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mercredi 24 juillet 2013

De l'Europe de la défense à la défense européenne



Un rapport d'information du Sénat a été publié ce mois-ci préconisant des avancées substantielles en matière de la politique européenne de défense. Ce rapport présenté par les sénateurs Daniel Reiner, Jacques Gautier, André Vallini et Xavier Pinta, et intitulé « Pour en finir avec "l'Europe de la défense" - Vers une défense européenne », propose une série d'initiatives telles que :
  • une «feuille de route » en matière de partage et de mutualisation des capacités les plus critiques,
  • l’élaboration d’une nouvelle stratégie européenne de sécurité, 
  • l’«institutionnalisation» du Conseil des ministres de la défense, doté d’une présidence stable exercée par un « ministre européen de la défense »,  
  • la constitution d’un groupe pionnier permettant aux pays qui le souhaitent et le peuvent d’aller plus vite et plus loin. Ce groupe pionnier, cet «Eurogroupe de la défense», serait d’abord fondé sur les capacités expéditionnaires de la France et du Royaume-Uni, mais en associant l’Allemagne.


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Les grandes idées du rapport

Pour rappel, le rapport souligne qu'il n'a jamais été prévu de « grand soir » de l'Europe de la défense. Celle-ci doit se construire pas après pas, par des avancées « concrètes », des réalisations « pragmatiques » voire « modestes ». « On avance » dans tous les domaines et sur tous les fronts. Il faut mettre à profit les effets de cliquet.
A titre anecdotique, relevons que les rédacteurs du chapitre du Livre blanc de 2013 consacré à l'Europe de la défense ont eu recours, à quatre reprises en quatre pages, au mot « pragmatique ».

Afin que le pragmatisme ne devienne pas synonyme d'absence de vision et de fuite en avant, il faut retrouver le plan de ce que les européens veulent faire ensemble : le projet politique européen.  En effet, L'Europe désarme mais le monde réarme. L'Europe est menacée d'un véritable déclassement stratégique, Comment pourrait-elle conserver son rang et prétendre jouer un rôle plus important sur la scène internationale, face aux Etats-Unis et aux puissances émergentes, comme la Chine, l'Inde ou le Brésil, si elle ne dispose pas d'une défense autonome pour défendre ses intérêts ? L'Union européenne est-elle condamnée à devenir une « grande Suisse », une « super ONG » ?

En matière militaire, les avantages de l'Union tombent sous le sens. Encore faut-il les avoir bien présents à l'esprit. Le principal est l'effet de masse qui résulte de l'addition des moyens. En matière militaire, la qualité des équipements ne suffit pas toujours à fonder la supériorité des armées. La quantité compte aussi.

Or, les pays européens, en dépit de la diminution de leur effort budgétaire, consacrent encore environ 175 milliards d'euros par an pour la défense et ont 1,5 millions d'hommes sous les drapeaux. Malheureusement, l'efficacité de ces dépenses est fortement amoindrie par les duplications et la dispersion des forces et des équipements entre les vingt-huit pays membres.

Il y a enfin, et ce n'est pas le moindre, l'effet diplomatique qui est celui que confère l'assurance que sa voix porte quand elle émane d'un corps puissant.

Les réussites engrangées

Sur le front opérationnel, vingt-huit opérations civiles et militaires, dont vingt missions civiles et huit opérations militaires, ont été lancées sur trois continents et ont abouti au déploiement, au total, de plus de vingt mille personnels. Concernant les opérations militaires, la plus réussie est incontestablement l'opération Atalanta de lutte contre la piraterie maritime au large des côtes somaliennes. S'agissant des opérations de gestion civile des crises, la plus importante est aujourd'hui l'opération EULEX au Kosovo qui mobilise 2 250 personnels.

Des groupements tactiques ont été créés, qui pourraient constituer un embryon de défense européenne et une capacité de projection autonome. Les objectifs finaux du sommet d'Helsinki en 1999 fixaient cette capacité à soixante-six mille hommes, projetables en soixante jours, pendant un an.

Sur le volet réglementaire, les directives du « paquet défense » et la communication associée de la Commission se sont efforcées, en 2009, de créer des conditions de concurrence favorables à l'émergence d'une base industrielle et technologique de défense européenne (BITD-E).

