Le dernier rapport sur la protection des intérêts financiers de l’Union est disponible et il faut retenir plusieurs éléments, notamment l'existence de fraudes et d'irrégularités pour près de 2 milliards d’euros. 400 infractions ayant fait l'objet d'enquêtes concernent des organisations criminelles selon le Parquet européen. Ce même parquet a diligenté des enquêtes pour un montant correspondant à 13 milliards d’euros de prejudice. De son côté, l'office européen de lute antifraude (OLAF) a ouvert près de 250 enquêtes. Enfin et surtout, l'architecture de lutte contre la fraude est en pleine revision et de nouveaux acteurs vont venir la renforcer.
Quel est le contexte ?
Le 16 juillet 2025, la Commission a adopté une communication relative à un livre blanc sur la révision de l'architecture antifraude. Cette communication a lancé un processus de réflexion visant à réexaminer l'architecture antifraude globale de l'UE afin de mieux relever les défis et de combler les lacunes existantes en matière de protection des intérêts financiers de l'UE. Ce processus de révision sera également l'occasion d'améliorer et de rationaliser la coopération entre les différents acteurs, en s'appuyant sur les résultats des évaluations en cours des cadres juridiques applicables à certains acteurs concernés par l'architecture antifraude (par exemple, Eurojust, Europol, l'OLAF et le Parquet européen).
- A lire sur securiteinterieure.fr : Future stratégie de lutte antifraude : la révision du mandat d’Europol, d’Eurojust, de l’Office de lutte antifraude (OLAF) et du Parquet européen est envisagée
La révision de l'AFA complète les travaux préparatoires du prochain cadre financier pluriannuel (CFP). L'objectif est de garantir que le prochain CFP puisse bénéficier d'une architecture antifraude renforcée et plus efficace afin de protéger les intérêts financiers de l'UE en optimisant l'utilisation des ressources (notamment en ce qui concerne la complémentarité et la coordination des fonctions et activités de tous les acteurs concernés).
Le chantier actuel : la révision de l'architecture antifraude de l'UE
L'architecture antifraude de l'UE (AFA) s’articule autour de plusieurs composantes ayant des missions et des rôles spécifiques dans la prévention, la détection et la lutte contre les activités frauduleuses portant atteinte aux intérêts financiers de l'UE. Il s'agit principalement : (i) des ordonnateurs délégués des institutions, organes et organismes de l'UE ; (ii) de l'OLAF ; (iii) du Parquet européen ; (iv) d'Eurojust ; (v) d'Europol ; (vi) de la Cour des comptes européenne ; et (vii) de la nouvelle Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux (ALBC).
Au niveau des États membres, une grande variété d'autorités et d'organismes jouent un rôle important dans la protection des intérêts financiers de l'UE, en collectant les recettes, en gérant et en contrôlant les fonds, en menant des enquêtes et des poursuites en matière de fraude et en recouvrant les fonds indûment versés. Par exemple, dans le domaine fiscal, le réseau des États membres Eurofisc a été créé en 2010 pour lutter contre la fraude transfrontalière à la TVA. Son mandat couvre le traitement conjoint et l'analyse des données, la coordination des actions de suivi et l'accès aux données douanières sur les importations exonérées de TVA.
L'architecture législative et organisationnelle complexe mise en place pour protéger les intérêts financiers de l'UE est le fruit d'un processus continu s'étalant sur plus de trois décennies. Le 16 juillet 2025, la Commission a lancé un processus de réflexion en vue de la révision de l'architecture de lutte contre la fraude.
Coopération entre les principaux acteurs au niveau de l'UE
La coopération entre les principaux acteurs de l'AFA de l'UE peut prendre différentes formes, en fonction de la nature des institutions et organismes concernés. Les principales formes de coopération sont : a) l'échange de connaissances et d'expertise ; b) la coordination ; c) la coordination opérationnelle et le soutien entre les organismes d'enquête.
