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jeudi 26 juillet 2012

Accès des services répressifs à la base européenne Eurodac : le Sénat refuse de mélanger étrangers et criminels



Ne pas mélanger les genres. Voilà ce que préconise le Sénat dans une résolution européenne adoptée ce mois-ci (et présentée par le Sénateur Jean-Yves Leconte) en s’opposant au renforcement de la finalité sécuritaire de la base européenne de données, Eurodac.
D’après les sénateurs, cette base, qui rassemble les empreintes digitales des demandeurs d’asile et des clandestins appréhendés à la frontière ou sur le territoire national, est mal tenue, en particulier par la France. C’est l’une des raisons qu’ils invoquent pour refuser l’accès aux services répressifs à la base. En revanche, l'amélioration d’Eurodac doit être une priorité.

D’où vient-on ?

En décembre 2008, la Commission européenne a présenté une proposition de refonte d’Eurodac. Elle a modifié à plusieurs reprises son projet pour aboutir en mai 2011, à une nouvelle proposition réintégrant les dispositions concernant l'accès des services répressifs des États membres et d'Europol.
La proposition de la Commission prévoit que l'accès est ouvert dans les enquêtes ayant trait aux infractions pénales graves visées dans le texte instituant la mandat d'arrêt européen (terrorisme, criminalité organisée, escroquerie, traite des êtres humains, etc.).

Qu’est-ce qu’Eurodac ?

Eurodac est un traitement de données personnelles communautaire utilisé depuis le 15 janvier 2003 et comprenant un système automatisé de reconnaissance d'empreintes digitales. La finalité de ce traitement est de déterminer l'État membre qui, en vertu de la convention de Dublin, est responsable de l'examen d'une demande d'asile déposée dans un des États de l'Union (devenu système « Dublin »).

Le système Eurodac vise à prélever les empreintes digitales de trois catégories d'étrangers :
  • les demandeurs d'asile (catégorie 1) ; 
  • les étrangers interpellés lors du franchissement irrégulier d'une frontière extérieure (catégorie 2) ; 
  • les étrangers se trouvant illégalement sur le territoire d'un État membre (catégorie 3).

Et en France ?

Lorsqu'une personne demande l'asile dans une zone d'attente ou à la préfecture, ses empreintes sont ainsi comparées par le biais d'une borne Eurodac avec celles contenues dans le fichier, afin de déterminer si un autre État membre n'est pas responsable du traitement de la demande en vertu du nouveau système désignant l’Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile.

En 2010, la France a transmis près de 36 000 empreintes pour la catégorie 1, ce qui en fait le premier contributeur européen à Eurodac (16,7 % du total). Elle a réadmis 984 personnes sur son territoire et a transféré 883 autres personnes dans un autre État-membre, ce qui est peu élevé et témoigne du mauvais fonctionnement global du système de réadmission du nouveau système « Dublin » (Dublin II).

Pourquoi ouvrir l'accès aux services répressifs ?

La demande d'accéder pour des besoins d'enquête judiciaire au fichier Eurodac a émergé après les attentats de Madrid en 2004. Les services répressifs des États membres ont alors estimé qu'avoir accès aux données d'Eurodac serait utile, en particulier dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, du fait de l'ampleur de la base biométrique qui serait ainsi mise à leur disposition. En prévoyant une durée de consultation possible des données de deux ans, ce serait en effet environ 600 000 personnes dont les données deviendraient accessibles aux services répressifs.

Un tel accès permettrait ainsi de comparer une empreinte digitale directe (et, avec les évolutions technologiques prévisibles, une empreinte latente, c'est-à-dire une trace) retrouvée par exemple sur le lieu d'un attentat, avec les empreintes contenues dans la base, ou de comparer une empreinte déjà enregistrée dans un fichier national, en France le Fichier national des empreintes digitales (FNAED), avec les empreintes d'Eurodac.

S'il s'avère que les empreintes proposées correspondent à une empreinte contenue dans Eurodac, les services répressifs pourraient, par exemple, parvenir à retracer le cheminement de l'individu suspect entre les différents pays de l'Union.

1ère critique du Sénat : un gain opérationnel limité pour les services répressifs


Selon les sénateurs, il est peu probable que les services répressifs tirent un bénéfice important d'un accès à Eurodac. À titre de comparaison, lorsque les empreintes des personnes sont prises à des fins d'identification au titre de la catégorie 3 (« personne appréhendée en situation irrégulière sur le territoire »), les réponses positives du fichier semblent rares (moins de 2 %).

