Les chefs d’Etat et de gouvernement ont adopté la semaine dernière la nouvelle stratégie globale de l’Union européenne dans laquelle ils
estiment que le "soft power" n’est
pas suffisant. Il convient donc de renforcer les capacités en matière de défense
(comprenez le "hard power").
Le texte constate aussi que la politique de la peur met à mal les valeurs européennes et le mode de vie européen. Enfin, il propose deux grands objectifs, dont la lutte antiterroriste et trois axes d’action, notamment la sécurité par le renforcement du renseignement.
Pour mémoire, cette stratégie globale de sécurité
remplace la stratégie de sécurité extérieure (dite stratégie de sécurité) de
2003. Elle complète la stratégie de sécurité intérieure de juin 2015 (à lire sur securiteinterieure.fr : La stratégie européenne de sécurité intérieure est officiellement renouvelée pour 2015-2020 !).
Le texte faisant une quarantaine de pages, la synthèse
portera sur les thèmes en liens avec la sécurité intérieure.
La marche à suivre
Cette stratégie s'appuie sur la conception et l'ambition
d'une Union plus forte, ayant la volonté et la capacité d'apporter des
changements positifs à ses citoyens et dans le monde. Pour la traduire
rapidement en actes :
- Tout d'abord, il s’agit de réviser les stratégies
sectorielles existantes, mais aussi élaborer et mettre en œuvre de nouvelles
stratégies thématiques ou géographiques conformément aux priorités politiques
de cette stratégie.
Ces travaux doivent commencer par des procédures claires et des délais approuvés rapidement par tous les acteurs concernés. - Ensuite, la stratégie globale de l'Union elle-même devra faire l'objet d'un examen périodique en concertation avec le Conseil, la Commission et le Parlement européen. Il sera fait chaque année sur l'état d'avancement de la stratégie, en mettant en évidence les aspects dont la mise en œuvre doit être poursuivie. Enfin, un nouveau processus de réflexion stratégique sera lancé chaque fois que l'UE et ses États membres le jugent nécessaire pour permettre à l'Union de s'adapter au contexte du moment.
Le constat : un
monde instable
D’après la stratégie, notre époque est en proie à une crise
existentielle, tant à l'intérieur de l'Union européenne qu'à l'extérieur. L’Union
est menacée. Le projet européen, qui a amené paix, prospérité et démocratie à
des niveaux sans précédent, est mis en question. À l'est, la sécurité
européenne est mise à mal, tandis que le terrorisme et la violence font des
ravages en Afrique du Nord et au Proche-Orient, mais également au sein même de l'Europe.
Au fil des décennies, l’Union a permis à ses citoyens de
jouir d'une sécurité, d'une démocratie et d'une prospérité sans précédent. Mais
aujourd'hui, le terrorisme, les menaces hybrides, le changement climatique, la
volatilité économique et l'insécurité énergétique menacent la population et le
territoire européens.
La réponse : une
stratégie globale
La stratégie globale de l'UE concerne l'Union pour
commencer. Un niveau approprié d'ambition et d'autonomie stratégique est important
si l'on veut que l'Europe puisse promouvoir la paix et la sécurité à
l'intérieur et à l'extérieur de ses frontières. C'est pourquoi il importe d’intensifier
les efforts en matière de défense, de lutte contre le terrorisme, d'énergie et
de communications stratégiques ainsi que pour ce qui est du cyberespace. Les
États membres doivent traduire par des actes leurs engagements en matière
d'assistance mutuelle et de solidarité consacrés par les traités.
L’imbrication de la
sécurité et de la sécurité extérieure
La détérioration de l'environnement et la raréfaction des
ressources ne connaissent pas de frontières, pas plus que la criminalité
transnationale et le terrorisme. Selon la stratégie, on ne peut pas scinder les dimensions
intérieure et extérieure. En fait, la politique intérieure ne traite bien
souvent que des conséquences de la dynamique extérieure : la sécurité sur le
territoire européen suppose de témoigner en parallèle un intérêt pour la paix
dans les régions voisines et environnantes.
… et les conséquences :
une réponse horizontale
L'UE devrait également être en mesure de contribuer à
protéger ses membres s'ils en font la demande, ainsi que ses institutions. Cela
suppose de respecter les engagements européens en matière d'assistance mutuelle
et de solidarité et, notamment, de relever des défis revêtant une dimension à
la
fois intérieure et extérieure, comme le terrorisme, les
menaces hybrides, la cybersécurité et la sécurité énergétique, la criminalité
organisée et la gestion des frontières extérieures.
