La lutte antifraude va faire peau neuve. Le constat est une aggravation de la situation. Les criminels utilisent des outils toujours plus sofistiqués, en premier lieu l’IA, pour détourner l’argent européen. Certes, des progrès ont été faits, comme la révision du mandat de l’Office de lutte antifraude (OLAF) ou le nouveau règlement sur la protection des intérêts financiers. Néanmoins, il reste encore du travail en particulier en matière de recouvrement. Ce livre blanc de la Commission vise à baliser le terrain au sujet de la Future stratégie de lutte antifraude qui constituera le document directeur en la matière. Plusieurs axes et questions sont identifiés. Des pistes sont envisagées comme une modification du mandat des agences européennes oeuvrant dans la lutte antifraude.
De quoi parle-on et où va-on ?
Le présent livre blanc propose quelques pistes à explorer lors du prochain réexamen de l’architecture antifraude. Les résultats du réexamen de l’architecture antifraude seront présentés dans une communication de la Commission en 2026. Elle peut être accompagnée, le cas échéant, d’éventuelles propositions législatives relatives aux règlements OLAF, sur le Parquet européen, Eurojust, Europol ou Eurofisc et à la directive PIF. Cela fera suite aux résultats des évaluations en cours des cadres juridiques applicables à certains acteurs concernés par l’architecture antifraude et du règlement relatif à la protection des intérêts financiers de l’UE, ainsi que de la directive relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’UE (la «directive PIF»).
D’où vient-on ?
Le Parlement européen attache une grande importance à la révision de l’architecture antifraude. Dans son rapport sur la protection des intérêts financiers de l’Union — Lutte contre la fraude — rapport annuel 2023 (le «rapport CONT»), la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen a souligné qu’il était urgent de renforcer et de moderniser l’architecture antifraude pour faire face aux nouveaux défis.
La Cour des comptes a également adopté plusieurs rapports spéciaux sur la lutte contre la fraude et mène d’autres audits liés à la fraude. En particulier, elle évalue les modalités de travail et la coordination entre le Parquet européen, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), l’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust) et l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol).
Quel est le problème ?
La fraude transnationale, y compris la fraude à la TVA, ou l’activité des réseaux de criminalité organisée ciblant les fonds de l’UE ont augmenté. Les fraudeurs utilisent désormais des technologies avancées telles que l’intelligence artificielle (IA), la communication cryptée et les cryptomonnaies, pour mener et dissimuler leurs activités criminelles. En outre, les modes de gestion évoluent et la simple augmentation de la taille du budget de l’UE, sous l’impulsion de NextGenerationEU, a entraîné une augmentation des montants exposés au risque de fraude et d’irrégularités.
Dans son rapport CONT, la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen a plaidé en faveur d’une gouvernance de l’architecture antifraude plus mesurable et davantage axée sur les résultats, d’un déploiement plus efficace des ressources adéquates et de leur utilisation plus efficiente, d’une approche plus globale de la présentation d’informations dans le cadre du rapport PIF, et d’un renforcement de la coordination et de la coopération entre les acteurs de l’architecture antifraude.
Le lien entre l’architecture antifraude et la sécurité intérieure
Le réexamen de l’architecture antifraude sera réalisé selon une approche globale. Il en recensera les principaux acteurs, mettra en évidence et comblera les lacunes susceptibles de porter atteinte aux intérêts financiers de l’Union, et encouragera l’efficacité à tous les stades du cycle antifraude (prévention, détection, enquêtes, poursuites et corrections/recouvrements). Comme indiqué dans ProtectEU — la stratégie européenne de sécurité intérieure, les résultats de l’examen de l’architecture antifraude soutiendront le renforcement de la complémentarité entre les ordonnateurs délégués, le Parquet européen, l’OLAF, Europol, Eurojust, l’Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux (ALBC) et l’Autorité douanière de l’UE proposée. La lutte contre la fraude peut bénéficier de la priorité accordée à une meilleure collecte d’informations, à une meilleure utilisation des informations et du partage des données, à un meilleur accès aux données, à l’utilisation des technologies modernes, y compris l’IA, pour mieux détecter et enquêter sur la fraude, à l’amélioration des synergies dans l’utilisation des moyens d’enquête, tant pénaux qu’administratifs, et à l’amélioration de la coopération.
