van Selm, Dr. Christina Boswell, L’application de l’article 80 du TFUE sur le principe de solidarité et de partage équitable de responsabilités entre les États membres, y compris sur le plan financier, dans le domaine des contrôles aux frontières, de l’asile et de l’immigration;
- l'article de Julien Jeandesboz, Contrôles aux frontières de l’Europe - Frontex et l’espace Schengen, La Vie des idées;
- l'article de Virginie Guiraudon, "Schengen, une crise en trompe-l'oeil", Politique étrangère, n° 4, hiver 2011, p. 773-784;
- l'article de Denys Simon,« C’est la faute à l’Europe, c’est la faute à Schengen… », Revue Europe, mai 2011 , p. 1;
- l'article de Denys Simon, "Un Huron à Schengen", Revue Europe, avril 2012, p. 1;
- l'article de Catherine de Wenden, "Les flux migratoires légaux et illégaux", CERISCOPE Frontières, 2011;
- l'article de Philippe Bonditti, "L'Europe : tracer les individus, effacer les frontières", CERISCOPE Frontières, 2011;
- l'article de Didier Bigo, "Frontières, territoire, sécurité, souveraineté", CERISCOPE Frontières, 2011;
- les études du CEPS (en anglais seulement), comme :
- Sergio Carrera, Elspeth Guild, ‘Joint Operation RABIT 2010’ – FRONTEX Assistance to Greece’s Border with Turkey: Revealing the Deficiencies of Europe’s Dublin Asylum System;
- Sergio Carrera, Anaïs Faure Atger, L’Affaire des Roms: A Challenge to the EU’s Area of Freedom, Security and Justice;
- Peter Hobbing, A farewell to open borders? The Danish Approach;
- les articles de la revue Culture et conflits comme :
Article soumis à copyright. Pour le citer, merci de prendre la référence suivante :
Pierre
Berthelet, "Crise et réforme de Schengen : mais au fond de quoi
parle-t-on et où va-t-on ?", article mis en ligne le 6/01/2012, URL :http://securiteinterieurefr.blogspot.com/2012/01/crise-et-reforme-schengen-de-quoi-parle.html
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