« Bien qu’elle ait fait l’objet de plusieurs recommandations par le passé, l’accent mis sur la numérisation de la lutte contre la fraude est plus pertinent que jamais ». C’est en substance l’une des recommandations du dernier rapport « PIF » (protection des intérêts financiers de l’UE). Ce rapport constate toujours un volume important des fraudes au budget européen, qu’il s’agisse des recettes que des dépenses. Il se félicite des efforts nationaux concernant la mise en place d’une Stratégie nationales anti-fraude. Il attire l’attention sur l’importance d’une analyse rigoureuse et minutieuse des données. Il recommande une amélioration de la détection et le suivi des soupçons de fraude, un renforcement des réseaux nationaux de lutte contre la fraude et surtout une attention particulière accordée à l'innovation en matière de numérisation de la lutte contre la fraude.
De quoi parle-t-on ?
Le rapport 2022 sur la lutte antifraude met en évidence des mesures au niveau de l’Union et au niveau national visant à renforcer la protection des intérêts financiers de l’UE.
La Commission, en coopération avec les États membres de l’Union, adresse chaque année au Parlement européen et au Conseil un rapport sur les mesures prises pour la mise en œuvre de cet article.
Le présent rapport, également connu sous le nom de rapport PIF (protection des intérêts financiers de l’UE), répond à cette obligation pour 2022. La résolution du Parlement européen sur le rapport PIF 2021.
L’état des fraudes en Europe
Au total, 12 455 irrégularités, pour un montant de 1,77 milliard d’euros, ont été signalées en 2022. Les irrégularités signalées ont légèrement augmenté par rapport à 2021 (+7 %), tandis que les montants correspondants ont diminué (-13 %).
Les irrégularités frauduleuses communiquées s’élevaient à 1 139 en 2022 (+ 2 % par rapport à 2021), un nombre qui est resté à peu près stable au cours des cinq dernières années.
Les montants financiers liés à ces cas ont davantage varié, en raison d’un nombre limité de cas individuels ayant une incidence financière élevée, et ont diminué en 2022 pour s’établir à 300 millions d’euros (-62 % par rapport à 2021).
Le nombre et l’incidence financière des irrégularités non frauduleuses ont atteint un niveau record en 2022, affichant une tendance à la hausse constante au cours des cinq années, avec 11 316 irrégularités (+8 % par rapport à 2021) pour un montant de 1,47 milliard d’euros (+17 %).
La criminalité organisée active dans la fraude aux intérêts financiers
La contrebande demeure l’un des principaux modes opératoires dans les irrégularités frauduleuses,
Le rapport annuel du Parquet européen contient des informations sur les activités de criminalité organisée portant atteinte aux intérêts financiers de l’UE.
Il indique que, à la fin de l’année 2022, 122 infractions concernant des organisations criminelles axées sur la PIF avaient fait l’objet d’enquêtes actives.
En ce qui concerne les cas de corruption, le Parquet européen avait signalé 87 infractions à la fin de 2022. Au cours de la période 2018-2022, dix pays ont signalé 30 cas dans le Système de gestion des irrégularités (IMS): cinq concernaient l’agriculture, 22 la cohésion et trois la préadhésion. Leur préjudice est estimé à environ 50 millions d’euros.
Au cours de la même période, 375 cas liés à des conflits d’intérêts ont été signalés au moyen de l’IMS (86 % concernaient la cohésion, 9 % l’agriculture et 5 % la préadhésion), pour près de 117 millions d’euros
L’analyse de ces irrégularités révèle que les conflits d’intérêts signalés mettent principalement en évidence des relations entre les bénéficiaires des fonds et leurs contractants et sous-traitants, sur la base d’infractions spécifiques aux règles nationales.
Du côté des réponses, une lutte antifraude stimulée par le Parlement européen
Le 19 janvier 2023, le Parlement européen a adopté sa résolution sur la protection des intérêts financiers de l’Union pour l’année 2021.
Dans cette résolution, le Parlement a salué les efforts déployés par la Commission pour protéger les intérêts financiers de l’Union et recommandé de nouvelles mesures dans différents domaines liés à la lutte contre la fraude.
Il a mis en lumière des menaces majeures pour le budget de l’Union, telles que la criminalité organisée transfrontière et la corruption.
Il a également demandé à la Commission de présenter une proposition visant à créer un organisme interinstitutionnel chargé des questions d’éthique, à renforcer ses mécanismes de contrôle interne et à introduire une période d’attente pour lutter contre le phénomène du «pantouflage».