Quel progrès ont été faits ?
Le processus de recouvrement repose sur les États membres (en particulier pour le volet des recettes) et sur les institutions, organes et organismes (pour le volet des dépenses). Il s’agit d’un processus complexe qui nécessite une coopération. La création du Parquet européen a considérablement renforcé l’architecture antifraude globale. La jurisprudence récente de la Cour de justice de l’Union européenne relative au règlement PIF et au règlement financier fournit les bases juridiques pour la mise au point d’outils supplémentaires de recouvrement, y compris auprès de personnes physiques responsables de la fraude, au moyen de décisions administratives. Dans l’ensemble, comme la Cour des comptes l’a également relevé, de nouvelles améliorations sont nécessaires pour accroître l’efficacité du processus de recouvrement pour le budget de l’UE.
Un exemple en matière de partage des données et concernant la réseau Eurofisc
Les acteurs de l’architecture antifraude peuvent déjà accéder à leurs bases de données respectives, mais les conditions dans lesquelles cet accès et ce partage de données ont lieu peuvent encore être améliorées. Par exemple, il peut être utile de créer, sous certaines conditions et sous réserve de garanties appropriées en matière de procédure et de protection des données, des règles spécifiques permettant à l’OLAF et au Parquet européen d’échanger des informations avec Eurofisc et de leur donner un accès centralisé, au niveau de l’UE, à certaines informations en matière de TVA afin qu’ils puissent enquêter sur d’éventuelles fraudes ou irrégularités liées à la TVA.
A ce sujet, les États membres sont responsables de l’adoption, de la mise en œuvre et de l’application des règles et procédures qui protègent efficacement les intérêts financiers de l’UE. Ils jouent également un rôle de premier plan et ont des obligations spécifiques dans la détection, le signalement et la lutte contre les activités frauduleuses portant atteinte au budget de l’UE. Par exemple, dans le domaine de la fiscalité, le réseau des États membres Eurofisc fondé sur un règlement de 2010 pour lutter contre la fraude transfrontière à la TVA. Son mandat couvre le traitement conjoint et l’analyse des données, la coordination des actions de suivi et l’accès aux données douanières sur les importations exonérées de TVA.
Un autres exemple des avancées réalisées : les mesures de prévention et de détection
Des systèmes solides de prévention de la fraude pour les fonds de l’UE sont déjà en place et la Commission a pris des mesures pour les améliorer en permanence dans le cadre de sa stratégie de contrôle interne. En outre, le règlement financier de 2024 a introduit plusieurs innovations qui contribueront à renforcer encore la prévention et la détection, la correction et le suivi des irrégularités, y compris la fraude et la corruption, à partir du prochain CFP, notamment:
- plusieurs améliorations du système de détection rapide et d’exclusion (EDES) et l’extension de son champ d’application à la gestion partagée (et à la gestion directe avec les États membres) à compter du 1er janvier 2028.
L’EDES a été créé en 2016 comme l’un des instruments de protection des intérêts financiers de l’UE. Il permet de détecter les opérateurs économiques frauduleux ou non fiables à un stade précoce et sur la base de faits allégués. - l’utilisation obligatoire de l’outil unique d’exploration de données et de calcul du risque (Arachne +) à des fins d’audit et de contrôle à partir du 1er janvier 2028.
Les données collectées par toutes les autorités des États membres en ce qui concerne l’ensemble des fonds seront incluses dans un outil unique à l’échelle de l’UE. Cela renforcera les fonctions de contrôle et d’audit dans l’ensemble de l’UE et aidera les autorités nationales et les acteurs de l’architecture antifraude à prévenir, détecter, corriger et suivre la fraude, la corruption et les irrégularités. - l’utilisation d’instruments existants, tels que le système IMS, OWNRES et EDES (pour sa partie relative à la détection précoce), peut contribuer de manière significative à la poursuite de la diffusion des informations susceptibles de conduire à l’adoption des mesures préventives appropriées et à la détection précoce des cas de fraude.
