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jeudi 13 juillet 2023

« L'état actuel du renseignement ne donne pas la mesure exacte de l'ampleur du trafic de biens culturels » s'alarment les 27 ministres de l’Intérieur

 


Améliorer le tableau du renseignement. Voici l’objectif que s’est fixé le Conseil de l’UE en matière de lutte contre trafic de biens culturels. Dans ses conclusions approuvées le mois dernier, il estime qu'une réponse sur mesure au niveau de l'UE est nécessaire contre ce phénomène.
Il considère qu'il est nécessaire de structurer la réponse européenne autour :

  • d'une plus grande prévention et d'une meilleure détection des infractions par les acteurs du marché et les institutions de gestion du patrimoine culturel,
  • d'un renforcement des capacités des services répressifs et du pouvoir judiciaire,
  • d'une meilleure coopération internationale,
  • d'un soutien accru de la part d'autres acteurs clés.

Il donne rendez-vous à la Commission européenne et aux Etats membres dans cinq ans pour faire le point.

D’où vient-on ?

Les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies relèvent avec une vive inquiétude que les organisations terroristes tirent des revenus du trafic de biens culturels.
Le Parlement européen a approuvé le 17 janvier 2019 une résolution sur les demandes transfrontalières de restitution des œuvres d'art et des biens culturels volés au cours de pillages perpétrés en période de conflit armé.

La Commission a présenté en 2022 un Plan d'action de l'UE pour lutter contre le trafic de biens culturel. Ce texte constitue une étape importante de la lutte contre ce phénomène et que les États membres souhaitent approfondir.


Quel est le problème ?


Le Conseil de l’UE constate que trafic de biens culturels est une activité lucrative pour la criminalité organisée, qu'il a un effet dévastateur et irréversible sur le patrimoine culturel à l'intérieur et à l'extérieur de l'UE.

Or, la surveillance et le contrôle du commerce des biens culturels peuvent varier considérablement au sein du marché unique lui-même.
De surcroît, les trafiquants de biens culturels profitent de l'incrimination inégale des infractions en question au sein de l'UE.

En outre, le public est peu conscient du préjudice que peut causer le trafic de biens culturels,
Il y a plus grave, puisque le Conseil fait remarquer que l'état actuel du renseignement ne donne pas la mesure exacte de la prévalence et l'ampleur du trafic de biens culturels.


Premier axe : coopérer davantage avec les acteurs du marché


Le Conseil de l’UE note que ces acteurs du marché des biens culturels, les collectionneurs et les institutions de gestion du patrimoine culturel sont bien placés pour contribuer à la prévention et à la détection des infractions liées aux biens culturels. Il estime qu’il est donc nécessaire qu'ils connaissent la législation dans ce domaine.

Il suggère d’engager un dialogue avec le marché de l'art, en étroite coopération avec l'Unesco, sur les questions liées à la protection et au commerce des biens culturels dans le marché unique.
Il invite les propriétaires et les responsables de collections publiques et privées à prendre des mesures sur une base volontaire pour mieux se protéger contre les atteintes aux biens. Il suggère à cet égard de que les Etats membres mènent des actions de sensibilisation pour :

  • cataloguer soigneusement leurs collections grâce, par exemple, aux outils existants, tels que le système Object ID du Conseil international des musées (ICOM),
  • signaler davantage les atteintes aux biens pour que le bien culturel volé figure rapidement, et avec une description détaillée, dans les bases de données nationales sur les œuvres d'art volées et dans la base de données d'INTERPOL sur les œuvres d'art volées.



Deuxième axe : faciliter la traçabilité des flux


Le Conseil de l’UE préconise de :

  • continuer à financer l'élaboration de solutions permettant d'améliorer la traçabilité et la détection des biens culturels,
  • publier des orientations à l'intention des États membres sur l'établissement de registres de vente (couvrant également les ventes en ligne), contenant des informations détaillées sur les vendeurs et les acheteurs, ainsi que sur les biens culturels à vendre,
  • proposer une obligation, pour tous ceux qui exercent des activités commerciales autour des biens culturels au sein des États membres, de tenir un registre des transactions concernant les biens culturel,
  • recenser les risques de trafic de biens culturels en lien avec le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, dans le cadre de leur évaluation nationale des risques prévue par la législation en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux.

Il recommande aussi de:

  • sensibiliser le secteur privé et de lui fournir des conseils sur la meilleure façon de se conformer à ses obligations destinées à prévenir le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme,
  • améliorer la coopération entre les entités assujetties du marché de l'art et des antiquités, le secteur financier, les cellules de renseignement financier et les services répressifs spécialisés. Il s’agit de :
    • partager les connaissances et la formation sur les risques et les types d'activités illégales liées aux biens culturels,
    • créer un système d'alerte spécial ou des profils de risque lorsque des transactions financières comprennent des biens culturels,
    • examiner le rôle des jetons non fongibles (NFT) dans la lutte contre le trafic de biens culturels.



Troisième axe : favoriser l’action des douanes et de Frontex


Le Conseil de l’UE suggère de :

  • accroître l'efficacité le partage d'informations entre les autorités nationales et les autorités douanières, notamment :
    • par l'intermédiaire de l'Organisation mondiale des douanes,
    • avec la Commission, grâce au système d'information douanier,
  • améliorer la coopération entre les entités assujetties du marché de l'art et des antiquités, le secteur financier, les cellules de renseignement financier et les services répressifs spécialisés, qui peuvent impliquer les autorités douanières et les autorités chargées de la lutte contre le trafic de biens culturels,
  • ajouter le thème du trafic de biens culturels dans la formation d'entrée en service des agents du contingent permanent pour la détection de la criminalité transfrontière de Frontex.