À titre d'exemple, les missions et opérations relevant de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) peuvent agir de concert avec le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes et les agences spécialisées de l'UE pour renforcer la protection des frontières et la sécurité maritime afin de sauver davantage de vies, de lutter contre la criminalité transfrontière et de démanteler les réseaux de passeurs.
À titre d'exemple, les missions et opérations relevant de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) peuvent agir de concert avec le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes et les agences spécialisées de l'UE pour renforcer la protection des frontières et la sécurité maritime afin de sauver davantage de vies, de lutter contre la criminalité transfrontière et de démanteler les réseaux de passeurs.
Selon la stratégie, en matière de sécurité, le terrorisme, les menaces hybrides
et la criminalité organisée ne connaissent pas de frontières.
Il faut donc établir des liens institutionnels plus étroits entre l’action extérieure européenne et l'espace intérieur de liberté, de sécurité et de justice. Des sessions conjointes du Conseil et des groupes de travail conjoints entre le Service européen d'action extérieure (SEAE) et la Commission contribueront à resserrer les liens.
Il faut donc établir des liens institutionnels plus étroits entre l’action extérieure européenne et l'espace intérieur de liberté, de sécurité et de justice. Des sessions conjointes du Conseil et des groupes de travail conjoints entre le Service européen d'action extérieure (SEAE) et la Commission contribueront à resserrer les liens.
La politique de défense doit également être mieux reliée aux politiques concernant le marché intérieur, l'industrie et l'espace. Les efforts des États membres devraient également être plus concertés: la coopération entre les services répressifs, judiciaires et de renseignement doit être renforcée. Il faut exploiter le plein potentiel d'Europol et d'Eurojust et soutenir davantage le centre de renseignements de l'UE. Il importe d’alimenter les bases de données européennes et coordonner les renseignements extraits de celles-ci, et mettre les technologie de l'information et de la communication (TIC) - y compris l'analyse de mégadonnées - au service d'une meilleure appréciation de la situation.
Un objectif : la
résilience de l’environnement européen
La fragilité par-delà les frontières de l’Union menace tous les
intérêts vitaux européens. Par contre, la résilience, c'est-à-dire la capacité
d'États et de sociétés à se réformer, et donc à résister à des crises internes
et externes et à se remettre de celles-ci, est bénéfique à l’UE et est
bénéfique pour les pays situés dans le pourtour européen, et pose les
fondements d'une croissance durable et de l'avènement de sociétés dynamiques.
Aussi, agissant en collaboration avec ses partenaires, l'UE encouragera-t-elle la
résilience dans sa périphérie. Un État résilient est un État sûr, et la
sécurité est indispensable à la prospérité et à la démocratie. Mais l'inverse
est également vrai.
Un exemple concret :
une politique migratoire plus efficace
Selon la stratégie, dans le cadre des travaux en matière de résilience, une
attention particulière sera accordée aux pays d'origine et de transit des
migrants et des réfugiés. Il s’agit d’intensifier sensiblement les efforts
humanitaires dans ces pays, en mettant l'accent sur l'éducation, les femmes et
les enfants. En collaboration avec les pays d'origine et de transit, il
convient de définir des approches communes et sur mesure à l'égard de la question migratoire,
combinant les domaines suivants: développement, diplomatie, mobilité, migration
légale, gestion des frontières, réadmission et retour.
Une priorité :
la lutte contre le terrorisme
Des attentats terroristes majeurs ont été perpétrés sur le
sol européen et ailleurs. D'après la stratégie, il est essentiel d'investir davantage dans la lutte
contre le terrorisme et de renforcer la solidarité dans ce domaine.
Aussi, la stratégie promeut un accroissement de l'échange
d'informations et de la coopération en matière de renseignement entre les États membres et les
agences de l'UE, ce qui suppose d'échanger des signalements sur l'extrémisme
violent, les réseaux terroristes et les combattants terroristes étrangers,
ainsi que de surveiller et de retirer les contenus illicites des médias.
En parallèle, l'UE aidera les États membres qui seraient
victimes d'attentats à s'en remettre rapidement, en déployant des efforts
accrus en ce qui concerne la sécurité d'approvisionnement et la protection des infrastructures
critiques et en renforçant le cadre volontaire de gestion des crises dans le
domaine de la cybersécurité.