Pour mémoire, la Commission a élaboré la base de données des ressources propres (OWNRES) en tant que système électronique destiné à faciliter la communication et le suivi des cas de fraude et d’irrégularités affectant les droits sur les ressources propres traditionnelles.
Du travail encore à faire en matière d’expertise
Un domaine dans lequel de meilleures synergies peuvent être établies concerne l’utilisation de l’expertise. Tous les acteurs de l’architecture antifraude utilisent des capacités d’analyse internes et/ou une expertise criminalistique pour mener à bien leur travail. Dans le contexte des contraintes de ressources pour l’administration de l’UE, des arrangements administratifs appropriés pourraient être mis en place pour permettre la mise en commun de l’expertise existante et le renforcement de capacités communes pour des enquêtes antifraude modernes associant différents acteurs de l’architecture antifraude.
En outre, la plateforme des données douanières de l’UE, gérée par la nouvelle Autorité douanière de l’UE, fournira une réserve de données en temps réel sur les flux douaniers et une capacité accrue d’analyse des données qui permettra une meilleure gestion des risques et des contrôles douaniers aux frontières extérieures.
Des améliorations à effectuer concernant l’articulation entre enquêtes administratives et pénales
Le règlement sur le Parquet européen interdit expressément les enquêtes administratives parallèles par l’OLAF sur les mêmes faits que ceux faisant l'objet d'une enquête pénale par le Parquet européen, afin d’éviter les doubles emplois. Le règlement sur le Parquet européen et le règlement OLAF modifié permettent des enquêtes administratives complémentaires. Le soutien de l’OLAF au Parquet européen et les enquêtes complémentaires se reflètent également dans l’arrangement de travail entre l’OLAF et le Parquet européen. Toutefois, le recours aux enquêtes administratives complémentaires est resté assez limité jusqu’à présent, bien que les deux types d’enquêtes (pénales et administratives) soient essentiels et contribuent à protéger pleinement le budget de l’UE et à prévenir ou limiter le préjudice. Par exemple, pour assurer une protection efficace du budget de l’UE, des mesures administratives adéquates doivent être prises dès que possible afin de préserver les fonds déjà versés et d’éviter que d’autres fonds ne soient indûment dépensés, en particulier des mesures EDES.
Des progrès encore à mener concernant le soutien et la coopération
À la lumière de l’expérience acquise, certaines améliorations pourraient s’avérer nécessaires, tant au niveau national qu’au niveau de l’UE, pour que les activités du Parquet européen soient plus efficaces. Au niveau national, des services répressifs dédiés et spécialisés pourraient soutenir plus efficacement le Parquet européen, en particulier dans des domaines tels que les douanes, la fraude fiscale et la criminalité financière. Au niveau de l’UE, une coopération accrue avec Europol en ce qui concerne l’analyse des risques et le soutien opérationnel, et avec Eurojust en ce qui concerne le fonctionnement des équipes communes d’enquête (ECE), permettrait un soutien accru au Parquet européen, en particulier dans les affaires transfrontières. En outre, un système semi-automatisé de concordance/non-concordance adapté au Parquet européen, à Eurojust, à Europol et à l’OLAF qui, tout en respectant les garanties de procédure et les mandats de chacun des organes et agences, pourrait améliorer la détection précoce des schémas criminels transfrontières et faciliter la coopération.
