Le Brexit et maintenant Nice… il serait de bon ton de réciter à qui veut l’entendre que l’UE n’en finit pas de traverser des crises funestes pour son sort.
Cette rhétorique simpliste des crises européennes interminables ne doit pas masquer le rôle essentiel que l’UE joue contre le terrorisme en général, et contre Daesh en particulier, surtout au moment où celui-ci vient de revendiquer l’attaque commise sur la Promenade des Anglais.
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D’emblée, une telle affirmation peut étonner, car l’Europe paraît bien discrète après cette attaque. Pourtant, il convient de rappeler certaines vérités.
La première d’entre elles est que la lutte antiterroriste relève du principe de subsidiarité : il appartient aux autorités politiques françaises et à elles seules de gérer la crise, pas à l’Europe. Certes, il existe désormais des dispositifs de soutien en cas de crise majeure.
Mais en tout état de cause, ils sont activés sur demande de la France uniquement.
La deuxième est que le travail de l’Union est reconnu à un haut niveau politique, en étant salué par les parlementaires nationaux.
Les conclusions du rapport Fenech-Pietrasanta de la commission d’enquête sur les attentats de novembre 2015, largement médiatisées concernant les failles du renseignement français, vont en ce sens. Les sénateurs avaient, eux aussi, reconnu , les avancées européennes, quelques mois avant, en mars plus exactement.
La réalité du terrain en décalage total avec les discours politiques
Comment dès lors expliquer le fait que l’Europe soit aux abonnés absents, ou donne l’impression de l’être ? Un élément de la solution est à trouver dans l’attitude des dirigeants politiques français.
Force est de constater qu’avec les événements du Brexit, ceux-ci ont crié à qui voulait l’entendre qu’il fallait « refonder l’Europe ».
Or, ce discours censé être bienveillant à l’égard de l’UE, de la part de certains hommes politiques déclarés europhiles, est d’autant plus pervers qu’il est teinté de nationalisme.
Mais il y a plus grave. Le lyrisme politique autour de ce thème « refonder l’Europe » au prétexte de la sauver, masque, tel un voile opaque, les rayons des réalisations concrètes d’une Europe qui fonctionne. Les images véhiculées par les discours de ces leaders nationaux, autant « mauvais génies qu’apprentis sorciers », naturalisent dans le chef des citoyens, la croyance d’une Europe en apesanteur, coupée des réalités, inerte et impuissante, incapable de se réformer comme il se doit.
La réalité du terrain, y compris l’attitude de la France à l’égard de l’Europe, est toute autre. Elle est même en décalage complet avec cette vision d’une « Europe faible » (ou d’« Union bradée » après le Brexit) ayant désormais valeur de vérité, donnée par ces mêmes dirigeants politiques français désireux de reprocher à l’UE un jour d’en faire trop, le lendemain pas assez.
La France se montre à cet égard, bon élève dans la coopération antiterroriste. Prompte à prendre l’initiative, elle est très pragmatique dans ses relations avec les partenaires.
Un exemple pour s’en convaincre : suite aux attentats du 13 novembre 2015, elle n’a pas hésité à communiquer un volume impressionnant d’informations à Europol (7 téraoctets de données provenant des enquêtes, dont 9 millions de communications téléphoniques). La France n’a pas non plus tergiversé pour déléguer à l’agence européenne une partie des investigations criminelles.
Qui l’aurait imaginé il y a un an seulement ? Et que de chemin parcouru depuis les années 1990, à l’époque où François Mitterrand avait catégoriquement refusé à Helmut Kohl l’idée d’une BKA européenne, au profit d’une simple plate-forme d’échange d’informations !
Le coût sécuritaire de l’absence d’Europe
Il ne faut pas se leurrer malgré tout. Cette europhilie policière s’avère être avant tout de l’europragmatisme, car l’absence d’Europe a un coût sécuritaire.
Par exemple, le rapport Fenech-Pietrasanta révèle que la France a souffert d’une mauvaise collaboration à l’échelon bilatéral. Concrètement, le défaut d’échange d’information entre deux États européens a empêché d’arrêter l’ensemble du commando du Stade de France.
