Le nouveau rapport relatif
à la protection des intérêts financiers de l’UE (rapport dit « PIF ») a
été publié et plusieurs éléments intéressants sont à noter :
- Une augmentation importante des irrégularités,
- Le développement d’une fraude complexe en ligne et internationale,
- La montée en puissance de la numérisation de la lutte contre la fraude,
- Le rôle central de l’Offie anti-fraude de l’UE (OLAF) et du Parquet européen dans la lutte menée.
Enfin
et surtout, les États membres, qui sont les premiers acteurs d’une
telle lutte, estiment que le succès des interventions implique une
approche multipartite et pluridisciplinaire. A cet égard, des réseaux
nationaux antifraude sont créés et développés. C’est le cas en
France. De surcroît, presque tous les États membres coopèrent
désormais activement avec l’OLAF et le Parquet européen.
D’où vient-on ?
La
stratégie antifraude actuelle de la Commission (CAFS), adoptée en 2019,
vise à améliorer encore la prévention et la détection de la fraude et
l’application de sanctions en la matière et encadre les efforts
actuellement déployés par la Commission pour réduire le niveau de la
fraude portant atteinte au budget de l’UE. La mise en œuvre du plan
d’action qui l’accompagnait ayant été achevée en 2022, la Commission a
adopté un nouveau plan d’action en juillet 2023.
Plus exactement,
le nouveau plan d’action comprend 44 actions relevant de sept thèmes
qui couvrent les priorités de la Commission en matière de lutte contre
la fraude. La numérisation étant le premier thème du plan, un quart des
actions est axé sur l’amélioration de l’utilisation, par la Commission
et les États membres, des outils informatiques de lutte contre la
fraude, comme Arachne, EDES et le système de gestion des irrégularités
(IMS).
Le plan prévoit également une plus grande coopération au sein
de la Commission et avec les principaux partenaires extérieurs et la
société civile, afin de protéger les financements de l’UE. Parmi les
autres thèmes abordés figurent la fraude douanière.
La mise en œuvre du plan d’action est en cours.
Quelle est la situation actuelle ?
Au
total, 13 563 irrégularités frauduleuses ou non frauduleuses, pour un
montant de 1,90 milliard d’euros, ont été signalées en 2023. Les
irrégularités signalées ont légèrement augmenté par rapport à 2022 (+
2,3 %), ainsi que les montants irréguliers correspondants (+ 4,6 %).
Le
nombre et l’incidence financière des irrégularités non frauduleuses
signalées ont atteint un niveau record en 2023, affichant une tendance à
la hausse au cours des cinq années, avec 12 533 irrégularités (+ 3,5 %
par rapport à 2022) pour un montant de 1,31 milliard d’euros (- 14 %).
Selon
l’OLAF, le recours à des infractions administratives, de préférence
dans des situations transfrontières créées artificiellement, dans le but
de frauder le budget de l’UE sans être détecté, est une tendance
émergente, très visible en 2023. La fraude complexe en ligne et à
travers plusieurs pays et territoires est une tendance qui a continué de
se développer en 2023.
Quelle est la perception des Etats membres ?
La
plupart des États membres estiment que l’incidence de la fraude est
faible dans leur pays. Étant donné qu’il reste difficile de déterminer
si les bas niveaux de fraude signalés représentent avec précision le
succès de certaines mesures antifraude, il est essentiel que les États
membres continuent de détecter et de signaler la fraude, tout en
élaborant des mesures et des outils pour la prévenir.
Plusieurs
États membres indiquent qu’ils ont procédé à une analyse des risques de
fraude afin d’évaluer les raisons de la faible détection des soupçons de
fraude.
Si la moitié des États membres qui ont analysé leur bas
niveau de fraude ont relevé des faiblesses dans la détection de la
fraude, la plupart ont déclaré que le succès des interventions visant à
prévenir la fraude est garanti par la mise en place d’une approche
multipartite et pluridisciplinaire.
Ces approches facilitent la coopération entre tous les acteurs internes, nationaux et internationaux concernés.
Qu’a fait l’OLAF?
En
2023, l’OLAF a clôturé des enquêtes portant sur 265 cas, en émettant
309 recommandations, dont 185 recommandations financières; il a
recommandé le recouvrement d’un montant total de 1 043,8 millions
d’euros et prévenu 209,4 millions d’euros de dépenses indues.
Au cours de la même période, 190 nouvelles enquêtes ont été ouvertes. 18 enquêtes ont été ouvertes sur des questions internes.
Les
opérations douanières conjointes (ODC) sont des actions ciblées, d’une
durée limitée, visant à lutter contre la contrebande de marchandises
sensibles et contre la fraude dans certaines zones et/ou sur certaines
routes commerciales à risque.
