L’un des grands chantiers actuels de l’Union porte sur l’harmonisation européenne des législations nationales relatives à la procédure pénale. Plusieurs directives ont été déjà adoptées et une autre proposition de directive est en discussion qui porte sur le renforcement de certains aspects de la présomption d'innocence.
L’Assemblée nationale examine actuellement un projet de résolution européenne dans laquelle elle se réjouit d’une mouture moins anglo-saxonne que la version initiale.
En effet, la version initiale de cette proposition de directive a suscité des réserves dans les orientations choisies par la Commission européenne, tendant à introduire un certain nombre de notions de Common Law.
Toutefois, les travaux menés au sein du Conseil de l’UE, sous présidence italienne, ont considérablement remanié le projet de directive, qui ne soulève en l’état plus d’inquiétudes s’agissant du respect des différentes traditions juridiques des États membres.
Pourquoi cette proposition de directive ?
Les chefs d’Etat et de gouvernement ont expressément invité la Commission à aborder la question de la présomption d’innocence. Quant à la Charte européenne des droits fondamentaux de 2000, elle consacre le droit à accéder à un tribunal impartial. Elle garantit le droit d'être présumé innocent, comme la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH).
De son côté, la Cour européenne des droits de l’homme a précisé que le droit d'être présumé innocent s’applique avant la phase de jugement et dès les premières phases des interrogatoires de police.
La Commission européenne rappelle que la présomption d’innocence recouvre trois éléments principaux :
- le droit de ne pas être accusé publiquement par les autorités publiques avant le jugement définitif,
- le fait que la charge de la preuve pèse sur l'accusation et que tout doute raisonnable quant à la culpabilité de la personne poursuivie doit profiter à cette dernière,
- le droit de la personne poursuivie d'être informée des charges retenues contre elle.
Or, la Commission européenne estime que certains aspects des garanties juridiques existantes devraient être améliorés, le principe de la présomption d’innocence étant trop souvent, selon elle, "bafoué dans l’ensemble de l’UE". C'est pourquoi elle a présenté cette proposition de directive.
Quelle est la position de l’Assemblée nationale ?
L’Assemblée nationale apporte son soutien à la proposition de directive, rappelant la place des garanties procédurales dans le respect des droits fondamentaux garantis par la Charte européenne des droits fondamentaux et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.
Cependant, plusieurs points doivent faire l’objet d’une attention particulière, en particulier la disposition de la proposition de directive qui déclare que :
- Les États membres veillent à ce que l'accusation supporte la charge de la preuve d'établir la culpabilité des suspects ou des personnes poursuivies. Cette disposition s'applique sans préjudice des éventuels pouvoirs d'office du juge du fond en matière de constatation des faits.
- Les États membres veillent à ce que toute présomption ayant pour effet de transférer la charge de la preuve aux suspects ou aux personnes poursuivies soit suffisamment forte pour justifier une dérogation à ce principe et soit réfragable.
- Pour réfuter une telle présomption, il suffit que la défense produise suffisamment de preuves de nature à faire naître un doute raisonnable quant à la culpabilité du suspect ou de la personne poursuivie.
- Les États membres veillent à ce que, dans le cas où le juge du fond statue sur la culpabilité d'une personne soupçonnée ou poursuivie et où il existe un doute raisonnable quant à sa culpabilité, ladite personne soit acquittée.
D’après l’Assemblée nationale, cette disposition est problématique au regard du droit français, étant fondé sur la notion de doute raisonnable (doute raisonnable pour réfuter une présomption de culpabilité et doute raisonnable impliquant l’acquittement), qui, si elle devait être transposée, aurait des implications majeures en droit pénal français.
Les autorités françaises, soutenues en cela par de nombreuses autres délégations nationales ainsi que par la présidence italienne du Conseil de l’UE, ont demandé la suppression de la référence à la notion de doute raisonnable telle qu’elle était proposée, qui est une notion de Common law.
Une disposition du traité sur le fonctionnement de l’UE indique à ce propos que, à l’échelle européenne, les "règles minimales tiennent compte des différences entre les traditions et systèmes juridiques des États membres".
La dernière version du texte en discussion au Conseil ne fait plus mention du doute raisonnable et ne traite plus, que de la charge de la preuve qui doit reposer sur l’accusation, et que du fait que toute présomption ayant pour effet de renverser la charge de la preuve doit en principe toujours être réfutable et doit respecter les droits de la défense.
Une autre difficulté : le droit de ne pas s’auto incriminer
Une disposition de la proposition de directive traite du droit de ne pas coopérer et du droit de ne pas s’auto-incriminer. Une autre traite du droit de garder le silence.
L’Assemblée nationale indique que le droit de ne pas coopérer a suscité de nombreuses réserves quant à sa définition incertaine et à son inspiration anglo-saxonne.
A ce sujet, la version initiale du texte dispose que le droit de ne pas coopérer et le droit de ne pas s’auto-incriminer « ne s’étend pas à l’usage, dans une procédure pénale, de données ou de documents qui peuvent être obtenus des suspects ou des personnes poursuivies au moyen de pouvoirs coercitifs licites, mais qui existent indépendamment de la volonté des suspects ou des personnes poursuivies ».
Cette version ajoute que "l'exercice du droit de ne pas s’incriminer soi-même ou de ne pas coopérer ne saurait être retenu à l’encontre d'un suspect ou d’une personne poursuivie à un stade ultérieur de la procédure, et il ne vaut pas corroboration des faits".
La même disposition est reprise concernant le droit de garder le silence. Or, la jurisprudence clairement établie de la Cour européenne des droits de l’Homme ne fait pas du droit de ne pas s’auto incriminer un droit absolu.
La Commission européenne va donc au-delà des exigences de la Cour européenne des droits de l’Homme (qui n’a jamais imposé que l’utilisation du droit au silence et du droit de ne pas s’auto incriminer ne soit pas prise en compte) et cette position n’a pas été soutenue par le Conseil de l’UE.
Les travaux au sein du Conseil de l’UE orientent le texte vers un compromis différent. Le droit de ne pas coopérer serait donc supprimé.
Le texte disposerait que l’exercice du droit de ne pas s’incriminer soi-même ou de garder le silence ne devrait pas être utilisé contre la personne à un stade ultérieur de la procédure et ne devrait pas être considéré comme une preuve que la personne a commis l’infraction dont elle est suspectée ou accusée.
Toutefois, une nouvelle disposition préciserait que ceci s’entend dans le respect des règles nationales qui autorisent une cour ou un juge à prendre en compte le silence du suspect ou de la personne accusée comme un élément de corroboration de preuves obtenues par d’autres moyens. Ces dispositions apparaissent selon l’Assemblée nationale plus équilibrées.
(synthèse et traduction du texte par securiteinterieure.fr)
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