Dans ce contexte, on comprend parfaitement la volonté de la France d’aller de l’avant dans la construction européenne en matière de lutte antiterroriste. À ce propos, celle-ci a joué un rôle déterminant à la mise en place du Centre européen de la lutte contre le terrorisme (ECTC ), véritable cœur battant d’Europol sur les questions de lutte antiterroriste.
Or, cette structure, en fonction depuis le 26 janvier 2016, héberge l’IRU (Internet Referral Unit), le service chargé de faire supprimer les pages faisant de la propagande terroriste. Si l’IRU reste une structure de soutien aux États membres, les résultats sont bons, puisque le taux de suppression avoisine les 95% d’après un rapport d’Europol du mois de mai dernier.
Les avancées sont légion. Ce même rapport Fenech-Pietrasanta ajoute que la transmission d’informations à Europol s’est nettement améliorée depuis les attentats.
Par exemple, la base de données générale de l’agence a connu une augmentation de 20% en un an sur les questions de terrorisme (qui est thème très sensible).
Idem pour le Fichier consacré aux combattants étrangers (au doux nom de FP « Travelers »). Ce fichier ultra-sensible a connu sur la même période une augmentation de… 600% !
Il est évident que tout n’est pas rose et d’ailleurs le rapport de l’Assemblée nationale l’a mis en évidence concernant le Système d’information Schengen (SIS).
L’un des responsables de la partie française du système avait qualifié de « Rolls Royce » de la coopération internationale. Pour autant, et le rapport l’a souligné, la belle voiture a connu des ratées lors des attaques du 13 novembre 2015.
À l’heure actuelle, les États et les institutions travaillent à remédier à ces défaillances dans un cadre plus vaste, puisqu’une réflexion a été engagée sur la construction d’une architecture de gestion des données plus robuste et plus intelligente .
Les perspectives sont ambitieuses, mais il faut bien comprendre que l’impulsion politique est (enfin) là. Ainsi en est-il du nouveau cadre législatif d’Europol, entériné en mai 2016 et qui entrera en vigueur l’année prochaine.
Ce nouveau cadre va permettre désormais à l’agence européenne d'échanger directement des informations avec des entreprises par exemple Facebook ou Twitter, source de progrès significatif pour lutter contre la propagande en ligne.
Une multitude chantiers en cours
Un autre exemple à ce sujet. Le contrôle des Européens partant ou revenant du Jihad au Moyen-Orient est toujours une problématique sensible et parmi les mesures pour y faire face :
- une a été adoptée, la désormais très célèbre directive PNR ;
- une autre le sera bientôt, le projet de Corps européen de garde-frontières et de garde-côtes ;
- deux autres sont sur la table des négociations, celle prévoyant que tous les États incriminent la sortie du territoire pour faire le Jihad et celle permettant un contrôle systématique des voyageurs européens sortants.
Pour l’heure, les institutions européennes ont du pain sur la planche, car bon nombre de projets initiés depuis les attentats de Paris (juin et novembre) sont en discussion. Sans vouloir être exhaustif, il est possible d’en mentionner deux emblématiques :
- la réforme du contrôle des armes à feu, le but étant d'améliorer le partage d'informations, d'accroître la traçabilité et d'harmoniser le marquage des armes ;
- l'extension du "Casier judiciaire européen" aux ressortissants non européens ;
À côté de cela, un autre chantier est en cours : les États membres et les institutions européennes planchent sur le moyen d’obtenir des preuves numériques dans le cadre des enquêtes judiciaires . Souvent, les enquêtes pour terrorisme, ou pour propagande terroriste, butent sur le fait que des entreprises étrangères ne coopèrent pas toujours.
S’il est vrai que pour l’heure, l’idée d’une directive n’est pas encore à l’ordre du jour, car les discussions viennent seulement d’être entamées, il existe une réelle impulsion de la part des États membres pour une justice pénale européenne efficace à l'ère du numérique.
À ce propos, les ministres de la Justice des 28 ont avalisé en juin la création au sein de l’unité de coopération judiciaire Eurojust, du « Réseau judiciaire européen anti-cybercriminalité ».