En 2023, 13 ODC, coorganisées ou
soutenues par l’OLAF, ont couvert un large éventail d’objectifs, parmi
lesquels: la lutte contre la contrebande de tabac, les transferts
illicites de déchets, les médicaments oncologiques et substances
hormonales contrefaits et non conformes aux normes, les denrées
alimentaires et boissons contrefaites, les jouets contrefaits et/ou
dangereux, mais aussi la détection de la sous-évaluation des
marchandises et le trafic d’espèces protégées de la faune et de la flore
sauvages.
Qu’a fait le Paquet européen ?
Quant au Parquet européen, il a ouvert en 2023, 1 371 enquêtes correspondant à un préjudice estimé à 12,28 milliards d’euros.
À
la fin de 2023, le Parquet européen comptait 1 927 enquêtes en cours
portant sur un préjudice estimé à 19,27 milliards d’euros, dont près de
60 % (11,50 milliards d’euros) étaient associés à 339 enquêtes liées à
la TVA. En ce qui concerne les intérêts financiers de l’UE en jeu, seule
une petite proportion (0,3 %) des montants financiers liés à la TVA
appartient au budget de l’UE.
1 349 enquêtes ont porté sur des cas
de fraude aux dépenses, pour un préjudice financier estimé à 7,24
milliards d’euros. Parmi ces enquêtes, 233 concernent des programmes
pour la reprise et la résilience, pour un préjudice financier estimé à
1,86 milliard d’euros.
Parmi les types d'irrégularités recensés
dans ces enquêtes en cours, 1 486 infractions (33,9 % au total)
concernent la fraude portant sur des dépenses non liées à la passation
de marchés publics, 379 (8,6 %) la fraude portant sur des dépenses
relatives aux marchés publics, 131 (3 %) la corruption, 72 (1,6 %) le
détournement de fonds, 226 (5,2 %) le blanchiment de capitaux, 405 (9,2
%) la fraude aux recettes hors TVA et 873 (19,9 %) la fraude aux
recettes de TVA.
Le Parquet européen, un acteur de premier plan dans la lutte anti-fraude
Le
rapport annuel du Parquet européen contient des informations sur les
activités de criminalité organisée portant atteinte aux intérêts
financiers de l’UE.
Selon ce rapport, 209 infractions concernant des
organisations criminelles dont l'activité affectait la PIF faisaient
l’objet d’enquêtes à la fin de l’année 2023.
En ce qui concerne les cas de corruption, le Parquet européen avait signalé 131 infractions à la fin de 2023.
Au
cours de la période 2019-2023, 11 pays ont signalé 65 cas dans l’IMS:
six concernaient l’agriculture, 56 la politique de cohésion et trois la
préadhésion. Les montants irréguliers signalés en rapport avec ces cas
s’élèvent à environ 50,5 millions euros.
Qu’a dit le Parlement euopéen ?
Le
18 janvier 2024, le Parlement européen a adopté sa résolution sur la
protection des intérêts financiers de l’Union pour l’année 2022.
Le
Parlement s’est félicité des actions lancées par la Commission en 2022
pour renforcer le niveau de protection des intérêts financiers de
l’Union, mais a appelé à une vigilance accrue et à des actions
complémentaires dans ce domaine.
Il a soutenu que la numérisation
avait renforcé la prévention et la détection de la fraude, simplifié les
procédures administratives et qu’elle devait être au cœur de chaque
stratégie antifraude, y compris les stratégies nationales de lutte
contre la fraude.
Dans sa résolution, le Parlement a souligné le
potentiel considérable que recèle le système EDES pour le signalement
des personnes et des sociétés qui utilisent les fonds de l’Union à
mauvais escient et a demandé que le système soit étendu à tous les modes
de gestion, notamment à la gestion partagée.
Et les Etats membres ?
Le
rapport indique qu’en 2023, 21 États membres sur 27 ont indiqué qu’ils
avaient mis en place une stratégie antifraude pour la protection des
intérêts financiers de l’UE.
L’approche adoptée par les 21 États
membres est très variée: 10 pays ont adopté une stratégie nationale de
lutte contre la fraude , tandis que les autres s’appuient sur d’autres
types de stratégies (sectorielles, régionales, spécifiques aux
programmes).
Plus exactement, en 2023, 21 États membres sur 27 ont
indiqué qu’ils avaient mis en place une stratégie antifraude pour la
protection des intérêts financiers de l’UE.
Toutefois, les approches adoptées par les 21 États membres varient considérablement.
Dix
États membres ont indiqué qu’ils disposaient d’une stratégie nationale
de lutte contre la fraude couvrant tous les secteurs de dépenses.