La coordination et la coopération en matière d'enquêtes s'effectuent par l'intermédiaire des organes opérationnels de l'AFA. Le Parquet européen, par exemple, a indiqué qu'Europol avait fourni un soutien (échange d'informations, soutien analytique, expertise) à 83 demandes et qu'à la fin de 2024, 25 dossiers étaient en cours et bénéficiaient du soutien des bureaux nationaux d'Eurojust.
En 2024, l'OLAF a transmis 74 dossiers au Parquet européen pour l'ouverture d'une enquête pénale, et le Parquet européen en a ouvert 69 sur la base des informations fournies par l'OLAF. La même année, l'OLAF a conclu 26 enquêtes complémentaires et en a ouvert 17.
Les opérations douanières conjointes (ODC) sont des actions ciblées d'une durée limitée visant à lutter contre la fraude et la contrebande de marchandises sensibles dans des zones spécifiques à risque et/ou sur des routes commerciales identifiées. En 2024, sept ODC ont été coorganisées ou soutenues par l'OLAF, couvrant un large éventail de cibles telles que les médicaments contrefaits, l'alcool illicite et le commerce illicite, entre autres.
Du point de vue de la Commission : mise en œuvre du plan d'action accompagnant sa stratégie antifraude
Tout au long de l'année 2024, la Commission a pris de nouvelles mesures pour renforcer sa gouvernance interne en matière de lutte contre la fraude. La stratégie antifraude de la Commission (CAFS) et le plan d'action qui l'accompagne constituent la base d'une coopération et d'une coordination étroites au sein de la Commission, et l'OLAF, en tant que service chef de file, suit et coordonne sa mise en œuvre.
Un réseau dédié de correspondants antifraude de l'OLAF des services de la Commission – le réseau de prévention et de détection de la fraude (FPDNet) – se réunit régulièrement en plénière et en sous-groupe pour échanger les meilleures pratiques et coordonner la mise en œuvre des actions du CAFS.
Les nouveaux acteurs de l'architecture antifraude de l'UE
L'Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (AMLA) est une agence décentralisée de l'UE qui coordonne les autorités nationales afin de garantir l'application correcte et cohérente des règles de l'UE. L'AMLA vise à transformer la surveillance de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme dans l'UE tout en renforçant la coopération entre les cellules de renseignement financier.
Suite à l'adoption du règlement de l'AMLA le 31 mai 2024, l'autorité a été légalement créée le 26 juin 2024 et sera pleinement opérationnelle à compter du 1er janvier 2028.
La proposition actuelle visant à créer l'Autorité douanière de l'UE vise à adopter une approche numérique plus centralisée, notamment en matière de gestion des risques et de contrôles douaniers, afin de garantir une union douanière plus efficace, renforcée et résistante à la fraude, et de jouer un rôle clé dans la lutte contre la fraude aux frontières extérieures de l'UE. L'Autorité exploitera la plateforme de données douanières de l'UE, fournissant un pool de données en temps réel sur les flux douaniers et une capacité d'analyse de données renforcée qui permettra une meilleure gestion des risques et des contrôles douaniers aux frontières extérieures, en vue de renforcer la protection des intérêts financiers de l'UE.
Des progrès à faire au niveau national
Dans ses rapports PIF 2022 et 2023, la Commission a recommandé aux États membres de renforcer leur gouvernance antifraude en créant ou en améliorant des réseaux dédiés impliquant tous les organismes nationaux ayant pour mandat la protection des intérêts financiers de l'UE.
D'après les informations recueillies auprès des États membres, la situation est restée relativement inchangée par rapport à celle rapportée dans le rapport PIF 2023, la plupart des États membres ne signalant aucune évolution significative. Parmi ceux qui ont introduit des changements, l'accent a été mis sur le renforcement du rôle et des capacités des services de coordination antifraude des États membres (AFCOS).
Un autre élément clé de cette gouvernance est l'adoption de stratégies spécifiques pour lutter contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'UE. Au fil des ans, la Commission a soutenu l'adoption de stratégies nationales antifraude (NAFS), élaborées par les instances nationales clés de l'AFA.