Le Parlement a souligné le rôle de l’OLAF, du Parquet européen, d’Eurojust et d’Europol dans la lutte contre la fraude et la corruption et a demandé une nouvelle fois que des ressources suffisantes leur soient allouées.
Du côté des réponses toujours, une lutte aiguillonnée par l’Office de lutte anti-fraude
En 2022, l’OLAF a clôturé des enquêtes portant sur 256 cas, en émettant 275 recommandations, dont 153 recommandations financières; il a recommandé le recouvrement d’un montant total de 426,8 millions d’eurod et prévenu 197,9 millions d’euros de dépenses indues.
Au cours de la même période, 192 nouvelles enquêtes ont été ouvertes, dont 30 (16 %) concernaient les ressources propres et le commerce illicite, 73 (38 %) la gestion partagée, 16 (8 %) la gestion indirecte et 44 (23 %) la gestion directe. 29 enquêtes (15 %) ont été ouvertes sur des questions internes.
L’OLAF a enquêté sur des allégations et des cas de collusion, de manipulation des procédures de marchés publics, de conflits d’intérêts, de factures gonflées, de fraude aux droits de douane, de contrebande et de contrefaçon.
Une lutte dynamisée également par le Parquet européen
En 2022, le Parquet européen a ouvert 865 enquêtes correspondant à des dommages estimés à 9,9 milliards d’euros. À la fin de 2022, le Parquet européen comptait 1 117 enquêtes en cours supposant un préjudice estimé à 14,1 milliards d’euros, dont près de la moitié (6,7 milliards d’euros) était associée à 185 enquêtes liées à la TVA. 692 enquêtes portaient sur des cas de fraude aux dépenses.
Parmi les typologies recensées dans ces enquêtes actives, 679 infractions concernent la fraude portant sur les dépenses non liées à la passation de marchés publics, 224 la fraude portant sur les dépenses relatives aux marchés publics, 87 la corruption, 48 le détournement de fonds, 116 le blanchiment de capitaux, 236 la fraude aux recettes hors TVA et 427 la fraude aux recettes de TVA.
Le Parquet européen a engagé du personnel supplémentaire afin de faire face à l’augmentation de la charge de travail.
Du côté des réponses encore, une lutte stimulée par la Commission européenne
La Commission a encouragé les États membres à adopter des stratégies nationales antifraude (NAFS). En 2022, seuls trois États membres ont indiqué qu’ils ne disposaient d’aucune stratégie de protection des intérêts financiers de l’Union. Les approches adoptées par les 24 autres États membres varient considérablement.
15 États membres ont mis en place une stratégie nationale antifraude; cinq ont signalé qu’ils étaient en train d’en élaborer une ou étaient sur le point d’en adopter une, tandis que quatre autres États membres ont indiqué avoir mis en place une autre stratégie.
Neuf Stratégies nationales antifraude sur 15 étaient transversales et couvraient pleinement les intérêtsfinanciers de l’Union. Les autres stratégies nationales suivent différentes approches, ciblant des secteurs spécifiques ou multiples, tels que les dépense, les douanes ou la TVA.
Les cinq États membres dans lesquels le processus de mise en place d’une Stratégie nationale antifraude était en cours ont tous indiqué que leurs stratégies seraient transversales.
Côté français, des cours de formation spécifiques avec le Parquet européen
En 2022, les États membres ont fait état de 72 mesures visant à protéger les intérêts financiers de l’UE et à lutter contre la fraude. Parmi les 72 mesures adoptées, 52 étaient des mesures «uniques», tandis que 20 étaient des trains de mesures complets.
En France, trois mesures ont été adoptées, toutes relatives à la détection de la fraude. La première mesure a aligné la législation française sur la législation de l’Union relative aux lanceurs d’alerte et à leur protection, à tous les niveaux.
La deuxième mesure, elle aussi transversale, concernait une convention de formation et des cours de formation spécifiques avec le Parquet européen. La troisième mesure visait spécifiquement la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) et a permis de mettre en place un groupe de travail chargé de surveiller et d’anticiper les risques de fraude.
Numérisation de la fraude, le système Arachne tisse sa toile
Dans son rapport PIF 2021, la Commission a formulé quatre recommandations adressées aux États membres, portant sur: a) la transposition correcte de la directive PIF; b) la participation au Parquet européen; c) la numérisation de la lutte contre la fraude, et d) le renforcement de l’analyse des risques de fraude.
En ce qui concerne la participation au Parquet européen, la Suède a indiqué que d’autres préparatifs législatifs étaient en cours en 2022 en vue d’une future adhésion.
En ce qui concerne la numérisation de la lutte contre la fraude, Arachne est de loin le système informatique le plus utilisé (par 21 États membres) à l’appui des Fonds structurels et d’investissement (Fonds ESI) et de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR).