Concernant les aspects capacitaires et industriels, des entreprises comme ont été construites autour de programmes structurants : l'avion de transport militaire A400M et les missiles Air-Air très longue portée Meteor et Sol-Air (FSAF). Ces programmes qui sont de réels succès, en dépit de toutes les difficultés rencontrées, ont pu être gérés de façon efficace grâce à l'Organisation Conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR) créée en 1998.

Les carences constatées


  • Une panne d'initiatives en matière industrielle
Du côté de l'offre, aucune entreprise de défense européenne n'est véritablement intégrée. Nos industries souffrent donc d'un sous-dimensionnement structurel qui affecte leur compétitivité par rapport à leurs concurrentes sur le marché international. De ce point de vue, le renoncement au projet de fusion BAE-EADS est éminemment regrettable

  • Des lacunes capacitaires, une absence d'autonomie militaire
L'opération en Libye et au Mali ont révélé des lacunes capacitaires en matière de ravitaillement en vol, de drones  et de transport stratégique et tactique ont été manifestes.
Il faut également souligner l'absence d'un authentique quartier général européen permanent, permettant de faire une « planification à froid » des opérations et susceptible de les conduire.

  • Un manque de volonté politique
La politique de sécurité et de défense commune a surtout progressé grâce au lancement d'opérations. Or, à l'exception de la mission de formation des troupes somaliennes « EUTM Somalia », lancée en 2010, l'Union européenne n'a lancé aucune nouvelle opération, civile ou militaire, entre 2008 et mi-2012, ce qui a donné le sentiment d'un certain « essoufflement ».

En Libye, l'Union européenne a été singulièrement absente face à une crise à proximité immédiate de ses frontières, comme cela avait été le cas il y a dix ans dans les Balkans. Pour beaucoup d'observateurs le Mali constituait un test pour l'Europe de la défense. Et l'Europe ne l'a pas réussi.

Depuis leur création en 2004 les groupements tactiques européens n'ont jamais été déployés sur le terrain.

Le renforcement de la coopération entre l'Union européenne et l'OTAN demeure durablement bloqué en raison du différend entre la Turquie et Chypre.

Pour l'instant, aucun Etat européen n'a manifesté sa volonté de mettre en place une coopération structurée permanente, pourtant prévue par le traité de Lisbonne en 2007.
  • Pour de nombreux pays européens, les questions de défense ne sont clairement pas une priorité,
  • Malgré les avantages évidents que représenterait la création d'un quartier général européen permanent, le Royaume-Uni demeure farouchement opposé à une telle initiative, de même qu'il bloque toute augmentation, même pour la simple prise en compte de l'inflation, du maigre budget de l'Agence européenne de défense,
  • L'Allemagne reste fondamentalement attachée à l'OTAN et demeure extrêmement réticente à toute projection des forces en dehors du territoire européen,
  • La France elle-même, qui se considère comme le principal moteur de l'Europe de la défense, porte une part de responsabilité dans la situation actuelle. La façon dont ses dirigeants ont signé les accords franco-britanniques de défense de 2010 et sa réintégration pleine et entière au sein de l'OTAN ont pu donner le sentiment à ses partenaires qu'elle renonçait à l'idée même d'Europe de la défense, même si, évidemment, cela n'était pas le cas.

Les raisons du blocage

Le premier facteur jouant contre l'Europe de la défense est la disparition d'une menace militaire clairement identifiée. Les peuples européens ne se sentent pas vraiment menacés et peu concernés par les crises qui se déroulent dans leur immédiat voisinage, a fortiori dans l'étranger lointain.

La seconde raison du blocage tient au défaut d'articulation claire entre l'Europe de la défense et l'OTAN. Pour beaucoup de pays européens, la défense de l'Europe c'est l'OTAN et l'OTAN ce sont les Américains.

Enfin, dernière raison du blocage : tous les Etats européens sont confrontés au dilemme souveraineté-puissance et aucun n'arrive à le surmonter. En effet, ce dilemme a, depuis le début, été au coeur de la construction d'une défense européenne.

(synthèse du rapport par securiteinterieure.fr)


A lire les articles de securiteinterieure.fr sur la défense :




    A lire aussi le blog de Bruxelles2 sur les questions de défense européenne

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