En 2024, les 27 États membres ont déclaré avoir mis en place des stratégies antifraude pour protéger les intérêts financiers de l'UE, bien que leurs approches variaient considérablement.
ARACHNE, un exemple de de mesure visant à accélérer la numérisation de la lutte contre la fraude
22 États membres intègrent le système ARACHNE actuel à leurs stratégies antifraude. Les autorités de gestion et d'audit sont parmi les principaux acteurs de sa mise en œuvre. ARACHNE est largement utilisé dans l'ensemble des fonds de l'UE à des fins de prévention et de détection, grâce à la notation des risques permettant d'identifier les fraudes et les irrégularités. Bien que le système ait été adopté, une formation et un accompagnement complets restent nécessaires à son efficacité.
De nombreux États membres signalent des améliorations des processus avec ARACHNE.
Avec l'alimentation obligatoire de l'outil unique d'exploration de données et de notation des risques (Arachne+) à des fins d'audit et de contrôle à compter du 1er janvier 2028, les données collectées par les autorités de tous les États membres concernant tous les fonds seront intégrées dans un outil unique à l'échelle de l'UE. Cela renforcera les fonctions de contrôle et d'audit dans toute l'UE et aidera les autorités nationales et les acteurs de l'AFA à prévenir, détecter, corriger et suivre la fraude, la corruption et les irrégularités, y compris les conflits d'intérêts et les doubles financements.
Des fraudes et des irrégularités pour près de 2 milliards d’euros
Au total, 13 589 irrégularités frauduleuses et non frauduleuses, d'un montant de 1,84 milliard d'euros, ont été signalées en 2024. La Commission a constaté une légère diminution du nombre d'irrégularités signalées par rapport à 2023 (- 2,6 %), tandis que les montants irréguliers correspondants ont augmenté (+19,5 %). Les irrégularités signalées en 2024 étaient supérieures de 3,6 % à la moyenne des cinq dernières années, tandis que leurs montants financiers correspondants étaient supérieurs de 12 %.
Le nombre d'irrégularités frauduleuses signalées par les autorités nationales à la Commission est resté relativement stable entre 2020 et 2023, mais a augmenté de manière significative en 2024 pour atteindre 1364 (+ 26 % par rapport à 2023). Ce nombre représente 10 % du nombre total d'irrégularités signalées. Par rapport à la moyenne des cinq dernières années, le nombre d'irrégularités frauduleuses signalées était supérieur de 19 % et les montants correspondants de 56 %.
Le nombre et l'impact financier des irrégularités non frauduleuses signalées ont suivi une tendance à la hausse de 2020 à 2023, conformément aux tendances attendues liées au cycle des programmes de dépenses. L'année 2024 a connu une stabilisation, avec 12 225 irrégularités non frauduleuses signalées (- 5 % par rapport à 2023), portant sur un montant financier de 1,29 milliard d'euros (-1,4 % par rapport à 2023). Par rapport à la moyenne des cinq dernières années, le nombre d'irrégularités non frauduleuses signalées en 2024 était supérieur de 2 %, tandis que leur valeur financière était stable.
Les marchés publics, une activité exposée au risque de fraude
Le Parquet européen a indiqué 385 infractions ayant fait l'objet d'enquêtes concernant des organisations criminelles axées sur le PIF dans le cadre de ses enquêtes actives jusqu'à la fin de 2024.
En ce qui concerne les affaires de corruption, le Parquet européen a signalé 191 infractions ayant fait l'objet d'une enquête (101) jusqu'à la fin de 2024. De 2020 à 2024, 56 cas ont été signalés à la Commission par sept pays. Une analyse basée sur les données de 2007 à 2023 suggère un signalement insuffisant des irrégularités frauduleuses liées à la corruption. Lorsqu'elles ont été signalées, la corruption concernait principalement les marchés publics (procédures simplifiées/restreintes et procédures ouvertes), y compris les cas impliquant des gestionnaires ou des experts externes. Cela confirme que les marchés publics sont une activité exposée au risque de fraude, de sorte que les irrégularités dans ce domaine doivent faire l'objet d'une enquête en conséquence. Environ 20 % de ces cas de corruption ont fait suite à des contrôles lancés en réponse à des informations provenant d'informateurs ou à des informations publiées dans les médias.