Bon nombre d’États membres utilisaient leurs propres outils informatiques antifraude, souvent en combinaison avec des outils de l’UE, en dépit du fait que ceux-ci étaient rarement interopérables. Conformément à la recommandation de la Commission, la plupart des États membres ont intégré ces outils informatiques dans leur lutte contre la fraude afin d’enrichir les données et d’affiner les signaux d’alerte, les indicateurs de risque et les notes.
Dans l’ensemble, les États membres ont estimé que la numérisation favorisait la prévention et la détection de la fraude et simplifiait les procédures administratives.
L’importance d’une analyse rigoureuse et minutieuse des données
En ce qui concerne le renforcement de l’analyse des risques, 14 États membres ont estimé qu’ils avaient pleinement mis en œuvre cette recommandation, ont réaffirmé leur approche proactive en matière de lutte contre la fraude portant atteinte au budget de l’Union et ont présenté des initiatives récentes.
Pour ce qui est des dépenses, le signalement des cas de fraude et d’irrégularités par l’intermédiaire du Système de gestion des irrégularités (IMS) permet de collecter des données, et la Commission s’est engagée à améliorer encore le système et à aider les États membres à réviser et à mettre à jour les orientations sur la notification des irrégularités.
Pour ce qui est des recettes, les risques liés à certains types de marchandises restent élevés.
Les États membres signalent les cas de fraude et d’irrégularités concernant les ressources propres traditionnelles au moyen de l’application OWNRES.
Il s’avère indispensable, pour protéger efficacement les intérêts financiers de l’UE, de recenser et traiter les risques existants et les nouvelles tendances en matière de fraude de manière proactive et en temps utile.
L’innovation au cœur des stratégies antifraude
Selon le rapport, il convient d’exploiter pleinement les possibilités offertes par les nouvelles technologies afin de lutter contre des fraudeurs qui semblent plus organisés et plus rompus aux nouvelles technologies que jamais.
La numérisation de la lutte contre la fraude doit être au cœur des stratégies antifraude. Il s’agit à la fois d’une ressource et d’une menace, étant donné que les fraudeurs utilisent et exploitent également de plus en plus les nouvelles technologies pour commettre leurs délits. Les États membres devraient veiller à ce que la numérisation de la lutte contre la fraude fasse partie de leurs Stratégies nationales antifraude (NAFS). Cette approche devrait définir des stratégies visant à:
- i) recenser les menaces existantes et futures découlant des nouvelles technologies;
- ii) développer l’architecture informatique nécessaire (répertorier les outils existants, en développer de nouveaux et assurer une interopérabilité suffisante entre eux).
Un autre recommandation : améliorer la détection et le suivi des soupçons de fraude
La détection et le signalement des soupçons de fraude peuvent encore être considérablement améliorés, tout comme leur suivi.
Des différences notables entre les États membres peuvent encore être observées.
Dans les États membres où l’incidence de la fraude est faible, les autorités compétentes devraient investir dans l’analyse des risques de fraude afin d’évaluer dans quelle mesure ce faible niveau de détection est dû à de faibles taux de fraude réelle affectant leurs opérations ou à des faiblesses systémiques dans les systèmes de détection ou de signalement.
Si des faiblesses sont constatées au niveau de la détection, les États membres devraient se concentrer sur la détection des signes de fraude et, lorsque des irrégularités sont constatées, traiter attentivement la question de l’intentionnalité.
Si les problèmes recensés concernent les pratiques de signalement (par exemple, une classification tardive en tant que soupçon de fraude), les États membres devraient les réexaminer en tenant compte également de la nécessité d’améliorer le flux d’informations à destination et en provenance des autorités judiciaires.
Une priorité : renforcer les réseaux nationaux de lutte contre la fraude
Des réseaux nationaux de lutte contre la fraude se sont développés dans plusieurs États membres, les Service de coordination antifraude (AFCOS) nationaux jouant un rôle clé.
La Commission soutient et encourage ce processus, qui devrait être étendu à tous les acteurs concernés, en associant les autorités répressives et judiciaires au niveau national et européen.
Les États membres devraient également veiller à ce que les structures nationales coordonnant ce processus disposent d’effectifs suffisants.
Les réseaux antifraude constituent la structure idéale pour le développement et la mise à jour des Stratégies nationales antifraude (NAFS).
L’OLAF procédera à un exercice de cartographie des services de coordination antifraude (AFCOS) en 2023 afin d’évaluer si des mesures supplémentaires sont nécessaires pour les renforcer et quelles sont ces mesures.
synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr
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