Quatrième axe : miser sur les nouvelles technologies


Le Conseil de l’UE invite les Etats membres à :

  • mettre en place, lorsqu'elles n'existent pas des bases de données nationales spécialisées sur les biens culturels volés,
  • signaler les biens culturels volés à INTERPOL, via sa base de données sur les œuvres d'art volées,
  • partager les informations sur les cas de trafic de biens culturels avec Europol, INTERPOL, et d'autres autorités compétentes, afin d'améliorer le tableau du renseignement,
  • envisager la création d'un moteur de recherche spécifique pour détecter le trafic de biens culturels, ou les possibilités de combiner les capacités informatiques/bases de données, en coopération avec le laboratoire d'innovation d'Europol,
  • développer et mettre en place le système électronique pour l'importation de biens culturels dans l'Union (dénommé "système ICG") et l'étendre afin de traiter également l'exportation de biens culturels,
  • interconnecter, à l'échelle de l'UE, les bases de données des États membres sur les biens culturels volés, notamment en établissant un lien avec la base de données sur les œuvres d'art volées d'INTERPOL;
  • recenser et intégrer des catégories plus uniformes pour la collecte de données, avec le soutien d'Europol, ce qui pourrait aboutir à une collecte de données à l'échelle de l'UE, via Eurostat, à l'avenir.



Cinquième axe : développer la coopération policière


Le Conseil de l’UE recommande de :

  • évaluer les outils d'enquête numériques existants,
  • optimiser le potentiel du projet opérationnel européen EMPACT pour les cas de trafic de biens culturels, notamment les enquêtes sur les réseaux criminels et les flux d'argent illicites impliqués,
  • tirer pleinement parti du soutien et de l'expertise d'Europol et d'Eurojust,
  • renforcer les capacités des services répressifs et des autorités judiciaires au niveau national, par exemple :
    • en formant des unités répressives spécialisées et des équipes de procureurs spécialisées,
    • en dispensant une formation de base aux policiers, douaniers et garde-frontières chargés des contrôles de routine,
  • conclure des protocoles d'accord entre les services répressifs et les institutions de gestion du patrimoine culturel, afin d'assurer le stockage des biens culturels saisis ou confisqués.



Sixième axe : privilégier le réseau dit « EU CULTNET »


Le Conseil de l’UE recommande de :

  • veiller au renforcement du réseau européen EU CULTNET, afin d'exploiter tout son potentiel,
  • assurer à la continuité du réseau en détachant le personnel approprié pour créer un point de contact EU CULTNET au sein d'Europol. Ce point de contact permettra :
    • de travailler en étroite collaboration avec des acteurs internationaux,
    • de contribuer au travail  opérationnel et stratégique de la lutte contre le trafic de biens culturels,
    • d’élaborer des mesures communes, telles qu'un recours plus rapide des services répressifs à l'expertise nécessaire des archéologues ou des professionnels du patrimoine culturel,
  • mettre en place un réseau de professionnels du patrimoine culturel et d'archéologues capables de fournir une expertise pour contribuer aux enquêtes pénales et de profiter de la coordination assurée par ce point de contact EU CULTNET au sein d'Europol.



Septième axe : renforcer le droit pénal


Le Conseil de l’UE invite les Etats membres à :

  • dresser un inventaire de leur législation nationale qui incrimine le trafic de biens culturels,
  • mettre en œuvre la convention sur les infractions visant des biens culturels du Conseil de l'Europe ("Convention de Nicosie"),
  • étudier les mesures pour assurer le retour d'un objet volé à son propriétaire légal, quel que soit le délai de prescription pour la responsabilité pénale.



Huitième axe : élargir la focale sur l’international

Le Conseil de l’UE préconise de :

  • renforcer les capacités des pays tiers en matière de coopération et d'enquêtes transfrontières sur le blanchiment de capitaux lié aux biens culturels,
  • élargir la portée du mécanisme mondial de l'UE en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux à l'Asie et à l'Amérique latine,
  • aider l'Unesco à créer un manuel à l'intention des journalistes consacré à la couverture des infractions liées au patrimoine culturel,
  • encourager le respect de l'obligation de diligence et la transparence des transactions, conformément au code international de déontologie de l'Unesco pour les négociants en biens culturels et au code de déontologie de l'ICOM pour les musées,
  • ratifier:
    • la convention de l'Unesco de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels,
    • la convention d'Unidroit de 1995 sur les biens culturels volés ou illicitement exportés.



Neuvième axe : favoriser l’action de l’ICOM


Le Conseil de l’UE invite les Etats membres à :

  • coopérer avec l'ICOM pour promouvoir son code de déontologie destiné aux musées. Il s’agit de dispenser des formations au personnel des musées et des institutions de gestion du patrimoine culturel, afin de mieux enregistrer et protéger leurs collections,
  • apporter un soutien financier à l'ICOM, afin de mettre à niveau son Observatoire, qui centralise les informations et les ressources pour guider les politiques en faveur de la protection des biens culturels.



Dixième axe : améliorer la protection du patrimoine de l’Ukraine


Le Conseil invite les Etats membres à mettre œuvre ses conclusions sur le patrimoine culturel en période de conflit et de crise.
Il souligne que de nouvelles mesures sont nécessaires pour préserver le patrimoine culturel ukrainien dans le contexte de la guerre. Il préconise d’augmenter le soutien de l’Union à la protection des biens culturels ukrainiens contre la destruction, le vol et les exportations illicites. Il estime qu’il convient de favoriser l'enregistrement, et, si la demande en est faite, d’aider à l'évacuation et à la protection physique des collections.


synthèse des conclusions par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr


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