Axe 1 :renforcer la prévention et la détection
En ce qui concerne la prévention et la détection, les principales questions que le réexamen de l’architecture antifraude pourrait étudier sont les suivantes:
- comment faire en sorte que tous les acteurs prennent les mesures appropriées (y compris le partage des informations nécessaires) dès que possible, tant au niveau national qu’au niveau de l’Union, afin de renforcer les capacités de prévention et de détection de la fraude dans l’ensemble de l’UE,
- comment garantir un accès rapide aux informations pouvant donner lieu à une action sur les irrégularités et les fraudes signalées, notamment parmi les organismes d’enquête indépendants de l’UE,
- quelles modifications législatives sont nécessaires pour faciliter l’accès de tous les acteurs de l’architecture antifraude aux données pertinentes, au partage d’informations et à la mise en commun du soutien technique, en s’appuyant sur les points forts de chaque acteur de l’architecture,
- comment les stratégies nationales antifraude peuvent renforcer la lutte contre la fraude,
- comment assurer le signalement efficace par les États membres des cas présumés d’irrégularités et de fraude (IMS, OWNRES) et leur utilisation à des fins de prévention et de détection,
- comment tirer parti de l’utilisation, par les États membres et les acteurs de l’architecture antifraude, de nouveaux outils d’IA, ainsi que des outils existants tels que l’EDES et Arachne +, afin d’accroître le niveau de prévention et de détection.
Axe 2 : Amélioration des capacités d’enquête et de poursuites
En ce qui concerne le partage de données et les capacités d’analyse/criminalistique, les enquêtes et les poursuites, les questions clés que le réexamen de l’architecture anti-fraude pourrait étudier sont les suivantes:
- comment les enquêtes pénales menées par le Parquet européen pourraient-elles être complétées, le cas échéant, par des enquêtes administratives menées par l’OLAF de manière plus efficace, en vue d’établir une base solide pour l’adoption rapide par la Commission de mesures administratives, y compris des mesures conservatoires et/ou de recouvrement,
- comment pourrait-on améliorer l’accès aux données pertinentes concernant les soupçons de fraude ou de criminalité financière portant atteinte aux intérêts de l’UE,
- comment pourrait-on améliorer l’accès et la transmission en temps utile des informations pertinentes entre les acteurs de l’architecture antifraude,
- comment tirer parti de l’utilisation des nouvelles technologies et de l’IA pour accroître l’efficacité des acteurs de l’architecture antifraude,
- comment l’efficacité des enquêtes et des poursuites relatives aux infractions PIF pourrait-elle être améliorée au niveau national et au niveau de l’UE.
Axe 3 : Vers un processus de recouvrement plus efficace pour le budget de l’UE
Afin de rendre le processus de recouvrement plus efficace, les principales questions que la révision de l’architecture antifraude pourrait étudier sont les suivantes:
- comment protéger le budget de l’UE en veillant à ce que les ordonnateurs délégués puissent adopter des mesures conservatoires et de recouvrement et obtenir effectivement et en temps utile une indemnisation du préjudice causés aux intérêts financiers de l’Union,
- comment faciliter les recouvrements vers le budget de l’Union, notamment par le transfert des produits des procédures d’insolvabilité et des avoirs saisis et confisqués à la suite des enquêtes du Parquet européen, y compris en tirant parti du rôle du Parquet européen dans les procédures pénales pour soutenir le recouvrement de ces avoirs en faveur du budget de l’Union,
- comment les mesures de dissuasion prises par les acteurs de l’architecture antifraude peuvent-elles être encore renforcées.
Axe 4 : Améliorer la gouvernance de l’architecture antifraude
En ce qui concerne la gouvernance de l’architecture antifraude, les principales questions que le réexamen de l’architecture pourrait étudier sont les suivantes:
- comment améliorer la coordination de tous les acteurs concernés, notamment en ce qui concerne la présentation d’informations sur les mesures prises pour protéger les intérêts financiers de l’UE,
- s'il est nécessaire de définir un ensemble commun d’indicateurs afin de garantir la cohérence des rapports et d’obtenir une vue d’ensemble plus claire de la manière dont les acteurs de l’architecture antifraude protègent collectivement les intérêts financiers de l’Union, dans le cadre de leurs mandats respectifs,
- comment renforcer le dialogue stratégique et opérationnel régulier et l’échange de bonnes pratiques, ainsi que le suivi de la mise en œuvre des mesures à prendre dans le cadre du réexamen de l’architecture antifraude.
synthèse du rapport par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr
A lire sur securiteinterieure.fr :
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