Ce réseau est le pendant judiciaire de l’EC3 d’Europol, c’est-à-dire l’unité chargée de la lutte contre les cybermenaces.
D’ailleurs, Eurojust doit être mentionnée, car le rapport Fenech-Pietrasanta n’a pas manqué de souligner sa plus-value dans la résolution des affaires terroristes complexes, notamment celle des otages français retenus par Daech.
Offrir des outils supplémentaires à la France pour créer son modèle de sécurité
À l’instar d’Europol, les États européens n’hésitent pas à faire appel à Eurojust pour leurs enquêtes terroristes. Le nombre de dossiers traités par cette unité augmente, qui s’investit également dans le suivi des législations nationales en matière de radicalisation pour venir en aide aux décideurs politiques.
On le voit, les agences européennes ont le vent en poupe, et il y a une structure qui n’a pas le statut d’agence certes, mais qui occupe désormais le devant de la scène en matière de lutte contre la radicalisation. Il s’agit du centre d’excellence du réseau de sensibilisation à la radicalisation (RSR).
Le RSR est à l’image de l’Europe du terrorisme.
Il ne s’agit pas d’imposer à la France un quelconque modèle de sécurité, mais de lui donner des outils supplémentaires pour faire face au défi à relever. Le RSR constitue une plateforme européenne, point de convergence des acteurs nationaux et locaux spécialisés dans ce domaine.
Véritable connecteur, il met en lien des acteurs de tous les États membres, qu’ils soient psychologues, éducateurs, policiers, surveillants pénitentiaires ou encore agents de probation.
Il permet un partage d’expériences, notamment en matière carcérale et ce, au moment où en France, le débat sur la radicalisation en prison fait rage. Concrètement, son groupe de travail « Prison & probation » a contribué à recenser des bonnes pratiques et à établir des guides sur la thématique de la radicalisation en milieu carcéral.
Le RSR gagne en importance et il a vu son budget augmenter pour atteindre 25 millions d’euros sur quatre ans (contre huit seulement auparavant).
D’ailleurs, c’est tout le volet « anti-radicalisation » qui fait l’objet d’investissements conséquents de la part de l’Europe.
Par exemple, la Commission européenne a annoncé, en juin dernier, l’injection de 400 millions d'euros pour aider à l’inclusion sociale à partir du programme Erasmus+. Cela a été l’occasion pour elle :
- de rappeler que 8 millions d’euros ont été consacrés à la création de programmes de réinsertion et de déradicalisation dans et hors des prisons ;
- d’annoncer le lancement d'une campagne européenne «Exit Hate» pour contrer la radicalisation en ligne ;
- de lancer la création d’une plate-forme européenne de signalement réservée uniquement aux acteurs européens (Commission et Europol) et nationaux spécialisés (administrations nationales, secteur associatif et entreprises).
Quand l’Europe vient en aide à la cohésion nationale
Avant d’être sécuritaire, l’action de l’Union européenne en matière de lutte contre la radicalisation est avant tout sociale, car il s’agit de restaurer du lien, comme le précisent sur ce point les sociologues Farhad Khosrokhavar et Hugues Lagrange .
Or, à l’heure actuelle, le défi auquel la France est confrontée est de ne pas se lancer dans la surenchère sécuritaire, faisant ainsi le jeu de Daesh . Il s’agit plutôt de faire société, ou plutôt, selon les célèbres mots de Pierre Rosanvallon, de « refaire société ».
L’Union européenne, du fait même qu’elle est porteuse de valeurs, est un projet « civilisateur » comme le rappelle le philosophe allemand Jürgen Habermas. À ce titre, elle est tout à fait à même d’apporter sa pierre à l’édifice. Autrement dit, alors que la France avait contribué à l’intégration européenne, c’est désormais à l’Union d’aider à la cohésion nationale.
article rédigé par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr sur le site The Conversation (reproduction autorisée sous respect de la licence Creative Commons)
A lire également sur securiteinterieure.fr le Dossier spécial terrorisme
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