Au cours de la même période, 418 cas liés à des conflits d'intérêts ont été signalés (92 % concernaient la cohésion, 3 % l'agriculture et 3 % la préadhésion), portant sur un montant d'environ 159 millions d'euros.
Des enquêtes diligentées par le Parquet européen pour 13 milliards d’euros de préjudice
En 2024, le Parquet européen (EPPO) a ouvert 1 504 enquêtes correspondant à des dommages estimés à 13,07 milliards d'euros. À la fin de 2024, le Parquet européen comptait é666 enquêtes actives impliquant des dommages estimés à 24,80 milliards d'euros. Ces dernières sont réparties:
- 488 enquêtes actives sur la fraude à la TVA,
- 252 pour fraude douanière (dommages totaux estimés à 886,9 millions d'euros)
- 807 dépenses (dommages totaux estimés à 9,4 milliards d’euros), dont 279 liées à la Facilité pour la reprise et la résilience (pour un dommage total estimé à 2,7 milliards d’euros).
Parmi les typologies identifiées dans ces enquêtes actives, 2 105 infractions (33,2 % du total) concernent des fraudes aux dépenses hors marchés publics, 591 (9,3 %) à des fraudes aux dépenses de marchés publics, 385 à des organisations criminelles axées sur la criminalité PIF (6 %), 480 (7,6 %) à des fraudes aux recettes hors TVA, 1 287 (20,3 %) à des fraudes aux recettes TVA, 1 91 (3 %) à la corruption, 115 (1,8 %) à des détournements de fonds, 380 (6 %) à du blanchiment d'argent et 808 (12,7 %) à des infractions inextricablement liées.
Plus de 200 enquêtes ouvertes par l'OLAF
En 2024, l'OLAF a conclu 246 enquêtes. Il a émis 301 recommandations, dont 188 financières, pour un montant total recommandé de recouvrement de 871,5 millions d'euros et 43,5 millions d'euros ont été évités de dépenses indues. Au cours de la même période, 230 nouvelles enquêtes ont été ouvertes.
À l'issue de ses enquêtes, l'OLAF peut adresser des recommandations financières aux États membres et aux institutions, organes et organismes de l'UE. Ces recommandations précisent les montants réels des dépenses de l'UE irrégulièrement dépensées et des recettes de l'UE irrégulièrement soustraites au budget de l'UE, dont l'OLAF, sur la base des résultats de ses enquêtes, recommande le recouvrement. Si les décaissements prévus n'ont pas encore eu lieu, l'OLAF recommande de ne pas procéder aux dépenses irrégulières.
Au cours de la période 2022-2024, les enquêtes de l’OLAF ont permis de recouvrer 4,5 milliards d’euros et d’éviter plus de 800 millions d’euros de dépenses irrégulières.
Un Parlement européen satisfait du travail de l’OLAF et du Parquet européen
Chaque année, le Parlement européen adopte une proposition de résolution sur la protection des intérêts financiers de l'UE et la lutte contre la fraude, en s'appuyant sur l'analyse du dernier rapport PIF. La résolution la plus récente, fondée sur un rapport adopté par la commission du contrôle budgétaire (CONT), a été adoptée par la plénière du Parlement le 6 mai 2025. Il s'agit d'un document clé (ancré dans la procédure de décharge budgétaire) par lequel l'autorité budgétaire fournit son principal discours politique en matière de lutte contre la fraude. Dans ce rapport, le Parlement salue les résultats opérationnels obtenus par l'OLAF et le Parquet européen et estime que les deux organismes doivent renforcer leur coopération. Il souligne également l'importance de mesurer les résultats des enquêtes de l'OLAF et du Parquet européen en termes de recouvrement des sommes indûment versées et de quantification des sommes évitées.
synthèse du rapport par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr
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