En outre, les services répressifs de chaque État-membre ont déjà accès au système d'information sur les visas (VIS) (à lire l'article de securiteinterieure.fr à ce sujet) dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et contre d'autres infractions graves, ce système incluant dès l'origine une finalité de préservation de la sécurité intérieure de l'Union. Ils peuvent également, par le biais de la coopération policière, accéder sous certaines conditions aux fichiers biométriques nationaux des autres États-membres.

L'atteinte aux principes de finalité des fichiers et de protection particulière des demandeurs d'asile que constituerait un accès à Eurodac par les services répressifs serait donc sans doute disproportionnée par rapport au gain attendu.

2e critique du Sénat : Eurodac n'est pas tenu correctement par les Etats membres, dont la France

Les fiches des personnes qui ont obtenu le statut de réfugié ou la protection subsidiaire ne sont pas verrouillées. Les données relatives aux personnes ayant obtenu la nationalité française ne sont pas non plus effacées. Cette situation rend encore plus nécessaire un usage prudent du fichier et qui soit conforme à sa finalité première.

L'amélioration de la gestion du traitement de données Eurodac, qui n'est actuellement pas satisfaisante, doit constituer une priorité. Le Sénat approuve par conséquent les améliorations proposées par la Commission dans ce domaine.

3e critique du Sénat : Une finalité supplémentaire de nature répressive s’avère problématique

La finalité du fichier Eurodac est essentiellement de déterminer quel est l'État compétent pour traiter une demande d'asile. La proposition de la commission modifie profondément cette finalité en faisant d'Eurodac un fichier de recherche, ce qui pose d'emblée un problème de principe. Le fait que le système de réadmission « Dublin II » fonctionne plutôt mal alors qu'il constitue la justification de ce fichier ne doit pas amener à chercher des utilisations supplémentaires de la base Eurodac.

Il est vrai que ce fichier connaît déjà une utilisation accessoire par rapport à sa finalité essentielle : les État-membres peuvent comparer les empreintes de personnes appréhendées en situation irrégulière sur le territoire et qui refusent de présenter des documents d'identité ou présentent des faux documents (catégorie 3). Il s'agit d'offrir une chance supplémentaire à la police de pouvoir identifier la personne, mais, en principe, seulement dans le cadre d'une procédure administrative d'éloignement. Par ailleurs, les conditions d'utilisation d'Eurodac ne paraissent pas, déjà actuellement, totalement sécurisées.

Rappelons qu’en France, il est, en principe, impossible pour les policiers ou les gendarmes d'effectuer directement, pour les besoins d'une enquête, des recherches dans une base de données qui ne regroupe pas des personnes suspectes d'avoir commis un crime ou un délit ou d'être susceptible d'en commettre.

Le droit d'asile est un principe de valeur constitutionnelle qui implique notamment que les demandeurs du statut de réfugié bénéficient d'une protection particulière. Or, le texte ne contient aucun élément étayant la probabilité que des personnes suspectées de terrorisme ou d'autres infractions graves se trouvent parmi les personnes ayant demandé l'asile dans un des pays membres de l'Union européenne.

De son côté, la Commission indique avoir opéré des consultations sur la création de nouvelles finalités à Eurodac mais elle n'indique pas pourquoi elle n'a pas suivi ces avis.

En particulier, la « CNIL européenne », le Contrôleur européen à la protection des données a estimé dans un avis que l'accès des services répressifs à un fichier qui n'a pas cette finalité ne devrait être possible que « pour autant que la nécessité de l'ingérence s'appuie sur des éléments clairs et indéniables et que la proportionnalité du traitement soit démontrée ». Ainsi, selon lui, « la nécessité de cet accès doit être prouvée par la démonstration de preuves solides d'un lien entre les demandeurs d'asile et/ou les formes graves de criminalité, ce qui n'a pas été fait dans les propositions ».

(synthèse du texte par securiteinterieure.fr)


L'avis de securiteinterieure.fr

La résolution du Sénat est une critique sévère sur la tenue de la base Eurodac. Il ne s'agit pas tant d'une critique de la position de la Commission (qui souhaite rénover son fonctionnement) que d'un refus de sa proposition d'étendre l'accès aux services répressifs. L'idée ? Attendre que la base fonctionne mieux avant toute chose. 
Reste que le débat sur Eurodac s'inscrit en toile de fond du processus de sécurisation des bases de données ayant trait à l'asile et à l'immigration. La base de données Eurodac évolue(rait) ainsi (si le texte est adopté) en direction de la constellation des systèmes d'informations assurant directement ou indirectement la sécurité de l'Union : le Système d'information sur les visas (VIS), le Système d'information Schengen (SIS et SIS 2), Eurosur, le Système entrée/sortie ou bien encore les systèmes d'information policiers comme le Système d'information Europol.

A consulter sur securiteinterieure.fr :


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