Il est question d’approfondir les travaux menés
sur l'enseignement, la communication, la culture, la jeunesse et le sport en
vue de lutter contre l'extrémisme violent.
L’objectif consiste aussi à combattre la radicalisation en
élargissant les partenariats avec la société civile, les acteurs sociaux, le
secteur privé et les victimes du terrorisme, ainsi que par le dialogue
interculturel et interreligieux.
Surtout - et c'est là l'élément le plus important selon la stratégie - l'UE se
montrera à la hauteur de ses valeurs, sur le plan interne tant qu'externe: il s'agit de l'antidote le
plus puissant à disposition contre l'extrémisme violent. Par ailleurs, l’Union
continuera à développer, notamment avec l'Afrique du Nord, le Proche-Orient,
les Balkans occidentaux et la Turquie, une coopération en matière de lutte contre
le terrorisme qui soit respectueuse des droits de l'homme, et coopérerons avec les
partenaires européens dans le monde afin de partager les meilleures pratiques
et d'élaborer des programmes communs sur la lutte contre l'extrémisme violent
et la radicalisation.
Une autre priorité :
la cybersécurité
L'UE portera une attention accrue à cybersécurité; elle se
donnera les moyens nécessaires et aidera les États membres à se protéger contre
les menaces informatiques, tout en préservant un cyberespace ouvert, libre et
sûr. Pour y parvenir, il faut renforcer les capacités technologiques permettant
d'atténuer les menaces, accroître la résilience des infrastructures, réseaux et
services critiques, et réduire la cybercriminalité.
D'après la stratégie, cela signifie favoriser des systèmes novateurs dans les domaines
de l'information et de la communication (TIC), propres à garantir la
disponibilité et l'intégrité des données, et assurer dans le même temps la
sécurité à l'intérieur de l'espace numérique européen, par des politiques
appropriées sur le lieu du stockage des données et la certification des produits
et services numériques.
Il faudra ainsi intégrer les questions relatives à la
cybersécurité dans tous les domaines d'action, renforcer les éléments y
afférents dans les missions et opérations en matière de politique de
sécurité et de défense commune (PSDC) et continuer à développer les
plateformes de coopération.
L'UE soutiendra aussi la coopération politique, opérationnelle et
technique entre États membres dans le domaine de la cybersécurité, notamment en
matière d'analyse et de gestion des conséquences, et favorisera la mise en
place d'évaluations communes entre les structures de l'UE et les institutions
compétentes des États membres.
Elle renforcera sa coopération en matière de cybersécurité
avec les principaux partenaires, tels que les États-Unis et l'OTAN. La réaction
de l'UE s'inscrira également dans le cadre de partenariats forts entre le
secteur public et privé.
La coopération et le partage d'informations entre les États
membres, les institutions, le secteur privé et la société civile sont susceptibles
de favoriser une culture commune de la cybersécurité, et accroître la
préparation face à d'éventuelles perturbations et attaques informatiques.
Premier axe d’action :
favoriser l’approche par le renseignement
La sécurité européenne repose sur une meilleure évaluation
commune des menaces et des défis sur le plan intérieur et extérieur. Les Européens
doivent améliorer le suivi et le contrôle des mouvements qui ont des répercussions sur la sécurité.
Pour ce faire, il faut investir dans le renseignement, la
surveillance et la reconnaissance, y compris les systèmes d'aéronefs
télépilotés, les communications par satellite et l'accès autonome à l'espace
ainsi que l'observation permanente de la Terre.
En ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, les États
membres doivent mettre en œuvre une législation sur les explosifs, les armes à feu et
les dossiers passagers (PNR) et investir dans les capacités de détection et le traçage
transfrontalier des armes.
Deuxième axe d’action :
investir dans les capacités numériques
Les Européens doivent investir dans les capacités numériques
pour sécuriser les données, les réseaux et les infrastructures critiques au
sein de l'espace numérique européen. Il s’agit de développer des capacités dans le domaine des services et des produits
numériques fiables ainsi que dans les
cybertechnologies pour renforcer la résilience.
La stratégie entend encourager l'ensemble des États membres
à accroître leurs investissements et leurs compétences par le biais de la
coopération dans le domaine de la recherche et de développement, de la
formation, des exercices et des programmes de passation de marchés.