En
ce qui concerne la préparation éventuelle d’une stratégie nationale de
lutte contre la fraude, sur 17 États membres qui n’ont pas de stratégie
nationale couvrant tous les secteurs de dépenses, trois en sont à la
phase préliminaire d’adoption, à savoir l’établissement du cadre
juridique, le Luxembourg en est à la phase préparatoire, c’est-à-dire à
l’état des lieux et à l’évaluation des risques de fraude, et quatre ont
déclaré ne pas avoir de stratégie antifraude au niveau national ni être
engagés dans une procédure pour en adopter une. Les neuf autres ont mis
en place d’autres stratégies de lutte contre la fraude.
Les États
membres ont communiqué un total de 69 mesures. En France, trois mesures
ont été mises en place: deux prévoient la mise en place d’une unité de
contrôle interministérielle pour lutter contre la fraude à l’aide
publique et d’un groupe de travail chargé d’analyser les fraudes
émergentes dans le cadre de la FRR; la troisième établit un système de
responsabilité financière pour les gestionnaires publics et le
développement des relations entre les autorités judiciaires et les
juridictions financières.
La montée en puissance de la numérisation de la lutte contre la fraude au niveau des États membres
De
nombreux États membres continuent d’investir dans la révision et le
développement des outils informatiques existants, en particulier l’outil
d’exploration de données et de calcul du risque Arachne.
Plus de la
moitié des États membres, dont la France, ont pris des mesures pour
recenser les déficits de compétences en matière de numérisation,
principalement liés à un manque d’information ou d’accès aux données sur
la numérisation, et pour y remédier.
Toutefois, les
développements dans le domaine des nouvelles technologies constituent
également des menaces potentielles en matière de lutte contre la fraude.
Si plus de la moitié des États membres, dont la France, a reconnu
ce problème, plusieurs n’ont pas encore intégré ces concepts dans leurs
stratégies antifraude.
Quelques États membres ont déjà pleinement
mis en œuvre des mesures visant à recenser les menaces posées par les
nouvelles technologies et à y faire face, mais la plupart, notammnent la
France, n’ont mis en œuvre que certaines mesures.
Le développement de réseaux nationaux antifraude
La
plupart des États membres, en particulier la France, disposent déjà
d’un réseau de coopération antifraude ou sont en train de le développer.
Ces réseaux sont composés de nombreux organismes différents. Les
agences sont le plus souvent représentées dans les réseaux nationaux de
lutte contre la fraude: les autorités de gestion des fonds de l’UE, les
autorités de l’administration fiscale, les autorités douanières, les
autorités nationales d’audit et les autorités répressives.
En outre,
presque tous les États membres coopèrent activement avec les organismes
chargés des enquêtes et des poursuites judiciaires au niveau de l’UE,
en particulier l’OLAF et le Parquet européen.
Qu’est-ce qui a été fait en matière anti-corruption ?
Un
réseau européen de lutte contre la corruption a été mis en place,
réunissant les services répressifs, les autorités publiques, les
praticiens, la société civile et d’autres parties prenantes, afin de
jouer un rôle de catalyseur pour prévenir la corruption dans l’ensemble
de l’UE, créer des synergies en matière de coopération et élaborer des
bonnes pratiques et des orientations pratiques dans des domaines
d’intérêt commun. Une première réunion a eu lieu en septembre 2023.
L’OLAF,
Eurojust, Europol et le Parquet européen sont tous membres du réseau.
Une tâche essentielle du réseau consistera à aider la Commission à
recenser les domaines communs dans lesquels les risques de corruption
sont élevés dans l’UE. Le résultat obtenu constituera la pierre
angulaire d’une future stratégie anticorruption de l’UE.
Une arme financière : le programme de l’Union en matière de lutte contre la fraude (PULF)
Le
PULF, doté d’un budget de 181 millions d’euros pour la période
2021-2027, apporte un soutien financier pour: i) la protection des
intérêts financiers de l’Union par les États membres; ii) l’organisation
de l’assistance administrative mutuelle et de la coopération en matière
douanière et agricole (système d’information antifraude — AFIS); iii)
le développement et la maintenance de l’IMS en ce qui concerne la
notification des irrégularités par les États membres.
La décision de
financement de 2023 a alloué 16,1 millions d’euros à la composante
Hercule, 8,4 millions d’euros à la composante AFIS et environ 1 million
d’euros à la composante IMS. Les fonds disponibles ont été mis en œuvre
avec succès en 2023, en utilisant les différents instruments de
financement à disposition.
En 2023, l’OLAF a reçu sa première demande
d’association de la part d’un pays tiers, à savoir l’Ukraine,
concernant le PULF. Un accord d’association couvrant la participation de
l’Ukraine au programme a été négocié entre la Commission (représentée
par l’OLAF) et les autorités ukrainiennes compétentes (pour être adopté
en mars 2024).
synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr
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