Troisième axe d’action :
avoir des capacités européennes de défense plus robustes
En ce qui concerne les capacités militaires de pointe, les États
membres ont besoin de tout l'équipement majeur pour faire face aux crises
extérieures et préserver la sécurité de l'Europe. Ils doivent ainsi disposer de
larges capacités terrestres, aériennes, spatiales et maritimes, y compris de
capacités de soutien stratégiques.
À ce propos dans un monde fragile, le "soft power"
ne suffit pas: il importe d’accroître la crédibilité de l’UE en matière de
sécurité et de défense. Pour faire face aux crises extérieures, renforcer les
capacités des partenaires européens et protéger l'Europe, les États membres
doivent affecter des moyens financiers d'un niveau suffisamment élevé à la
défense, utiliser les ressources de la manière la plus efficace qui soit et remplir l'objectif collectif consistant à
consacrer 20% du budget de la défense à l'acquisition d'équipements ainsi qu'à
la recherche et la technologie.
D'après la stratégie, il convient que les capacités soient développées en veillant
à une interopérabilité et une uniformité maximales et qu'elles soient mises à disposition,
dans la mesure du possible, pour appuyer les actions de l'UE, de l'OTAN et des
Nations unies ainsi que les autres efforts multinationaux. Si une stratégie
sectorielle, qui devra être arrêtée par le Conseil, devrait préciser davantage,
sous l'angle civil et militaire, le niveau d'ambition, les tâches, les
exigences et les priorités en termes de capacités découlant de la présente
stratégie, certains de ces éléments peuvent déjà être dégagés conformément aux
engagements pris par le Conseil européen.
Et faire face au
problème russe
La souveraineté, l'indépendance et l'intégrité territoriale
des États, l'inviolabilité des frontières et le règlement pacifique des différends sont des éléments
essentiels de l'ordre de sécurité européen.
Ces principes s'appliquent à tous les États, tant à
l'intérieur qu'à l'extérieur des frontières de l'UE.
Néanmoins, la paix et la stabilité en Europe ne sont plus
acquises. La violation du droit international par la Russie et la déstabilisation de l'Ukraine, qui
viennent s'ajouter à des conflits qui perdurent dans l'ensemble de la région de la mer Noire, ont remis en
cause les fondements de l'ordre de sécurité européen.
Une approche cohérente et unie doit rester la pierre
angulaire de la politique de l'UE à l'égard de la Russie. Selon la stratégie, il faut surtout renforcer l'UE, accroître la résilience de les
voisins orientaux et défendrons leur droit à définir librement leur approche
vis-à-vis de l'UE.
synthèse du texte ci-dessous par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr
- Stratégie globale
- Federica Mogherini présente les principaux objectifs de la stratégie globale de l’UE
A lire aussi le rapport de l'Assemblée nationale : "Sur la nouvelle stratégie européenne globaleen matière de politique étrangère et de sécurité"
A lire les articles de securiteinterieure.fr sur la défense :
- Menaces hybrides : l’Europe veut avoir son Centre d’excellence
- Après le Livre blanc sur la défense, un Livre blanc européen ?
- De l'Europe de la défense à la défense européenne
- L'Assemblée nationale plaide en faveur d'un "Livre blanc européen sur la Défense"
- Le Livre blanc sur la Défense de 2013 et la sécurité intérieure
- Bilan actuel de la politique européenne de défense - mise à jour de printemps
- Bilan actuel de la politique européenne de défense
Et en complément, quelques excellentes lectures :
- De la Stratégie globale de sécurité aux Conclusions du Conseil. Le double jeu (M. E. Argano-EU LOGOS)
- La stratégie globale de l’UE : plus importante qu’il n’y parait après le Brexit (B2)
- L’Europe de la défense: un pas en avant ou un pas de côté (A. Dumoulin)
- La réforme de la stratégie européenne de sécurité : état des lieux d’un débat sur la diplomatie et la défense européennes (P. Minard)
- De la sécurité extérieure de l’Europe et de la défense du territoire national (F. Chauvancy)
Et quelques articles de presse :
- Mogherini tente de doter l’UE d’une vraie politique internationale (Euractiv)
- Avec le Brexit, la défense communautaire revient au cœur des réflexions européennes (Les Echos)
Et surtout les travaux de l'Institut européen de la sécurité (EUISS) :
- Towards an EU global strategy – Consulting the experts
- Towards an EU global strategy – Background, process, references
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